Aller au contenu. | Aller à la navigation

Vers le facebook de Centre Alain Savary Vers le twitter de Centre Alain Savary Vers le RSS de Centre Alain Savary
Centre Alain Savary
Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Thématiques / École inclusive / Les formes changeantes de l'invisibilité. Les AESH, entre reconnaissance et subordination

Les formes changeantes de l'invisibilité. Les AESH, entre reconnaissance et subordination

Par Rachel Jay-Manson publié 30/09/2024 10:15, Dernière modification 04/10/2024 09:58
Hélène Buisson-Fenet, sociologue de l'éducation et de la formation, fait part de ses recherches autour de la relation enseignant / AESH au sein de la classe et se propose d'explorer la qualité de la relation et la complémentarité de ces métiers. Cette conférence a été enregistrée en avril 2023, lors d'une formation de formateurs intitulée "École inclusive : former à la collaboration enseignant·es / AESH au sein de la classe".

AESH

AESH
1. Introduction à la sociologie du travail et des professions 00:00
2. Le groupe social des AESH dans l'arène officielle 04:52
3. Un groupe socio-professionnel moins homogène 08:40
4. Quels types de relations entre enseignants et AESH ? 20:34
5. Conclusion 27:23

 Introduction à la sociologie du travail et des professions

 

Cette recherche a abordé la relation enseignants/ AESH au prisme de la sociologie des professions, c’est-à-dire selon les propriétés sociales des acteurs,  leurs dispositions sociales à se représenter le monde et à exprimer des orientations morales sur ce monde mais aussi en fonction de l’actualisation de leurs dispositions sociales en fonction de contextes d’organisation de leur travail et les modalités dans lesquelles ils entrent en action. encart école de chicago

 Cette sociologie du travail et des professions emprunte à "l’École de Chicago" cinq grandes idées : 

  • Le travail est un « drame social », une scène de théâtre qui se déroule dans plusieurs arènes formelles (juridique, syndicale, politique, de la règlementation) et informelle (terrain de travail)
  • Toute profession se légitime par une licence, une qualification, et par un mandat social (attentes sociales par les destinataires)
  • Toute profession a sa part de sale boulot, part du travail que l’on délègue à d’autres car on estime qu’elle n’est pas au cœur de son mandat
  • Perspective écologique sur les professions. Elles ne sont pas les unes à côté des autres mais en interaction les unes avec les autres dans un milieu professionnel généralement organisé. Ces interactions sont le lieu de luttes de juridictions. Paradigme de la concurrence, du conflit ou du moins de la tension entre juridictions professionnelles voisines
  • Les activités de service intègrent les clients (destinataires) dans ces luttes juridictionnelles.

 

Cette intervention se propose de répondre à trois questions : 

  1. Dans quelle mesure a-t-on affaire à une professionnalisation « inachevée » des AESH ?
  2. Est-ce que la visibilisation s’accompagne d’une complémentarité croissante entre AESH et enseignants ? 
  3. Est-ce que l’organisation du travail n’est pas une variable majeure pour interpréter la qualité de la relation entre AESH et enseignants ? 

 

Le groupe social des AESh dans l'"arène officielle"

 

Dans l'arène politique et juridique

Une amélioration des conditions statutaires est visible. 

La loi du 26/07/2019 « Pour une école de la confiance » promeut le passage au contrat de droit public par le biais d’un CDD de 3 ans renouvelable une fois. Mais la titularisation n’est pas possible car il n’y a pas de concours. 

 Par ailleurs, la gestion des ressources humaines de ces personnels est en développement avec des personnels dédiés à cette mission. 

Dans l'arène des ressources humaines

Le temps de travail des AESH est moins souvent incomplet (jusqu’à 32h/semaine) avec la prise en charge des activités périscolaires en école primaire. Cependant, le temps de travail reste de 18 h hebdomadaire en moyenne. Une revalorisation salariale a eu lieu récemment.

Leurs conditions de travail ont été impactées par l’installation des Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés (PIAL). Et la conception gestionnaire de ces pôles a tendance à éclater géographiquement leurs missions.

 Ces personnels sont  « plus visibles » par une prise en charge syndicale plus affirmée et la création de collectifs.

