Table ronde : scolariser les tout-petits . Quelles exigences, quelles difficultés?
Mot introductif de Mme Bouysse, IGEN
Quel bilan tirer de l’actualité de la « refondation » de l’école maternelle engagée depuis quelques mois, se demande Viviane Bouysse à l’ouverture des journées de formation de formateurs organisées par le centre Alain-Savary. L’accroissement de la scolarisation des moins de trois ans a été faible, notamment du fait de l’importance de la classe d’âge des trois ans, mais aussi du fait que l’offre de scolarisation des deux ans ne « rencontre pas forcément une demande », même si la proportion est plus élevée en éducation prioritaire.
Quid de la formation ? Les conditions d’accueil sont très variables, explique l'inspectrice générale : souvent dans une « classe spécifique », plus que dans un « dispositif partenarial » de type « classe passerelle » ou par scolarisation dans des classes à plusieurs niveaux. Les conditions matérielles sont souvent favorisées par un travail commun entre éducation nationale et mairies, et vont parfois jusqu’à susciter des commentaires envieux des autres enseignants de maternelle… Selon les enquêtes des inspecteurs généraux, la satisfaction des parents est grande, d’abord de pouvoir bénéficier d’un accueil gratuit, mais aussi parce qu’ils apprécient l’assouplissement des conditions d’accueil de leurs enfants ou l’attention porté aux nominations et aux formations données aux enseignant-e-s sur ces postes, notamment pour la sécurisation affective à la rentrée ou sur la progressivité de la mise en place des apprentissages.
Reste à mieux définir les conditions de l’apprentissage, qui respectent leurs besoins et leur bien-être, en intégrant les savoirs de la recherche auprès des professionnels, mais aussi en leur permettant de les « métaboliser », de les transformer en fonction de leurs savoirs de métiers. Au delà des « temps de formation », comment dépasser le "transmissif", le déclaratif dans la formation, en intégrant les savoirs des acteurs, en construisant la problématisation des savoirs d’expérience, des manières de faire « non-sues » et pourtant pertinentes des acteurs ? Comment les accompagner pour mieux observer, pour produire du savoir sur ce qu’ils font ? Comment ne pas attendre que les professionnels aient tout à leur charge, mais aussi les aider à utiliser de nouveaux outils ? Comment produire des contenus de formation sur ces « premières scolarisations » en dépassant le strict cadre organisationnel, pour préciser ce qui doit être enseigné, au croisement des savoirs de la recherche et de ceux des métiers ? « Votre travail peut avoir une implication pratique à brève échéance » conclut-elle, parce qu’il pousse les questionnements au bout sur les spécificités d’une enseignant de maternelle. "J’attends beaucoup de votre liberté de parole, sentez-vous autorisés à penser tout haut…"
Propos introductifs (12 min 04) :
Interview de Mme Isabelle BORDET qui aborde son action de formatrice et la question du travail d’équipe puis intervention de Mme Viviane BOUYSSE sur les conditions d’appropriation des travaux de la recherche et des savoirs d’expérience en formation (13 min 51) :
Mme Zaouche-Gaudron, professeur de psychologie du développement : accueillir des jeunes enfants en milieux défavorisés
« Il n’est pas possible de penser les questions qui nous occupent sans parler de la violence du social » attaque d'emblée Mme Zaouche-Gaudron, qui souligne la précarisation des familles et les conditions de pauvreté très préoccupantes. "Du point de vue socio-affectif, on sait que la relation d’attachement structurante entre l’enfant et ses partenaires éducatifs est nécessaire : repères, sécurité, confiance". Or beaucoup d’enfants de moins de trois sont désorientés, désorganisés, au point de perturber leurs conduites sociales et comportementales, leur estime de soi ou leur capacité à affronter les situations nouvelles. Cognitivement, les résultats de recherches anglo-saxonnes montrent les impacts de la pauvreté sur les compétences verbales. "Devant les inégalités sociales de santé, les impacts sont plus importants qu’on le pense, avec un « corps trop plein » qui va être une source d’humiliation ou de regard négatif, par opposition à « ceux qui sentent bon et qui sont bien habillés »… Les mères elles-mêmes ont des conditions de vie qui rendent fragile leur relation avec leur enfant, les pères ne sont pas vécus par l’école comme étant « de bons pères » parce qu’ils n’amènent pas leur enfant à l’école avec empathie et bienveillance. « On est tellement épuisés qu’on ne supporte plus nos gosses » entend-on parfois de ces familles soumises à la ghettoïsation sociale, aux appartements trop petits ou insalubres et qui ne prennent jamais le métro pour aller au centre ville…
vidéo de l'intervention (27 min) :
Nicole Geneix, directrice de l'Education, ville d'Istres : Enjeux des partenariats
« Ces familles là, nous les connaissons au jour le jour » continue Nicole Geneix à partir de son expérience de directrice à l’Education d’une ville du Sud de la France. « Nous savons aussi que les familles doivent recourir à une impressionnante somme de débrouilles pour faire prendre en charge leurs enfants quand ils le doivent, y compris à 6h du matin… ». Partant du fait que les enfants « ne sont pas tous égaux en arrivant à l’école », selon qu’ils fréquentent ou pas les structures collectives, elle questionne la salle : « On se préoccupe des liaisons maternelle CP, mais très rarement de la liaison entre avant l’école maternelle et l’école. Comme si on faisait table-rase de leur passé proche »… alors que les collectivités se posent la question des meilleures structures pour accueillir les petits le matin.
