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Refondation de l’éducation prioritaire et réussite éducative

Par skus — publié 07/07/2015 17:35, Dernière modification 14/04/2016 12:05
Texte intégral et vidéo de l'intervention de Fabienne Federini, adjointe au chef de bureau de l’éducation prioritaire et des dispositifs d’accompagnement - direction générale de l’enseignement scolaire, ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Journées d'étude "Questions vives du partenariat et réussite éducative. Quelles collaborations locales et institutionnelles pour améliorer l’accompagnement à la scolarité ?"

C’est toujours intéressant d’être interpellée sur une question qui semble en veille depuis la disparition du ministère délégué à la réussite éducative, mais qui n’en reste pas moins vive, pour reprendre une expression communément usitée par le centre Alain Savary, au sein du ministère de l’éducation nationale, notamment parce qu’un de ses bureaux porte cette problématique.

Réussite éducative ?

En revanche, il ne paraît pas judicieux d’associer l’éducation prioritaire et la réussite éducative dans un même mouvement. Car la réussite éducative telle que nous l’entendons depuis le Pacte pour la réussite éducative[1], est pour tous les élèves et non à destination de quelques-uns sinon nous risquons de faire de la réussite éducative le substitut de la réussite scolaire pour les élèves scolarisés en éducation prioritaire. En effet, la réussite éducative ne doit pas être pensée comme un supplétif de la réussite scolaire. Il ne s’agit pas de réserver aux uns les apprentissages considérés comme nobles (c’est-à-dire scolaires), et aux autres les apprentissages pensés comme vulgaires (c’est-à-dire éducatifs) ou d’affecter les uns dans les filières d’excellence tout en admettant les autres dans des dispositifs partenariaux externalisés[2]. Il ne s’agit pas de « relativiser » la scolarité des élèves « les plus en difficultés » ou ayant « le plus de fragilités ».

Par ailleurs, si la réussite éducative comprend la réussite scolaire, elle ne s’y réduit pas non plus. C’est ce qui ressort de l’acception que nous en avons aujourd’hui.

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Réussite éducative ?
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La refondation de l'Education prioritaire
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Une nouvelle façon de penser et d'agir 13:53
Prendre en compte les spécificités des territoires sans renforcer les inégalités territoriales
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Co-éduquer ?
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"Partenaires", mais à quelles conditions ?
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Depuis la fin des années 1990, la notion de « réussite éducative » recouvre un ensemble identifié de dispositifs d’accompagnement à la scolarité. Ces derniers s’adressent principalement aux élèves mais aussi aux parents. Ils connaissent des modalités de pilotages différents. Parfois, ils sont internes à l’éducation nationale, parfois externes. Le terme proprement dit de « réussite éducative » avec l’ouverture de l’école sur son environnement social, économique et culturel apparaît en 2005 avec l’institution du programme de réussite éducative (PRE) mis en œuvre par les villes avec l’appui des crédits de la politique de la ville pour soutenir les élèves connaissant des fragilités. Ces programmes agissent aux côtés de l’école à partir d’une demande des familles pour aider les enfants en question dans une démarche personnalisée en fonction de leurs besoins : santé, social, scolaire… Ils reposent sur une nouvelle approche qui conjugue une double logique territoriale et par les publics en mettant l’accent sur les parcours individuels. En 2006 apparaît dans l’école une procédure de travail qui, tout en reprenant la notion de réussite éducative, s’inscrit dans le cadre stricto sensu de l’école. Il s’agit du programme personnalisé de réussite éducative[3] (PPRE) destiné aux élèves en difficulté dans l’acquisition des compétences du socle commun. 

 

Couverture journées d'étude accompagnement à la scolarité
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(PDF - 62 pages - 8,6 Mo)

Pour autant, la réussite éducative ne saurait uniquement se réduire aux dispositifs d’accompagnement existants jusqu’ici. Elle s’insère dans une démarche plus englobante définie par le Pacte pour la réussite éducative. Elle est ainsi « la recherche du développement harmonieux de l’enfant et du jeune ». Plus encore, elle promeut une certaine conception de l’acte éducatif en en faisant un acte d’éducation globale qui prenne en compte à la fois l’unicité de l’enfant/l’adolescent dans toutes ses composantes (sociales, cognitives, psychiques, physiques et affectives) et le territoire au sein duquel il s’inscrit. En mettant en avant l’approche globale de l’enfant, la démarche de « réussite éducative » entend contribuer à articuler la classique et arbitraire distinction entre « instruction » et « éducation ».

