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L’utilisation de la photo : quelles plus-values dans nos missions de conseils ?

Par Patrick Picard publié 07/10/2017 12:00, Dernière modification 07/10/2017 16:54
Nombre de formateurs ont recours à des vidéos ou des photos pour leurs visites-conseils. Eric Demangel et Olivier Boussert, conseillers pédagogiques dans l'Yonne, expliquent comment ils s'y prennent...

A l’heure du numérique et des smartphones, se prendre en photo correspond à une habitude sociétale (selfie, post d’images sur les réseaux sociaux). Le numérique est entré dans nos pratiques personnelles et/ou professionnelles quotidiennes surtout pour les jeunes enseignants. En revanche se prendre en photo constitue quelque chose de peu courant dans les pratiques en situation d’enseignement.

demangelSi la photo constitue un premier filtre de l’activité enseignante faite par le formateur (effet trou de serrure) qui focalise l’observation sur un aspect précis (car une partie de l’action est occultée) cet outil peut néanmoins avoir une certaine efficacité…

Comment utiliser cet outil dans nos visites de formateur ?

Pendant la séance, le regard du formateur peut se porter sur différents observables à prendre en photo : prise de vue générale de la classe ou plan serré sur quelques élèves, des traces d'activité, documents donnés aux élèves, travaux d'élèves, de mise en commun, affichage ....

Après la séance, lors de l'entretien, le formateur s’appuie sur l'observation et la description des photos sélectionnées pour faire réagir le stagiaire et par le questionnement accède à son activité pour évoquer avec lui des points d'appuis qui le feront progresser dans sa pratique. Le rôle du formateur consiste ici à faire émerger chez le stagiaire de l’insatisfaction dans la pratique afin de trouver ensemble de nouvelles possibilités plus « satisfaisantes » ou « opérationnelles ».

Après l’entretien, il est demandé au stagiaire à partir des photos de rédiger un compte-rendu précisant les différents axes de formations abordés sur lesquels il s’engage à travailler afin qu’une évolution puisse être constatée lors des prochaines visites.

Quels obstacles peut-on rencontrer ?

Le « quoi » prendre en photos ?

Lors des séances observées, la sélection des prises de vue peut poser problème. Quelles informations « du monde réel de la classe » semblent pertinentes à « médier » ? (au sens de mettre sur un média : photo ou vidéo).

Les formateurs novices se focalisent souvent sur une grille d’observables qui peut nuire à la qualité de l’observation. L’utilisateur novice aura tendance à prendre un nombre important de clichés pour garder des supports à la discussion lors de l’entretien. Le niveau d’expertise et d’expérience permettra de diminuer significativement le nombre de photos prises (5 à 10 photos / séance).

« Vouloir tout observer c’est ne rien voir ». Il convient ici de résister à la tentation de rechercher une preuve photographique pour étayer tous les axes de formation dégagés.

La pertinence des photos ?

Quelles photos utiliser lors de l’entretien ? « Ce qui va se passer en entretien dépend assez fortement de la qualité de l’observation et de la disponibilité des informations qui auront été repérées ». A ce titre, la sélection des photos est importante. La photo facilite la connivence et crée un support à l’échange. Elle permet à l’enseignant et au formateur d’être en adéquation avec la situation à analyser.

Le formateur choisira donc les photos les plus évocatrices. Si besoin, il pourra s’appuyer sur l’organisation et la hiérarchisation de ses notes manuscrites qui permettront de reconvoquer ou repréciser le réel (des photos) : citations, paroles d’enseignants ou d’élèves…. Par ailleurs, il faut hiérarchiser les photos selon les priorités de formation que le formateur fixe.

Quels constats tirez-vous suite à l’utilisation de cet outil ?

Pendant la conduite de l’entretien, il convient de dégager un certain nombre d’intérêts liés à l’utilisation de la photo dans les entretiens:

Sur l’analyse du « réel » :

  • Elle constitue un support à la discussion à partir du réel ce qui répond à une des préoccupations des enseignants.
  • Elle limite (voire dispense) de la partie descriptive de l'entretien pour aller plus rapidement à l'observation et à l'analyse. Le temps de description étant coûteux pour l’enseignant cela laisse plus de « temps » pour la phase d’analyse.
  • L’accès plus rapide à l’analyse et à l’activité s’explique par la connivence qui se met en place au travers la photo qui constitue une preuve que l’on a vécu la même situation.
  • Elle constitue une preuve de ce qui s’est passé et évite les dénis ou stratégies d’évitement lors de la description.
  • Elle permet d’interroger à la fois les aspects pédagogiques et didactiques.