La question de ce lien entre ces deux temps, des espaces nécessaires pour l’organisation du « bien-être » et de la mise en place des situations « favorables au développement des apprentissage » lui semble donc prioritaire, d’autant plus que la modification des rythmes scolaires va amplifier les questions : « parfois, les professionnels sont si préoccupés par leurs questions que celles-ci ne sont pas pensées, pas abordées, surtout s’ils s’agit de temps « à la marge ». Elle engage donc les formateurs et les pilotes à questionner ces aspects de la question dans leurs actions avec les professionnels, en inter-métiers : niveaux sonores, qualité des espaces, formation des professionnels encadrant les moments de restauration ou de loisir court, organisation du temps de midi et sieste, peuvent être de véritables « objet de contentieux » dans les écoles. « Il faut dépasser l’opposition entre le corps et l’esprit qui a trop longtemps été l’objet d’une séparation entre l’enseignante et l’ATSEM, et faire qu’aucune question ne soit désormais tabou dans les réflexions professionnelles, y compris les plus triviales, comme les passages aux toilettes", insiste-t-elle. L’association des ATSEM à certains moments des équipes éducatives lui semble être une idée à creuser, comme celle de l’organisation des locaux, du matériel pédagogique plus ou moins adapté… « Que doit-on prioritairement proposer à chaque niveau d’âge de maternelle, on peut continuer à travailler la question… »
Elle conclut avec le sujet de « l’évitement scolaire » des écoles de quartiers populaires par les classes moyennes, qui lui semble devenir de plus en plus préoccupant et nécessite une plus grande collaboration entre l’Education nationale et les communes, pour éviter les catastrophes de l’homogénéité sociale dans les quartiers délabrés. "C’est pour moi l’enjeu essentiel de la refondation de l’Education Prioritaire. L’Ecole n’y parviendra pas toute seule, et la confiance dans le politique est à ce prix. Si l’Ecole ne permet pas le brassage social, qui le fera ?… ».
Mais cela ne peut pas passer sans une ré-interrogation des normes éducatives de l’Ecole, et la manière dont elle légitime ou délégitime les parents, de manière durable : « Qui décide de ce qui est bon pour les enfants, y compris sur leur nourriture ou leur habillement ? Les professionnels de l’éducation ne doivent pas être un maillon de plus qui va mettre à distance toutes ces familles qui ne disent rien, mais attendent beaucoup de l’école. Apprivoiser les parents autant que les enfants, c’est notre combat commun pour les faire réussir tous… »
Intervention de Mme Nicole GENEIX traitant des objets précis de travail entre collectivité et école et interview de Mme Christine MILANI sur les dispositifs, les passages à risque, et les partenariats avec les familles (20 min):
Maryse Piguet, IEN maternelle (Doubs) : quel pilotage territorial ?
Maryse Piguet, IEN chargée de mission à Besançon, se demande comment développer l’aspect qualitatif de la scolarisation des moins de trois ans en articulant, comme l’a fait V. Bouysse, qualité de la première période scolaire, avant la Toussaint, et spécificités des situations d’enseignement de la première année de maternelle. Dans le département du Doubs, si le nombre de nouvelles classes a été faible, la circulaire a permis de développer le travail collectif sur la qualité de l’accueil des petits, et de « réinterroger les pratiques, même si le chemin est long ». En tant qu’IEN chargée de mission maternelle, une des difficultés est d’articuler le niveau national (la circulaire) et le niveau académique (aider à en faire une priorité dans les actions du recteur). « Lorsque nous sommes entre pairs, nous partageons des valeurs, mais nous devons mesurer en quoi il est complexe d’expliciter à nos partenaires les conséquences de ce à quoi nous croyons ».
Concernant l’accompagnement des circonscriptions, elle a cherché « à redynamiser une culture académique et départementale » pour être en situation de produire des outils et des nouveaux dispositifs de formation. « Selon les circonscriptions, l’accueil peut être distant, lorsqu’ils questionnent les avantages de la scolarisation des moins de trois ans, comme si elle allait tirer la maternelle du côté du « bien-être » davantage que vers les apprentissages. Cette articulation est encore à gagner. »
Une autre question vive lui semble être la manière dont les équipes enseignantes reçoivent ce qu’ils considèrent être une désapprobation de leurs pratiques. « Il ne suffit pas d’injonctions au changement, il faut faire des propositions entendables, explicites, accompagnées et réassurantes. C’est à partir des pratiques réelles qu’il faut faire levier, pour développer la collaboration et la confiance entre les équipes et les circonscriptions »
Concrètement, elle a travaillé avec le groupe départemental à construire des ressources-guides pour des professionnels « à degré d’expertise variable », notamment sur la question de la langue de récit et de scolarisation, mais aussi à mieux accompagner les enseignants isolés dans les classes rurales des zones pauvres, pour lesquels on a parfois tout à inventer, y compris dans la culture des élus. « Les nouvelles modalités de formations, y compris hybrides, pourront peut être y contribuer si nous arrivons à nous donner les moyens de notre action »… Pour l’instant, elle entend que les évolutions se traduisent dans les avenants aux projets d’école, en précisant les aspects spécifiques liés à la scolarisation des plus jeunes, et dans des formations conjointes enseignantes-ATSEM, qui ne concernent encore que trop peu d’enseignants à son goût.
Une des questions qui lui semble réellement problématique lui semble être celle de l’évaluation des élèves, et de leur communication avec les parents. « Rendre compte à l’enfant et aux parents des progrès qu’il fait me semble être un très bon sujet pour le travail collectif, au même titre que l’évolution des structures de la maternelle liées aux rythmes scolaires."
voir la vidéo (6 min 30) :
Interview de Mme Christine LALOUX sur les apports de la formation (3 min) :