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Entretien avec Alice, Directrice de l'école JJ Rousseau

Par sdametto — publié 16/01/2018 15:37, Dernière modification 16/01/2018 15:37
A l'occasion d'un entretien, Alice retrace comment s'est construit, au fil du temps, le travail collaboratif des enseignants autour de la question des mathématiques. Elle montre la dimension systémique et complexe de ce travail relevant de tout un ensemble de facteurs : réflexion collective sur les évaluations, rôle du RASED, de la psychologue scolaire et du PDMQC, investissement fort des enseignants contre les fatalités, appui sur des outils et sur la recherche, relation aux familles, soutien et accompagnement du réseau et de la circonscription...

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Entretien réalisé au téléphone le vendredi 15 décembre 2017

Tu as enseigné dans cette école avant d’y être nommée directrice ?

Je suis arrivée dans l’école en 1996, c’était ma deuxième année d’enseignement. A l’époque le directeur était quelqu’un… de prime abord très accueillant, mais qui pouvait impressionner. Il était sur la lignée de la pédagogie Freinet. Il voulait à la fois que les choses soient faites d’une certaine façon mais au final il finissait par faire confiance aux gens parce que c’était quelqu’un d’intelligent. Mais il est brusquement décédé d’une crise cardiaque.
Ça a été l’enfer, on a vécu une période très très dure. Il a fallu qu’on fasse front et ça n’a pas été facile. On a été très soutenus par l’inspection à ce moment là, vraiment bien accompagnés. L’année suivante, quelqu’un d’extérieur a été nommé à la direction, mais ça ne s’est pas bien passé.
En 2011, j’ai postulé sur le poste de direction que j'ai obtenu. Cette année là il y avait 16 classes, l’année d’après on est passé à 17 classes.

PHOTO ALICE DIRECTRICE ARGENTEUILQuel est ton rôle en tant que directrice ?


Je suis arrivée pas avec seulement l’étiquette « directrice », mais en étant « instit » de l’école, c’est pas pareil. Et d’ailleurs on te le dit au moment des formations de directeurs, « attention ça va être difficile ». Donc j’ai essayé d’être au plus près des tâches de direction, parce que j’ai un côté bonne élève finalement. Et dans le même temps, j’ai laissé la main aux collègues, parce que je me rendais compte que c’était possible. Ce n’est pas facile à expliquer, mais je me reconnais dans une grande partie des personnes qui, pour moi, savent ce qu’il faut faire et comment il faut faire avec les enfants. Certains autres, moins, et d’ailleurs je pense qu’à 20 personnes, ce n’est pas possible, ça n’existe pas l’adéquation parfaite. Et puis je constate qu’au fil des années, il y a des collègues qui se sont greffés, qui se sont intéressés, qui ont évolué aussi.
Sinon, ce que je fais ? Franchement, je ne sais pas. Je pense que le fait d’avoir vécu ces tentatives de fonctionnement collectif, l’idée qu’on essaye un truc tous ensemble, au regard des difficultés des enfants, ce sont des choses qui sont ancrées en moi. Je ne suis pas en train de dire que tout fonctionne merveilleusement, partout, dans tous les niveaux. Mais voilà, il y a des gens qui se retrouvent parce qu’ils ont la même vision des choses, de ce qu’est un enfant, de leur relationnel avec les familles aussi. Je crois que ça passe beaucoup par là. Je vois des gens intelligents, qui sont capables de prendre du recul, et capables aussi de s’adapter.
Donc je ne sais pas ce que je fais, moi, mais je pense aussi que je leur fiche la paix, parce que j’ai confiance. La contrainte, ça ne fonctionne pas. Si on est contraint, on n’est pas bien. Leur laisser du champ libre, c’est un mode de protection en fait.
J’essaie de les protéger, mais en même temps je ne peux pas tout faire. Il y a des choses que je ne peux pas faire à temps, si bien que je me retrouve parfois en difficulté ; et puis j’oublie des trucs aussi parfois. Ce matin par exemple une collègue m'a fait des reproches, mais ce n’est pas grave, je sais que c’est quelqu‘un sur qui je peux compter, donc ça ne me gêne pas.

Moi j’ai mon petit cerveau qui fonctionne et qui fait ce qu’il peut. Je suis obligée de prioriser ce qu’il y a à faire. Les collègues le savent. Peut-être que quelqu’un ferait ce travail mieux que moi. Mais je n’en suis pas convaincue. En plus le travail se complique maintenant qu’on n’a plus du tout d’aide administrative. Donc moi, je suis pour les choses qui coulent de source. On n’a pas forcément besoin de se réunir pendant trois heures pour se raconter un truc… La réunionite pour se raconter un truc qu’on s’est déjà dit, j’évite. Par contre je regrette les moments où on pouvait se faire des vraies réunions, le samedi matin il y a 20 ans, le mercredi matin après. On s’apportait des croissants, on faisait un petit temps convivial et après, voilà, on pouvait se poser, on pouvait vraiment utiliser le temps au travail.
Et puis il y a tout le travail avec les familles : une maman qui vient me parler, je n’hésite pas, même si j’ai quelque chose d’urgent à faire, sauf si c’est lié à la sécurité des enfants bien entendu. Je vais prendre le temps de parler une demi-heure à cette maman qui ne va pas bien, ou qui a des problèmes de logement. A priori ça n’a rien à voir avec les enfants, mais en fait ça a à voir.

