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La controverse professionnelle, un outil pour les collectifs de travail

Par Xavier Roy publié 11/09/2024 08:55, Dernière modification 19/09/2024 16:29
Organiser la controverse dans les organisations de travail, dans les espaces de formation consiste à organiser le dialogue entre les acteurs concernés autour de situations de travail pour faire face à leur complexité. En quoi la controverse sur le travail peut-être une ressource pour les professionnels ? Dans un entretien Valérie Lussi Borer et Vincent Grosstephan définissent la controverse au prisme de leurs cadres théoriques et à travers les expériences de recherche-intervention qu'ils ont menés. Ils expliquent en quoi la controverse professionnelle est consubstantielle à une démarche d’analyse de l’activité, dans leurs cadres théoriques respectifs. Ils en précisent les enjeux, les points de vigilance et proposent des ressources pour animer des controverses dans des collectifs professionnels.
  • Vincent Grosstephan est professeur des universités en sciences de l'éducation à l'INSPE de l'académie d'Aix-Marseille, Aix-Marseille Université.
  • Valérie Lussi Borer est professeure à la Faculté de psychologie et des Sciences de l'éducation de l'université de Genève.

Controverse : discussion argumentée, contestation sur une opinion, un problème un phénomène ou un fait ; p. méton. Ensemble des éléments divergents ou contradictoires du débat. Théol. Débat sur les points litigieux de la doctrine ; art de ce débat. source : CNRTL

Cet entretien est présenté sous la forme d'une vidéo chapitrée. Les questions correspondant à chaque chapitre sont proposées comme « guide d'écoute ». Chaque chapitre est résumé et accompagné d'apports complémentaires susceptibles d'aider les formateurs à approfondir certains concepts convoqués par les chercheurs.

controverse

controverse
1. Vincent Grosstephan, comment s’insère pour vous la question de la controverse dans votre cadre théorique ? 0:00
2. Valérie Lussi Borer, comment s’insère pour vous la question de la controverse dans votre cadre théorique ? 1:49
3. En quoi la controverse est-elle centrale dans vos systèmes d’analyse ? 3:42
4. Dilemme et controverse, quelles relations ? 8:42
5. Quelle est la place du processus dans l’analyse de l’activité ? 12:36
6. Quelle place pour le consensus ? 16:14
7. L'enquête : un cycle de travail permanent ? 18:07
8. Quels points de vigilance  pour animer des controverses ? 18:58
9. Prendre le temps de définir le problème à mettre au travail : un exemple 28:02
10. Quelles démarches pour construire ensemble le problème ? 31:18
11. Quel est l'intérêt des traces d'activités ? 36:24
12. Quel usage du "Décrire - Interpréter - Evaluer" ? 37:56
13. Quelle vigilance pour l’animateur sur le "Décrire - Intrepréter - Évaluer? 42:54

 

1. Vincent Grosstephan, comment s’insère pour vous la question de la controverse dans votre cadre théorique ?

Pour Vincent Grosstephan (VG) qui s’appuie sur la théorie historico-culturelle de l'activité, issue des travaux de Vygotsky, Léontiev et Engeström, la controverse est centrale. Dans son champ théorique, les dispositifs d'intervention ont une visée développementale et poursuivent une visée transformatrice qui est un enjeu à la fois éthique, politique et épistémologique.

 

La recherche-intervention vise à créer des conditions de possibilité de transformer qualitativement l’activité :
«Je suis là pour soutenir les efforts des collectifs de professionnels qui le demandent, pour eux, conceptualiser, transformer leur propre activité, développer leur pouvoir d'agir et aider à l'émancipation individuelle et collective et des différentes formes de domination dans le travail.»

L'approche historico-culturelle de l'activité est une théorie selon laquelle l'activité analysée est inscrite dans un contexte social, culturel et historique. L'activité est donc nécessairement collective, située et toujours définie par un objet (une visée), « l’objet comme quelque chose qui donne un sens à long terme à l’activité » (Engeström,Engeström, Y. (2011). Théorie de l’Activité et Management. Management & Avenir, 42(2), 170.https://doi.org/10.3917/mav.042.0170 ).

 

2. Valérie Lussi-Borer, comment s’insère pour vous la question de la controverse dans votre cadre théorique ?

Valérie Lussi Borer (VLB) s'appuie sur les travaux de l'ergonomie de langue française, de la psychologie du travail ainsi que sur des dispositifs en boucles itératives où se nourrissent la conception, la formation et la recherche.
Elle travaille également sur des dispositifs d'intervention de recherche à visée développementale avec une double visée épistémique et transformatrice :
- pour les professionnels : transformer les conditions de travail et développer leur pouvoir d'agir en augmentant la compréhension de ce qu'ils font, quand ils le font et pourquoi ils le font. Les professionnels prennent conscience que ce n'est pas qu'une question individuelle mais un enjeu de culture de métier.
- pour la recherche : étudier l'activité de travail pour mieux comprendre les compromis faits par les professionnels et la manière dont ils réalisent en situation de travail
.

