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Aider à comprendre

Par Patrick Picard publié 16/12/2018 00:00, Dernière modification 30/01/2021 19:10
Marie-France Bishop présente les appuis théoriques à partir desquels l'équipe de Cergy a élaboré les outils proposés aux enseignants. Cette équipe d'enseignantes et de conseillères pédagogiques, qui travaille à l'université de Cergy-Pontoise, est composée de Martine Blanchard, Magali Caylat, Marie-Laetitia Danset, Laure Dappe, Sandrine Fraquet, Marie-France Bishop ainsi qu' Aurélie Barbérie, Marion Bellange et Gaëlle Laurin qui ont ouvert leur classe et confié leurs films. Elles ont ainsi accompagné cette réflexion collective. C'est au nom de cette équipe que le "nous" sera utilisé dans cet article.

La compréhension est sans nul doute l’une des composantes de l’enseignement de la langue maternelle les plus complexes à mettre en œuvre. Les résultats problématiques des écoliers français aux évaluations internationales et leur baisse régulière depuis 2001[2] alarment le monde éducatif qui tente, depuis plusieurs années, d’y remédier. Les solutions proposées reposent sur une didactique encore récente, dont les premières études francophones ne datent que de la fin des années 1980 (Denhière & Legros 1989 ; Giasson 1990). Depuis, un nombre grandissant de recherches se sont emparées de cette question et les publications de ces dernières années sont nombreuses.

C’est dans cette dynamique que s’inscrivent les travaux qui seront présentés dans cet article. Il s’agit de canevas d’enseignement expérimentés dans des classes françaises par une équipe mixte de chercheurs et de formateurs de terrain[3] intervenant auprès des enseignants du cycle 2, c'est-à-dire concernant des élèves de 5 à 7 ans. Ces travaux ont été conçus à la suite de la recherche Lire-écrire au CP dont ils reprennent les principales conclusions. Les expériences qui ont été menées reposent sur une certaine conception de l’enseignement de la compréhension, elles interrogent notamment la manière de rendre visibles pour les élèves les processus mentaux mis en jeu lors de la lecture de textes et ont pour objectif de leur permettre de se construire une posture de lecteur efficace.

1- Pour poser le problème  

Les propositions de canevas d’enseignement de la compréhension s’inscrivent à la suite de la recherche « Lire-écrire au CP »[4], pilotée par Roland Goigoux, financée par l’Institut français de l’éducation (IFÉ) et la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO). Pour cette enquête, 131 classes ont été observées et 2507 élèves ont été évalués au début et à la fin du CP, durant l’année scolaire 2013-2014. Une évaluation des mêmes élèves a eu lieu, de nouveau, à la fin du CE1 [5].

L’étude dont les résultats complets peuvent être consultés en ligne [6] avait pour objectif d’identifier les composantes didactiques des pratiques enseignantes qui favorisent les progrès des élèves de cours préparatoire dans le domaine du lire-écrire. Plus précisément, en ce qui concerne la compréhension des textes, l’observation des classes a mis en lumière plusieurs constats (Bishop, Cèbe & Piquée, 2015). Le premier est le peu de temps consacré en moyenne à cette composante qui représente en moyenne 15,4% de l’ensemble du temps global du Lire-écrire dans les 131 classes observées. Le second constat est que près de 40% de ce temps est consacré à des tâches écrites impliquant la compréhension. Ces tâches sont présentes dans toutes les classes observées, il s’agit d’activités de type questionnaires, texte à trous, sélection et classement d’images qui servent surtout à montrer ce qui a été compris. Les élèves les effectuent le plus souvent de manière individuelle et elles sont rarement corrigées puisque le temps de correction ne représente pas 5% du temps global consacré à la compréhension. À l’opposé, les tâches qui occupent le moins de temps sont celles qui portent sur l’élaboration orale du sens en rendant explicite une information implicite ou en exposant une interprétation. Ces deux familles de tâches centrées sur l’activité interprétative des élèves ne dépassent pas 4% du temps total consacré à la compréhension. Le troisième constat conduit à un paradoxe puisque les tâches écrites qui occupent le plus de temps n’ont aucun effet sur les progrès des élèves, tandis que les tâches orales, beaucoup moins présentes, ont cependant accompagné une progression des élèves en compréhension de textes entendus, dans les classes où elles ont été pratiquées. Le dernier constat est que les élèves évalués ont peu progressé en compréhension puisque 40% d’entre eux se situent en-dessous de la moyenne aux évaluations de fin de CP. Ce résultat qui interpelle met en lumière un aspect crucial des habiletés nécessaires en lecture : les compétences de décodage et de compréhension se développent simultanément mais doivent être différenciées pour les plus jeunes élèves. Les difficultés en compréhension portent sur les traitements inférentiels quelle que soit la modalité de lecture, c'est-à-dire que les compétences en décodage, si importantes qu’elles soient ne peuvent expliquer les difficultés en compréhension, celles-ci relèvent de processus spécifiques. Ces remarques rejoignent les travaux de P. van den Broek, P. Kendeou et al. (2005) : les habiletés de compréhension doivent être développées de manière continue dès les premières années de la scolarité, sans attendre que les élèves soient capables de lire seuls. Au contraire, ce sont les progrès en compréhension de textes entendus qui faciliteront les progrès en compréhension de textes lus en autonomie. Ces conclusions soulignent la difficulté que rencontrent les enseignants pour organiser un enseignement de la compréhension permettant à tous les élèves de progresser au cycle 2. Cependant certains travaux apportent des éléments de réponse (par exemple, N. Duke & D. Pearson, 2011) et proposent un inventaire de pratiques efficaces. En premier lieu, est évoqué le caractère explicite de l’enseignement, c'est-à-dire que les stratégies sont rendues visibles, les élèves apprennent à les mobiliser et à réguler leur activité. Les enseignants les guident vers l’élaboration du sens, ne les laissant jamais seuls face à une tâche aussi complexe. Les textes sont lus aux élèves qui peuvent ainsi centrer leur attention sur la compréhension. L’activité est collective grâce à des discussions et débats qui visent l’élucidation des implicites. Cet enseignement s’accompagne d’une mobilisation et d’un élargissement des connaissances, tant sur le monde que sur la langue et le lexique. Les termes et expressions sont constamment expliqués et mémorisés au cours d’activités complémentaires. Le but est d’accompagner les élèves vers la construction d’une représentation mentale qui nécessite l’élaboration d’inférences et la mise en lien, de manière explicite, des différentes informations du texte et des connaissances des lecteurs. Ces propositions peuvent être transposées dans des canevas didactiquement organisés, elles reposent sur une certaine conception de la compréhension des textes.

