Premiers éléments d’analyse de deux dispositifs contrastés « plus de maîtres que de classes »
Télécharger la version imprimable du texte (PDF - 1 Mo)
Introduction
Le paysage scolaire français voit apparaître un nouveau dispositif intitulé « plus de maîtres que de classes » (Circ. 2012-201 du 18/12/2012) pour prévenir et remédier aux difficultés des élèves. Il « repose sur l'affectation dans une école [en priorité les écoles en Réseau d’Education Prioritaire] d'un maître supplémentaire » (…) « Il s'agit, grâce à des situations pédagogiques diverses et adaptées, de mieux répondre aux difficultés rencontrées par les élèves et de les aider à effectuer leurs apprentissages fondamentaux, indispensables à une scolarité réussie. Le dispositif ne se substitue pas aux aides spécialisées, qui gardent toute leur pertinence pour les élèves en grande difficulté » (Ibid.). 7000 emplois durant le quinquennat, soit la moitié des postes que le ministère de l'éducation s'est engagé à créer dans le primaire, y seront affectés. L’enjeu est donc de taille, surtout qu’un dispositif similaire a déjà existé dont l’évaluation (DEPP, 2004) atteste qu’il a peiné à atteindre les objectifs ciblés : « Nombreux sont les enseignants impliqués dans le dispositif, qui évoquent la difficulté d’identifier les effets de la présence d’un maître surnuméraire sur les performances et sur les progrès des élèves, même si des « améliorations significatives » sont perçues dans les domaines du langage et de la compréhension des consignes ». L’expérience montre donc qu’un dispositif ne résout pas à lui seul les difficultés rencontrées par les élèves. Les politiques scolaires en France imposent pourtant depuis 30 ans des dispositifs, toujours plus nombreux, avec l’ambition commune de rendre l’école plus efficace et moins différenciatrice (Félix, Saujat & Combes, 2012). Tout se passe comme si « faire réussir les élèves consist[ait] à prendre en charge leurs difficultés à travers divers dispositifs spécifiques » (Amigues, 2005) et que la catégorie élève en difficulté « permett[ait] de créer une nouvelle association « élèves en difficultés/dispositif pédagogique adapté » (Ibid.). Il suffirait alors d’externaliser le « traitement » de la difficulté, comme si aider et accompagner l’élève ne pouvait pas s’opérer au sein du collectif de la classe. Dès 2009, les inspecteurs généraux attirent d’ailleurs l’attention des prescripteurs sur l’écueil d’un paysage peu lisible et les effets négatifs sur les pratiques professorales. « Des réformes successives au titre de la lutte contre l’échec scolaire ont instauré des dispositifs de lutte contre l’échec scolaire dont la diversité même est maintenant source d’une grande confusion chez les enseignants et dont la juxtaposition risque de nuire à l’efficacité de cette lutte ». (IGEN, 2010).
La circulaire « plus de maîtres que de classes » marque un refus de juxtaposition du dispositif aux classes des écoles et stipule d’emblée la nécessaire synergie entre enseignants et maître +[1]. « La cohérence du dispositif se fonde sur une définition d'un projet éducatif d'équipe dans lequel il [le maître +] intervient comme tous les autres membres de l'école » (Circ. 2012-201). En quoi ce dispositif donnerait-il alors de la visibilité aux acteurs et les engagerait-il à construire de la cohérence dans les aides prodiguées aux élèves, mais aussi dans leurs pratiques d’équipes ?
Une partie de la réponse tient au fait que le maître + et les maîtres de classe sont enjoints à travailler dans un espace commun : « Cette dotation doit permettre la mise en place de nouvelles organisations pédagogiques, en priorité au sein même de la classe » (Ibid.). Il s’agit donc d’une remise en cause de leurs habitudes d’action mais aussi d’organisation et « contrairement à ce qu'on pourrait croire, le dispositif n'est [alors] pas synonyme d'un allégement de charges pour les enseignants. Il suppose de nouvelles tâches, de nouvelles règles de travail à établir, une ouverture de la classe quand beaucoup d'enseignants en parlent encore en utilisant le possessif - "ma classe". S'il n'y a pas de remise en jeu des pratiques, la mesure peut s'avérer coûteuse et peu utile » (Lantheaume, citée par Le Monde, 15/01/2013).
Quelles conditions seraient alors nécessaires à ces modifications des pratiques, à cette recherche de plus d’efficacité ? L’accompagnement des équipes, la nature des collaborations entre acteurs et la nature des situations proposées aux élèves seront certainement des axes à privilégier. Ce dispositif « plus de maîtres que de classe » rend donc nécessaire une attention du côté des pratiques des équipes de circonscription, de celles des équipes d’école, mais aussi celles de chaque enseignant. L’ambition de cet article est de mettre au jour, dans l’état actuel de l’avancée de nos recherches, un certain nombre de points de vigilance.
Partie 1
Dans cette première partie, nous présenterons les prescriptions primaires, issues des textes ministériels et repèrerons ainsi les attentes formulées par l’institution. Nous mettrons ensuite au jour les prescriptions secondaires, instillées par les équipes de circonscription et les enseignants eux-mêmes et qui révèlent leurs premières représentations du dispositif.
Les prescriptions primaires
Ce dispositif a deux enjeux majeurs, il s’agit de prévenir les difficultés de certains élèves, mais aussi d’y remédier, quand elles existent déjà.
La circulaire (Circ. 2012-201), très concise, fournit seulement de grands axes de mise en œuvre, voulant laisser de la souplesse aux acteurs : « Il appartient pleinement aux équipes de définir la cohérence des interventions pour garantir l'efficacité du dispositif et des modalités choisies » (Ibid.). Nous en avons synthétisé les préconisations dans le tableau ci-dessous.
|
|
Ce dispositif cible résolument les apprentissages, « directement en phase avec les activités scolaires » (Suchaut, 2009) puisque « l'action sera prioritairement centrée sur l'acquisition des instruments fondamentaux de la connaissance (expression orale et écrite, mathématiques) et de la méthodologie du travail scolaire » (Circ. 2012-201). Il concerne plus particulièrement les élèves de maternelle et cycle 2 et engage toute une équipe dans des actions denses, en rupture avec un saupoudrage.
Cette circulaire reste en revanche discrète sur le profil des élèves : est-ce un dispositif pour tous ou pour quelques uns, pour des élèves qui présentent des difficultés ou des grandes difficultés ? Ces questions semblent être laissées à l’appréciation des acteurs locaux.
En consolidation de cette circulaire et pour étoffer les pistes de mise des œuvre des équipes, le ministère a produit un document-guide, « les 10 repères », pour baliser le +DMQDC, en poser des principes et orienter les actions des enseignants. Nous en avons retenus trois principaux.
« Ce n’est pas le maître supplémentaire qui aide, c’est le dispositif », le maître + n’en porte donc pas l’entière responsabilité. D’emblée, apparaît le refus d’une personnification, c’est-à-dire d’une réduction du dispositif à une personne et rappelle la dimension collective d’équipe.
« Ce maître n’est pas le spécialiste des élèves en difficulté » et, en cela, le dispositif se dissocie du RASED. Le maître + est un maître « ordinaire » qui agit au même titre que les autres enseignants. La réponse à la difficulté n’est pas à trouver dans une expertise exceptionnelle, même si des enseignants expérimentés sont incités à occuper ces postes.
« A certains moments, pour le titulaire de la classe, le changement de points de vue, de posture, peut être bénéfique pour affiner ou faire évoluer les pratiques » : le maître + ne travaillera pas exclusivement avec des élèves en difficulté, c’est aussi le rôle du maître de la classe. Travailler à deux revient alors à optimiser le potentiel d’actions de chacun (dont les observations in situ font partie).
Ces 10 repères peuvent se lire sous deux angles, celui d’une aide directe auprès des élèves, mais aussi celui d’une aide indirecte qui positionne le maître + en ressource pour l’équipe.