Yves Clot, chercheur en psychologie du travail, définit le pouvoir d'agir de façon suivante: « vivre au travail c’est donc pouvoir y développer son activité, ses objets, ses outils, ses instruments, ses destinataires, en affectant l’organisation du travail par son initiative » Clot,Y. et, Simonte, P. (2015). « Pouvoirs d’agir et marges de manœuvre », Le travail humain, 2015/1 (Vol. 78), p. 31-52. DOI : 10.3917/th.781.0031. URL : https://www.cairn.info/revue-le-travail-humain-2015-1-page-31.htm . Développer son pouvoir d’agir c’est, pour le professionnel, donner du sens à son travail et le faire de façon efficiente.

3. En quoi la controverse est-elle centrale dans vos systèmes d’analyse ?

Valérie Lussi Borer fait référence à un dispositif de recherche-intervention qu'elle adéveloppé avec Alain Muller, l'enquête collaborative (LussiBorer& Muller, 2016), qui s'inspire de la théorie de l'enquête de J. Dewey (1993) reprise par J.ZASK (2004). Ce travail de mise en enquête collective pour s'emparer d'un problème professionnel a pour but d'aider les professionnels à se questionner, analyser, conceptualiser, concevoir une nouvelle forme d'activité afin de l'examiner et d' en évaluer les effets.

Cette démarche  implique des désaccords sur le diagnostic, sur les prémices des propositions, sur les interprétations, sur les raisons pour lesquelles la situation est difficile ou ne l'est pas et sur les solutions à mettre en place.

Vincent Grostephan insiste sur l'importance de mettre au jour ces désaccords issus des controverses de métier, car ils sont la manifestation de contradictions plus profondes, structurelles, historiques inhérentes à tout collectif. Il ne peut y avoir de perspective développementale s'il n'y a pas un travail autour de controverses nécessaires à l'émergence de ces contradictions.

"Le développement ne peut se réaliser qu à travers les contradictions et leur résolution" (Engeström, 2011, p 172) Engeström, Y. (2011). Théorie de l’Activité et Management. Management & Avenir, 42(2), 170. https://doi.org/10.3917/mav.042.0170 La contradiction est le résultat d'une accumulation historique de tensions profondes. Elles ne sont pas réductibles aux problèmes ou aux tensions, qui n'en sont que les symptômes. Inhérente à toute activité humaine, elles peuvent être la source de dysfonctionnements qu'il ne faut pas chercher à résoudre par arbitrage, compromis ou équilibrations entre deux éléments opposés, mais bien en cherchant à les dépasser en les surmontant dans l'action. Les contradictions se manifestent quand un élément extérieur devient source de perturbation dans un système d'activité. Il s'agit alors de "creuser jusqu'à l'origine, dans l'histoire de cette contradiction, pour identifier les termes du système...car l'histoire se produit à travers ces contradictions et leur résolution." (Engeström, 2006, p 4). Extrait du mémoire de master de Marie Gybely, Co-piloter, vraiment ?, Étude du développement de l'activité conjointe de pilotes des réseaux d'Éducatioon prioritaire dans un dispositif d'accompagnement, 2020.


Dans le cadre théorique de VLB, la controverse est également centrale. Pour Dewey, ce qui est important, c’est l'articulation entre l'environnement et l'individu qui doit toujours être en mouvement. C'est le mouvement qui tient les hommes, les organismes et leur environnement en vie. Dès qu'il n'y a plus de mouvement, il y a sclérose, maladie puis mort.
La controverse permet de mettre de la dynamique afin de
garder le métier dans un état vivant et ainsi susciter du développement.