Sur la perception des enseignants novices :

  • Elle permet une diversification de supports (trace d'activité, posture/attitude de l’enseignant.). Cet aspect peut rendre l’interaction plus motivante.
  • Elle met le stagiaire à distance (ce qui émotionnellement peut être profitable).
  • Elle permet de changer de point de vue (il voit ce que les élèves et/ou le formateur voyaient).
  • Elle illustre des axes de formation dont le stagiaire n'a pas forcément conscience. Elle autorise donc l’accès « à l’invisible ou au non perçu » de la situation.
  • Elle permet au stagiaire de voir l'action des élèves dans les groupes qu'il n'animait pas.

Sur le ressenti et l’affect des enseignants novices :

  • L'originalité : entretien différent du « classique »
  • Analyse plus fine du stagiaire qui se pose d'abord la question du choix de la photo par le formateur.
  • Permet un entretien « différé » plus facile hors de l’urgence de classe.
  • Efficacité : plus d'axes de formation développés
  • Disposition spatiale : formé et formateur assis côte à côte ce qui permet de créer un espace de parole et d’accompagnement de proximité et de porter un regard commun sur un même objet d’étude.

Après l'entretien, les différentes photos utilisées peuvent servir de point d'appuis à la rédaction du compte rendu du stagiaire et du formateur. Elles permettent de se remémorer les axes développés et facilitent le retour écrit. Le rapprochement axe de formation/image peut aider dans la mise en œuvre future en classe.

Les photos servent d’illustrations et rendent plus « intelligible » le compte rendu. A l’instar des albums de photos de famille qui permettent de se souvenir et de garder trace de notre histoire, les photos prises en classe ravivent et précisent elles aussi les souvenirs dans ce qui peut constituer un premier album photos professionnel. Ces souvenirs peuvent également être mobilisés pour faire prendre conscience au stagiaire des progrès réalisés, pour mesurer le cheminement et le développement des compétences professionnelles. (bilan PEFS par exemple ?)

Par ailleurs, faire rédiger le compte-rendu semble intéressant à mettre en œuvre. Il constitue une sorte de contractualisation de l’accompagnement. Selon les principes de la pédagogie de l’engagement consistant à « obtenir sans imposer », « les décisions que l'on prend ou que l'on parvient à nous faire prendre nous engagent ». Autrement dit, après l’entretien l’acceptation par le stagiaire de rédiger un compte rendu l’engage. Cet engagement explicite pris, laisse espérer un transfert des différents points relevés dans sa pratique de classe.

Des témoignages de jeunes enseignants…

Le tableau ci-dessous constitue une analyse des réponses de stagiaires qui ont participé à ce type d’entretien à partir des 3 items : avantages, inconvénients et espace de parole libre.

Constats Ce que je retiens pour ma pratique de formateur
Toutes ont recours à un champ lexical de la « difficulté ». (erreurs, problème, défauts, maladresse). A contrario, une seule évoque que les photos peuvent servir à identifier les réussites. S’appuyer davantage sur les réussites pour faire émerger les gestes efficaces à transférer aux situations qui posent « problème »
La photo facilite l’analyse (« se remémorer, facile, prendre du recul, facilite le retour en arrière)  Un bon outil pour dépasser les « éléments de surface »
Une prise de conscience et mise à distance (regard extérieur, vue d’ensemble, feu de l’action…) Un bon outil pour dépasser les « éléments de surface »
 La question du point de vue (voir des choses que l'on ne voit pas forcément, regard extérieur concret) Un bon outil pour dépasser les « éléments de surface »
Un outil d’analyse motivant (démarche « non-conventionnelle » attrayante et intéressante, on se voit)  Visite et analyse de pratique « innovante »
Rapport à l’image délicat (pas toujours facile de se voir, accepter de se voir) Présenter clairement l’objectif du travail et demander l’accord. (maintien de la relation de confiance) Ne pas utiliser la photo lors de la 1ère visite (sauf si accord)
Une limite évoquée : la centration sur des faits exclusivement visuels Prise de note avec parole rapportées pour mettre du « son » sur la photo. Recours à la vidéo.

 Conclusion

L’entretien photo constitue donc un support de formation pertinent dont le but recherché n’est pas de former des analystes de l’image, mais d’étayer à partir du réel les compétences professionnelles des enseignants.

L’utilisation de la photographie dans la formation peut permettre d’accéder autrement voire plus facilement aux observables du réel de la salle de classe qu’un entretien « classique » sans pour autant dénaturer ce qui a été vécu. L’accompagnement par le formateur reste le maillon central de ce dispositif afin de faire émerger chez l’enseignant de nouvelles possibilités d’actions plus efficaces pour faire apprendre les élèves.

Conseiller les enseignants débutants dans leur quotidien de la classe avec le plus d’efficacité possible est un souhait de tout formateur. Leur donner le gout d’entreprendre, d’expérimenter et de modifier les pratiques est un enjeu fort pour tous ceux qui veulent aider l’École à tenir ses promesses de réussite de tous. Si la vidéo est un média dont l’efficacité est connue, la photo constitue elle-aussi un outil puissant et dont l’utilité pourra être appréciée.