Après ces quelques propos liminaires indispensables, la question posée est : quelles articulations existe-t-il entre l’éducation prioritaire et la réussite éducative ainsi considérée ? Ce qui semble finalement induit, c’est moins l’opposition « instruction/éducation » que la conjonction entre universalisme (le principe général d’égalité) et relativisme. Pour le dire autrement, comment prendre en compte le spécifique afin de mieux atteindre l’universel, et non pas pour le mettre à mal ?

La refondation de l'Education prioritaire

Fabienne FederiniAujourd’hui, la politique de l’éducation prioritaire n’est pas pensée comme une action publique qui serait dérogatoire au droit commun. C’est une politique spécifique certes, mais en ce qu’elle est adaptée aux territoires, en ce qu’elle prend en compte leur réalité économique et sociale, sachant que les conditions d’exercice ne sont pas les mêmes au sein de la classe quand vous avez 1 ou 2 élèves en difficultés d’apprentissage et quand vous en avez un tiers ou la moitié. La refondation de l’éducation prioritaire, telle qu’elle va se généraliser à la rentrée 2015 après sa phase de préfiguration, s’inscrit dans l’esprit de ses débuts. En effet, en 1981, le politique prend acte de ce que l’égalité affirmée dans notre devise républicaine et dans le préambule de la constitution de 1958 avec la reprise de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, reste une égalité de droit et non de fait. 

Pour que celle-ci devienne une égalité réelle, il convient de renforcer les moyens en faveur des élèves scolarisés dans les écoles et établissements en éducation prioritaire et aussi en direction des personnels y travaillant. Ces territoires concentrent en effet un ensemble de difficultés économiques et sociales telles qu’il est nécessaire de mettre en place une politique de droit commun adaptée afin de permettre de meilleures conditions d’apprentissage et un accompagnement renforcé du parcours scolaire des élèves. Quand la situation entre deux collèges, entre deux écoles, est inégalitaire, il convient de faire plus, et parfois de donner plus, pour rétablir l’équilibre, donc l’égalité. L’égalité, ce n’est pas nier la diversité, c’est faire en sorte que cette diversité ne génère pas des inégalités. C’est en quelque sorte une politique de péréquation.

Pour ce faire, la nouvelle réforme de l’EP reprend une organisation qui existait déjà : un fonctionnement en réseau avec un collège et un ensemble d’écoles, un pilotage conjoint (IEN/principal et IA-IPR référent) institué au sein d’un comité de pilotage lequel comprend, outre les pilotes cités, un coordonnateur de réseau et, autant que possible, une représentation des autres personnels et des partenaires. Cette refondation formalise et entend renforcer par des moyens supplémentaires (humains et matériels) : 

  • le collectif avec un travail en équipe institué (pondération dans le second degré et 18 demi-journées libérées dans le premier degré en REP+) ;
  • l’apparition de nouvelles professionnalités (coordonnateur de réseau, coordonnateur de niveau ex. préfet des études, formateurs REP+) ;
  • un accompagnement et une formation soutenus ;
  • des dispositifs (« plus de maîtres que de classe », « scolarisation des moins de trois ans », accompagnement continu en classe de sixième, opération « école ouverte »; etc.) ciblés plus particulièrement sur ces territoires.

Parce que la refondation de l’éducation prioritaire a pour objectif de ramener à 10% les écarts de réussite scolaire entre élèves, elle fait de la pédagogie sa pierre angulaire, d’où le référentiel de l’éducation prioritaire[4]. Pourquoi un tel document ? Parce que nous sommes convaincus que la réduction des écarts de réussite scolaire passe par le fait de mettre les apprentissages des élèves au cœur de la politique de l’éducation prioritaire et donc par un changement de pratiques pédagogiques au sein des classes. Juste une incise : c’est également l’esprit du plan « Vaincre le décrochage scolaire » qui fait aussi de l’évolution des pratiques pédagogiques au sein même de la classe l’axe fort de la prévention du décrochage scolaire.