Selon Yves Clot la controverse professionnelle consiste à instaurer le conflit de critères dans les organisations autour du travail bien fait, autrement dit "un travail dans lequel on se reconnait, qui est défendable à ses propres yeux". Dans un collectif, il existe plusieurs manières de faire son travail, en fonction de son expérience, son style pédagogique ou bien encore  les contextes locaux. Cette définition du travail bien fait  varie ainsi en fonction de la place que les professionnels occupent  dans une organisation (enseignants, formateurs,  pilotes) mais aussi entre collègues exerçant un même métier. Mettre en débat la qualité du travail dans les organisations est un vecteur de santé au travail, santé qui se dégrade en raison d'une activité empêchée, niée, invisibilisée ou non discutée. La controverse professionnelle peut permettre au métier de développer de nouvelles ressources, de commencer à faire ce qu'il ne parvenait pas à faire avant. Clot, Y. (2013). « L'aspiration au travail bien fait ». Le journal de l'école de Paris du management. 2013/1 (N° 99). p. 23-28. DOI : 10.3917/jepam.099.0023. URL : https://www.cairn.info/revue-le-journal-de-l-ecole-de-paris-du-management-2013-1-page-23.htm

4. Dilemme et controverse, quelles relations ?

Chaque individu porte intérieurement des contradictions dans son travail. Il est parfois difficile de faire des choix, de décider soi-même.
VG différencie dilemme et controverse ainsi :
- le dilemme est interne. Chaque individu est partagé entre des options différentes.
- la controverse est partagée. Lorsqu’il y a des points de vue qui sont contradictoires entre des individus différents, c'est une extension à la dimension collective.

« Le travail est par essence animé de forces plus ou moins contradictoires, de tensions et conflits d'intérêt qu'il est illusoire de penser faire disparaître […] l'ignorer se traduit en termes d'atteinte à la santé, de perturbations de la production, de paralysie de l'organisation. L'objectif des espaces de discussion est de pouvoir les penser pour en faire le moteur de la créativité et du développement. » Philippe Davezies, médecin et ergonome

VLB souligne l’intérêt de ces dilemmes partageables qui peuvent susciter des espaces de controverse.
Ces dilemmes qui sont ressentis par tous, sont des dilemmes génériques de métier (Bernard Prot et al., 2010) Prot, B. , Mezza, J. , Ouvrier-Bonnaz, R. ,  Reille-Baudrin, E.  et Vérillon, P.  2010. « Les dilemmes d'activité ». Recherche et formation [En ligne].  63 | 2010. mis en ligne le 01 mars 2012, http://journals.openedition.org/rechercheformation/233). Cette dimension générique est fondamentale pour que chacun puisse, suite aux discussions générées par les dilemmes posés, trouver des pistes d'action qui, si elles sont construites collectivement, puissent être transposées et expérimentées dans son contexte propre de travail. 

Une difficulté, individuellement et collectivement, est d’accepter qu'il n'est pas possible, dans une approche développementale, de régler une controverse une fois pour toute. Cela peut être rassurant et/ou angoissant.

5. Sur  quoi  peut porter une controverse ?

Pour VLB, il est nécessaire de s'intéresser au processus du travail, le travail en train de se faire, la manière dont il se fait, les buts... plutôt qu 'au produit du travail finalisé, réalisé. Souvent lorsque les gens sont en désaccord, ce désaccord porte sur les produits du travail ou les valeurs. Or, ces deux éléments de nature statique ou figée conduisent à des échanges sans issue et ne permettent pas de remonter finalement à la nature du problème rencontré. La démarche d'enquête est une manière méthodique de développer un processus de questionnement à partir d'une situation de travail. Pour cela, il faut partir de phases d’analyse très descriptives, du déroulement seconde après seconde, pour pouvoir retravailler la dimension qui va faire conflit afin de remettre du mouvement.

Ingénierie de formation par enquête collaborative

La démarche d'enquête consiste à a) passer d'une situation indéterminée, confuse, contradictoirre, à une situation problématique obscure (ce qui pose problème dans la relation organisme-environnement est identifié), b) émettre des hypothèses et des pistes à expérimenter en vue de rétablir l'équilibre en esquissant une solution, c) pour aboutir à une situation déterminée, dans laquelle organisme et environnement ont trouvé un nouvel équuilibre. Cette enquête est collaborative au sens où plusieurs individus travaillent ensemble pour analyser et transformer  leurs situations respectives. Elle s'appuie sur des traces d'activité et mobilise des outils d'analyse du travail.

Pour VG, l'objet même de la discussion peut aussi être l'objet de controverses car dans son cadre théorique l’activité est orientée par rapport à cet objet. Définir l'objet même du travail peut aussi donner lieu à des échanges conflictuels nécessaires au développement de l'activité collective.

 

6. Quelle place pour le consensus ? 

Pour VLB , dans la démarche d'enquête, il est nécessaire de trouver un espace d’accord sur ce qui est mis au travail et la manière de le travailler. Cet accord permettra d’être en désaccord sur ce qui va découler du travail collectif.