Aide directe | Aide indirecte |
---|---|
|
|
Les prescriptions secondaires
Tout concourt à dire, à la lecture de ces prescriptions primaires, qu’il y a nécessité de modifier le rapport collectif des professionnels à la difficulté. Transformer les pratiques va donc imposer de penser la classe différemment et « de se défaire des effets de "naturalité" quant aux pratiques précédentes » (Joshua & Lahire, 1999, p. 31). Mais se départir de ses manières usuelles de penser la classe et l’enseignement-apprentissage est difficile. La preuve en est dans cette photo diffusée « Le Monde » (daté du 15/01/2013). Choisie par ce journal comme emblème du dispositif, donc comme une représentation de qu’il est bien de faire (ou peut être même de ce qu’il faut faire), son analyse recèle pourtant des idéologies et des doxas qui traversent le métier et qui ne sont que très partiellement en phase avec le dispositif. Nous allons tenter de le montrer.
Dans cette classe, travaillent trois adultes (nous avons placé un cadre autour de chacun d’eux), l’enseignant de la classe, le maître + et un Auxiliaire de Vie Scolaire. Chacun s’adresse à un public spécifique, l’homme (1) à un groupe de 4 élèves installés en îlot, la femme (2) au reste du groupe, l’AVS (3) à l’élève qu’il accompagne. L’enseignant pointe un mot au tableau, l’enseignante est, elle, tournée vers un autre affichage et désigne ce qui paraît être une photo. L’AVS, quant à lui, est assis à côté de l’élève handicapé qu’il accompagne, dans un coin de la classe (d’où il est d’ailleurs impossible de voir l’affichage pointé par l’enseignante). Deux territoires[2] distincts se dessinent : celui du collectif (sous la responsabilité de l’enseignante), celui du groupe restreint d’élèves (sous la responsabilité de l’enseignant). Une nette scission apparaît entre ce que fait le collectif et ce que fait le groupe restreint (d’où le segment oblique qui coupe l’espace classe en deux parties, (4)), scission accentuée par le fait qu’il n’est pas question des mêmes objets apprentissage. Le rapport de la DEPP (2004) pointait déjà, dans son évaluation le risque suivant : « ces dispositifs sont souvent le résultat, à un moment donné, des disponibilités et des projets des uns et des autres, plus qu’ils ne s’insèrent dans un plan d’actions collectif ». Certains élèves sont ici dissociés des enjeux de savoir, communs à la classe, ce qui provoque un dédoublement du temps didactique. Or, nos travaux de recherche (Toullec-Théry & Marlot) attestent que ces manières de faire ont un effet très différenciateur sur les élèves en difficulté, si ces derniers sont régulièrement exposés à cette organisation. En effet, « les apprentissages se réalisent principalement au sein du groupe classe et le temps d’engagement de l’élève dans les activités scolaires est peut être le levier central sur lequel on doit agir » (Attali, Bressoux, 2002).
Cette photo nous questionne alors : en quoi coïncide-t-elle à la co-intervention prônée par la circulaire ? En quoi cette situation atteste-t-elle d’une internalisation, vue comme une recollectivisation des apprentissages ?
Proposer ce format d’intervention à la une d’un quotidien peut être préjudiciable s’il est effet interprété par le lecteur comme l’organisation idéale : le « choc » des photos prévaut parfois et agit dans la construction de repères professionnels.
L’article s’intitulant « Plus de maîtres que de classes pour accompagner les élèves en difficulté » conforte de plus un autre « allant de soi » qui consiste à plutôt envisager le maître + comme celui qui s’attelle à l’aide aux élèves les plus fragiles. Ce titre préconise implicitement de constituer des groupes « à part » et donc de s’engager dans une « logique basée sur les moyens supplémentaires qui peuvent être alloués à une population d’élève particulière, censée devoir bénéficier d’un appui. Ces moyens se concrétisent majoritairement par des ressources additionnelles en heures ou en, ce qui conduit à des taux d’encadrement plus avantageux et à des utilisations spécifiques de ces ressources pour des actions ciblées » (Suchaut, 2009), mais qui peut s’avérer un risque majeur. Nos recherches (Toullec-Théry et Marlot) ont en effet montré que :
- travailler avec un groupe homogène « faible » déstabilise les pratiques des enseignants (qui ont l’habitude de s’adresser à l’hétérogénéité d’un collectif) et s’avère souvent peu efficace ;
- déléguer l’aide à un autre maître aboutit, si c’est une modalité choisie fréquemment, à une forme de relégation des élèves en difficulté, surtout quand les enjeux de l’aide ne sont pas explicités entre les adultes.
Partie 2
Après cette première partie très générale de mise au jour des attentes et des conditions de mise en place du dispositif PDMQC, nous changeons de grain d’analyse et nous attelons à la description, dans deux départements différents, de 2 dispositifs contrastés dont nous étudions actuellement les pratiques. Il s’agit, pour nous, de lieux d’investigation qui correspondent à notre volonté de chercheurs de « contribuer à un projet de reconstruction d’une forme scolaire » (Sensevy, 2011, p.739) où « l’organisation et la réorganisation temporelle de l’enseignement [devient] un objet de recherche essentiel » (Ibid., p. 740).
Notre méthodologie de recueil de données
Nous avons, d’une part, interviewé l’ensemble des acteurs impliqués dans ces deux dispositifs, à plusieurs strates hiérarchiques, incluant les niveaux décisionnaires départementaux (DASEN ou IA adjoint) et locaux (IEN et CPC), mais aussi les équipes d’école, les maîtres + et les membres des RASED. Nous avons, d’autre part, filmé des pratiques effectives[3] des maîtres + et de quelques maîtres des écoles.
Cet article correspond au premier temps de notre recherche, vu comme une investigation initiale nous donnant accès à une compréhension des atouts et des contraintes locales. Notre ambition sera, dans un second temps de la recherche (dès la rentrée 2014), de construire une ingénierie coopérative et de travailler non plus sur les pratiques des équipes, mais avec les équipes, d’autant plus que cette recherche vient d’être retenue pour faire partie des réseaux LéA (lieux d’éducation associés) coordonnés par l’Institut Français d’Education (IFé).
Un dispositif implanté depuis plusieurs années dans un REP urbain
Dans certains territoires, des postes de maîtres surnuméraires ont perduré, traces du dispositif précédent (2004). C’est le cas de la circonscription urbaine, classée en REP, que nous étudions. Si 3 de ces postes existent encore, une renégociation de leurs missions et de leur organisation a été amorcée, sous l’impulsion de l’Inspectrice de l’Education nationale (IEN) et de l’équipe de circonscription. Actuellement, les 3 maîtres + (appelés MS[4]), employés à temps plein et titulaires de leur poste, fonctionnent sur les 4 écoles REP de la circonscription. Ce dispositif est piloté par la circonscription et quelques principes clé ont été érigés. Il s’adresse à tous les élèves. Une évaluation de début d’année est préparée et passée par les conseillers pédagogiques de la circonscription et les MS, évaluation qui a pour ambition de mettre au jour les besoins des élèves des 4 écoles. Le planning des interventions des MS est décidé en équipe de circonscription (IEN, CPC, coordonnateur REP, MS). Leurs actions se déroulent soit sur un temps long (de l’ordre d’une période au moins) soit sur des temps massés (une semaine par exemple consacrée à la mise en œuvre d’un projet). Ce sont trois « maîtres surnuméraires (MS) volants », c’est-à-dire qu’ils ne fonctionnent pas dans chaque école par journées complètes, mais par demi-journées. Deux d’entre eux agissent toujours en doublette (ils partagent donc le même emploi du temps).
Un dispositif récent dans un secteur rural d’école à aider
Les choix opérés dans l’autre territoire étudié, rural cette fois, sont différents. Le groupe scolaire étudié, classé dans « les écoles à aider », regroupe 9 classes (6 classes élémentaires, 3 classes de maternelle). Un emploi à mi-temps de M+ y a été implanté à la rentrée dernière. Même si le choix de cette école a incombé à l’IEN et son équipe de Conseillers pédagogiques (après une analyse des besoins des écoles de la circonscription), l’organisation du dispositif est largement laissée à l’initiative de l’équipe d’école (avec l’accompagnement ponctuel d’un conseiller pédagogique). Cinq indicateurs ont présidé au choix de l’école : le taux de redoublement, la répartition des Catégories Socio Professionnelles (et une priorité aux écoles à aider), les Programmes Personnalisés de Réussite Educative (PPRE), l’isolement de l’école, l’adéquation avec le projet d’école.
L’équipe d’école que nous étudions s’est, elle, accordée sur quelques principes : le M+ intervient plutôt 2 fois par semaine avec chaque groupe classe, selon deux modalités : 1 temps (45 min environ) avec un groupe d’élèves repérés en difficulté et un autre, en co-intervention avec l’enseignant dans la classe.