Une nouvelle façon de penser et d'agir

Ceci étant dit, certains considèrent la politique de l’éducation prioritaire comme une politique d’avant-garde. Après tout, les élèves en difficultés d’apprentissage ne sont pas réservés à la seule éducation prioritaire, ils interrogent également le système éducatif dans ses modalités mêmes de fonctionnement. C’est la concentration des difficultés qui fait la spécificité de l’éducation prioritaire. Les manières de faire pédagogiques et éducatives mises en œuvre au sein de ces territoires ont quant à elles vocation à intéresser tout le système éducatif. D’aucuns estiment même que ledit référentiel a vocation à être diffusé partout. Il s’agit peut-être moins de le diffuser partout - il a été écrit pour être mis en œuvre dans un contexte particulier – que d’en propager l’esprit. Mais il est vrai que lorsque l’on écrit « conforter une école bienveillante et exigeante », on voit ce que le système éducatif dans son ensemble peut en tirer comme profit à l’égard par exemple des parents ou de l’évaluation des élèves. Le changement qui est demandé ici porte moins sur les modalités proprement dites de l’évaluation ou sur ce que l’on doit dire aux parents que sur la manière dont, en changeant notre regard sur les parents, sur les élèves, en passant du jugement (souvent moral d’ailleurs) à la compréhension[5], nous amènerons chacun à changer de posture professionnelle. Et ce qui est valable ici l’est tout autant là.

Ainsi la convergence postulée entre l’éducation prioritaire et la réussite éducative réside moins dans les publics ciblés que dans les façons de penser et d’agir sur le système éducatif. Quand le Pacte pour la réussite éducative promeut la conception d’un acte d’éducation comme un acte d’éducation globale, elle est fort proche de ce qui peut exister en éducation prioritaire. N’est-ce pas une révolution copernicienne qui nous est ainsi demandée, puisqu’il s’agit de regarder autrement notre système éducatif ? Au final, contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser, la réussite éducative dans sa nouvelle acception, par le regard qu’elle porte, ne serait-elle pas, parfois, plus pertinente au sein des territoires situés hors éducation prioritaire[6], et moins en éducation prioritaire ?

prendre en compte les spécificités des territoires sans renforcer les inégalités territoriales

Autre convergence entre l’éducation prioritaire et la réussite éducative : la prise en compte du territoire. Il y a bien sûr concordance entre les lois de décentralisation, celles liées à la déconcentration, la politique de l’éducation prioritaire et la politique de la ville (années 1980). Le territoire devient, alors, à la fois la source des questions scolaires à traiter et le lieu de solutions des questions scolaires posées.

Disons que la question de l’ouverture de l’Ecole sur son territoire n’est pas nouvelle, puisqu’elle est mentionnée dès 1887 dans la première édition du dictionnaire de pédagogie et d’instruction de Ferdinand Buisson (« musées, jardins et caravanes scolaires »). Mais force est de constater que cette ouverture, sans cesse réaffirmée, n’est pas un fait acquis, loin de là. Elle pose encore problème à l’Ecole, sans doute parce qu’elle s’oppose encore à l’idée d’une école pensée, depuis ses débuts, comme un « sanctuaire » - le philosophe Alain parlait ainsi d’ « école-sanctuaire ». 

Liée dès l’origine avec la République, l’Ecole avait pour mission de former  des citoyens. Dans une France à forte dominante rurale, faiblement scolarisée et où la langue française était loin d’être majoritaire, l’ambition d’instruire les enfants à cette fin supposait de les soustraire à leur environnement et milieu ordinaires. L’instituteur s’adressait, non à l’enfant ou à l’adolescent, mais à l’élève détaché de tout ce qu’il était socialement, culturellement. Les origines sociales, les particularismes culturels (patois[7] ou parlers locaux) et autres croyances religieuses étaient ainsi considérés comme autant d’obstacles à l’édification de citoyens émancipés, porteurs de la raison, de la science et du progrès. 

