Apprendre à dessiner, une affaire de langage ?
Selon vous, quelle importance l’école accorde-t-elle au dessin ? Est-il au service d’autres disciplines ?
Depuis 1850, le dessin à l’école n’a cessé d’évoluer : d’un dessin « utile », on est passé au dessin « créatif » : de contraintes fortes, on est souvent passé au « libre de faire ». Actuellement, héritier de son histoire, le dessin est encore là, présent, sans y être, partout et nulle part. De manière aléatoire, parcellaire, éparpillée… On l’utilise pour évaluer la compréhension d’un texte, illustrer une poésie ou schématiser une expérience scientifique. Mais force est de constater que l’enfant, s’il dessine toujours aussi spontanément lorsqu’il est tout petit, continue comme les adultes à dire ne pas savoir dessiner, et le regretter. Outre la résolution de cette désolation, nous nous interrogeons sur ce qu’un véritable apprentissage du dessin à l’école peut apporter à la construction de l’individu.
Votre formation de master de formateurs vous a aidée en ce sens ?
Le Master "Formation de formateurs" que j'ai suivi à Clermont m’a permis de revisiter mes croyances. Je priorise désormais un travail de co-conception de séances avec des enseignants, qui les testent dans la pratique de classe. Nous analysons l’activité réelle de l’enseignant et des élèves à partir de vidéos de classe qui nous permettent de mettre des mots sur les gestes professionnels et la manière d’utiliser les outils proposés. Cela permet de conscientiser, d’analyser et réguler la conception des séances, afin d’élaborer des propositions didactiques les plus adaptées possible aux besoins et aux contraintes du métier d’enseignant.
Pour vous, la démarche pédagogique liée à l’apprentissage du dessin s’appuie sur quatre principes ?
En effet, j’ai progressivement construit ces invariants :
• La stabilisation des formats des tâches par la mise en place de rituels, cadres pour faire, dire et penser ensemble. Mener des activités dont la présentation de la tâche est chaque fois identique et choisir un matériel très épuré favorise une centration sur la tâche/procédure.
• Une approche cognitive : nous nous servons de modèles, mais le modèle est un outil pour aider à construire un répertoire de formes mentales. Cette représentation mentale nécessite l’action (mémoire sensorielle), l’encodage du modèle, l’identification de stratégies, et des échanges verbaux qui permettent de comparer et de procéder à des vérifications. Il ne suffit pas de voir le modèle pour le reproduire. Il ne suffit pas de voir le modèle pour le mémoriser. Encore faut-il savoir comment le réaliser. Ainsi, notre but est que les élèves constituent
un corpus de formes mentales et de repères spatiaux qui aident à construire le monde. Pour faire « comme le modèle » (ce qui est à la fois la tâche et le moyen), il faut expliciter comment réussir à faire comme le modèle, l’ordre des tracés. Nous parlons les gestes efficaces, nous nommons les formes, nous les associons, nous utilisons un vocabulaire spatial précis (entre, à l’intérieur..), un vocabulaire de mouvement (aller vers, descendre..), nous discutons les stratégies.
• Une démarche dialogique : Systématiquement, l’activité de dessin proposée par l’enseignant est accompagnée d’objectifs langagiers programmés :
oAu fur et à mesure, le vocabulaire qui décrit l’espace, le geste, les tracés, les formes, les effets est retravaillé dans des activités de vocabulaire et dans le but d’aider l’élève à construire des relations catégorielles.
o L’enrichissement lexical et la personnalisation du dessin nourrissent l’imaginaire de l’enfant.
o Le dessin est une activité qui permet de travailler la compréhension.
• Des situations ludiques permettent aux élèves de dessiner à partir de jeux de cartes, de « dictée de dessin », pour permettre d’aborder de front, dans des situations plus complexes la structuration de l’espace, la dextérité du geste et le partage d’expériences.
Vous proposez des activités de « dictée de dessin » par un élève ?
Oui, simplement en proposant à un élève caché derrière un paravent de dicter son dessin géométrique aux autres élèves. L’enseignant étaye la verbalisation du meneur de jeu et accompagne les autres élèves, mais peut également jouer !
La validation à postériori est simple, par comparaison. On explicite les procédures, on met des mots sur les tracés.
Mais il est également très intéressant d’apprendre à dessiner des formes figuratives pour ensuite aider à sortir du stéréotype, par l’acquisition de répertoires de formes et de structures génériques dont on va ensuite faire varier les contraintes. Nous avons élaboré une démarche autour de « apprendre à dessiner une poule », en mettant des mots sur ce que regarde l’œil et ce que fait la main.
Et une fois que nous avons construit la « règle », construit les éléments de la grammaire qui permet de réussir la tâche, on va proposer de dessiner les yeux fermés, ou sans lever le crayon, ou en exagérant telle ou telle caractéristique.
Ces « variations » vont être de nouveaux prétextes à des moments de langage, permettre d’exprimer des sentiments, des impressions qu’on va réutiliser pour dessiner, après une « vieille poule » au tracé tremblotant, un vieux lapin, un vieil éléphant, mais aussi une poule fière, une poule apeurée…
Ce seront également autant de moteurs de l’activité langagière qui vont permettre de renforcer le lexique sémantique, d’associer à des œuvres du patrimoine ou de transférer des connaissances. Résultat, nous voyons les compétences en actes évoluer considérablement, comme en témoigne cette phrase d’un enfant ce CP : « je devais dessiner une poule apeurée alors j'ai choisi ma main gauche, parce qu'avec la main droite, je dessine très bien, et avec la main gauche, mon trait est tremblotant, du coup on a l'impression que la poule a peur". Le maillage des apprentissages en arts plastiques et dans les autres disciplines prend tout son sens, au grand bénéfice des élèves qui ont le plus besoin de l’École…
Contact : cpd.artsvisuels16(at)ac-poitiers.fr