De premiers résultats qui attestent d’un certain nombre de convergences
Des écoles satisfaites de la présence d’un M+
Il ne fait pas de doute que ce dispositif répond aux attentes des enseignants dans ces deux secteurs, il est en effet plébiscité, même si la coordonnatrice du REP dit : « J’ai l’impression quand même que pour beaucoup, c’est un dispositif qui est à côté des pratiques des enseignants [des classes] ». Les équipes des écoles étudiées (les maîtres de classe mais aussi les M+) parlent d’une dynamique collective, d’une réelle motivation à s’atteler à la réflexion autour de la mise en oeuvre du dispositif, d’interactions nouvelles qui créent un dé-isolement de un maître de classe, d’un « parler pédagogie » réactivé car obligatoire, avec des réunions d’école où l’on évoque des situations d’enseignement et d’apprentissage.
MC CM2 secteur rural (à M+) : « Tu donnes des idées auxquelles je ne pense pas toujours. J’essaie de mettre en place quelques idées et c’est bien sympa. On n’est pas tout seul avec, avoir un point de vue extérieur, c’est bien ».
Si le M+ (ou MS) est plutôt évoqué dans ses tâches d’aide directe aux élèves, il est donc aussi apprécié comme une aide aux enseignants (que l’on pourrait qualifier d’aide indirecte) en ce qui concerne la difficulté scolaire, mais ces M+ (ou MS) n’apprécient pas l’expression personne ressource qu’il laissent aux conseillers pédagogiques.
Le principe d’un maître + est donc apprécié, en revanche, c’est quelquefois le dispositif et son organisation qui provoquent des complications dans la mise en place des pratiques in situ. Voici ce qu’évoquent les enseignants de l’école rurale dont, rappelons-le, c’est la première année de fonctionnement.
MC CP : « Moi, j’avais noté qu’il y avait des contraintes du point de vue de l’emploi du temps qui était très compliqué » ; MC CE1 : « ça demande de la rigueur, des horaires pour toute l’équipe » ; MC CM2 : « c’est très compliqué, là franchement, il y a des trucs que je n’arrive plus à faire dans cette période-ci. Entre les temps de décloisonnement et y a des échanges de services, des inclusions et y a deux de mes élèves qui vont aller en SEGPA » ; MC CE2 : « C’est vrai que nos emplois du temps sont très compliqués dès qu’on veut toucher à quelque chose, il y a des réactions en chaîne ». |
Ces enseignants de classe s’accordent sur un net avantage à travailler avec des groupes d’élèves plus restreints (avantage pour les enseignants, mais aussi pour les élèves). Ils mettent d’emblée en avant des aspects comportementaux positifs (c’est a priori le transversal qui prime sur les apprentissages) : un investissement incontestable des élèves, plus de « motivation » (c’est le mot qui revient le plus fréquemment dans les discours), une meilleure « concentration ». M+ dit que chaque élève a « le temps de donner son avis (…) de donner sa réponse et de l’expliquer » » qu’ils « osent se tromper, poser des questions ».
MC CM2 : Les élèves « ont beaucoup de recul sur ce qu’ils ont appris, à quoi ça leur sert, ce qui leur reste à faire et sur les avantages qu’ils trouvent à ce fonctionnement là ».
Un autre bémol transparaît dans les discours : les enseignants des classes (et les directeurs des écoles) préfèreraient que chaque M+ (ou MS) soit affecté à plein temps dans un groupe scolaire. On voit apparaître ici, certes l’intérêt que les maîtres voient dans les possibilités d’organisation diverses qu’ouvre ce poste « en plus », mais ils expriment aussi le souci que le M+ soit un maître comme tous ceux du groupe scolaire, assujetti aux mêmes obligations (conseil des maîtres, réunions, surveillance de cour, …). L’égalité des tâches et des traitements est un élément sensible chez ces maîtres des écoles.
Et des maîtres + globalement satisfaits de leurs postes
C’est un poste, aux dires des 4 M+ et MS étudiés, qui permet de prendre du recul par rapport à sa propre pratique précédente de classe et qui donne du temps pour réfléchir aux manières d’aborder certaines notions avec les élèves. L’un d’entre eux (MS du secteur urbain) dit qu’il enrichit ses pratiques parce qu’il ne se sent pas seul:
« Je vis des choses que je peux communiquer aux autres, de dire j’ai vu ça, de voir différentes façons de fonctionner, je peux de temps en temps donner une idée à l’enseignant en disant, j’ai fait ça ou j’ai vu ça. J’ai aussi appris plein de trucs, avec ce que j’ai vu dans une classe de CP avec un enseignant qui bosse depuis 20 ans ou par rapport à l’arbre aux syllabes que je trouve excellent » (GP, MS).
Ces M+ vivent une situation professionnelle qui leur permet d’essayer, d’expérimenter. Ils ont aussi l’« impression de servir à quelque chose ». Mais cette position particulière n’est pas toujours simple face aux autres enseignants des écoles : « il faut déployer des trésors de diplomatie et quelque fois faire le dos rond » (In, MS). Ces M+ perçoivent aussi leurs limites parce qu’ils ne se sentent pas suffisamment formés : « quand on commence à monter, à pérenniser ou à insuffler, à donner des méthodes de travail, on est quand même bloqués par rapport à nos compétences » (GP, MS). Surtout que leurs missions les amènent à travailler avec de nombreux collègues, souvent trop nombreux, si des choix ne sont pas opérés. Cette MS a d’ailleurs décidé de ne pas demander ce poste pour la rentrée prochaine : « 24 heures par semaine, là parfois on a eu jusqu’à 7 niveaux de la GS à la 6ème, et ça je sais que ça je ne veux plus le revivre (…), mais c’est très lourd d’une discipline à l’autre, c’est très dur, très lourd. Il faudrait adapter les services » (SP, MS). La charge de travail est donc très lourde « C’est très intense; il faut être en forme, très en forme » (MS, In). Dans ce secteur urbain, le MS travaille avec l’ensemble des élèves des écoles et « un enseignant dans une classe, il voit sa classe. Un MS il voit l’école de 7-8 classes. Donc c’est pas la même chose psychologiquement » (MS, SP). Si cette multiplicité d’élèves peut être vue comme un inconvénient, elle peut aussi être vécue comme un avantage : « On a plus de recul, on est moins dans l’affectif. Je pense qu’on est plus lucide pour certains enfants par rapport à leurs difficultés. Moi, j’ai l’impression que la plupart du temps les maîtres ont tendance à positiver par rapport à nous quand on a l’impression qu’un enfant, eh ben, dis donc, quand même là, c’est difficile » (MS, Ing). Le MS développe ainsi une autre relation à l’élève qui peut se révéler libératrice pour l’élève :
« Il y a une neutralité entre l’élève et l’enseignant. Je prends un exemple. Quand on est titulaire de la classe, quand on attend depuis une semaine qu’il [que l’élève] n’a pas signé le cahier de liaison à propos d’une sortie au cinéma, il y a tous ces parasites, qu’il vient de se faire gronder parce qu’il a très mal travaillé, on est un peu agacé, que aujourd’hui la récréation c’est carton plein, en plus on était de service. Moi je suis totalement neutre, j’arrive pour un atelier de lecture avec une disponibilité complète et si ça se passe mal avec lui, si ça n’a pas été efficace je vais le quitter à midi et je vais le revoir, je ne l’ai pas 3 heures cet après-midi, et quand je le revois on a tout remis à zéro. C’est un autre type de fonctionnement. mais on obtient aussi certaines choses de l’enfant parce qu’on l’a pas toute la journée » (GP, MS).
Dans le secteur rural, comme le choix s’est porté sur une aide du M+ seulement aux élèves qui présentent des difficultés (et non à l’ensemble des élèves comme dans le secteur urbain), il est alors aux prises avec la question de la difficulté, mais aussi de la grande difficulté, voire du handicap :
« Mais c’est délicat parce que je m’en veux parce qu’il y a des élèves qui sont en très grande difficulté dans les classes et on est en attente soit du RASED, soit d’un dossier MDPH, soit d’une prise en charge extérieure qui n’est pas encore faite. Donc, on les laisse de côté et c’est vrai que des fois c’est délicat pour moi de me dire, moi je suis là dans ces situations où j’ai des petits groupes d’élèves où c’est assez confortable pour plein de choses et cet élève-là on le laisse dans la classe. Je m’en veux vis-à-vis de l’élève. Je peux m’en vouloir vis-à-vis des collègues de me dire je les laisse en fait gérer ce problème. Après sans ce dispositif les élèves ne très grande difficulté on en fait toujours normalement, on les aide, c’est que le dispositif doit pas supprimer cette différenciation ».
