"Auditor, auditrix", produit d'un collectif de travail de profs blogueuses
La réalisation de Auditor, auditrix illustre les mutations professionnelles en cours par les recours aux nouvelles technologies, mais aussi du fait de l’inscription des enseignants dans des collectifs informels. Ces nouveaux espaces de travail sont nourris par des dispositifs comme plus de maitres que de classe, ou par la diffusion des recherches en cours (par exemple le travail de Roland Goigoux et Sylvie Cèbe autour des outils d’apprentissage du lire-écrire-comprendre). |
Voir l'article "Auditor, auditrix, un point sur la compréhension de textes au CP" sur le site de Julie Meunier
Comment avez-vous été amenées à vous lancer dans ce projet à trois et à distance ?
Charlotte Bruno : Je fais partie de la première génération qui a grandi avec un ordinateur dans la maison depuis l’enfance, et qui se tourne vers le net aussi naturellement que vers les livres. C’est donc tout naturellement que, très tôt dans ma carrière, je me suis lancée dans l’aventure du partage de mes modestes ressources sur un blog. J’ai ainsi pu entrer dans la Communauté des Profs Blogueurs (CPB). Nous avons un forum privé, sur lequel nous partageons nos astuces sur le blogging, nos réflexions sur nos pratiques, et d’autres choses plus personnelles parfois. Forcément, après des années à échanger sur le forum, via nos blogs respectifs ou sur Twitter, des liens plus étroits se créent. C’est troublant, avec le recul, d’avoir des affinités si particulières avec des personnes que l’on n’a jamais rencontrées physiquement. C’est ce qui s’est passé avec Julie et Delphine.
Delphine Imeneuraët : Au début de l’été, j’ai posté sur mon blog un article présentant mes chantiers de l’été. J’y présentais mon envie de réaliser un Lectorino et Lectorinette à destination des CP. Charlotte m’a dit avoir la même envie. Quelques jours après j’ai envoyé à Julie et Charlotte une ébauche de travail pour avis et plus de 200 mails après nous diffusions Auditor et Auditrix : nombreux échanges, réflexions, remarques conseils, ce travail a réellement été conçu à 6 mains… La distance n’a pas été un frein à notre collaboration. Peut-être un petit manque malgré tout, une fois le travail terminé : celui de ne pas pouvoir se faire une bise et trinquer ensemble !
Julie Meunier : Avec Charlotte et Delphine, nous avons des « atomes pédagogiques crochus » depuis toujours, et nos centres d’intérêt se sont encore rapprochés avec cette même mission de M+ que l’on partage. On travaille donc sur les mêmes domaines, avec tous les niveaux de classe, et avec des problématiques assez similaires. Nos articles se répondent parfois, le travail de l’une alimente la réflexion et la créativité des autres. Parfois, et de plus en plus, ce sont les questionnements soulevés par l’une qui donnent lieu à la recherche et à la discussion. Comme dans une équipe d’école finalement, mais à distance.
Comment avez-vous choisi la thématique de ce travail ? À quels besoins cela correspondait-il ?
Charlotte : Durant l’année scolaire 2014-2015, ma première année en tant que PDM, mes collègues de CE2 et moi décidons d’organiser un module d'approfondissement des compétences en lecture - écriture (MACLE). Les CPC nous proposent de construire ce MACLE autour de Lectorino Lectorinette de Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, afin que nous découvrions la méthode. Durant ce MACLE j’ai une révélation : c’est exactement ce qu’il faut faire, ce que je veux faire, cette méthode me convient parfaitement. Avec mes collègues, nous la poursuivons au-delà du MACLE jusqu’à la fin de l’année. Entre temps, mes collègues de CM se lancent elles aussi dans Lector Lectrix. L’année scolaire suivante, je souhaite également l’introduire au CE1, mais je trouve le niveau trop élevé pour mes élèves. Je me lance alors dans la construction de modules, en respectant les grands principes de la méthode, en gardant l’esprit de Lectorino Lectorinette. Ce travail m’a passionnée et je n’ai pas vu les heures passer. Puis j’ai testé mes séances sur mes élèves de CE1. Ça a très bien fonctionné, ils ont eu l’air d’apprécier autant que moi ces séances, et ils ont progressé. J’ai publié ce travail sur mon blog sous le nom de « Mini-Lectorino ». En juin dernier, je décide que mon chantier de l’été sera la construction d’un « Mini-Mini-Lectorino » pour mes futurs CP. C’est le seul niveau de mon école qui est « épargné » par la pédagogie Cèbe/Goigoux, et il faut que cela change !