Qu’est-ce qui soutient ton travail ?


Il y a des professionnels qui ont énormément d’importance. Je pense à Ingrid, maitresse E, et à Yvonne, psychologue scolaire. Ce sont des personnalités, qui se trouvent à un endroit, à un moment. Et c’est ça qui fait que ça fonctionne. En plus elles ont une certaine expertise. Avec elles, on ne se perd pas ; on discute beaucoup mais au final ça tient la route.
Et puis au fur et à mesure des années, il y a des maitres qui sont partis et d’autres qui sont arrivés. KevinKevin a d'abord exercé les fonctions de maître E avant de prendre le poste PDMQC  par exemple, il est arrivé… Il y a Christophe aussi, qui a pris la coordination un peu avant que je ne prenne la direction. Il était basé à la circonscription, coordonnateur de deux réseaux. Il a été génial. Il passait de temps en temps la tête par la porte et il me demandait si ça allait. Comme il avait fait de la direction pendant des années, il était très au fait de toutes mes questions. Il m’a beaucoup aidée sur la direction, mais pas que. J’en ai profité pour lui dire : « mais viens voir dans telle classe ». Et j’ai bien vu qu’on se reconnaissait. C’est étonnant parce que ça aussi ce sont des choses qu’on sent : tu reconnais des gens qui sont sur la même longueur d’onde. Christophe, sûrement, il a dû faire tampon à la circonscription quand c’était nécessaire. Il était très discret, mais très fort pour faire passer les pilules. J’ai beaucoup aimé travailler avec luiDepuis la rentrée 2017, Christophe a pris sa retraite .

Comment se construit le travail collectif autour des mathématiques ?


Dans l’école il y a des choses qui existaient avant que je ne prenne la direction, impulsées par l’ancien directeur. Avec lui on avait eu des tentatives de fonctionnement d’école. A un moment, on avait fait en sorte que tout le monde travaille avec Brissiaud en maths. Ça remonte à l’époque d’Ouzoulias, de Brissiaud... On avait vraiment des fonctionnements de cycle, on était la génération de la réforme Jospin Loi d'orientation de 1989  .
Un peu plus tard, l’impulsion se fait aussi avec l’arrivée d’Ingrid (maitresse E) et de Béatrice qui était poste REP après moi, et qui parle de résolution de problèmes. Dans le même temps, l’inspection propose une formation sur les schémas de Vergnaud. L’inspecteur, les mathématiques, c’était son créneau. Puis l’arrivée de Kevin qui avait suivi cette formation. Tout ça s’est fait un peu au même moment.
Et puis il y a nos moments de conseils de cycles. Ces temps là, on les utilise pour réfléchir aux progressions mathématiques, au travail avec Kevin, avec Ingrid, etc. En général je vais avec le cycle 2 ou le cycle 3, la poste E va avec l’autre groupe. Il y a, ou pas, une trace écrite. Je leur dis que c’est bien s’il y a un écrit et que tout le monde puisse y accéder, mais je ne suis pas trop exigeante sur ces écrits. Je peux me le permettre, parce que ça fonctionne, que ce sont des gens qui bossent, qu’ils ont réfléchi à tout ça. S’y ajoutent beaucoup de moments qui ne sont pas des temps institutionnels...

Et je crois que le fait qu'on soit en éducation prioritaire a aussi son importance. Au moment où on a été amenés à réécrire le projet d'école, c'était le moment où on devait aussi prendre en compte les nouveaux programmes dans nos pratiques et comme on est en REP, Christophe le coordo me l'avait dit : "Autorisez vous à être innovants". Alors on a "institutionnalisé" le travail sur la résolution de problèmes, la continuité avec la méthode de Singapour, la co-intervention avec le M+, etc.

Concernant la construction du travail en mathématiques, j’ai pu le suivre au fur et à mesure qu’il avançait, parce que Kevin est beaucoup dans le partage et qu’il arrive tôt le matin, et moi aussi. On a le temps de discuter un peu. C’est souvent à ces moments là que je vois les choses avancer. C’est là que j’ai vu les fichiers de résolution de problèmes évoluer, se transformer, s’améliorer au fur et à mesure qu’ils ont mis en place et testé un certain nombre de trucs. Les uns, les autres s’en emparent plus ou moins, plus ou moins rapidement… Aujourd’hui, en principe, on n’a plus le choix puisque c’est inscrit dans le projet d’école, noir sur blanc. En principe, hein. Mais il y a les interventions « plus de maitres » de Kevin, les séances de résolution de problèmes toutes les semaines. On prend aussi souvent appui sur les évaluations pour guider le travail, ça fait partie de nos incontournables. On en parle plutôt en conseil de cycle qu’en conseil des maitres. On regarde les évaluations CP, et les CE2 maintenant. On fait un bilan sur ce qui marche et ce qui ne marche pas.