Le M+ est ainsi aux prises avec des tensions professionnelles : il regrette de ne pouvoir résoudre l’ensemble des difficultés, comme si le M+ devait résoudre à lui seul la difficulté d’apprentissage. On perçoit ici la difficulté pour les acteurs de hiérarchiser les priorités et s’y tenir.
Une autonomie « encadrée » pour les équipes d’école
Les termes d’autonomie de décision et de mise en œuvre se retrouvent dans l’ensemble des discours, quel que soit le département. Ainsi, dans le département où se situe l’école rurale étudiée, le DASEN suscite une forme de management quelque peu inhabituelle qui nécessite un travail collaboratif entre IEN et écoles, par exemple dans le choix du maître + de l’école : « Donc, euh, être un initiateur du travail d’équipe, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais ça a donc amené les inspecteurs, à ma demande, à identifier par un dialogue avec les équipes, la personne qui était volontaire pour le faire ». Dans ce département, une formation de trois journées concerne alors tous les acteurs, IEN, conseillers pédagogiques et M+. L’idée, pour l’IEN adjoint au 1er degré de ce même département, est de « cadrer le moins possible pour éviter, je dirais, d'enfermer, de contraindre de façon trop importante au départ. L'idée quand même sur laquelle moi je tiens, c'est avec le concours d'un certain nombre de chercheurs, c'est de permettre justement une authentique réflexion pédagogique, didactique, de manière à ce qu'on construise le dispositif en même temps qu'on l'installe. Chacun est acteur et c'est pas aux inspecteurs, pas plus qu'aux conseillers pédagogiques de définir a priori les modalités de travail, me semble-t-il ».
Si les 2 IEN des circonscriptions disent également laisser aux équipes, une autonomie de décision et d’actions, une nécessaire « souplesse » et de possibles « reconfigurations à envisager tout au long de l’année », les manières d’envisager l’organisation des dispositifs sont divergentes.
En accord avec la politique départementale, l’IEN de la circonscription de l’école rurale adopte une posture plus proche de l’accompagnement, ce qui ne l’empêche pas de donner des conseils et d’outiller les maîtres.
« Moi, je leur laisse le temps de s'approprier ce dispositif, c'est ce qui a été dit à la formation ». « Je pense que chacun expérimente dans son coin, moi je n'ai rien imposé au départ, mis à part effectivement que ça concerne plutôt les fondamentaux ». Mon rôle, « c'est d'essayer de faire avancer la réflexion, c'est-à-dire qu'ils étaient un peu coincés sur les outils à utiliser par exemple en début d'année sur l'évaluation diagnostique. C'était sur le projet de lecteur donc je leur ai proposé des outils, je leur donne des pistes de lectures, des choses comme ça, mais je crois qu'on avance ensemble, c'est vraiment dans l'interaction qu'on arrive à poser des choses sur le papier et à faire que ça avance ». « Je laisse une très grande latitude car je pense qu'ils connaissent mieux leurs élèves que moi déjà et puis il me semble qu'il faut qu'ils essaient toutes les modalités pour voir celle qui, finalement, va produire le plus d'effets. Et c'est peut-être aussi l'alternance de ces modalités qui va produire les effets. Donc on ne sait pas en fin de compte, c'est compliqué, et d'une école à l'autre, c'est vrai qu'il y a des dispositifs qui se ressemblent, mais ils ne les utilisent pas de la même manière ». |
La nature inédite de cette manière de faire et de manager les équipes questionne cet IEN. Il évoque ainsi ses incertitudes quant à certains des choix qu’il a opérés (un dispositif qui ne s’appuie pas sur un projet émanant des écoles, des M+ à temps partagés sur plusieurs écoles), mais aussi ceux que les écoles ont effectués (le M+ s’attache principalement à l’aide aux élèves qui présentent des difficultés).
« Mais après je me dis est-ce que j'ai bien fait de ne pas imposer certaines choses, mais d'un autre côté on est dans une dynamique de recherche, donc on ne peut pas imposer. Il faut aussi que les gens se rendent compte par eux-mêmes que voilà, là on n’a peut-être pas fait les bons choix, on peut peut-être réajuster ». Je pensais plutôt « que l'enseignant de la classe allait se débrouiller pour prendre les élèves en difficulté et que pendant ce temps là le maître nommé sur cette école pourrait prendre le reste des élèves qui n'avaient pas de difficulté particulière. Mais ça ne s'est pas passé comme ça, c'est-à-dire qu'ils ont fait un petit peu l'inverse ». « Je commence vraiment à m'interroger sur le choix de répartir le maître supplémentaire sur plusieurs écoles. Parce que, effectivement, tout le monde est content, mais tout le monde en voudrait plus, ce qui ne me parait pas possible de toute façon en termes de postes budgétaires pour l'instant ». « On en est là tous, que ce soit l'institution ou les équipes enseignantes, à savoir est-ce qu'on n’est pas allés un peu partout et qu'on saupoudre au lieu d'aller au fond des choses sur par exemple une classe ou un niveau de classe ou sur un domaine particulier ». L’année prochaine, « je vais procéder autrement, si par chance nous obtenons encore des postes. Là, je vais faire un appel à projet, parce que ce que j'ai envisagé c'est que les gens qui font partie du dispositif présentent en réunion de directeurs ce qui s'y passe, ce qui s'y fait, pourquoi on le fait comme ça, etc. Qu'il y ait vraiment une présentation de ce travail là de l'année, en fin d'année on va présenter ça, aux autres écoles et après un appel à projet qui permettrait de... Alors à croiser avec les indicateurs de circonscription bien entendu ». |
L’IEN du secteur urbain, avec des ambitions équivalentes d’accompagnement des équipes, agit différemment. Rappelons que le dispositif est mis en place depuis plusieurs années et que cet IEN le pilote depuis 3 ans. C’est l’équipe de circonscription qui impulse la politique d’aide, avec l’espoir ainsi qu’elle diffusera ensuite dans les pratiques ordinaires des enseignants des écoles, les modifiera. Ce sont alors les actions des MS envisagées comme « force de proposition » qui oeuvreront à produire ces effets modificateurs :
« Quand j’ai présenté le dispositif aux écoles, je suis partie des items [des évaluations] chutés, bon ben de toute façon c’était pas un scoop, ils les connaissaient les items chutés depuis des années comme disait l’équipe. Après j’ai proposé le dispositif, en disant on masse, on met en cohorte, on va répartir les enfants de manière hétérogène, pour travailler sur ces compétences, ces objets-là. « Moi, ce dont je voulais m’assurer c’est que tous les élèves d’une même cohorte d’une même école puissent bénéficier de ces apprentissages avec les MS, être sûr que dans une classe, on va travailler plus ça et tous les autres du coup/ on est sur une logique de réseau en plus. En fait ce que j’ai essayé de voir c’est réduire l’effet établissement et l’effet maître ». « L’idée c’était de demander au MS d’être force de proposition auprès des professeurs des écoles pour leur proposer une progression ». « Mais, au départ, les MS sont force de proposition, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas là pour attendre que le professeur leur dise, ben, j’aimerais bien aujourd’hui que tu me fasses un peu de production écrite. Non c’est pas ça, on est vraiment sur des cibles d’apprentissage [liés aux items chutés des évaluations] ». « L’hypothèse étant que les MS sont force de proposition sur des contenus réfléchis ensemble, ça puisse faire bouger les lignes pour certains enseignants qui pourraient après s’emparer et continuer dans cette logique là ». Les MS et les enseignants « se mettent ensuite d’accord sur la façon dont ils vont gérer les groupes, comment ils vont s’y prendre. Après, ils se mettent d’accord sur le fonctionnement au niveau de la période, quel groupe, quel adulte prend quel groupe, quelquefois dans certaines classes c’est des groupes hétérogènes, mais avec des gradients, quelquefois c’est le maître de la classe qui veut prendre les groupes d’élèves plus faibles. Enfin, tu vois, après c’est eux qui gèrent ». Les évaluations, « ça permet d’avoir des données et un système d’analyses de données. On ne fait pas des évaluations pour faire des évaluations, mais on fait des évaluations pour redonner après aux équipes les pourcentages de réussite des élèves et donc après on a des réunions de travail avec les équipes où on analyse le parcours de chacun des élèves. Et comme ça, on peut croiser à fois ce que ressent le professeur lui dans sa classe et ce que disent les évaluations qu’on fait passer ». |
Nous constatons ici que le choix de la forme de pilotage a des incidences fortes sur la configuration du dispositif. La circonscription urbaine a opéré un choix de pilotage de circonscription où l’organe premier de décision est la circonscription, les négociations maître de classe/MS viennent une fois les indicateurs de circonscription posés. La question de l’équité entre écoles dans le REP joue un rôle non négligeable dans ce choix. En revanche, dans le secteur rural, l’organe premier de décision est l’école, les choix d’organisation et de contenus sont opérés par l’équipe d’école et se développent des fonctionnements différents du dispositif selon chaque école dans lequel il est implanté.