Dephine : Pour ma part, j’ai mené en 2014-2015, un travail avec les CE2 de ma classe de CP/CE2 sur l’acquisition de stratégies de lecture grâce à Lectorino et Lectorinette. Déjà la question de l’enseignement de la compréhension en CP était une interrogation, n’utilisant pas de méthode de lecture, je faisais un travail sur ces compétences sans réellement m’être intéressée à la manière de les enseigner. L’an dernier, j’ai poursuivi le travail autour de Lectorino et Lectorinette en tant que PDM avec un groupe de CE2/CM1 faibles lecteurs dans le cadre de mes interventions en Cycle 3. J’ai également utilisé le mini-lectorino et lectorinette réalisé par Charlotte avec les deux classes de CE1. Mais je regrettais l’absence d’outils en CP, utilisant plusieurs outils différents. Les stratégies n’étaient pas explicitées et je ne parvenais pas à le faire suffisamment. Ma pratique semblait à revoir. Mes collègues de CP étaient également en recherche d’un outil pour travailler les stratégies de compréhension, étant même un peu « jalouses » de ne pas avoir « leur » Lectorino et Lectorinette. J’ai donc décidé de me pencher sur la question vite épaulée par Charlotte et Julie.
Julie : J’ajouterai que l’étude Lire-Écrire a mis en évidence ce que l’on pouvait présumer : l’enseignement de la compréhension n’est pas suffisamment et pas « efficacement » traité au CP. Les nouveaux programmes insistent sur un travail de la compréhension de textes entendus, décroché du travail de lecture autonome en CP tant que nécessaire. Notre travail de maitre supplémentaire nous offre de travailler avec tous les niveaux, et de percevoir les creux qui peuvent exister dans l’enseignement, les liens existants ou à créer entre ces niveaux.
Comment avez-vous élaboré votre document ?
Delphine : En juin dernier, pour répondre une des problématiques du nouveau projet d’école, j’ai fait des recherches concernant le langage oral. Très vite, j’en suis arrivée à m’intéresser à la question de la compréhension de textes entendus. J’ai posté sur mon blog un article regroupant des compétences fines dans ce domaine. Première pierre à notre édifice puisque des échanges sont nés avec Julie.
Julie : Nous avons eu des discussions à ce sujet, cherchant à « affiner le grain ». J’ai retrouvé ces premiers échanges sous les articles de Delphine : "Travailler la chronologie du texte" et "La compréhension orale". D’autres échanges ont eu lieu entre nous trois sur cette première question.
Charlotte : Après avoir listé les stratégies et les compétences qu’il nous paraissait important de travailler et construit une progression, chacune d’entre nous a conçu un module, selon ses envies. J’affectionne particulièrement le travail sur les images mentales, Delphine avait déjà entamé une réflexion concernant un module sur les personnages, quand à Julie, elle n’avait au départ qu’un rôle de « conseillère », mais a finalement décidé de concevoir un module sur les émotions.
Julie : Je ne pensais pas concevoir de module puisque je savais que je n’en aurais pas l’utilité, mais j’ai commencé à écrire ce qui me semblait important de garder en tête lors de la conception et la mise en œuvre de séquences de compréhension, selon mes connaissances et mon expérience. C’est ce qui correspond à mon article : "Auditor, auditrix, un point sur la compréhension de textes au CP". Je pensais en rester là, mais je me suis prise au jeu et ai eu envie de m’essayer à la conception d’un module, pour voir si j’arrivais à passer du « cahier des charges » à la conception. Ensuite, nous avons sans cesse échangé sur notre travail, pour l’harmoniser, mais aussi critiquer ce qui avait déjà été fait, repérer les imprécisions, apporter des idées de mise en œuvre ou de supports, et s’encourager, aussi, car on manquait de points de repère... beaucoup de convictions, mais aucune certitude ! Ce qui a été compliqué également, c’est le dosage d’explicitation à fournir aux lecteurs, pour être sure qu’ils saisissent les enjeux de l’apprentissage, de telle ou telle tâche demandée aux élèves, sans les noyer sous les détails ou les évidences.
Charlotte : Dès que nous terminions quelque chose, nous nous l’envoyions, les autres relisaient, commentaient, proposaient des améliorations. Les regards extérieurs « à froid » sont précieux lorsque l’on passe des heures le nez sur un projet. Il m’est arrivé de tomber dans une impasse, et Julie m’a aidée à trouver la solution, qui était sous mon nez.
Vous citez le travail de Sylvie Cèbe et Roland Goigoux. Que vous apporte ce type d’ouvrages ?
Delphine : J’ai découvert les travaux de Sylvie Cèbe et Roland Goigoux sur votre site, que je lis régulièrement depuis la préparation du CAFIPEMF et de manière encore plus assidue depuis que je suis PDM. La vidéo de Sylvie Cèbe concernant l’enseignement de la compréhension a été à l’origine de notre travail. L’article récent sur l’enseignement explicite a également éclairé ma pratique.
