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Quatre conditions pour que le conseil pédagogique contribue à du développement professionnel des débutants...

Par Patrick Picard publié 16/12/2015 14:40, Dernière modification 15/04/2016 09:55
Conseiller pédagogique dans l'Aube, Alain Becue vient de soutenir une thèse intitulée "L'accompagnement des enseignants débutants du primaire : une situation potentielle de développement professionnel ?". Il a accepté de nous en livrer l'essentiel

Dans le contexte socio-économique du début du XXI siècle, l’éducation reste un enjeu sociétal majeur. Dans cette perspective, la question de la formation des enseignants et plus précisément celle de l’accompagnement à l’entrée dans le métier des débutants apparaît centrale.

BecueEn se plaçant dans le cadre d’une recherche qualitative, les travaux effectués visent à comprendre dans quelle mesure le dispositif actuel de conseil pédagogique contribue au développement professionnel des professeurs débutants du primaire. Plus précisément, l'étude porte sur les conclusions énoncées au cours des entretiens-conseils, de leur formulation jusqu’à leur transformation potentielle en compétences professionnelles. Cette recherche, située dans le cadre conceptuel de la didactique professionnelle, en utilisant des références dans les théories de l’analyse interactionniste du discours et des activités cognitives de raisonnement et de problématisation, étudie ainsi de façon longitudinale l’accompagnement dans trois dyades enseignant débutant – conseiller pédagogique sur une année scolaire.

Elle permet de mettre au jour, pour ce corpus, des résultats sur plusieurs questions de recherche :

1) Quelle est la nature des conclusions formulées lors des entretiens-conseils ?

2) Quels sont les processus et difficultés qui aboutissent à la formulation des conclusions ?

3) Que deviennent les conclusions énoncées dans la suite de l’accompagnement, dans les écrits, dans la pratique, dans les entretiens suivants ?

4) Quels  sont les conséquences du dispositif de conseil pédagogique dans le développement professionnel des débutants ?

5)  Quelles sont les conditions minimales pour que l’accompagnement puisse être une situation potentielle de développement professionnel ?

Une réalité complexe, mais pas forcément opaque

En utilisant un grain d'analyse situé au niveau des discours, les résultats confirment que le dispositif de conseil pédagogique, avec les trois moments réitérés d'observation de la pratique (ou de conduite pour le débutant), d'entretien et de rédaction du compte-rendu (ou de lecture) relève d'une réalité complexe, dynamique, incertaine et discrétionnaire. Cependant, cette situation n'est pas opaque et la recherche permet de mettre au jour que l’accompagnement peut permettre au débutant d'opérer des changements dans ses modèles épistémique et opératif relevant du développement professionnel. Néanmoins, cette perspective n'est pas fortuite ou automatique et suppose une configuration particulière.

Par exemple, dans un épisode court, après avoir évoqué la question de l'accueil et de l'entrée en classe, le conseiller aborde la question de la gestion des cahiers de liaison :
« CP : …est-ce qu’il y a pas, la vérification des cahiers si ils vont les mettre au fond vous jetez un coup d’œil à la récré on gagnerait déjà …
ED : d’accord
CP : … du temps et à mon avis ils sont plus réceptifs en début de matinée pour commencer, vous gagnez cinq, dix minutes pour commencer la grammaire
ED : d’accord, oui »

Ainsi, le conseiller pédagogique soulève un problème qu'il a repéré et indique que la vérification des cahiers de liaison en début de matinée occasionne une perte de temps. Il propose une solution, le report de la vérification, et indique deux arguments : le gain de temps et la réception accrue des élèves en début de matinée. Mais les observations ultérieures témoignent que cette proposition de changement ne sera pas mise en œuvre.

 

Quatre conditions simultanées

 

En effet, la recherche a permis de mettre en évidence la quasi-nécessité de quatre conditions simultanées  pour qu'il y ait changement et que celui-ci relève du développement professionnel :

−    la présentation et la reconnaissance d'un problème issu de la réalité observée ou vécue par les deux interlocuteurs. Dans l'exemple proposé, si effectivement un problème est soulevé, celui-ci n'est ni construit ni reconnu par le débutant ;

−    la formulation d'une solution explicite et résonnante dans la globalité de la pratique. Ici, la solution proposée relève d'un changement local qui n'est pas relié avec la globalité de la pratique ;
−    l'accompagnement du changement dans la temporalité. La question des cahiers de liaison ne sera jamais reprise, ni dans les écrits, ni dans les autres visites-conseils ;
−    une dynamique relationnelle qui permet, a minima, à chacun d'exprimer son point de vue. Ici, dans cet exemple, le débutant n'a pas eu la possibilité de formuler ni les raisons de ce mode de fonctionnement ni les avantages et inconvénients d'un changement éventuel (la méconnaissance de mots de parents pouvant être considérés comme essentiels, la faisabilité d'une vérification pendant la récréation, la rupture avec une pratique habituelle qui n'a jamais soulevé de difficultés …).
Ainsi, dans ce type de situations, qualifié par un conseiller de « petit conseil » (donné au passage) , les conditions d'élaboration de la conclusion n'engage pas un changement de la pensée ou de l'agir du débutant.