Des maîtres + qui ne sont pas des enseignants de l’école
Si dans la circulaire il est préconisé qu’un maître de l’école occupe le poste de M+, la réalité de notre contexte d’étude est autre. Ainsi, aucun des maîtres des écoles n’a « laissé » son poste et des enseignants de l’extérieur sont arrivés. Ces postes ne s’avèrent donc pas très attractifs. Les IEN ont porté un avis sur la candidature des enseignants qui ont demandé ces postes. Dans le département de l’école rurale étudiée, le DASEN a ainsi demandé aux IEN d’être attentifs à ne pas « laisser arriver par le mouvement un personnel juste alléché par la notoriété géographique du poste et moyennement concerné par le sujet ». L’adhésion au projet est donc recherchée.
Dans le secteur urbain, les 3 MS sont des maîtres chevronnés, ce qui n’est pas le cas dans le secteur rural (où le M+ est un enseignant avec 3 années d’ancienneté, mais qui avait déjà effectué un remplacement dans l’école).
Le fait que le M+ ou MS soit nommé à titre provisoire pour un an semble ne pas aider à l’attractivité, mais les affectations sur des temps partiels non plus.
Un lien solide avec les compétences du socle
Le travail engagé dans les écoles étudiées cible très majoritairement des compétences en mathématiques ou en français. Il y a donc une nette centration sur les apprentissages fondamentaux, mais nous notons que moins un lien existe entre le maître + et le maître de classe, plus ce sont des compétences transversales (méthodologie, confiance en soi, motivation…) qui sont ciblées par le M+.
Ces dispositifs marquent aussi une nette centration sur la difficulté scolaire. Les acteurs interviewés évoquent en effet d’emblée les élèves en difficulté, même si dans notre secteur urbain, les MS travaillent avec tous les élèves, alors que dans le secteur rural, le M+, en revanche, s’adresse uniquement aux élèves en difficulté, sauf dans une classe de CE1 où c’est le MC qui travaille avec eux.
Articulations entre dispositifs d’aide
Dans les discours tant des équipes de circonscription que des équipes d’écoles (dont les M+), la mise en place de ce dispositif ne fait pas écho à celle des Activités Pédagogiques Complémentaires (APC) qui débutent pourtant simultanément. Le +DMQDC polarise l’attention des enseignants au détriment des APC. En revanche, le lien avec le RASED et la recherche d’une adéquation des propositions d’aide est systématiquement évoqué (question du choix et de la répartition des élèves dans les deux dispositifs selon qu’ils sont en difficulté ou en grande difficulté). Dans le secteur rural, ces deux dispositifs s’articulent « naturellement » disent les acteurs de terrain.
Psychologue scolaire : « On est très à l’aise par rapport au maître + du fait qu’on [le RASED] ne couvre pas toute la demande. Le fait qu’il y ait quelqu’un qui fasse quelque chose, c’est moins de stress pour nous. Il y a des réseaux où ils pourraient se dire, le maître + gère tel ou tel élève. Nous on ne va pas du tout avoir cette manière de voir parce que on est tellement en sous effectif depuis longtemps qu’on est habitué à ce que de toute façon il y a une partie des élèves qu’on ne peut pas aider autant qu’on voudrait »
Maître spécialisé option G : « Moi, je ne le [le dispositif +DMQDC] vois pas du tout comme une menace. Il y a quelques élèves qu’on a en commun avec le M+. Mais ça dépend aussi beaucoup de la qualité du M+ et de son adaptabilité ».
En revanche, dans le milieu urbain, une certaine concurrence et des démarches manifestement peu harmonisées sont évoquées entre les deux dispositifs. L’IEN évoque les logiques qui s’avèrent incompatibles entre circonscription et RASED :
« Et tu vois là, ce qui est intéressant avec les évaluations, ce que fait l’équipe de circonscription, c’est que du coup, on a le nom des élèves et on voit et on peut croiser les résultats avec les professeurs et c’est là que ça achoppe au niveau des maîtres E qui, au début, disaient au nom de la confidentialité, vous ne pouvez pas faire des choses comme ça parce qu’on est dans de la confidentialité. Ils ne veulent pas nous communiquer les noms, ils donnent toujours des résultats anonymés à l’inspecteur. Donc, c’est là qu’on a des difficultés à travailler ensemble. Donc, du coup là, on les invite à nos réunions d’analyse des résultats et que je dis cet enfant là Julian par exemple. Eh ben, moi je le suis, dit la maître G ou la maître E, mais il ne dit rien de plus ».
La ME du RASED explicite, de son côté, ce que les logiques du ME et du MS portent comme différences : « Pour moi, en tant que ME, il me semble important de continuer à travailler en dehors de la classe et pas à partir des programmes du BO, mais à partir des difficultés des élèves. On part toujours de ça, c’est ça la priorité et à partir de ces difficultés, on met en place un projet et ça va être sur ça, sur l’évolution de l’élève par rapport à ses apprentissages. On est toujours dans les apprentissages, mais on part de l’élève, alors que les MS partent d’objectifs qui vont emmener toute une cohorte de gamins vers quelque chose ».
Les relations sont rendues difficiles par un certain nombre de spécificités de territoires et d’identité professionnelle des différents acteurs.
Des questions qui émergent
S’il y a, comme nous venons de l’évoquer, des éléments qui rapprochent les deux circonscriptions, de nombreuses questions émergent.
La question de la stabilisation du dispositif
On ne peut déjà pronostiquer le devenir des dispositifs qui ont vu le jour lors de la dernière rentrée (cas de l’école rurale), mais dans le secteur urbain étudié, ce dispositif déjà ancien (6 ans) peine à se stabiliser. Son fonctionnement est reconsidéré tous les ans et un bon nombre d’actions ne se pérennisent pas. Qu’est-ce qui peut expliquer cet état de fait ?
L’équipe de circonscription et les MS conviennent qu’il est nécessaire de s’attacher à des besoins repérés chez les élèves. Des évaluations sont donc organisées chaque année et provoquent la reconsidération des organisations, même quand le dispositif s’adresse à tous les élèves de l’école. Nous interrogeons ce choix dans la mesure où les obstacles rencontrés par les élèves seront vraisemblablement équivalents d’une année à l’autre (l’IEN de REP dit d’ailleurs que les enseignants et l’équipe de circonscription savent par avance quels items seront chutés). Il serait alors judicieux (en tous les cas pour ne pas provoquer l’épuisement des professionnels) de repérer des permanences, gages d’efficacité et ainsi permettre une certaine stabilisation du dispositif. Or, l’expression « ça dépend » domine chez les différents IEN et les M+ (ou MS) : le dispositif et sa mise en œuvre dépendraient de l’école, de la classe, de l’enseignant, des élèves, des années. Et ce désir d’accéder aux besoins de chacun provoque des effets que nous questionnons.
Dans le secteur de ville étudié, des évaluations spécifiques, centrées sur les mathématiques et le français, et construites par la circonscription et passées par les conseillers pédagogiques, les MS et la coordonnatrice du REP, auprès de tous les élèves des écoles. Elles ont pour objectif de repérer les réussites et les difficultés des élèves et de concevoir ainsi les priorités dans les besoins des élèves. De même dans le secteur rural, des évaluations (mais moins systématiques) sont aussi effectuées par le M+. Nous questionnons la légitimité du statut obligatoire de ces évaluations, surtout quand L’IEN du secteur urbain déclare : « on est toujours sur les items chutés, c’est toujours les mêmes ».