L’école s’est construite contre « l’esprit rétrograde » (Ferry) des cléricaux et des conservateurs qui dominent cette France encore rurale. Elle s’est édifiée contre les familles[8] et les territoires. C’est une école qui entend séparer et protéger les enfants des « mauvaises influences » et des « ingérences » des pouvoirs locaux, des prélats, des patrons et du milieu familial – certains à l’époque rêvent même de « faire envahir les familles par l’école »[9]. En même temps, l’Ecole n’a jamais vraiment pu s’émanciper de ses territoires. Reconnaissons la prégnance de l’enracinement local des écoles depuis son origine. C’est ce que montre par exemple Jean-François Chanet dans l’Ecole républicaine et ses petites patries[10]. La différence peut-être entre hier et aujourd’hui, c’est que le local n’est plus perçu comme une menace mais comme une ressource. 

Cette volonté de territorialisation de l’action publique de l’éducation engagée depuis plus de trente ans (avec la décentralisation, la déconcentration et l’émergence de la politique de la Ville) traduit aussi une nouvelle conception de la gouvernance publique. L’Etat souhaite désormais affirmer son rôle de stratège politique. Et pour cela, il entend laisser aux acteurs la latitude d’action nécessaire afin de définir les modalités locales de mise en œuvre de ses orientations nationales, leur rendant par là-même un statut d’agent, et non de simple exécutant. Avec cette marge d’autonomie dévolue aux acteurs[11], l’Etat reconnait la prégnance des besoins locaux et donc, la singularité des territoires. 

Mais qui dit « territoires » dit aussi « inégalités territoriales » – inégalités qui depuis 1981 en ce qui concerne l’éducation prioritaire se sont aggravées ici, déplacées là. La carte de l’éducation prioritaire se trouvait ainsi déconnectée de la nouvelle réalité économique et sociale du pays. La nouvelle carte a été établie en tenant compte des quatre critères suivants :

  • la part d’élèves dont les parents appartiennent aux PCS défavorisées ;
  • la part d’élèves boursiers ;
  • la part d’élèves résidant en zone urbaine sensible ;
  • la part d’élèves arrivant en classe de 6ème avec au moins un an de retard.

A partir de ces critères et dans le cadre d’un dialogue conjoint avec les recteurs et leurs équipes, nous avons ainsi  profondément modifié cette carte en faisant sortir et entrer à peu près 200 réseaux pour la rendre plus juste. Elle comprend aujourd’hui 1089 réseaux, outre mer compris et sera révisée dans quatre ans. Sur cette question des « inégalités territoriales », un document est disponible sur le site de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), paru l’année dernière et qui s’intitule « Atlas académique des risques sociaux d’échec scolaire : l’exemple du décrochage »[12].

La question à laquelle nous devons peut-être répondre est de savoir : comment prendre en compte les spécificités des territoires sans renforcer les inégalités territoriales ? comment ne pas y enfermer les élèves ? comment faire pour que le territoire[13] soit pensé comme un espace de projet donc un champ des possibles alors qu’il est souvent vécu comme un espace d’assignation sociale – surtout lorsqu’il est stigmatisé – au sein duquel les élèves et leurs familles peuvent se sentir enfermés et limités ayant peu ou prou les moyens économiques, sociaux et culturels de le quitter ? 

Co-éduquer ?

L’ouverture de l’Ecole sur son territoire participe en fait d’un autre processus : celui de la responsabilité partagée de l’éducation. En effet, depuis plus de dix ans, l’Education nationale reconnaît que « l’éducation est une mission partagée »[14] ; ce qui implique qu’elle en assure la responsabilité avec d’autres.

Avec les parents, d’abord, lesquels n’ont pas toujours été considérés comme des interlocuteurs de l’école. C’est seulement à partir du XXème siècle que ces derniers vont progressivement acquérir une reconnaissance et obtenir des droits qui vont leur permettre de siéger dans les différentes instances et commissions créées au sein des écoles et des établissements scolaires :

  • 1968, conseil d’administration et conseil de classe pour les collèges et lycées ; 
  • 1977 pour les conseils d’école.

