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Centre Alain Savary
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Discussion sur les écarts

Par Henrique Vilasboas publié 30/09/2020 13:00, Dernière modification 20/02/2024 14:34
L'observation croisée du travail de Maëlys, en classe et au centre social, par l'enseignante et l'intervenant, fait émerger des questionnements sur l'écart entre les perceptions de chacun·e. L'ampleur de cet écart, mais aussi ses différentes dimensions, illustrent l'importance du curriculum invisible décrit par Julien Netter.

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Co-Observations sur l'activité dans la classe 00:00
Co-Observations sur l'activité au centre social 03:30

 

Interprétation des écarts entre le perçu et les attentes  

ECARTS-PERCU-ATTENTESCes écarts, résumés par le schéma ci-contre, résultent de l'observation croisée,  d'une part de Maëlys et de Julie et d'autre part de Maëlys et Gabriel. On peut alors comparer les attentes des encadrants et la façon dont Maëlys les interprète.

Julie décompose le travail en classe, dont la lecture et l'explication des textes avec les élèves constituent une première étape. Elle s'aperçoit que l’explication faite en classe ne suffit pas à la compréhension : « La complexité dans ce chapitre, c’est la complexité des textes. Les documents, un à un, on les a lus, je les ai expliqués... Le fait qu’elle revienne le soir et qu’elle ne les comprend plus, c’est ça qui est compliqué ». Gabriel souligne aussi la difficulté des textes. 

Julie explique que Maëlys ne fait pas le lien entre les questions et le récit historique à produire : « Ce qui est compliqué, c’est l’écriture du texte, cette transformation de questions en un texte qui explique quelles sont les croyances ». Gabriel insiste sur l'importance de comprendre les textes et les idées avant de rédiger le texte : « Mon objectif sur la fin de l'heure, c'est amorcer le travail sur le stade des idées et de la compréhension ... La rédaction, elle peut la faire seule chez elle ».

Julie pense que Maëlys ne semble pas comprendre les attentes concernant son activité : « Ce qui est dommage, c’est que comme elle est extrêmement dans l’attente, t’es obligé de combler son attente, et tu lui dis ce qu’il y a dans les documents, alors qu’elle aurait pu très bien trouver toute seule». Gabriel, lui, contraint par le temps, privilégie la formulation et l'organisation des idées : « Je suis obligé de faire le forcing parce que l'heure tourne, noter les idées au fur et à mesure de manière hiérarchisée avec une trame chronologique ».

Julie constate un écart entre les objectifs d'apprentissage et le travail effectué par Maëlys : « C’est là qu’on se rend compte qu’il y a un gros décalage, parce que là, elle est allée au Centre le soir même, et il n'y a déjà plus grand-chose […] Ce que tu es en train de lui faire, là, de lui réexpliquer, c’est le travail préparatoire lorsqu’on a expliqué les documents en classe. Alors peut-être que j’ai mal expliqué…».

Regard de Julien Netter sur ce film : "Julie et Gabriel perçoivent un décalage, mais ne l'identifient pas vraiment comme un problème relevant de l'interprétation de la situation. Pour eux, il s’agit de difficultés techniques liées au caractère trop ardu des textes, à la consigne ou aux contraintes de temps. Dès lors, le décalage est plus constaté et, d’une certaine manière, excusé, qu’expliqué, ce qui conduit à incriminer inutilement l’enseignante (« j’ai mal expliqué ») ou l’élève (et son attitude « passive »)."  

Interprétation des difficultés pour l'élève et des difficultés pour l'enseignant

Julie ajuste la situation d'apprentissage en la décomposant et l’ordonnant en tâches élémentaires à l'aide de trois questions. Cela renforce la focalisation de Maëlys dans la recherche de réponses explicites dans les textes. Il revient à la charge de Maëlys d'inférer ce que les textes permettent de dire sur les caractéristiques des croyances des Hébreux. Gabriel, lui, ajuste l'activité en "parlant sur" les textes, en lien avec ses propres connaissances sur le sujet et en proposant une méthode pour écrire le résumé. Il revient alors à la charge de Maëlys de faire le lien entre les idées dégagées à partir des textes et la production du résumé, dont le statut disciplinaire est ambigu pour elle.