Si les obstacles rencontrés par les élèves sont déjà repérés en amont (et ont donc une dimension générique), alors ces évaluations sont inutiles et chronophages ; une énergie importante en temps et en présence leur est en effet accordée, accentuée par la constitution et l’analyse de tableaux des résultats des élèves par cohorte. Mais l’effet le plus inquiétant, c’est que ces évaluations freinent voire empêchent la pérennisation (donc la stabilisation) d’actions d’aides, toujours soumises aux éventuelles fluctuations (qui pourtant ne s’avèrent pas si l’on s’en tient à ce que dit l’IEN) et remises en question.
« Oui, on ajuste, on ajuste en permanence en fonction aussi des remontées des collègues, des organisations qui peuvent être parfois bien sur le papier et puis qui ne sont pas toujours faisables » (coordonnatrice REP).
Ce modèle « évaluation/ mise en place du dispositif » polarise ainsi les acteurs sur les aspects organisationnels, les emplois du temps, mais aussi la composition des groupes. Tout se passe comme si la primauté accordée aux 3 questions- qui opère ? A qui s’adresser ? Pour faire quoi ?-, même si elles sont importantes, se faisait au détriment des contenus. Les situations d’enseignement-apprentissage et leur étude ne sont alors pas primordiales et ne deviennent pas, par manque de temps mais aussi de formation, le cœur du dispositif.
La figure ci-dessous synthétise notre analyse.
Si la nature des situations d’enseignement-apprentissage, s’il n’y a plus de le temps pour une analyse a priori épistémique, ni d’une collaboration avec l’enseignant de la classe, le risque existe alors d’un abandon des savoirs. Cette fiche, centrée sur la résolution de situations problème en mathématiques, proposée par un MS à un groupe hétérogène d’élèves de CM1, montre qu’ici le projet d’apprentissage est dévoyé.
Les élèves ne sont en effet pas invités à faire des mathématiques, puisque la localisation des mots clé et leur mise en correspondance suffisent pour recomposer le texte de chaque situation problème. De telles situations que les MS étudiés nomment du « boostage » (c’est-à-dire un renforcement des apprentissages) ciblent pourtant plus la réussite des élèves que leurs progrès. Ils se polarisent en effet sur la restauration de leur confiance, mais sans avancée en termes d’apprentissage. Ne serait-ce alors pas un leurre dans la mesure où la confiance ne peut venir sans un gain de compétences. En effet, « je m’estime si je peux » (Prairat, 2005). La question de la nature et de la qualité des outils dont se dotent les M+ se pose donc.
La question des outils et des territoires M+/MS
Comme nous l’avons dit précédemment, le temps imparti à la préparation des situations est relégué après les questions d’organisation. Les analyses de notre corpus montrent que les M+ se saisissent des outils de trois manières. Les outils choisis sont utilisés soit :
- uniquement par les M+ et leur territoire d’action est alors clos, et cet outil devient un marqueur de leur territoire. Ainsi les MS utilisent tous trois Fluence[5], cet outil est alors associé à l’action des MS. Les ME leur reprochent d’ailleurs de le leur avoir subtilisé.
- uniquement au départ par les M+, mais avec l’intention de le diffuser dans la classe et que le maître de classe l’utilise ensuite. Le M+ envisage son action comme pouvant produire une potentielle modification des pratiques de son collègue. Ainsi, un MS a mis en place des séances de production d’écrits, avec les CP d’une classe de CP-CE1, à partir de « Ecrire avec Ludo »[6]. Les échanges réguliers autour de cet outil ont suscité l’adhésion de l’enseignant de CP qui s’y est engagé à son tour. Nous sommes ici dans le cas d’un outil qui percole.
- par le M+ et le MC, ce qui nécessite une coopération importante, des préparations en amont. Cette configuration est donc la plus exigeante. De mêmes situations de jeux mathématiques sont ainsi souvent partagées par le M+ et l’enseignant de la classe.
Pour chacune de ces configurations, des risques existent. Nous les indiquons dans le schéma ci-dessous.
Quand un outil est créé à l’initiative du M+ dans le but de construire une liaison avec la classe, l’enseignant, même d’accord avec la démarche, peut ne pas la relayer : « alors moi, en point d’insatisfaction, c’est que j’oublie un peu de solliciter, de les inciter à se servir du cahier « pour m’aider » » (MC CE2-CM1). Cet outil, destiné à migrer d’un espace à l’autre, ne vit pas : « Du coup, c’est M+ qui le fait ce lien par contre je pense que moi personnellement je ne le fais pas assez sur les autres moments de la classe. Mais bon, on peut encore améliorer » (Ibid.). Il y a une réelle difficulté à faire que les outils de liaison deviennent nécessaires.
Ces configurations sont également influencés par la question des regroupements d’élèves qui est un des points névralgiques des tensions et dilemmes professionnel. Si les MS conviennent que l’hétérogénéité est plus simple à gérer dans un groupe (et d’ailleurs ils ont fait le choix de travailler avec l’ensemble des élèves d’une cohorte), ils ont quand même plutôt tendance, au fil de l’année, à conforter les groupes homogènes « faibles ». Les discours témoignent donc des paradoxes du métier.
« Le fait d’avoir des élèves un peu plus solides dans le groupe permettait aux autres d’avancer » (MS SP) « J’ai un travail avec des élèves de GS qui sont vraiment en perdition. Donc effectivement on a un groupe de niveau à cette période. Mais y en avait un sur la période précédente mais sur lequel on est revenu parce qu’on trouvait que ça manquait de dynamisme, mais en C3 » (MS In). « C’est vrai qu’on travaille mieux avec des groupes hétérogènes » (MS, In). « on alterne, mais plus on avance dans l’année plus on fait des groupes homogènes » (MS, SP). « le groupe homogène devient une situation d’aide individuelle avec des enfants en difficulté, un béquillage » (MS, GP) . |
La question de l’internalisation et de la co-intervention
Nous avons décelé une dispersion des opinions et une hétérogénéité des pratiques à propos de l’internalisation de l’aide. C’est un marqueur de différences entre les territoires étudiés, chez les cadres et chez les enseignants.
Chez les cadres du département du secteur rural étudié, les discours véhiculent la co-intervention comme le modèle d’action vers lequel il faudrait tendre. Le terme de co-intervention revient ainsi comme un leitmotiv chez le DASEN et l’IEN adjoint.
Le DASEN : « Cette modalité de co-intervention particulière est destinée à des élèves qui en ont besoin au sein d’autres qui n’en ont pas besoin ».
L’IEN adjoint 1er degré: « ça serait notre souhait plutôt de la co-intervention plutôt que de l'externalisation ou en tout cas de sortir de la classe ».
Ces acteurs sont un relais de la circulaire qui prescrit plutôt la co-intervention, mais ce terme semble transparent comme s’il renvoyait à une pratique consensuelle, ils ne définissent en effet pas concrètement à quelles pratiques effectives cette co-intervention correspondrait.
Le discours de l’IEN plébiscite en revanche de manière moins nette cette forme d’intervention dont elle interroge les formes potentielles :
« La co-intervention, la définition, elle n'est pas claire, enfin pour personne d'ailleurs, même moi j'ai bien du mal à la définir et on voit des formes de co-intervention vraiment différentes avec deux enseignants qui interviennent dans la classe, avec le maître de la classe qui intervient au niveau langagier et l'autre qui est en retrait, plutôt là pour accompagner le lancement dans l'activité, avec une externalisation en groupes de besoins, avec des décloisonnements de cycles... Je vois vraiment de tout et moi je prends ça vraiment sur le versant expérimentation, je me dis qu'il faut tenter les choses pour mesurer les effets. Si on impose je ne vois pas l'intérêt ».
La CPC milite, elle, pour « ne pas systématiquement extraire l'élève en difficulté des classes » et donc « plutôt de travailler en collaboration avec le maître de la classe ». En effet, elle assure que « sortir systématiquement les élèves de la classe, d'une part, ça peut les stigmatiser, d'autre part. Donc effectivement tout le processus affectif, enfin psychologique qu'il y a derrière qu'il peut y avoir d'extraire les élèves en difficulté ».