Julie : C’est important de comprendre sur quoi repose une démarche, quels sont ses fondements, ses « cautions », ses implications pour pouvoir la mettre en œuvre correctement et réellement se l’approprier. Lectorino sans son introduction serait beaucoup moins intéressant. Le document repose sur un socle théorique solide et explicité aux utilisateurs, une approche didactique bien particulière, et des propositions pédagogiques. Les activités du maitre sont extrêmement guidées et leur mise en œuvre permet une prise de conscience qui induit finalement une transposition. Cet outil rend donc possible de transformer sa pratique dans le domaine particulier de la lecture, mais également dans les autres domaines. Cette transposition est vraie pour les pratiques des maitres, mais aussi pour les compétences, le rapport au savoir et l’attitude des élèves je trouve. Ce type d’ouvrage est assez rare malheureusement. Le plus souvent, les ouvrages proposés aux enseignants sont soit uniquement théoriques, ou avec une description de l’activité assez vague, soit à l’inverse une suite de séquences directement applicables en classe. Sans la mise en évidence et l’explicitation des appuis théoriques qui ont prévalus à la proposition, le risque est que l’utilisateur se fabrique ses propres règles et passe à côté de certaines choses importantes, qu'il juxtapose des pratiques contradictoires, voire aille à l’encontre de ce qu’a envisagé le concepteur. Je l’ai souvent fait en tant qu’enseignante, le fait sans doute encore maintenant, mais je m’en suis surtout rendu compte avec certains retours d’utilisateurs sur les propositions que je pouvais faire sur mon blog. Depuis quelques années je documente beaucoup plus mes articles pour ça.
Quelles sont vos pratiques en matière de formation et d’auto-formation ?
Charlotte : Je me considère encore un peu comme une débutante dans le métier, alors pour moi, chaque journée de classe est déjà formative ! Je passe énormément de temps sur le net. Sur les blogs enseignants qui proposent des ressources, mais aussi des réflexions pédagogiques, et sur des sites plus institutionnels, comme celui de l’Inistitut français d'éducation (IFE) sur lequel je passe un temps fou depuis que je suis PDM. Je regarde les vidéos des conférences, je lis les articles. Je lis aussi quelques livres de pédagogie (Ouzoulias, Montessori…). En dehors de nos heures de formation continue obligatoire, je n’ai pour l’instant participé qu’à une formation de deux 2 h sur les serious games proposée par Canopé, et j’envisage de me rendre à Lyon fin septembre pour la formation PDM de l’IFE. Je n’ai pas encore sauté le pas de m’inscrire à un MOOC, mais ça ne saurait tarder !
Delphine : J’ai la chance, en tant que PDM, de bénéficier de temps de formation réguliers durant l’année. Mais ayant préparé le CAFIPEMF j’ai pris l’habitude de lire. C’est ce que l’on attend d’un PEMF. De plus, l’un des objectifs du poste PDM est de faire évoluer les pratiques enseignantes. Pour que cela soit possible, il faut, à mon sens, accorder du temps à la lecture de didactique et de recherches innovantes. C’est une des missions qui m’ont été confiées lors du recrutement. Et le temps de préparation/correction moindre laisse la possibilité de faire ce travail de lecture et d’échanges avec les collègues sur ce qui a été découvert. Mais au-delà de ces 3 années en tant que PDM, je considère la formation/auto-formation comme une base de notre métier. Les lectures nourrissent notre pratique, nous aident à faire progresser les élèves, nous donnent à modifier nos pratiques, nos postures.
Julie : Je m’auto-forme beaucoup, d’une manière très désorganisée le plus souvent, en butinant, guidée par l’intérêt pour tel ou tel sujet, ou par la nécessité de travailler un point précis. Je me co-forme au contact de mes collègues ; le poste de maitre supplémentaire est une magnifique opportunité de découvrir d’autres manières d’enseigner et de se remettre en question, mais aussi de tirer des ficelles que l’on n’aurait même pas envisagées seul. Les collègues « virtuels » permettent aussi ça, mais il est rare que les échanges et débats puissent être aussi poussés à distance. Je bénéficie des formations institutionnelles, même si j’ai souvent le sentiment qu’il « manque un truc », l’étincelle qui va déclencher la vraie réflexion, puis l’action. J’ai souvent profité de formations syndicales, sur des objets didactiques, pédagogiques, ou des questions de métier, qui m’ont apporté autant en connaissance qu’en réflexion. J’ai également participé à quelques sessions de stages au centre Alain-Savary (PMQC x2, Lire Ecrire). Elles m’ont permis d’aborder des sujets avec une diversité d’approches et de points de vue, tant du côté des stagiaires que des intervenants. Ces stages m’ont également permis de découvrir des domaines de recherche que je ne connaissais pas, en bénéficiant des apports directs de chercheurs et en pouvant échanger avec eux.
Auditor, auditrix n'a pas été testé en classe. Charlotte, Delphine et Julie sont intéressées par les retours que voudront bien leur envoyer les enseignants qui l'utiliseraient via leur blog. Et pourquoi pas, dans l'année, une rencontre au centre Alain-Savary pour discuter avec elles... |