Pour Julie et Gabriel, produire un récit historique s’appuie sur des sources et une planification des idées. Julie attend des élèves qu’ils se centrent sur les textes, Gabriel attend de l'élève qu'elle se centre sur la consigne pour construire un récit historique. Lors de l'échange, Julie perçoit la difficulté de prendre du recul par rapport aux textes bibliques : cela demande à Maëlys d'identifier les notions (Monothéisme, Exode, Alliance, Genèse) qui ne sont pas explicites dans le texte, mais plutôt dans ce que l’on va faire dire au texte. Julie touche ici du doigt la question des interprétations divergentes.

Julie constate que Gabriel refait avec Maëlys ce qu'elle avait déjà demandé en classe. Ainsi, dans cette situation, la succession des acteurs ne pose pas de problème tangible de discontinuité du discours. Mais l'observation du travail de Maëlys hors la classe permet à Julie de percevoir les difficultés non résolues en classe Séverine Kakpo et Julien Netter, « L’aide aux devoirs. Dispositif de lutte contre l’échec scolaire ou caisse de résonance des difficultés non résolues au sein de la classe ? », Revue française de pédagogie [En ligne], 182 | 2013, mis en ligne le 28 août 2016, consulté le 25 août 2020. URL : http://journals.openedition.org/rfp/4003 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfp.4003. Ces difficultés non résolues sont liées selon Julie à un défaut d'explication de sa part et de l'attitude "passive" de Maëlys. Il s'agirait pourtant davantage d'un malentendu sur l'enjeu de la tâche qui n'est pas identifié par Maëlys, qui se trouve face à une "devinette" introuvable et se débrouille alors pour avoir les réponses provenant des signes de ce que dit l’enseignante, de ce que dit sa voisine ou l’intervenant pour réaliser la prescription.

Accéder aux enjeux de savoir est souvent difficile pour les élèves, car spontanément ils cherchent à faire correspondre tous les signes qu’ils vont percevoir avec ce qu’ils pensent déjà comme à priori. Or à l’École, apprendre, c’est transformer son rapport aux objets culturels. Cela passe par l'étude d'un objet en le mettant à distance Bautier Elisabeth, Goigoux Roland. Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle. In: Revue française de pédagogie, volume 148, 2004. pp. 89-100. DOI : https://doi.org/10.3406/rfp.2004.3252 www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2004_num_148_1_3252 . Cela implique pour l'enseignant d'agir sur ce que perçoit et structure l'élève sur chacune des dimensions. La difficulté majeure du métier est alors de chercher à identifier tout ce qui peut sembler évident, mais qui est invisible et potentiellement source de malentendu.

Quelques mois plus tard

Suite à ce travail d'analyse en classe et en dehors la classe, Julie livre quelques pistes d'action qu'elle développe.

" Nous avons décidé de mettre en place avec les centres sociaux un espace numérique partagé contenant les cours, les diaporamas, les fiches d'activités et une explication de mes attentes. Du côté des élèves, j'accorde une plus grande attention à la rédaction des consignes dans le cahier de texte. Je poursuis le travail de relecture et de correction des devoirs des élèves avant la remise définitive. Je procède ainsi depuis trois ans, maintenant et cela marche vraiment bien. Ce cadre est extrêmement rassurant pour eux et parfois cela suffit juste pour les "décoincer" face à une tâche plus complexe."  Julie

Pour conclure

Le cadre de Julien Netter donne une grille de lecture et d'analyse de cette situation de classe et hors la classe, en portant la focale sur l'écart entre le perçu de l'élève et les attentes des enseignants.

D'autres éléments n'ont pas été abordés dans cette ressource, qui pourraient faire l'objet d'une analyse :

  • le traitement de la difficulté scolaire par l'enseignante et l'encadrant,
  • la coopération entre les acteurs dans l'aide apportée pour soutenir les apprentissages,
  • les pistes évoquées par Julie et Gabriel pour favoriser la communication entre les acteurs de la classe et du centre social

Ces deux points renvoient à la planification de la séance, à l'étayage : autant de questions de métier qui peuvent également être travaillées en formation, dans le but de comprendre tous les gestes de l'enseignant qui favorisent la motivation, la mise au travail des élèves, la différenciation contribuant à l'autonomie des élèves dans leurs apprentissages (cf "focales" de R. Goigoux).

  

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