2- Qu’est-ce que comprendre les textes ?

Pour situer le contexte dans lequel ont été élaborés les canevas d’enseignement, il est nécessaire de préciser sur quelles conceptions de la compréhension et de son enseignement ils s’appuient.

Le cadre général est celui du modèle conçu par Van Dijk et Kinstch en 1983 qui suppose que la compréhension et la mémorisation des textes s’effectuent en un processus cyclique et multiniveaux. Le premier niveau est celui de la représentation littérale de la surface linguistique (la microstructure), le second est celui de l’ensemble organisé des propositions sémantiques (la macrostructure), le dernier niveau est celui du modèle de situation qui met en jeu les connaissances du lecteur. Le modèle de situation est une structure mentale complexe que Blanc & Brouillet (2003) analysent en ces termes :

Cette forme de représentation [le modèle de situation] émerge de l’interaction entre les informations rencontrées dans le texte et les connaissances spécifiques et générales que l’individu met en œuvre au cours de la lecture. Plus généralement défini comme modèle interne de l’état des choses que décrit le texte et dont la structure est analogique à cet état de choses, le modèle de situation permet de rendre compte de nombreuses activités intrinsèquement liées à l’aptitude de compréhension, telles qu’acquérir de nouvelles connaissances, raisonner ou résoudre un problème. (p.71).

Le modèle de situation est central pour favoriser les opérations logiques, la mémorisation et la mise en relation des éléments du texte. Il permet également de vérifier la cohérence de ce qui vient d’être lu et compris, c'est-à-dire que c’est l’élément indispensable pour l’élaboration et le contrôle de la compréhension. Il est possible d’ajouter que le modèle de situation se construit en mettant en relation les connaissances et l’expérience que le lecteur a du monde avec les informations extraites du texte (Denhière & Baudet 1992). Si l’on se réfère aux théories littéraires, le modèle de situation peut être considéré comme le résultat de l’activité interprétative du lecteur (Jouve 1992).

Plus récemment, van den Broek, P. Kendeou & al. (2005) ont décrit en une synthèse opérante les différents éléments en jeu dans cette activité complexe. Pour commencer ils insistent sur les multiples niveaux et soulignent que comprendre met en jeu une « famille » de compétences. Comprendre suppose que le lecteur interprète les informations contenues dans le texte en utilisant ses connaissances et en effectuant des opérations inférentielles de mise en lien des différents éléments. C’est grâce à ces différents processus que le lecteur élabore au fur et à mesure une représentation cohérente de la situation évoquée, c'est-à-dire le modèle de situation. Pour parvenir à cette élaboration, les lecteurs doivent identifier et établir les relations significatives entre les parties du texte, plus particulièrement en effectuant des inférences (Oakhill & Cain, 2004) mettant en relation les éléments du texte (inférences de liaison) ou en mobilisant leurs connaissances pour compléter le texte (inférences élaboratives ou pragmatiques). L’activité inférentielle est en grande partie facilitée par l’appréhension des buts, des personnages et de leurs états mentaux c'est-à-dire par l’identification de tout ce qui motive leurs actions (A. Graesser, M. Singer & T ; Trabasso 1994). Ce travail inférentiel permet au lecteur de construire un réseau sémantique du texte fondé sur l’ensemble des relations causales et référentielles tissées au fil de la lecture. L’activité de mise en connexion est essentielle, P. van den Broek, et al., (2005) estiment qu’un lecteur expert, adulte déduit entre 200 et 300 connexions sémantiques et causales dans un page de difficulté modérée. La mémorisation est facilitée par cette mise en lien des informations et de leur rattachement aux connaissances du lecteur. La capacité à établir des liens cohérents et significatifs est centrale dans l’activité de compréhension :

En résumé, la capacité à identifier les relations significatives entre les différentes parties du texte est au cœur de la compréhension et de sa réussite. Pour y parvenir les lecteurs effectuent des opérations inférentielles multiples qui conduisent à une représentation mentale cohérente du texte. (P. van den Broek, et al., 2005, p.16).

