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Ma vie de PDMQDC…

Par skus — publié 17/01/2017 10:55, Dernière modification 21/03/2017 10:43
Comment évaluer l'impact du dispositif "Plus de maître que de classes" ? S'il ne saurait suffire à lui même, le vécu des acteurs est un facteur à prendre en compte... Témoignage de Valérie Motti, maîtresse+ à Bayonne, sur l'importance du dispositif pour le collectif, là où elle travaille.

Autant beaucoup de gens se font une idée de ce qu’est un enseignant dans une école, autant la représentation d’un poste de maître relevant du dispositif PDMQDC semble plus difficile à construire. Pourtant quand on travaille dans ce dispositif et qu’on est convaincu de son intérêt, on a souvent envie de le défendre… C’est ce témoignage que je souhaitais partager, car finalement, pour avoir une chance qu’il perdure, il est bien évidemment nécessaire de le développer au sein des équipes d’école et lors des formations, mais il sera aussi indispensable de le faire passer du côté politique, au sens “propre” du terme, c’est à dire dans le domaine du “grand public” accessible à tout individu lambda, pour qu’il devienne une évidence... Et puis il parait que quand on sait expliquer les choses simplement c’est qu’on les a bien intégrées, l’exercice est donc toujours très riche. 

Voici donc la simple restitution d’une conversation avec Jean, lors d’une soirée d’anniversaire où je me suis retrouvée en train de chanter…

[Seuls les prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat].

Tu fais quoi sinon dans la vie?
[Visiblement je n’ai pas l’air d’une chanteuse pro… bon…]
Je suis prof. des écoles, instit’ quoi…

Ah... et ça te plait?
Oui beaucoup.

Eh! Catherine ! T’entends ?!? Elle est instit et elle aime bien ce qu’elle fait.
[... heu, là je ne sais pas quoi en penser… L’air dubitatif de l’épouse me laisse encore plus perplexe… ]

Et t’as des élèves de quel niveau?
De la maternelle au CM2.

Oui, mais quelle classe?
En fait, je n’ai pas de classe,

Ah t’es remplaçante?
Non, je suis maîtresse… [on oublie “PDMQDC”] ...supplémentaire dans une école.

dessin-PDMQC1[L’air dépité] Ah d’accord, t’as pas de poste…
Si j’ai un poste et c’est celui là, je suis “EN PLUS” dans une école et je travaille avec les autres enseignants de l’école qui ont des classes.

Ah ?! Et qui décide où tu vas?
On décide ensemble, en équipe, en fonction des besoins des élèves et de ce que l’on veut travailler le plus, en général la lecture, la production d’écrits, souvent autour de projets qui donnent du sens à ce qu’on fait. Mais je fais toutes les “heures d’école” devant des élèves ! [Je me sens toujours obligée de le préciser…]

Tiens, j’ai jamais entendu parler de ça… Et tu fais quoi dans les classes, tu aides l’enseignant?
C’est ça, je fais les photocop et le café :) Non, on décide ensemble de ce qu’on fait. Des fois, c’est même moi qui mène la séance et lui en profite pour regarder comment travaillent ses élèves, il peut plus facilement comprendre les difficultés d’un élève et l’aider. D’autres fois, on travaille la même chose séparément et ensuite on confronte ce qu’on a fait avec les 2 groupes d’élèves. On peut aussi faire des ateliers, organiser du travail de groupe, mettre en place des situations où les enfants vont pouvoir manipuler, expérimenter. On essaie de proposer des activités qui ont du sens et dans lesquelles les enfants vont avoir envie de s’investir.

Et c’est pas trop dur de travailler avec les autres enseignants ?
Au début c’est particulier, parce qu'on n’y est pas préparé, d’habitude c’est chacun dans sa classe, on tâtonne, mais on y prend vite goût. Et puis tous les enseignants avec qui je travaille ont envie de faire des choses intéressantes et j’apprends aussi beaucoup en voyant leur travail. En plus dans l’école où je suis, on travaille sur l’année autour d’un thème, ce qui permet de mener des projets variés mais qui ont un lien entre eux...
L’an passé sur le thème de l’eau, on a creusé une mare, on a fait des nettoyages de plage, on a même participé à une émission Thalassa, certaines classes sont sorties pour comprendre d’où venait l’eau du robinet, ce qu’elle devenait, d’autres ont étudié les animaux aquatiques… Puis on fait une journée “portes ouvertes”, pour que chaque classe présente son travail et ses découvertes aux autres classes et aux familles. Cette année on est parti sur le thème de la terre, on va essayer de se lancer dans un jardin partagé, d’aménager la mare, d’étudier la biodiversité…

C’est toi qui fais tout ça ?
Non, je participe juste aux projets de toute l’école mais comme je n’ai pas de classe, c’est plus facile pour moi de proposer des idées, de faire des recherches sur ce qui est possible, de faire du lien entre les classes. Je peux même préparer des séances mais sans forcément les mener en classe si on n’a pas besoin d’être 2. Mais quand on est 2 adultes dans la classe, on ose plus, on se permet de se lancer dans des situations différentes du schéma “leçon/exercice” même si l’école c’est plus trop ça. On partage la responsabilité de la classe, et si on se trompe on est 2, c’est plus facile à assumer :) A 2 on est plus forts, et puis libérés de la responsabilité absolue de la gestion du grand groupe, de l’incarnation de l’autorité suprême, on peut se permettre d’être plus proches des élèves et le climat s’en ressent.