Pour VG, la controverse est un moyen de questionner les pratiques actuelles et passées, et d'envisager la conceptualisation d'un nouveau système d'activité. Le seul fait d’échanger ne suffit pas, il faut partir des désaccords pour aller vers quelque chose de commun construit collectivement.

Le modèle d'un système d'activité selon Engeström,1987

Modèle d'un système d'activité selon Engeström,1987 v2

Ce modèle vise à comprendre le développement des activités collectives conjointes et associe six éléments constituants de l'activité : l'objet (la transformation de l'environnement visée par l'activité, la finalité de l'activité), le sujet qui définit le point de vue choisi (un individu ou un groupe) ; la communauté (l'ensemble des sujets ou groupes qui partagent le même objet ; la division du travail (la répartition horizontale des actions et la hiérarchie verticale des pouvoirs) ; les règles (les normes, les conventions, les habitudes implicites ou explicites dans le groupe de professionnels) ; la relation entre le sujet et l'objet est médiée par des outils (artefacts ou instruments). Ce modèle permet d'appréhender l'activité d'un collectif ayant un objet commun , en étudiant empiriquement les composantes individuelles et collectives de leurs relations.

7. L'enquête, Un cycle de travail permanent ?

Le cycle de travail qui consiste de passer par l’identification du problème, son analyse, la conception d’un nouveau système d'activité pour ensuite le tester, l’évaluer et ainsi de suite n’est pas toujours présent. Il faut se méfier de l’idée que l’on est toujours dans un cycle de changement permanent. VG souligne l’importance de laisser du temps pour  ce que ce système vive.

 

8. QUELS POINTS DE VIGILANCE pour animer une controverse ?

1. Le langage

Un obstacle important est la langue utilisée pour mener une enquête puisque c'est avant tout du dialogue. La langue est normée, chacun nourrit les termes qu'il utilise d'un certain sens, d'un certain nombre de valeurs. Cela pose donc problème pour construire de l'intercompréhension.

L’animateur du dispositif de controverse doit se défaire de tout ce qui est codifié, de ce qui est implicite ou les allant-de-soi.

2. Le discours

Une difficulté est de décoder ce qui est en train de se jouer pour éviter de tomber dans une discussion qui peut être stérile. Tout discours est contextualisé, situé et adressé. Cela demande à l’animateur d'analyser ce qui se joue dans les échanges.

3. Les outils d'analyse de l'activité

Dans une entrée clinique de l'activité, le recours au vécu professionnel est indissociable du travail sur une situation de travail, qu'elle soit ramenée par la vidéo - ou par une description. Les entretiens d’auto-confrontation constituent la mise en mots du vécu professionnel et permettent que la situation soit complète. Il faut toujours avoir la vigilance du sens mis derrière les mots, sens qui n’est pas le même pour tous. L' expérience verbalisée donne accès aux buts, aux mobiles, aux valeurs des professionnels.

L'entretien d'autoconfrontation (EAC) est utilisé par différents courants de recherche qui s'intéressent à l'analyse de l'activité d'un professionnel. Il permet d'accéder à la part non observable de l'activité, c'est-à-dire les intentions, les contraintes, les choix dans l'action. Cette prise en compte du point de vue subjectif du professionnel permet de mieux comprendre ce qui est significatif pour lui dans la situation (Une ressource du centre Alain-Savary :  Analyser l'activité professionnelle)                                                                                                                                               

Pour aller plus loin : Ria, L et Moussay, S. Conduire des entretiens (autoconfrontation simple ou croisée) pour analyser le travail enseignant à partir de traces de leurs activités (vidéo, photos), colloque de  la Chaire Unesco, "Former les enseignants aux XXIE siècle".(2015). chapitre vidéo n°5. URL : http://chaire-unesco-formation.ens-lyon.fr/Former-les-enseignants-dans-les#episode-4

Il est nécessaire de déconstruire l’idée qu’il faut juste laisser les gens discuter entre eux.
Pour animer les controverses, il faut posséder des outils de décryptage : avoir des connaissances sociologiques et politiques des enjeux, comprendre les rapports de pouvoir, hiérarchiques entre les participants, avoir une “paire de lunettes” d’analyse au moment où les choses se disent. Cela nécessite de l'expérience.

Une autre piste est de ramener le problème à un problème collectif. L’animateur doit s’autoriser à arrêter la controverse quand il en perd les enjeux. Il rapporte le problème au collectif de manière à recentrer sur les modalités de travail autour de la controverse. L’animateur doit aussi s’autoriser à ralentir, définir les mots et pointer les sens différents qu'ils peuvent avoir dans le collectif, et expliciter son vécu en tant qu'animateur : ses incompréhensions, les tensions qui émergent pour ne pas sentir seul responsable dans cet espace de formation.