Cette brève présentation théorique, permet de poser un cadre didactique pour l’enseignement de la compréhension qui repose sur trois éléments : l’élaboration de la représentation mentale, les calculs inférentiels et mises en lien des éléments du texte et l’accompagnement comme modalité pédagogique.

3- Définir un cadre didactique  

L’élaboration d’une représentation mentale cohérente est donc au centre de tout le processus de compréhension. Cette élaboration devrait constituer tout à la fois le but et le point de départ de l’enseignement de la compréhension, car il semble nécessaire d’aider les élèves à élaborer un modèle mental cohérent leur permettant d’effectuer tous les calculs logiques nécessaires et de mémoriser le texte. Il est possible de supposer que c’est en accompagnant les plus jeunes lecteurs dans cette élaboration qu’ils apprendront à développer les capacités nécessaires et deviendront des compreneurs habiles et autonomes. Pour y parvenir, il ne s’agit pas d’additionner et d’aborder successivement les compétences de déchiffrage, puis les compétences lexicales, syntaxiques, inférentielles et métacognitives, mais de mettre en place des situations de lecture complexes au cours desquelles les élèves sont fortement accompagnés. La représentation mentale s’élabore avant le début de la lecture pour continuer à se préciser, à s’enrichir et à se modifier tout au long de la lecture. Ce travail d’élaboration est peu pris en charge par l’école où l’on évalue généralement le résultat de la lecture sans se soucier des procédures mises en œuvre par les élèves. Pour faciliter cette mise en œuvre, il est possible de prendre appui sur la démarche didactique de l’enseignement de la lecture présentée par Giasson, (1990, p.35) qui envisage trois moments pour l’intervention en lecture. Avant la lecture, l’enseignant invite les élèves à préciser leurs intentions de lecture, s’interroger sur le contenu du texte et mobiliser les connaissances tant lexicales que référentielles. Pendant la lecture, l’enseignant accompagne l’élaboration des inférences, aide à relier le texte aux connaissances, vérifier les prédictions et en effectuer de nouvelles. Après la lecture l’enseignant vérifie la compréhension des élèves et fait préciser les savoirs et savoir-faire acquis. L’importance de cette mise en activité en trois temps est de centrer l’activité des enseignants et des élèves vers l’élaboration progressive de la représentation mentale : avant, pendant et après. Le principe est celui de l’accompagnement et de l’élaboration progressive de la compréhension des textes, qui se différencie des pratiques habituelles centrées sur l’évaluation.

Le groupe de travail de Cergy a élaboré une représentation de ces trois temps dans le schéma suivant qui sert de cadre à toutes les activités de lecture-compréhension :

Ce cadre suppose de la part de l’enseignant une diversité de rôles didactiques, finement analysés dans l’ouvrage de Terwagne, Vanhulle et Lafontaine (2003). Tout d’abord il s’assure que la démarche d’apprentissage est clairement explicitée pour les élèves. C’est le premier temps, que nous avons appelé « clarification » au cours duquel sont rappelés les finalités des tâches proposées, les savoir-faire déjà acquis, moment où l’on amorce un horizon d’attente (Jauss 1978). Ensuite, dans le second temps, celui de la lecture, l’enseignant accompagne les élèves selon les différents modes d’étayage décrits par Bruner (1984). Il questionne, reformule, relance, résume, demande des précisions, maintient l’attention, souligne ce qui a été découvert. Cette aide permet de réguler la tâche et de rendre visible ce qui s’apprend. Grâce à cet étayage préparé en amont, les élèves apprennent à comprendre en mettant en œuvre des procédures spécifiques que l’enseignant rend visibles. Enfin, l’enseignant met à la disposition des élèves tout un ensemble d’outils, d’affiches, de supports adaptés qui vont constituer une mémoire de l’activité à laquelle chacun pourra se référer. Dans le troisième temps, l’enseignant revient sur ces acquis, ces outils et cette mémoire qu’il conforte avec les élèves en interrogeant la manière dont il a fallu procéder pour comprendre le texte et en énonçant avec les élèves les procédures mises en jeu pour les généraliser.

4- Développer des compétences prioritaires

Parmi les priorités signalées précédemment, la capacité inférentielle et la mise en lien des informations occupent une place centrale, principalement parce qu’il s’agit de l’une des causes majeures de difficulté rencontrées par les plus faibles lecteurs. De nombreux travaux en psychologie cognitive ont souligné le fait que les faibles compreneurs se différenciaient par leur moindre propension à effectuer les mises en lien nécessaires lors de la lecture. Les expériences menées par Cain et Oakhill en 1999 ont montré que les plus faibles lecteurs produisaient moins d’inférences que les bons lecteurs. Leurs difficultés ne se situant pas au niveau de la mémoire ou de la capacité à prélever des informations mais dans l’identification des moments où il était nécessaire de mobiliser ses connaissances. Une autre source de difficulté est le pilotage de l’activité, qui différencie les meilleurs compreneurs des plus faibles. Il s’agit là d’une compétence à développer en priorité.

