Développer des pratiques pédagogiques renforçant l’autonomie des élèves
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Cette question se pose dans le cadre d’une institution scolaire marquée historiquement par une division progressive du travail : le temps du cours où le professeur enseigne et le temps de l’étude où l’élève apprend. Si, au début du XXe siècle, ces deux temps étaient pris en charge par l’institution (répétiteurs, études) dans le cadre de l’enseignement secondaire fréquenté essentiellement par les enfants des milieux favorisés, la massification à l’œuvre depuis les années 60, l’augmentation du nombre de disciplines enseignées s’est traduite par un processus d’externalisation du travail personnel demandé aux élèves sous la forme des “devoirs à la maison”[1].
L’accompagnement et l’aide de ces devoirs ont donc été majoritairement sous-traités à l’extérieur par les familles, les cours particuliers ou les dispositifs d’aide aux devoirs mis en place par les communes et les structures associatives.
C’est donc à l’inégalité des ressources dont peuvent bénéficier les élèves dans leur milieu familial que renvoie cette question, avec pour effet collatéral de renvoyer aussi sur chaque élève et sa famille la responsabilité de l’efficacité - et pas seulement de la quantité - du travail personnel fourni.
Quand on connait le malentendu existant fréquemment entre l’école et les familles populaires sur le sens du travail scolaire[2], on mesure l’impact négatif que peut représenter ce transfert de responsabilité : l’injonction à “travailler” - ou le reproche du “manque de travail” - qui revient à longueur de bulletin scolaire entretient avec les élèves et leur famille une croyance dans “l’équivalent travail”[3] (“si tu travailles, tu auras de meilleurs résultats”) qui fait parfois l’impasse sur ce qui permettrait un travail scolaire efficace en terme d’apprentissage. Une recherche récente montre que même lorsque les devoirs peuvent se faire dans un dispositif d’étude encadré par des enseignants, celui-ci se révèle être “une caisse de résonance voire d’amplification des difficultés non résolues au sein de la classe.”[4]
Poser la question du renforcement de l’autonomie des élèves, notamment dans le travail scolaire, suppose donc (entre autres) d’accepter de mettre collectivement sur la table cette question des devoirs à la maison non pas pour rentrer dans la polémique pour ou contre les devoirs, mais pour problématiser la nécessaire articulation temps d’apprentissage collectif/temps d’apprentissage individuel, pour réfléchir aux modalités d’un apprentissage progressif du travail personnel en lien avec l’explicitation méthodologique propre à chaque discipline scolaire. Cela demande de repenser la boucle enseignement/apprentissage en terme d’étayage (j’apporte des aides à l’élève pour lui faciliter l’accès à une nouvelle notion) puis de désétayage progressif (je retire progressivement ces aides pour que l’élève réalise de manière de plus en plus autonome les tâches mettant en situation cette notion)[5]. Elle demande aux enseignants une forte expertise sur la nature des difficultés « ordinaires » rencontrées par les élèves dans leur appropriation progressive des savoirs scolaires.
Pour aller plus loin :
- Le travail à la maison raconté aux enseignants, Christine Félix, XYZep n°19
- Dans un dispositif d’aide au travail personnel, Christine Félix et Bruno Canivenc, XYZep n°32
- Regard historique, Anne-Marie Chartier, XYZep n°35
- Le travail, les devoirs…, Entretien avec Patrick Rayou, XYZep n°36
[1] Martine Kherroubi, Aspect d’une externalisation, in Patrick Rayou (dir.), Faire ses devoirs, enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire, PUR, 2009
[2] Séverine Kakpo, Les devoirs à la maison, mobilisation et désorientation des familles populaires, PUF, 2012
[3] Anne Barrère, Travailler à l’école. Que font les élèves et les enseignants du secondaire ?, PUR, 2003
[4] Séverine Kakpo et Julien Netter, “L’aide aux devoirs. Dispositif de lutte contre l’échec scolaire ou caisse de résonance des difficultés non résolues au sein de la classe ?”, Revue française de pédagogie, n°182, 2013
[5] J. S. Bruner (1983), Le développement de l’enfant: Savoir faire, savoir dire, Paris, PUF