9. Prendre le temps de définir le problème à mettre au travail : un exemple

La controverse n'apparaît pas forcément facilement de prime abord. Il est nécessaire d’avoir du temps, d’identifier l’objet de controverse et éviter de rester à un consensus de surface. VG développe un exemple dans le milieu hospitalier.

 

10. Quelles démarches pour construire ensemble le problème ?

Dans le cadre de VG, il y a une phase ethnographique de récolte de données. A partir de celles-ci, il est demandé aux professionnels d’exprimer des problèmes et c’est à partir de traces du concret (actes, discours) et d’outils d’analyse théoriques que la problématique se construit.

Pour VLB, la mise en place d'une méthodologie de recherche-intervention sur le terrain, avec des collectifs est un enjeu. Pour la favoriser, elle s'appuie sur des personnes-ressources dans le collectif,  qui ont déjà quelques outils pour mener l'enquête et qui peuvent enrôler d’autres membres. Par la suite, elle apporte un accompagnement à travers la formation aux outils de l'analyse du travail, comme l’auto-confrontation. Elle souligne la complexité de concevoir des formations visant à transposer des outils utilisés en recherche pour des personnes qui ne sont pas chercheurs et qui voudraient les utiliser en formation. 

11. Quel est l'intérêt de recueillir des traces d'activité ?

Il est nécessaire de récolter, en amont, des données concernant les situations sur lesquelles le collectif pourra travailler. Il faut des traces d’activité, des situations de travail précises et concrètes comme des données audio, vidéo et/ou transcrites en verbatims.

12. Quel usage du "Décrire - Interpréter - Evaluer" ?

Pour aider à clarifier où se situe le participant quand il regarde une trace d'activité, VLB propose l’utilisation d'une grille de lecture de l'activité en trois niveaux : "Décrire - Interpréter - Evaluer" (DIE).
Cette grille peut permettre aux participants non outillés en analyse de l’activité, de comprendre là où ils se situent quand ils parlent, de clarifier où ils se positionnent par rapport à la controverse : Est-ce qu'ils décrivent factuellement ? Est-ce qu'ils donnent déjà du sens par rapport à l'activité observée ? Est-ce qu'ils disent ce qu'ils pensent (apportent un jugement) ?
Ces 3 niveaux d'analyse engendrent des effets différents dans le collectif. Par exemple, lorsque l'on donne une valeur positive ou négative à une activité, cela peut donner lieu à des évaluations différentes de cette même situation, ce qui n'est pas le cas lorsqu'on la décrit factuellement.

Capture d’écran 2024-09-11 à 08.10.35.png

Une démarche pour analyser collectivement une trace d'activité : 

  • Décrire les faits le plus précisément possible et se mettre d’accord sur ce que l’on voit. La description est fondamentale, il n’est pas possible d’aller vers la construction de conclusions collectives s’il n’y a pas les mêmes prémices de description des situations.
  • Interpréter à partir de ses cadres de lecture, de son expérience et de ses connaissances. Postuler la cohérence des pratiques observées et chercher à identifier leurs fondement.
  • Évaluer, élaborer de nouvelles propositions qui permettent de trouver d'autres compromis opératoires afin d’améliorer la situation tout en restant fidèle au contexte dans laquelle elle se présente. .

L’objectif n'est pas définir ce qui est "vrai" mais ce qui est acceptable collectivement.

 

13. Quelle vigilance pour l’animateur sur le "Décrire, évaluer, interpréter" ?

Comme il est plus difficile de décrire avec un langage "neutre" , les participants viennent vite sur l’évaluation et l’interprétation et il est difficile de garder l’ordre du DIE. Cela pose problème pour la dynamique de l'enquête si la personne dont l'activité est analysée se sent jugée et se met en posture défensive (incompatible avec la posture d'apprentissage). Aussi, il est important pour l’animateur de faire distinguer aux participants les propos descriptifs, interprétatifs et évaluatifs. De faire expliciter ce qui est vu et comment cela est interprété avant d'évaluer afin que les personnes puissent reconstruire ce qui amène chacun à poser telle ou telle évaluation. Le professionnel dont la situation est travaillée comprend ainsi comment un autre, qui regarde son activité, construit les liens de compréhension et apprécie la situation de travail.

 

Remerciements

... à Xavier Roy, qui a rédigé cet article lors d'un stage au CAS dans la cadre de son MASTER Pratiques et Ingénierie de la Formation

... et à Patrick Picard, qui a réalisé cet entretien filmé.