Partant de ces deux constats, les dispositifs didactiques ont pour objectifs de permettre aux élèves d’apprendre à inférer, à mobiliser leurs connaissances et à piloter leur activité. Pour cela, les liens entre les éléments du texte doivent être rendus visibles pour les jeunes lecteurs car la capacité à reconstruire les relations causales entre les éléments d’un texte constitue la base de l’élaboration cohérente de l’ensemble du texte. Pour accompagner cette mise en lien plusieurs éléments sont nécessaires. Le premier est la reconnaissance des buts des personnages comme élément organisateur du récit et de son déroulement. Partant de l’étude des inférences causales N. Blanc (2009) souligne « l’existence d’une relation probablement étroite entre le développement des connaissances causales et celui des connaissances émotionnelles. » (p.78). Ce rapport étant que les émotions sont souvent cause de l’action dans les récits, ce qui légitime les activités qui s’attachent à rendre perceptibles les personnages, leurs buts et leurs motivations (Cébe & Goigoux 2013). Ces connaissances facilitent l’appréhension de ce qui constitue le second élément important : la reconstruction des relations causales, c'est-à-dire de la structure du récit par le lecteur. On peut affirmer à la suite de Makdissi et Boisclair (2006) que

« […] bien que le discours écrit prenne une forme linéaire, la compréhension en lecture, loin d’emprunter un chemin linéaire, exige la construction de relations causales hiérarchisées entre les évènements et les composantes du récit. » (p.150).

En d’autres termes, le lecteur, reconstitue un « chemin de relations causales » (Denhière & Baudet 1992) qu’il élabore en reliant l’état initial à l’état final et en mobilisant ses connaissances. Mais son activité ne s’arrête pas là. Au-delà du « chemin causal », nécessaire à compréhension littérale, le lecteur réorganise l’univers évoqué par le texte, en fonction de ses expériences, de ses savoirs, de ses croyances, c'est-à-dire qu’il reconstruit son propre modèle mental de la situation évoquée. Cette fonction interprétative le conduit à s’approprier le texte en lui insufflant une signification reconstruite. L’enseignement de la compréhension n’a pas pour seule finalité de retrouver dans le texte un sens existant au préalable, mais bien d’accompagner chaque lecteur dans une élaboration cohérente d’une représentation mentale solidement élaborée. L’objectif de la lecture est pour chaque lecteur d’apprendre à être actif en réactualisant le texte en fonction de ses propres expériences (Citton 2007).

Quatre grandes familles de compétences sont en jeu dans la compréhension des textes. La première est celle qui permet de mobiliser et d’enrichir tout un ensemble de connaissances sur la langue, le lexique, les textes et le monde. Ces connaissances sont indispensables à la fois pour accéder au contenu du texte et pour effectuer les inférences en mobilisant ce que l’on connait du monde. Le second ensemble de compétences concerne les capacités cognitives. Le lecteur doit être capable d’inférer, c'est-à-dire d’anticiper, de déduire, de remplir les blancs du texte (Eco 1979), mais aussi de garder en mémoire les éléments essentiels et de s’interroger sur sa lecture. Le troisième ensemble est celui des capacités métacognitives qui pilotent et accompagnent toute l’activité. Le lecteur doit prendre conscience des moments où il a perdu le fil de sa lecture pour mettre en place des actions réparatrices. Il doit également évaluer la cohérence de ce qu’il lit et réaliser toutes les mises en lien nécessaires. À ces trois premières familles de compétences qui font l’objet d’un large consensus (Bianco 2015), il est possible d’en ajouter une quatrième. Inspirée de la didactique de la littérature, ce dernier ensemble de compétences s’appuie sur une approche plus « affective » de la lecture (Dufays, 2014) et met en jeu les connaissances issues de l’expérience du lecteur. Il s’agit de tout ce qui relève du domaine des transactions effectuées par le lecteur (Rosenblatt, 1978) c'est-à-dire ce qui rend compte du

« […] flux incessant de sentiments, d’émotions, d’idées et de souvenirs, que le lecteur vit sous l’influence de ses propres expériences, connaissances et représentations du monde et de lui-même. Ce processus vivant, dynamique, repose sur une série de transactions entre le lecteur et le texte. » (Terwagne, Vanhulle, Lafontaine 2003, p.10).

Dans cette catégorie entre aussi toutes les activités collectives de négociations de sens, de confrontations, qui permettent aux lecteurs de discuter et échanger leurs interprétations. Cette dernière catégorie de compétences donne davantage de place aux émotions du lecteur mais leur permet aussi de construire le sens et d’élaborer des jugements esthétiques et évaluatifs.  

Pour développer ces quatre familles de compétences, dans le cadre didactique définit précédemment, l’équipe de travail de Cergy a donc développé deux canevas d’enseignement.

5 - La lecture pas à pas

En 1982, dans un ouvrage novateur sur les pratiques de lecture au collège, A. Béguin présentait une activité de « Lecture prospective » (p.84), définie en ces termes :

« Il s’agit de présenter à la classe le récit par fragments. À chaque portion nouvelle de texte qui leur est proposée les élèves sont invités à faire des hypothèses sur la suite. »

Pour A. Beguin, cet exercice offre un double avantage :

« Il tient les élèves en haleine et stimule leur imagination. Il exerce leur sens de l’observation et leur esprit de logique. […] De plus, les temps d’arrêt qu’impose cet exercice créent des habitudes de lecture favorables à l’attention et à la mémorisation. » (p.84).