L’implication attendue des parents se produit ainsi en même temps que se développe la massification scolaire avec la mise en place progressive du collège unique : 

  • la loi d’orientation de 1989 rappelait la nécessité d’associer les parents au fonctionnement de l’école et d’en faire les partenaires à part entière de la communauté éducative ; 
  • la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République de juillet 2013 entend renforcer la nécessaire coopération entre les parents et l’Ecole à travers différents articles.

Il serait trop long ici de les citer tous. Signalons néanmoins l’article L.111-1 du Code de l’éducation qui stipule : « L’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale ». C’est dans cet esprit que se comprend la dernière circulaire interministérielle du 15 octobre dernier[15] relative au renforcement de la coopération entre les parents les plus éloignées de la culture scolaire et l’école au sein des territoires.

Avec d’autres ministères ensuite, 

  • celui de la Ville qui coordonne nombre de dispositifs de réussite éducative dont le PRE, 
  • celui de la Justice, 
  • celui de la Jeunesse et des Sports, 
  • celui de la Culture.

Avec les partenaires enfin : 

  • les collectivités territoriales d’une part qui, au-delà de leurs compétences obligatoires définies par les lois de décentralisation et selon le principe de libre administration, se sont affirmées comme actrices éducatives à part entière ; 
  • les associations de l’éducation populaire d’autre part qui assurent des activités complémentaires dans le cadre de l’accompagnement éducatif ou de l’Ecole ouverte notamment.

L’article L.111 du code de l’éducation déjà cité stipule dans son alinéa-4 ceci « Pour garantir la réussite de tous, l’école […] s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. » Cet article reconnaît la place de tous les acteurs de la communauté éducative au titre desquels outre les personnels de l’éducation nationale, les parents, les responsables d’associations et les collectivités territoriales. Autre texte qui reconnaît la place des partenaires, le référentiel de l’éducation prioritaire qui, dans son axe 3, indique qu’il convient de « mettre en place une école qui coopère utilement avec les parents et les partenaires pour la réussite scolaire ».

Au final quel est l’enjeu du partenariat et plus largement de la responsabilité partagée de l’éducation et de son principe de coéducation initié par la loi de la refondation de juillet 2013 ? 

Co-éduquer, c’est prendre en compte l’enfant, l’adolescent dans sa globalité. Le prendre tel qu’il est, et non tel qu’il devrait être ou tel que nous voudrions qu’il soit, pour l’élever au sens plein du terme. 

C’est ensuite créer les conditions pour mobiliser, à l’échelle d’un territoire, un réseau de partenaires (institutionnels et/ou associatifs) pour penser et mettre en œuvre une politique éducative cohérente, construite conjointement avec l’Ecole. Des outils (PEDT, contrats de ville) existent – certains sous d’autres appellations existaient déjà (PEL). Il s’agit maintenant de les investir, de leur donner du sens.

C’est reconnaître que l’école ne peut pas tout toute seule. La logique collective du travail conjoint doit prévaloir sur la logique individuelle du chacun pour soi, voire du chacun chez soi. L’éducation partagée doit assurer cohérence, continuité et complémentarité des apprentissages dans et hors la classe, dans et hors l’école. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons donner du sens à l’acte éducatif et rendre ainsi l’élève/l’enfant/l’adolescent acteur de ses apprentissages.

"Partenaires", mais à quelles conditions ?

Il nous faut ainsi passer d’une Ecole moins centrée sur elle-même et plus ouverte sur ses territoires, sur les parents et sur les partenaires mais pas n’importe comment et pas à n’importe quelles conditions. Car reconnaissons-le, le partenariat est rarement élaboré sur le modèle d’un authentique dialogue, et plus sur celui de la prestation de service, parfois de sous-traitance, parfois de la délégation. Chacun d’entre nous a bien évidemment en tête des types de dispositifs partenariaux qui prennent en charge des élèves sur le temps scolaire mais en dehors de l’école pour une période déterminée (durée d’une exclusion ou d’un dispositif relais, par exemple). Cette externalisation des élèves, souvent  les plus fragiles, lorsqu’elle n’est pas articulée avec l’école, notamment lorsque leur réintégration[16] au sein de l’établissement et au sein de la classe n’est pas travaillée, offre l’exemple typique d’un partenariat mal compris parce que pas ou peu construit.