Et vous êtes libre de faire ce que vous voulez? y’a pas un inspecteur qui dit quoi faire?
En effet, on a la chance de ne pas avoir un petit chef sur le dos comme dans certaines entreprises, on est très libres. On voit l’inspecteur une fois tous les 4 ou 5 ans dans les classes. On a des conseillers pédagogiques, mais qui sont là surtout si on a besoin et pour nous accompagner, proposer de la formation. Sinon, on a les programmes bien sûr, et puis surtout les objectifs qu’on s’est fixé en équipe avec les priorités sur lesquelles on veut faire progresser les élèves. Moi je travaille la plupart de mon temps en français, à l’oral et à l’écrit, par exemple pour produire des articles qu’on met en ligne sur le blog de l’école. Je sers de relai aussi pour harmoniser les pratiques afin que les élèves voient le lien entre ce qui a été fait l’année précédente et qu’ils puissent réinvestir ce qu’ils savent déjà… On échange aussi notre regard sur les élèves, que je vois progresser d’une année sur l’autre, c’est important aussi de se rendre compte de leur évolution et pas uniquement de ce qu’ils savent faire ou pas à l’instant t.

T’es dans quelle école, c’est du public?
Oui, à Bayonne en Réseau d’éducation prioritaire, mais ça peut aussi exister dans d’autres écoles.

Mes enfants n’ont pas eu ça, c’est dommage, c’est vraiment bien ce fonctionnement… ça peut vraiment tout changer. Pourquoi il n’y en a pas partout ?
C’est une bonne question, je pense que ce n’est pas assez connu, que les enseignants qui n’ont jamais travaillé comme cela n’ont pas idée de ce que ça peut changer dans leur métier, dans leurs pratiques. Ils ne savent pas qu’ils peuvent créer un projet pour en faire la demande … Et puis on a tellement l’habitude d’entendre qu’on n’a pas les moyens, que l’éducation coûte trop cher, qu’on va fermer des postes… que remplir du papier pour une probabilité quasi nulle… En plus certains pensent que ça équivaut à fermer une classe et donc gonfler les autres pour créer un poste “tranquille”. Peut être que si toutes les écoles de France le demandaient, le fonctionnement se généraliserait...
[ok, là je m’emballe… Le vin sans doute...]

En tous cas ça change ma vision de l’éducation nationale, je suis content de cette discussion.
… [Sourire de satisfaction]

dessin-PDMQC1Non, Non, je n’exagère pas les propos, voir même j’enlève quelques expressions d’engouement… :).

En tous cas, ils étaient sincères et si j’étale cette discussion échangée dans la salle bruyante d’un restaurant, c’est qu’elle m’a laissé un goût agréable, celui de la douce sensation d’avoir convaincu [et c’était pas gagné], de se sentir reconnue [et ça c’est pas souvent], de sentir que sa vie professionnelle ordinaire prend toute son importance dans le rôle qu’elle doit avoir pour la construction de demain. C’est ce goût que je souhaitais partager pour qu’il donne envie et qu’on continue à cuisiner tous ensemble…

NB : Après demande de renseignement, Jean travaillant dans l’immobilier n’a pas prévu de faire partie du prochain gouvernement, mais espérons que ceux qui en constitueront le prochain, comprendront aussi l'intérêt de ce dispositif.

Avec un Maitre + chaque enseignant devient lui aussi, un peu un maître en plus, et c’est un nouveau souffle qui ouvre de nombreuses perspectives.

Il ne s’agit pas d’une commande verticale, hiérarchique afin de faire travailler selon une méthode ou de respecter des principes rigides. Il s’agit, par le biais d’une mise en place effective, grâce à la pratique “ordinaire” de classe, en contact direct avec le terrain, dans la confrontation avec des situations réelles d’enseignement, avec du temps, des essais, des erreurs, grâce au travail en équipe, de transformer les pratiques en profondeur et de façon cohérente. Une sorte de “révolution discrète” dans l’éducation pour de meilleures chances de réussite de tous les élèves.

 

 illustrations fournies par l'auteure www.mabede.com