Plus récemment, C. Tauveron (2002) en a repris le principe dans un dispositif de « lecture par dévoilement progressif » adressé aux élèves de l’école primaire :

« Le texte découpé stratégiquement par le maitre en des fragments de longueur pouvant être très variable, et ne correspondant pas nécessairement à une pause notée comme telle est présenté aux élèves en livraisons successives […] À partir de chaque fragment distillé, les élèves exposent oralement ou par écrit leurs attentes et au-delà le système interprétatif qu’ils ont commencé à mettre en œuvre, système corrigé, réorienté ou non par la venue du fragment suivant. »  (p.103-104).

C’est cette même démarche de lecture par dévoilement progressif que développe J-L Dufays en 2014, plaidant pour que la lecture affective retrouve une certaine place dans les pratiques scolaires.

 Le principe de cette lecture prospective ou par étape que nous mettons en place dans les classes depuis plusieurs années s’est révélé extrêmement propice à l’accompagnement de la compréhension tel que nous l’avons défini précédemment. En effet, cette modalité de lecture permet aux maitres d’accompagner les élèves et d’étayer leur compréhension. Les élèves sont invités, aux différents arrêts à dire ce qu’ils ont compris, c'est-à-dire qu’ils sont accompagnés pour élaborer une représentation mentale cohérente. L’exercice leur permet également de réguler leur compréhension, de prendre conscience des fausses pistes et de la perte du fil de l’histoire. À chaque arrêt, les élèves sont conviés à faire des inférences et à mettre en relation les différentes informations du texte. C’est une modalité de lecture qui les place dans une réelle activité intellectuelle puisqu’ils sont conduits à interroger le sens, à anticiper, à clarifier leur représentation. Ils sont actifs, élaborent des hypothèses, négocient le sens de ce qu’ils ont compris. L’enseignant les conduit à éclaircir, expliciter et à débattre. Il accompagne ainsi les élèves « pas à pas », c’est la raison pour laquelle nous avons donné ce nom au dispositif.   

Comment se met en place cette démarche ? Comme le présente J-L Dufays (2014), l’enseignant choisit un texte court de préférence, une nouvelle, mais ce peut être également une partie d’un ouvrage ou un album. Si les textes à suspens, à surprise ou à chute sont ceux qui s’y prêtent le mieux, tout texte qui nécessite une élaboration par le lecteur peut être lu de la sorte. Ensuite l’enseignant découpe le texte, en s’arrêtant aux endroits qui représentent des nœuds dans la narration, c'est-à-dire les moments qui offrent différentes alternatives au lecteur ou qui sont intéressants dans l’évolution de la tension narrative. Ces arrêts peuvent se situer en cours de paragraphe et parfois même au milieu d’une phrase, ils ne doivent pas correspondre à des unités sémantiques complètes (paragraphes), puisque le principe est de laisser le lecteur dans l’attente et le conduire à s’interroger sur ce qu’il va lire ou ce qu’il a déjà lu. Il n’existe pas de choix définitif, les arrêts dépendent des capacités mnésiques des lecteurs, mais ils ne doivent pas être trop fréquents au risque de perdre tout l’intérêt de l’histoire. À chaque interruption, l’enseignant pose une question et une seule qu’il a préparée avec soin. Le but est de centrer l’attention des jeunes lecteurs sur les éléments importants, de les conduire à effectuer des inférences, en évitant les déferlements de question auxquelles ils n’ont pas toujours le temps de répondre et qui souvent ne servent qu’à contrôler la compréhension en cours. Le principe ici est différent, la question doit conduire le lecteur à prendre conscience de son activité, en anticipant ou en revenant sur ce qu’il est en train d’élaborer. Le questionnement est un outil au service de la construction d’une représentation mentale cohérente, il permet de faire des liens, soit en anticipant (prospection) : que va faire tel personnage ? que va-t-il se passer ? soit en revenant sur ce qui a eu lieu (rétrospection) : pourquoi tel personnage a-t-il agit de la sorte ? que voulait-il obtenir ? que s’est-il passé ? etc. Certaines questions peuvent conduire à des éclaircissements ou des récapitulations : qui est tel personnage ? savons-nous où se déroule cet épisode ? Le questionnement joue un rôle fondamental. Les élèves sont invités à émettre des hypothèses, oralement, ou à l’écrit pour les plus grands. Le recueil des hypothèses ne peut être trop long sous peine de perdre le fil de l’histoire. Le maitre doit contrôler le débat qui s’installe, il ne peut accueillir toutes les hypothèses. Comme le note très justement A. Beguin :

« Il est donc important que les hypothèses soient mises à l’épreuve du contexte et qu’une appréciation soit portée par les élèves sur leur pertinence dans ce contexte. Plusieurs hypothèses peuvent être retenues, certaines plus fiables que d’autres. Celles qui sont illogiques par rapport au contexte DOIVENT être rejetées. » (p.86)