A l'inverse, dans un autre entretien, un épisode aborde la question de l'effacement du tableau et de la conservation de supports écrits comme aide à l'apprentissage. Ce thème, repéré par le conseiller lors de son observation, est introduit dans une phase de questionnement permettant d'expliciter les faits et les raisons de la pratique.
CP : comment est-ce que tu as procédé pour découvrir ta nouveauté ?
ED: …
CP : t’as corrigé les phrases et ensuite ?
ED : et ensuite on a essayé d’élaborer la méthode
CP : oui
ED : pour que ça devienne un peu comme un automatisme
CP : oui et qu’est-ce que tu as fait pour que ça devienne un automatisme ?
…/...
CP: d’accord et pourquoi est-ce qu’il faut faire une phase de répétition à ton avis ?
…/...
CP : et tu prends un exemple et il sert à quoi cet exemple ?
ED : à valider la méthode en fait
CP : oui et il valide la méthode alors pourquoi tu l’effaces à chaque fois ?
ED : mon exemple ?
CP : oui
ED : je sais pas, je fais ça va machinalement
CP : pourquoi tu le laisses pas, est-ce que, il peut pas servir après pour faire ?

Dans cet épisode, la dynamique permet au débutant d'expliciter son cheminement, de prendre conscience d'une pratique habituelle, puis dans les échanges suivants d'interroger la mise en œuvre d'une solution et les conséquences qu'elle peut avoir sur les apprentissages des élèves et de conclure dans une formulation en apparence évidente mais qui témoigne d'un changement dans la pensée.

ED : oui bah oui il faut pas que j’efface l’exemple, c’est sûr que, ne pas effacer les exemples (en notant et en lisant sa prise de notes) ça c’est sûr.

Le débutant commentera spontanément ce sujet lors d'une auto-confrontation.
« ED : oui je m’en rends pas compte, j’efface ce que j’avais écrit et on recommence, et le fait d’avoir un exemple au tableau, là je l’ai refait depuis, …/... donc ça les aide beaucoup en fait donc maintenant j’essaye d’y penser parce que ça je l’ai toujours fait, …/… donc ça c’est, je ne me suis jamais posée la question d’ailleurs sur ça, et depuis qu’elle me l’a dit, effectivement je devrais laisser un exemple à chaque fois pour les, pour ceux qui sont en difficulté …/... donc ça c’est, il faut que j’arrive à ne plus effacer, il faut que je prenne cette habitude, …»

 

Du conseil au développement professionnel

De plus, la recherche a mis au jour deux autres conditions, repérables dans l'exemple ci-dessus, qui semblent garantir, quand elles sont présentes, un changement, qui dépasse la simple application d'un conseil et permet alors d'enclencher une dynamique de changements relevant du développement professionnel :
−    l'inscription des médiations dans une dynamique totalement collaborative ;
−    un pilotage des échanges dans une dynamique de problématisation.

De fait, les résultats de cette recherche permettent d'éclairer les processus complexes inhérents au déroulement de l'accompagnement, d'interroger et d'étayer les enjeux du conseil mais aussi de formuler des propositions de formation des conseillers pédagogiques.
 

 

 

Université de REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE
ECOLE DOCTORALE SCIENCES DE L’HOMME ET DE LA SOCIETE (555)
Présentée et soutenue publiquement par
Alain BÉCUE
le 2 octobre 2015

JURY

M. Christian ALIN, Professeur émérite des Universités, Université de Lyon 1. Rapporteur.

M. Stéphane BRAU-ANTONY, Professeur des Universités, Université de Reims Champagne- Ardenne. Directeur.

M. Vincent GROSSTEPHAN, Maître de Conférences, Université de Reims Champagne- Ardenne. Co-directeur.

M. Patrick MAYEN, Professeur des Universités, AgroSup Dijon.

Mme Thérèse PEREZ-ROUX, Professeure des Universités, Université de Montpellier 3.

M. Richard WITTORSKI, Professeur des Universités, Université de Rouen. Rapporteur.

 

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