En revanche, la co-intervention n’apparaît pas comme une forme particulièrement préconisée ni chez le DASEN, l’IA adjoint et l’IEN dans le département de la circonscription urbaine étudiée.
Les modalités choisies dans chaque circonscription marquent d’ailleurs des choix distincts.
Secteur rural | Secteur urbain |
---|---|
|
|
Formes d’intervention privilégiées dans chaque secteur
Nous avons recensé ce que disent les enseignants à propos de la co-intervention au sein de l’espace classe. Ces discours « du terrain » révèlent que la co-intervention M+/MC dans la classe :
- n’est effectivement pas portée par les MS pour lesquels il n’y a pas nécessité pas de travail dans un même espace. Un espace dissocié est plus efficace selon eux ;
- est traduite in situ, dans le milieu rural, comme une nécessaire anticipation et partition des tâches, négociée entre le M+ et le MC puis, parfois, mais pas toujours d’une séance en classe avec le M+. Même s’ils ont choisi de co-intervenir au sein de l’espace classe, travailler dans deux espaces séparés présente en effet moins de contraintes.
Nous avons relevé certains verbatim dans les tableaux ci-dessous.
Ce que disent deux MC[7] du secteur rural sur la co-intervention définie comme une organisation à deux enseignants dans la classe. |
---|
MC CM2 : « Au niveau personnel, moi je trouve que c’est un confort au niveau de la co-intervention. Ca permet d’aller aussi vers d’autres élèves vers lesquels on ne va pas forcément ; soit les élèves qui sont en grande difficulté, ceux-là on s’en occupe, mais les élèves qui sont en petite difficulté qu’on n’a jamais trop le temps d’aider, on va plus vers eux. Ca rend plus disponible ». MC CE2-CM1 « Alors, c’est au moment de la lecture suivie, donc, c’est moi qui mène la séance et puis les élèves qu’elle [M+] prend en atelier sur l’autre moment[8], elle est avec eux ». |
Ce que disent ces deux enseignants n’éclaire pas vraiment ce qui se fait précisément dans les pratiques effectives. Qui représente ainsi le « on » utilisé par MC CM2 : le MC, le MS, les MC et MS ? Quand MC CE2-CM1 dit que M+ est « avec eux » ne révèle-t-elle pas ainsi que la co intervention se résumerait à une attention particulière de M+ aux élèves en difficulté avec lesquels elle travaille en atelier hors de la classe (une fois par semaine) ?
Les M+ ou MS sont-ils plus explicites ? Voici ci-dessous ce qu’ils disent.
Ce que disent les M+ et MS sur la co-intervention définie comme une organisation à deux enseignants dans la classe
M+ | MS |
---|---|
« Ce qui est intéressant dans ce temps là où je suis dans la classe, c’est que en général il va y avoir un temps collectif, alors soit lecture à voix haute, expliquer, corriger un questionnaire, enfin quelque chose comme ça. Dans ce temps, je reste en retrait, je m’assure juste qu’ils [les élèves avec lesquels le M+ travaille] sont en train de suivre l’activité, mais je suis en retrait, mais c’est là que j’ai plus de temps pour les observer. Quand je les observe, je me rends compte qu’il y en a qui font semblant de lire bien sûr, ils ont bien le livre ouvert, ils vont avoir le nez dedans, mais en fait, ils ne lisent pas du tout ». Mais le M+ se propose des évolutions en élément de changement des pratiques : « Ce serait intéressant que justement le temps de co-intervention ce ne soit plus moi qui soit en observation, mais en aide auprès des groupes d’élèves et que ce soit MC et que du coup, je gère le temps de lecture suivie ce qui lui permettrait à elle des choses, elle verrait peut être d’autres choses ». |
Les MS n’évoquent par spontanément la co-intervention, mais parce qu’ils sont sollicités Chercheur : Vous co-intervenez dans la classe ? MS (In) : « Non pas cette année, du tout ». MS (Sp) : « Moi, j’étais pas très favorable. Nous, on a des enfants, je vais dire enfant, qui, au niveau familial, sont très souvent dans le bruit. Donc là si on veut que les apprentissages soient efficaces, à un moment donné, il faut être dans le calme (…). ça demande un effort de concentration pour les apprentissages, il fallait évacuer le bruit. Etre dans un espace où chacun peut parler et être écouté ». MS (SP) On gagne « en calme, ce n’est pas un atelier petits chevaux, c’est beaucoup de combinatoire. Ce sont des élèves fragiles, des enfants dont le bruit les envahit non stop. Et puis le temps de chaque élève avec l’adulte est décuplé et sans être parasité ». MS (In) : « les classes sont bruyantes, les élèves agités et c’est vrai qu’ils n’ont pas beaucoup d’endroits tranquilles » MS (Gp) : « La démographie a beaucoup baissé ; les écoles sont 50% de leur taux de remplissage, conclusion ce ne sont pas les salles qui manquent. On est 3, chacun a une classe, sans avoir de longs déplacements, ce qui est important ». MS (In) : « je ne fonctionne pas de la même manière dans les deux écoles. A l’école x, il n’y a que des doubles niveaux, donc quand j’interviens, je prends une moitié de classe qui correspond à un niveau et le maître garde l’autre niveau, il ne travaille pas avec moi. Par exemple en CP-CE1, je vais prendre les CE1 pendant que la maîtresse garde son CP et ensuite on va faire le contraire. Bien sûr on communique avec la maîtresse sur ce que je fais, mais au moment où j’interviens, elle, elle fait autre chose avec son autre niveau ». |
Si l’on examine 6 modalités de co-intervention[9] possibles (réélaborées à partir du travail de Friend & Bursuck, 2006, p.88), nous pouvons dire qu’elles ne sont pas toutes mises en œuvre.
Dans le secteur rural, la co-intervention correspond aux modalités 1 et 5.
- La configuration (1) où MC enseigne et le M+ observe est majoritaire.
- La configuration (5) où le M+ aide en classe le groupe d’élèves en difficulté qu’il retrouve également une fois par semaine, à l’extérieur de la classe.
Dans le secteur urbain, le MS agit majoritairement en atelier, c’est-à-dire la configuration 4.
Les formes de co-interventions mises ne place par ces maîtres ne nécessitent donc pas de co-enseignement et donnent la part belle à la configuration mise en lumière dans la photo de l’article du Monde (deux espaces séparés au sein d’un espace classe).
Conclusion
Cette étude porte seulement sur deux dispositifs, il n’est donc pas question de généraliser nos premiers résultats qui même s’ils restent locaux, permettent sans doute d’attirer l’attention sur certaines mises en œuvre et les biais qu’elles peuvent provoquer. Nous pouvons déjà dire que si ce dispositif suscite de l’enthousiasme, sa mise en œuvre est très délicate. Un certain écart entre les discours et les pratiques réelles attestent d’obstacles réels. Il est commun chez les enseignants de parler de co-intervention, de lien avec la classe, de différenciation des tâches, mais ce que l’on pourrait nommer des slogans ne sont pas vraiment mis en pratiques, in situ.
L’analyse de notre corpus atteste que les formes que prennent les dispositifs +DMQDC étudiés sont plutôt :
- portés sur de la remédiation et non des actions de prévention. Dans la circonscription rurale, il s’agit de travailler avec des élèves repérés en difficulté, une fois cette dernière installée. D’une autre manière, c’est aussi le cas dans la circonscription urbaine, puisque, même si les ateliers menés par le M+ s’adressent à l’ensemble des élèves, ils sont ciblés sur les items chutés lors des évaluations passées auprès de l’ensemble des cohortes ;
- envisagés comme des espaces-temps séparés de la classe. Ce n’est donc pas le co-enseignement qui prime, mais des formes les moins engagées de co intervention. Il n’existe donc pas vraiment d’objets migrants entre les deux espaces pour créer un lien : c’est donc le plus souvent à l’élève lui-même de faire le lien entre ce qui est fait avec le MS ou M+ et ce qui est fait en classe.
Pourtant, Suchaut (2013), à partir d’une synthèse de travaux internationaux menés sur des dispositifs anglo-saxons similaires, montre la nécessité de penser :
- les actions en parfaite liaison avec les maîtres de classe.
- Des dispositifs internes à la classe (préparation, animation, régulations communes), l’externalisation privant les élèves du temps d’enseignement ordinaire.