Le recueil des hypothèses est un moment important de la séance. C’est ce qui permet aux élèves de comprendre et de voir comment le processus de compréhension se met en œuvre. L’enseignant conserve les propositions plausibles, éventuellement sur un tableau, une affiche, un tableau numérique, mais il ne valide pas, c’est la suite de la lecture qui valide. Le recueil des hypothèses lui permet de contrôler la manière dont les élèves élaborent leur représentation mentale, ainsi que leur capacité à faire des inférences et à relier les éléments du texte avec leurs connaissances. En cas de besoin, il peut rappeler des savoirs antérieurs pour recontextualiser la lecture. Cette activité rend visibles les différentes procédures en jeu dans la lecture et principalement l’autocontrôle car les élèves sont constamment invités à revenir sur les représentations antérieures pour les interroger de nouveau. L’accompagnement de l’enseignant est important puisqu’il questionne, relance, souligne les réussites, récapitule, sollicite la mémoire, résume, etc. Il s’attache à rendre la tache accessible en relisant, en apportant les éléments nécessaires à la compréhension, le vocabulaire, les éléments référentiels, etc. Lorsque la lecture est terminée, l’enseignant doit s’assurer de ce qui a été compris par des rappels de récit et proposer des prolongements pour conforter l’élaboration du sens. Il accompagne chaque élève, rendant explicite l’activité de compréhension et d’auto-questionnement et les procédures d’élaboration du sens.

La lecture pas à pas à un fort pouvoir mobilisateur sur les élèves. Ceux-ci s’y investissent beaucoup, comprennent et mémorisent plus facilement ce qui a été lu. Cette modalité peut être rapprochée de la lecture interactive proposée par H. Makdissi et A. Boisclair (2006). En effet, l’élève est invité à se construire graduellement une représentation de la situation, grâce aux anticipations, aux rétroactions et au questionnement. Il s’agit d’une mise en acte de la lecture. L’espace interprétatif est ouvert à condition de demeurer dans la cohérence du texte. Comme ces auteures, nous faisons l’hypothèse que c’est en développant la capacité à élaborer une représentation mentale cohérente, à construire des prédictions, à mettre les informations en liens, à faire des inférences, que les élèves pourront développer une fluidité en lecture, lors de l’apprentissage du décodage. Les habiletés acquises en compréhension des textes facilitant les interactions entre le modèle de situation et la saisie de la surface du texte.

6 - Le chemin du lecteur ou « Visibiléo »

Contrairement à la lecture pas à pas, le Visibiléo n’est pas un accompagnement au fil de la lecture, mais plutôt la formalisation sous forme de schéma de ce qui a été compris lors de la lecture d’un fragment sémantiquement complet ou d’un récit entier. Son rôle est de donner forme à la représentation mentale de l’histoire lue, c'est-à-dire de rendre visible l’organisation des informations explicites et implicites. Il permet de différencier les pensées et les paroles des personnages et d’en comprendre les intentions et les mobiles d’action. De plus, il matérialise les liens logiques reconstruits par le lecteur en présentant le récit sous la forme d’une carte heuristique. Une fois réalisé, c’est un outil efficace pour soutenir la mémorisation et la compréhension, car il permet en un seul regard d’appréhender la structure de l’histoire et le travail du lecteur qui a comblé les « blancs » du texte. Le terme de « chemin » rend bien compte de ce qui se construit puisqu’il s’agit d’appréhender dans un premier temps le fil du récit, c'est-à-dire le chemin narratif et causal (Denhière & Baudet 1992), ensuite de rendre visible ce que le lecteur reconstruit. Pour les élèves, l’élaboration collective de cet outil (souvent en demi groupe) permet de comprendre et de s’interroger sur ce qui est essentiel dans le récit, de mettre en lien les différents éléments, de rendre visibles les inférences et les processus d’intégration entre la surface du texte et le modèle de situation. Au-delà, il s’agit de prendre conscience que chaque lecteur réactualise le contenu du récit en allant au-delà des données textuelles.

Le Visibiléo peut se dérouler à la suite immédiate de la lecture d’un passage, d’un épisode ou lorsque la lecture a déjà eu lieu dans son intégralité et a été suivie d’activités de compréhension (lecture pas à pas, rappel de récit accompagné, mise en scène, etc.). Il s’élabore en deux temps dans la classe. La première étape est le rappel de ce qui est important. L’enseignant demande aux élèves ce qu’il faut conserver dans l’histoire ou l’épisode lu. La sélection s’effectue grâce à des images ou des vignettes qui représentent les personnages et les lieux s’ils sont importants. Ce travail peut se faire en petits groupes ou collectivement. Les éléments retenus après discussion sont disposés au tableau, dans l’ordre du récit. Ensuite, l’enseignant interroge les élèves sur ce qu’a voulu faire tel ou tel personnage, c'est-à-dire sur les buts et les mobiles d’action. Ces éléments souvent implicites sont représentés au tableau dans des bulles de pensée, mises en lien par des flèches avec les différents moments du récit. Le dialogue qui s’instaure entre l’enseignant et les élèves permet à ceux-ci d’accéder à un niveau de compréhension auxquels ils n’accèdent souvent pas seuls. Comme le remarquent H. Makdissi et A. Boisclairs (2006, p.152) :