 

Un groupe socio-professionnel moins homogène

 

Morphologie du groupe des AESH

Selon l’enquête Emploi de la DARES *, un effet de génération est en train de segmenter le groupe. Même si le personnel est toujours très féminin, son recrutement est de moins en moins issu de milieu populaire. Depuis les années 2006, les AESH sont plus qualifiés du fait de la mise en place du bac professionnel. L’accès au métier ne demande pas plus qu’un CAP mais ils sont en moyenne plus qualifiés. 

 Les identités professionnelles de ce groupe

L’identité professionnelle est à la fois la définition du cœur de métier et la figure éducative à laquelle on se rattache en tant que membre d’un groupe socio-professionnel particulier. Elles sont différentes en fonction du contexte.

 En école primaire, on peut observer deux groupes en contraste :

  •   Les AESH « maternelles » : le cœur de métier est abordé en le centrant sur l’apprentissage des gestes de de la vie quotidienne en soulignant l’importance du travail affectif. Leur projet est de développer l’autonomie de l’enfant. Ce groupe envisage une certaine indifférenciation entre les rôles domestiques de la maman et les rôles professionnels. Leur modèle est celui de la mère de famille. Ce groupe mobilise le registre de la patience et de l’amour, alors même que ce registre n’est jamais présenté comme professionnel. Celui-ci s’accompagne d’une sorte d’auto-dévalorisation autour de ces gestes associés à ce travail éducatif. Il existe une forte homologie dans les discours entre le couple maman/papa et le couple AESH/PE, avec d’un côté le soin et de l’autre l’autorité mais également d’un côté l’éducatif et de l’autre la pédagogie.

Dans ce groupe, l’inactivité est mal vue. Être AESH permet un complément de salaire au salaire du conjoint exerçant en milieu ouvrier ou employer. D’ailleurs dans ces milieux, se développe parallèlement une culture « anti-scolastique » notamment à la maternelle.

Dans les discours, le rapport au corps des enfants est différent entre les enseignants et les AESH. Le fait d’exercer une autorité, et notamment une autorité physique, est répréhensible dans la morale des enseignants alors qu’elle l’est beaucoup moins chez les AESH d’un certain âge de ce groupe.

 

  •  Les AESH « animatrices : Ce groupe met l’accent sur l’auxiliariat pédagogique. Ces personnels ont souvent occupé des postes dans l’animation auparavant et revendiquent un rôle dans l’ingénierie des apprentissages notamment en maternelle dans les activités d’éveil. Ils se distancient d’une conception utilitaire du métier d’AESH en valorisant l’expérience comme base d’une formation diplômante.

Le métier d’AESH est souvent une réorientation suite à une orientation subie. Apparait le souhait de changer de métier un jour, mais dans un milieu où l’on reconnaitrait leurs compétences.

 Au collège : 

  •   Les AESH « médiatrices » : la médiation est le cœur de métier revendiqué par ce groupe par rapport à la pluralité des adultes auxquels sont confrontés les élèves en situation de handicap, mais également médiation par rapport au monde des pairs jugé stigmatisant voire cruel vis-à-vis de ces élèves. L’enjeu du harcèlement scolaire est vraiment central. L’aide à l’école revendiquée par ces AESH est une aide comme lieu d’apprentissage et parallèlement comme lieu de socialisation. Le collège est un lieu où il faut protéger voire donner des codes défensifs de comportement. Ils sont plus souvent en groupe et acceptent une part du travail affectif que les professeurs du collège ne prennent pas en charge mais en le requalifiant rhétoriquement par du « développement personnel » de l’élève en situation de handicap. Ce groupe utilise des termes qui n’hésitent pas à critiquer la négligence professorale et la cécité de l’institution face à la charge mentale pour les familles. Il critique la « paperasserie », la centration du collège sur la forme scolaire et la difficulté à penser en termes de compétences. Il va mobiliser plutôt les parents et notamment les mères pour requalifier leur activité de médiatrice. Il revendique l’entrée dans la communauté éducative et notamment leur présence en Équipe de Suivi de Scolarisation.

 

  • Les AESH « médiatrices-Co » aident à se maintenir dans les apprentissages et à surmonter les évaluations. Ce groupe est beaucoup plus proche des attentes enseignantes. Il prône une continuité entre l’école et le collège. Il souhaite faciliter la transmission des savoirs dans leur juridiction professionnelle. Il met en avant leur capacité à faire un travail d’abstraction et d’aller sur un registre métacognitif avec les élèves. Il rejette l’aide à la socialisation, et se fait défenseur de l’évaluation par compétences et des innovations pédagogiques.