Or le partage de la responsabilité éducative est exigeant. Il ne s’agit pas d’avoir une approche cloisonnée du travail éducatif (aux uns les missions « nobles » de l’enseignement aux autres les actions « vulgaires » de l’animation), mais d’en faire un objet de « travail conjoint ». Et avec le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, les apprentissages ont toute leur place dans la logique partenariale. 

Chacun sait bien aussi qu’au début de tout travail partenarial, seul le problème à résoudre (échec scolaire, exclusions, violence, santé, etc.) et la volonté d’agir sont communs ; les intérêts et les objectifs des acteurs étant, quant à eux, différents. En cela, le partenariat, n’est-ce pas le « minimum d’actions communes négociées visant à la résolution d’un programme reconnu commun »[17] ? L’action partenariale ne serait-elle pas ainsi, comme le dit Corinne Mérini, « un lieu de conflit autorisé » de logiques, de codes et d’intérêts nécessairement divergents ?

Le fait que l’action partenariale se situe à l’articulation des institutions concernées contraint chacun d’entre nous à se décentrer par rapport à son environnement professionnel. Notre identité professionnelle ainsi que notre périmètre d’intervention se trouvent ainsi fortement interrogés, que ce soit dans une logique de monopole, de concurrence et/ou de complémentarité. La négociation de l’action (ses objectifs, ses conditions notamment éthiques de réalisation, son évaluation) est donc centrale pour structurer les opérations et les modalités en découlant, mais surtout pour permettre une meilleure connaissance des univers professionnels de chacun.

Travailler ensemble, façonner une culture commune, à partir de formations conjointes, est autant d’objets à construire, de principes d’action à définir dans une logique de co-élaboration, de coéducation. Et de ce point de vue-là, nous avons encore beaucoup de travail devant nous. Ensemble.

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[1] Pacte pour la réussite éducative. Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, oct. 2013. 

En ligne : http://www.education.gouv.fr/cid74464/pacte-pour-la-reussite-educative.html.

[2] Sur cette question, cf. l’évaluation réalisée par Maryse Esterle sur le dispositif parisien de prévention, Accueil réussite éducative Pelleport.

En ligne :http://www.cesdip.fr/IMG/pdf/QP_10_2013.pdf

[3] Programmes personnalisés de réussite éducative. Bulletin officiel de l’Education nationale.  Circulaire n°2006-138 du 25 août 2006.

En ligne : http://www.education.gouv.fr/bo/2006/31/MENE0601969C.htm.

[4] Référentiel de l’éducation prioritaire. Ministère de l’éducation nationale, janvier 2014. En ligne : <a href=">http://www.reseau-canope.fr/education-prioritaire/fileadmin/user_upload/user_upload/accueil/Referentiel_de_l_education_prioritaire.pdf.

[5] Et pour l’évaluation, de la faute à l’erreur. Sur ce point, cf. Daniel Favre. Cessons de démotiver les élèves. 18 clés pour favoriser l’apprentissage. Paris : Dunod, 2013.

[6] A titre d’exemple, il serait intéressant de penser le bien-être pour les élèves de classes préparatoires parisiennes en regard de la pression exercée par l’institution et par les parents sur de très jeunes adultes avec les risques que certains courent (souffrance psychique, tentatives de suicide ou suicide). Cf. Truong, Fabien, Truc, Jérôme. Ce que l’enfer des Prépas ne dit pas. In Le Monde, février 2012.

En ligne :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/02/17/ce-que-l-enfer-des-prepas-ne-dit-pas_1644557_3232.html

[7] « Le patois est le premier ennemi de l’enseignement du français dans nos écoles primaires. » Propos d’un instituteur des Hautes-Alpes en 1893 extrait de Gérard Chauveau, Eliane Rogovas-Chauveau. Le temps des partenaires.  in Migrants-Formation, n°85, juin 1991, p.7.