Nous partageons ces nécessités qui sont nécessaires pour redonner le «sens du jeu» (Sensevy, 2011) à ces élèves les plus fragiles qui l’ont perdu, c’est-à-dire qui sont, d’une certaine manière, «sans passé» et «sans avenir». Or, sans contraintes et sans but, l’élève erre dans un présent, sans cesse recommencé qui n’est pas compatible avec l’apprentissage. Nous pouvons alors avancer que, l’important est de trouver des moyens (qui peuvent prendre des formes multiples) pour :
- accompagner ces élèves dans une enquête sur les savoirs à apprendre, plutôt que de les orienter vers des «activités». Une enquête nécessite du passé (des savoirs déjà là sur lesquels on s’appuie), du présent (pour construire de nouveaux savoirs dans l’interaction avec la situation d’apprentissage) et du futur (pour que ces savoirs puissent en amorcer de nouveaux), alors que la tâche peut souvent se résumer à faire localement (et parfois faire semblant de faire). « Un professeur efficace enseigne des savoirs qui ont de l’avenir » (Mercier, 2012). Or, nous montrons que les enseignants sont peu attentifs à la nature et la qualité des situations d’apprentissage qu’ils mettent en œuvre avec les élèves et constatons souvent un « évanouissement des savoirs » au profit d’attentions liées au comportement.
- traquer les savoirs «transparents» (Margolinas & Laparra, 2011). C’est en effet ce qui s’enseigne qui détermine ce qui peut être appris, pas des connaissances fugitivement rencontrées qui ne peuvent être reconnues des élèves. Or, de nombreux savoirs exigés à l’école ne sont donc pas enseignés et font pourtant cruellement défaut aux élèves les plus éloignés de la culture scolaire.
Nous pointons donc la nécessité d’un pilotage tant national que local qui ciblerait de manière plus lisible, non seulement les organisations, mais aussi la nature, la cohérence et la pertinence des situations, l’identification et l’analyse des difficultés majeures rencontrées par les élèves. En effet, la garantie de maintien du cadre de l’aide aux élèves en difficulté passe par les apprentissages et pas par la seule logique d’innovation (ce terme d’innovation est à manier avec précaution, il reste opaque et n’est en aucun cas le but du dispositif, seulement un moyen potentiel).
Le plus efficace consisterait alors à construire des formations des équipes de circonscription et des enseignants, donc des formations reposant sur l’intermétier. « L’expérience que les enseignants ont (ou non) de pouvoir parler « professionnellement » de leur travail (dans des situations, avec des médiateurs et un vocabulaire adaptés) ne se construit que pas à pas, sur des temps longs, avec des développements qui sont loin d’être linéaires, et dont il ne faut pas minimiser les risques, les moments difficiles ou les obstacles » (Picard, 2013).
C’est de cette manière que l’on pourrait travailler sur les « impensés » de l’aide, en mettant au jour les idéologies et doxas qui traversent le métier. En effet ce dispositif cristallise de nombreuses questions et tensions contemporaines autour de l’école. Nous en avons représentées certaines sous forme de notions en tension, dans le tableau ci-dessous.
Il va donc falloir s’atteler à un vaste chantier dont l’école et les élèves en difficulté pourront bénéficier.
Bibliographie
- Amigues, R. (2005). Les dispositifs d’aide aux élèves en difficulté comme révélateur de l’activité enseignante. In L. Talbot (dir), Pratiques d’enseignement et difficultés d’apprentissage. Paris : ERES.
- Amigues, R. & al. (2008). La co-intervention: un nouveau milieu de travail au service de l’efficacité et de l’équité? Symposium « Une définition alternative de la notion d’efficacité à partir d’une entrée par les collectifs d’enseignants », Rennes, France.
- Attali, A., & Bressoux, P. (2002). L'évaluation des pratiques éducatives dans les premier et second degrés. Rapport pour le Haut Conseil de l'Evaluation de l’école. Ed. : Haut conseil de l'évaluation de l'école. Date de remise : Août 2003
- DEPP (2004). Note Evaluation. Des maîtres surnuméraires dans des écoles maternelles et élémentaires (Avril 2004).
- Félix, C., Saujat, F. & Combes, C (2012) - Des élèves en difficulté aux dispositifs d’aide : une nouvelle organisation du travail enseignant ? In C. Marlot & M. Toullec-Théry (coord.), Diversification des parcours des élèves : pratiques enseignantes et organisations scolaires en question. Recherche En Education. Hors série n°4. http://www.recherches-en-education.net/spip.php?article139
- IGEN, IGAEN (2010). Observation et évaluation de l’ensemble des dispositifs d’aide individualisée et d’accompagnement à l’école, au collège et au lycée. Rapport à Monsieur le ministre de l’éducation nationale,Rapport - n° 2010-114, Octobre 2010. http://cache.media.education.gouv.fr/file/2010/08/1/2010-114-IGEN-IGAENR_216081.pdf
- Joshua, S. & Lahire, B. (1999). Pour une didactique sociologique, Education et société, 4, 29-56.
- Lantheaume, citée par Le Monde, 15/01/2013). http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et secondaire/article/2013/01/15/plus-de-maitres-que-de-classes-pour-accompagner-les-eleves-en-difficulte_1817174_1473688.html
- Marlot, C. & Toullec-Théry, M. (2011). Caractérisation didactique des gestes de l’aide à l’école élémentaire : une étude comparative de deux cas didactiques limite en mathématiques. Education et Didactique, n°2, vol.5. p. 129-154.
- Mercier, A. (2012). Quelques remarques sur ce que l’on sait de l’aide individualisée aux élèves et de ses conditions d’efficacité, conférence à la DGESCO.
- Prairat, E. (2005). De la déontologie enseignante. Paris, PUF
- Sensevy, G. (2011). Le sens du savoir. Bruxelles : De Boeck.
- Suchaut B. (2009), L’aide aux élèves : diversité des formes et des effets des dispositifs. Communication aux 2èmes rencontres nationales sur l’Accompagnement. St Denis, 4 et 5 avril 2009.
- Suchaut, B. (2013). Plus de maîtres que de classes, Analyse des conditions de l’efficacité du dispositif, rapport de recherche, février 2013. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/suchaut180313.pdf
- Toullec-Théry, M. & Marlot, C. (2012). L’aide ordinaire en classe et dans les dispositifs d’Aide Personnalisée à l’école primaire : une approche comparatiste en didactique. In C. Marlot & M. Toullec-Théry, Diversification des parcours des élèves : pratiques enseignantes et organisations scolaires en question. Recherche En Education. Hors série n°4, p. 81-97.
- Toullec-Théry, M., Marlot, C. (2013). Les déterminations du phénomène de différenciation didactique passive dans les pratiques d’aide ordinaire à l’école élémentaire. Revue française de pédagogie, 182, 41-53.
[1]Nous adopterons plutôt cette dénomination de maître + quand nous parlerons de manière générale de cet enseignant engagé dans le dispositif. En effet, les dénominations maître supplémentaire ou maître complémentaire renvoient à des dispositifs précédents qui ont montré leurs limites.
[2]Nous ne nous centrerons pas sur le territoire de l’AVS qui n’est pas l’objet de cet article.
[3]En REP, interventions des MS et d’une MC de CP en ateliers tournants, CP, CE2, CM1 ; dans l’école rurale : 1 séance MS- 1 séance en co-intervention (CE2)
[4]Nous conserverons cette appellation « MS » quand nous parlerons de ces trois maîtres de notre secteur urbain. Ils seront ainsi différenciés de M+ du secteur rural étudié.
[5]« Fluence est un entraînement du programme PARLER. Il propose une démarche efficace pour améliorer la vitesse et la précision de lecture des élèves débutants ou petits lecteurs et favoriser l’accès à la compréhension »
http://www.editions-cigale.com/produits/fluence-de-lecture-cpce
[6]« Ecrire avec Ludo » est un outil pédagogique de production écrite destiné aux enseignants de cycle 2 (GS, CP, CE1). Progressif et complet il permet de mettre en place des activités d’écriture sur une année entière, liant l’orthographe, la grammaire et la conjugaison » http://ecrireavecludo.blogspot.fr/
[7]Les MC interviewés dans le secteur urbain n’abordent pas la co-intervention.
[8]L’« autre moment » dont parle MC représente la séance où M+ organise une séance à l’extérieur de la classe.
[9]Travail effectué par Claire Boniface, IEN à Paris, chargée du dossier Plus de maîtres que de classes.