Leur travail est vécu sous l’angle de l’épanouissement professionnel avec le sentiment d’avoir trouvé sa place. Cela peut s’expliquer par leur temps de travail qui est plus proche d’un plein temps. 

 

Quels types de relation entre enseignants et AESH ? 

 

Dans ses travaux de thèse, Suzy Bossard (2015)** met en évidence une relation de subordination déniée avec une logique de délégation du sale boulot de l’enseignant vers l’AESH, des compétences techniques souvent invisibilisées par l’appel à des compétences jugées moins expertes de type relationnel, éducatif et affectif. Elle observe également une concurrence des morales de classe entre des AESH plus populaires qui mettent en avant l’importance du pratique, des productions belles des élèves alors que les enseignants mettent en avant des valeurs plus pédagogiques axées sur les apprentissages. Leur rapport social est asymétrique et très hiérarchisé mais nié parce que la relation à la hiérarchie est compliquée à reconnaitre chez les enseignants et notamment dans le premier degré. Diriger fait partie du sale boulot enseignant mais que l’on ne peut pas déléguer lorsque l’on est en présence d’AESH. 

En droit du travail, une relation de subordination est une relation dans laquelle un des salariés est responsable et met l’autre sous son contrôle. Cette relation de subordination est à géométrie variable selon l’organisation du travail.

En école maternelle, la subordination est effective. Les enseignants délèguent le travail disciplinaire à l’AESH qui est plus souvent de profil « maternelle ». 

Au collège, c’est l’autonomie qui est attendue, celle de l’élève mais aussi de l’AESH. C’est l’idée que le groupe socio-professionnel de référence doit obtenir une capacité à décider de la manière de conduire des missions inhérentes à son activité et avoir la possibilité de résister à des injonctions hiérarchiques ordinaires qui lui paraissent contrevenir au bien-être de l’élève en situation de handicap accompagné. Des marges ont été obtenues par les AESH dans l’organisation du travail. Il s’agit de marges sur leur emploi du temps, sur des initiatives semi-clandestines dans l’accompagnement des apprentissages de certains élèves ou de marges dans les situations de gestion de crise. Cette autonomie reste clandestine mais permet d’équilibrer la relation de subordination. 

Le cas des AESH-Co au collège et au lycée professionnel :

Il peut être relevé une particularité de l’AESH-Co qui est certainement le plus professionnalisé aujourd’hui. Il partage plusieurs points avec le coordonnateur ULIS :

  • une polyvalence attendue face à l’ensemble des tâches à la fois pédagogiques, organisationnelles et éducatives
  • un rapport de domination symbolique à l’égard des enseignants experts-disciplinaires rendu visible lors des séances de co-enseignement en classe de référence. 

Il existe beaucoup moins de conflits dans ce binôme autour des pédagogies invisibles que dans d’autres organisations. Un partenariat implicite est mis en place pour permettre à l’AESH d’accéder à la communauté éducative. Les coordonnateurs ULIS ont souvent une vision moins caricaturale de la gestion du personnel. Ils ont plus l’habitude de travailler de manière asymétrique et coordonnée. 

 

Conclusion

 

Le binôme AESH/enseignant est un « arrangement juridictionnel » (École de la sociologie de Chicago) qui joue sur les frontières d’activités connexes (l’éducatif, le relationnel, le pédagogique). Mais cet arrangement n’empêche pas des prestiges symboliques différenciés selon les tâches. Déconstruire cet arrangement juridictionnel permet d’apporter des éléments de réflexion sur les rapports de pouvoir dans les relations de service. Ces relations d’autorité tissent le quotidien entre les différentes parties. 

Ce binôme est au cœur de temporalités diverses en fonction des groupes d’AESH considérés. Il existe des temporalités différentes selon l’âge, la génération de l’AESH, la conjoncture, le contexte de cette activité. Et l’histoire de ce binôme dans les arènes formelles promeut un horizon qui est celui de la complémentarité. Cet horizon est un processus parmi d’autres en même temps que la requalification de l’activité par les politiques publiques est un levier essentiel du changement. On ne peut envisager un horizon, un arrangement symétrique sans considération très pratique via une meilleure qualification et une meilleure formation des AESH. 

 

* Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques

** Précariat et rapports sociaux dans les métiers de service aux personnes : les auxiliaires de vie scolaire (AVS) dans l'Éducation nationale