[8]  « En France, la langue du peuple est incorrecte et sans élégance. Nous ne tolérerons rien qui soit radicalement contraire aux règles de la langue ; et nous commencerons ce redressement dès que nous recevrons l’enfant des mains de sa mère. » (Marie Pape-Carpentier, 1876). Ou encore ceci : « Les vaillants maîtres disputent ces intelligences basques, étrangères au langage, aux principes, aux habitudes de pensée, aux sentiments moraux, nationaux, libéraux de la France, ils disputent ces enfants d’une autre race, d’une autre tradition, à la vie inconsciente et irréfléchie, à la superstition et à la barbarie. » Propos d’un inspecteur de Mauléon, in ibid.

[9] Kergomard P. L’éducation maternelle dans l’école. Paris : Hachette, 1886.

[10] Cf.  Chanet, Jean-François. L’Ecole républicaine et les petites patries. Paris : Aubier, 1996.

[11] Sur ce point, cf. le décret n°2012-16 du 5 janvier 2012 concernant la nouvelle gouvernance académique. Cf. aussi le rapport des inspections générales sur sa mise en œuvre : Les effets de la mise en oeuvre du décret n° 2012-16 du 5 janvier 2012. Inspection générale de l’éducation nationale, Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. Rapport n°2013-060, juin 2013.

En ligne : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/70/5/2013-060_269705.pdf (48 p.)

[12] En ligne :

http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/92/4/DEPP_Cereq_2014_Atlas_academique_risques_sociaux_echec_scolaire_335924.pdf

[13] L’impact du territoire sur l’orientation des élèves a été démontrée dans une étude (Champollion, 2005, 2008) : « de bons résultats scolaires ne produisent pas autant d’orientations vers des études longues qu’attendu ». 50% de la variance expliquée renvoie de façon habituelle au « poids de l’origine sociale »  mais 50% restant correspondent au « poids de l’ancrage territorial » et à la « capacité à se projeter dans un avenir relativement lointain » avec une offre de formation secondaire ou supérieure géographiquement éloignée ou faiblesse des emplois de niveau « cadre » dans les zones isolées. Il conviendrait peut-être de repenser la question plus large de la « mobilité » car comme le dit Sylvie Fol, professeure en aménagement et urbanisme, dans un article intitulé Développer la mobilité sans en faire une contrainte (in Actualités sociales hebdomadaire, 2009) : « bouger, c’est perdre son ancrage social et spatial, donc ses ressources, ses réseaux sociaux et familiaux. L’immobilité est une stratégie spatiale mise en œuvre par les groupes sociaux les plus démunis. » Cf. Pierre Champollion, Yves Alpe, Alain Legardez. Dix ans de recherche sur le système éducatif en zones rurales et montagnardes : qu’avons-nous appris ? In Champollion, P., Barthes, A. L’école rurale et montagnarde en contexte méditerranéen. Approches socio-spatiales. Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté 2014.

[14] Cf. notamment la circulaire interministérielle n°2000-208 du 22 novembre 2000 relative aux aménagements du temps des élèves. Les contrats éducatifs locaux : aménagement du temps des élèves. Bulletin officiel de l’éducation nationale n°43 du 30 novembre 2000. Circulaire n°2000-208 du 22 novembre 2000.

En ligne : http://www.education.gouv.fr/bo/2000/43/ensel.htm

Dès le premier alinéa la circulaire stipule : « En proposant aux collectivités territoriales et à leurs groupements de négocier et de signer les contrats éducatifs locaux (CEL), l'État affirme depuis deux ans sa conviction que l'éducation est une mission partagée.»

[15] Relations Ecole-parents : renforcer la coopération entre les parents et l’école dans les territoires. Circulaire interministérielle n°2013-142 du 15-10-2013.

En ligne : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=74338

[16] Pour travailler le « retour » justement, cf. le guide au service des équipes : Crouzier, Marie-Françoise (dir.).  Dispositifs relais : objectif retour. CRDP académie de Créteil / Union européenne, juin 2010.

En ligne : http://www.cndp.fr/crdp-creteil/telechargements/edition/2010_0603_ObjectifRetour.pdf (96 p.)

[17] Mérini, Corinne. Le partenariat : histoire et essai de définition. mai  2001.

En ligne : http://www.ozp.fr/IMG/pdf/merini.pdf (6 p.)

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Fabienne Federini