Le matin et l’après-midi, l’accueil des élèves est particulier, dans votre école ?


L’accueil des élèves, directement dans les classes, avec une mise au travail tranquillement, c’est une décision qu’on avait prise du temps où on avait 10 classes. A cette époque les enfants se rangeaient sous le préau, il y a peut-être encore des marques au sol qui datent de vingt ans. On s’était rendu compte que c’était bruyant, notamment le retour de la cantine. Les élèves étaient tellement excités qu’il n’y avait jamais un rang calme, on n’obtenait pas le silence, c’était galère. Donc à partir de ce constat, on s’était dit « pourquoi on n’essaierait pas de les laisser monter en classe tous seuls ? ». Et depuis on les accueille dans les classes et on fait un accueil échelonné, avec mise au travail tranquille, avec des activités quand ils arrivent. Et ça, on l’a adopté, c’est un fonctionnement qui dure. Je suis convaincue que ça joue sur le climat, parce que ça évite les énervements. D’ailleurs, on ne l’a jamais remis en cause. De toute façon aujourd’hui on n’a plus le choix, parce que faire ranger 400 élèves dans la cour, ce n’est pas possible. Mais ça nous convient bien.

Vous êtes également attentifs à la relation avec les familles ?

 

Moi, concrètement, je ne sais pas comment ça se passe dans d’autres écoles. Je suis experte ici mais pas ailleurs. Je connais super bien le quartier, les familles. Maintenant je vois arriver les enfants de mes anciens élèves. Et ça, dans ce genre de quartiers, je pense que c’est rassurant pour les parents, d’avoir des professionnels stables qu’ils connaissent et reconnaissent. Après on ne peut pas plaire à tout le monde, on le sait. Et il y a certainement des parents qui n’apprécient pas les fonctionnements de l’école. D’ailleurs certains peuvent être assez critiques, surtout quand ils viennent d’autres écoles. Il faut donc y aller pour construire la confiance et que ça fonctionne. On est dans de l’humain, pas chez les bisounours. Aujourd’hui, quand je fais les inscriptions des enfants de CP, je passe pas mal de temps avec les parents pour répondre à leurs questions. Et j’essaie de leur expliquer le fonctionnement de l’école parce qu’ils ne viennent pas tous d’endroits où il y a autant d’enfants et j’ai toujours peur que ça leur fasse peur, la sortie de l’école notamment. Alors j’essaie de dédramatiser et d’en parler avant.
La relation de proximité qu’on entretient avec les familles, je pense que ça a aussi à voir avec la configuration de l’école. Quand l’école était à 10 classes, les parents venaient devant l’école chercher leurs enfants. Il n’y avait pas Vigipirate et tout ça. On ouvrait les portes et les enfants sortaient, comme cela se passe dans des tas d’écoles. Et puis avec l’augmentation du nombre d’enfants dans l’école et le fait qu’on ait été obligé de demander aux parents de se mettre plus loin, -je crois que c’est quand on est arrivé à 14 classes-, il y avait tellement de monde devant, que ça nous empêchait de voir quoi que ce soit. On ne comprenait plus rien. Alors on a réfléchi ensemble et on a mis en place des points de rendez-vous, parce qu’à plus de 400 élèves, ce n’est pas possible autrement.
Donc on a fait trois points de rendez-vous, ce qui fait que les parents sont complètement au contact des enseignants. Ils se voient à 11h30 et à 16h00. Pour beaucoup c’est « bonjour, au revoir ». Mais il y a aussi d’autres choses qui se passent. Bien sûr, il y a le risque d’ un parent pas content qui commence à faire un esclandre ; c’est déjà arrivé, évidemment. Mais en même temps, le fait de se retrouver tous les jours à voir les parents, je pense que ça crée un lien important. Et puis il y a les maitres et les maitresses qui sont des personnalités. Une Ingrid  avec son rire contagieux, qui embrasse les mamans pour leur dire bonjour… Ça aussi ça joue. Au bout d’un an, elle a déjà créé des liens avec certains parents, et ça diffuse, ça a un effet boule de neige.
Et puis il y a Ingrid, poste E, qui fait l’accueil des élèves avec moi, donc les parents peuvent aussi venir à nous à l’entrée. Et ça lui arrive souvent, à Ingrid, de parler avec des parents d’enfants qu’elle prend dans ses petits groupes de besoins et de le leur dire, d’échanger… Et comme elle aussi elle est très bavarde, mais bavarde dans le bon sens, je pense que ça joue aussi.
C’est un ensemble de choses et c’est beaucoup lié aux personnalités, j’en suis sûre.

C’est pour ça que je suis convaincue qu’il serait difficile de plaquer notre fonctionnement ailleurs. Il y a nos outils, qui sont intéressants et appropriables, mais au delà de ça, le fonctionnement de l’école et de ce qu’on peut donner à voir, je pense que c’est lié aux personnes qui sont ici.

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