« Ce dialogue permet une interaction langagière qui, en réalité, est trilogique : une attention conjointe sur le récit où l’enfant réfléchit verbalement sur le discours de l’auteur du livre, et ce, avec la médiation de l’adulte qui, d’une part prend en charge la lecture intégrale du texte et, d’autre part, s’intéresse à ce que l’enfant rende son interprétation de l’histoire, son discours de façon explicite. »

L’enseignant garde trace au fur et à mesure de ce qui s’édifie collectivement. Comme dans cet exemple de dialogue qui permet aux élèves d’élaborer une représentation cohérente de l’histoire et de relier les évènements avec les intentions des personnages. Les élèves de cours préparatoire[7] ont lu le conte C’était un loup si bête de Nina Caputo[8] et sont en train d’élaborer le visibiléo avec leur maitresse. L’école est en banlieue parisienne, en zone d’éducation prioritaire, et l’enregistrement a lieu au mois de février. Les élèves discutent sur les liens de causalité du texte. (La professeure des écoles est désignée par « PE », ses interventions sont en italiques).

Elève : Faut faire les flèches !

PE : Et oui, c’est parce qu’il a peur qu’il élabore une ruse le petit mouton.

 PE : On essaie de retracer, on sait ce qu’il lui a raconté, mais maintenant, nous, ce qui est important pour comprendre, c’est tout ce qui n’est pas raconté, tout ce qui se passe dans sa tête. Et le cheval ?

Elève : Le cheval il a dit passe derrière, il y a quelque chose. Il lui demande s’il sait lire, il dit oui. Après le cheval il lui donne un coup dans la tête.

PE : Et du coup ?

Elève : Le cheval il s’enfuit. Il a peur de lui.

Elève : Le cheval il s’enfuit.

Elève : Non il s’enfuit pas.

Elève : Si il s’enfuit.

Elève : Non, il s’enfuit pas, c’est le loup.

PE : Alors, attendez, on ne va pas le noter si vous n’êtes pas d’accord. Donc le loup a eu, suite à ce coup de sabot, la tête qui tourne qui tourne pendant toute sa vie. Et lui, le cheval, il a fait quoi ?

Elève : il est resté, il a rien fait, il s’est pas enfui.

PE : Alors là, je te rejoins, c’est pas écrit. Mais maintenant, c’est à vous, en tant que bons compreneurs, d’imaginer ce qui s’est passé, d’aller plus loin. A ton avis, pourquoi il a mis un coup de sabot ?

Elève : Pour le projeter loin loin loin. Comme ça il se fait pas manger.

PE : Et pendant ce temps-là, qu’est-ce qu’il fait le cheval ?

Elève : Il veut pas être mangé.

Elève : Il veut pas parce qu’il a peur.

PE : Oui, alors attends je vais le mettre, il a peur (ajoute une bulle de pensée au-dessus du cheval).

Elève : Comme les autres, comme la chèvre et le mouton. Il a inventé une ruse, comme la chèvre et le mouton, parce que eux ils ont inventé une ruse pour le loup il les mange pas.

PE : Donc là il a peur (écrit dans la bulle de pensée)

Elève : Et il faut faire aussi la flèche.

Au cours de cet échange, les élèves négocient le sens qu’ils donnent à leur lecture. L’enseignante les accompagne sans chercher à imposer une seule représentation, laissant ouverts les espaces interprétatifs. La matérialisation des liens, sous forme de flèches, et des implicites en bulles de pensée, est bien comprise et prise en charge par les élèves.

Le second moment est celui où les lecteurs vont reprendre la totalité du récit pour tenter d’en extraire une macrostructure en recherchant les éléments qui expliquent la résolution finale. Ce travail rétroactif est possible grâce au support qui rend visible la totalité du travail de lecture effectué.

Voici, à titre d’exemple les échanges qui se produisent dans la même classe de cours préparatoire, à la fin de la séance sur le visibiléo. Les élèves s’approprient l’ensemble de l’histoire, soulignant les éléments récurrents. Ils retracent ainsi un parcours de lecteur qui n’est plus strictement celui du récit puisqu’il ne s’agit plus d’une relation de cause à effet, au contraire, ils retrouvent l’antériorité des actions, c'est-à-dire qu’ils circulent en sens inverse du récit : de la conséquence ils reviennent vers la cause. Ce travail leur permet de réinterpréter tout le récit. Leurs prises de parole sont importantes car ils se sont totalement approprié le sens de cette histoire.

PE : Regardez un peu notre visibiléo, qu’est ce qu’il s’est passé à chaque fois ?

Elève : S’enfuit s’enfuit s’enfuit.

PE : Et après, le loup, toujours si on revient à notre loup.

Elève : Bête.

Elève : Ben il y a plein de flèches, tout le monde était rusé quand ils s’enfuient. Et ben on l’a relié jusqu’à bête parce que s’enfuit ça veut dire bête.

PE : Attends, pourquoi s’enfuit ça veut dire bête ? Pourquoi le loup il réussit pas à manger ?

Elève : Parce qu’il est bête.

Elève : C’est pour ça que cette histoire elle s’appelle le loup bête parce qu’il est toujours bête, il arrive jamais à manger tellement il est bête.

Elève : Ils ont dit le titre il est bête le loup, parce qu’il est bête le loup, il peut manger aucun animaux, parce qu’il les croit.

Elève : Il est tellement bête qu’il pourra jamais manger.

Elève : Il s’est fait avoir par trois animaux alors qu’il pouvait xxxx.

Elève : Vu qu’il est bête, il arrive pas à échapper aux ruses des animaux.

PE : Il arrive pas à échapper aux ruses. Est-ce qu’il les voit, les ruses ?

Elève : Non, il ose même pas dire non.

PE : Ben oui, il ne s’en rend pas compte, parce qu’il est bête.

Elève : Il pense même pas dans sa tête c’est une ruse.

Elève : En plus il pouvait dire à la chèvre attends, je vais avec toi chercher le chevreau. Et comme ça, il aurait plus été affamé, il aurait pas eu la tête qui tourne, il se serait pas pris un coup de sabot.

PE : Et du coup, est-ce qu’on aurait eu toute notre histoire ?

Elèves : Non.

PE : Pour qu’on finisse notre Visibiléo, et qu’il soit je pense complet, il nous manque un dernier lien.

PE : C’est exactement ce que vous venez de dire, vu qu’il est bête, toute notre histoire, comment il reste le loup par sa bêtise ?

Elève : Affamé !

PE : Affamé. Donc c’est sa bêtise qui le laisse affamé (trace une flèche rouge entre « bête » et « affamé ») toute l’histoire. Vous voyez ? Et bien je suis fière de vous, vous avez super bien travaillé !

 Ces échanges soulignent la capacité des élèves, lorsqu’ils sont accompagnés, à mettre en relation les évènements de l’histoire, à élaborer des représentations provisoires qui se précisent et évoluent, et même à explorer des possibles narratifs. Le visibiléo offre l’occasion de construire et de rendre visible les différentes étapes de ce travail intellectuel qui devient l’objet même de l’échange, comme le montrent certaines interventions de l’enseignante qui verbalise les procédures mises en œuvre. Voici le visibiléo tel qu’il a été construit dans la classe

Pour conclure

Pour conclure, nous pouvons affirmer que ces deux dispositifs qui mettent en jeu de manière très différente les processus de lecture répondent aux attentes qui ont été les nôtres au départ.  Tout d’abord, ils sont tous deux centrés sur l’élaboration d’une représentation mentale cohérente. Ces situations contribuent à faire prendre conscience aux élèves que tout lecteur élabore des représentations provisoires qui se transforment au fil de la lecture. Cette manière de lire et de comprendre n’est pas familière aux plus jeunes lecteurs qui n’ont pas conscience de la nécessité d’être flexible, de se centrer sur les éléments importants et d’établir des liens entre les différents évènements de l’histoire. De même, ces dispositifs permettent de prendre conscience de l’activité intellectuelle nécessaire à toute lecture. Dans la lecture pas à pas, comme dans le visibiléo, le travail inférentiel, souvent cause de difficulté, est rendu visible et fait l’objet de discussions collectives. Ces deux dispositifs facilitent la mise en mémoire des éléments importants et permettent à chaque lecteur de s’approprier le sens du texte. Le texte, le lecteur, le groupe et l’enseignant sont en interaction permanente, ce dernier ayant un rôle d’accompagnateur important à jouer. En effet, ces dispositifs reposent sur un principe pédagogique commun, celui de l’accompagnement. Tout apprentissage, et celui de la compréhension particulièrement nécessite de la part de l’enseignant une action précise et ajustée. C’est grâce à la collaboration entre pairs et à l’accompagnement de l’enseignant que les élèves peuvent résoudre des problèmes complexes et enrichir leurs stratégies de lecteur.

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[1] Ce cycle concerne les jeunes élèves de 5 à 7 ans.

[2] Voir les analyses du Ministère de l’éducation nationale à propos des résultats des élèves français aux évaluations PIRLS de 2016 : « PIRLS 2016 - Évaluation internationale des élèves de CM1 en compréhension de l'écrit - Évolution des performances sur quinze ans ». Site du ministère.

[3] L’équipe d’enseignantes et de conseillères pédagogiques qui travaille à l’Université de Cergy pontoise est composée de Martine Blanchard, Magali Caylat, Marie-Laetitia Danset, Laure Dappe, Sandrine Fraquet, Marie-France Bishop et Aurélie qui a ouvert sa classe et accompagné cette réflexion collective. C’est au nom de cette équipe que le « nous » sera utilisé dans cet article.

[4] Pour une présentation détaillée de la recherche et des modalités de calcul, voir : Goigoux R., Jarlégan A., Piquée C. (2015), « Évaluer l’influence des pratiques d’enseignement du lire-écrire sur les apprentissages des élèves : enjeux et choix méthodologiques ». Recherches en didactique, n° 19, p. 33-55. 


[5] Le CE1, cours élémentaire 1ère  année fait suite au cours préparatoire. 


[6] Goigoux, R. (Dir.) (2016). Étude de l’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité́ des premiers apprentissages. Rapport de recherche en ligne sur le site de l’Ecole normale supérieure de Lyon : http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire/rapport/rapport-lire-et-ecrire

[7] C’est l’année de l’apprentissage de la lecture. Les élèves ont 6 ans.

[8] Caputo, N. (1954). Un loup si bête. Dans N. Caputo, Contes des quatre vents. Paris : Nathan.