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Former des formateurs pour mieux accompagner les enseignants à faire réussir les élèves : quatre propositions

Par Patrick Picard publié 29/05/2014 17:10, Dernière modification 13/12/2021 14:53
De la formation, de la formation, ont réclamé les enseignants s'exprimant lors des Assises de l'Education Prioritaire. Mais comment ?

 

Patrick Picard, Centre Alain-Savary

PPicard

Former les formateurs : oui… mais à quoi ?
intervention de Patrick Picard
à la Chaire UNESCO Former les enseignants au XXIème siècle

Parmi les constats massivement partagés dans les remontées des Assises, la demande de formation continue, souvent pluri-adressée : formation à la relation aux parents, aux difficultés des élèves, aux dys, à la gestion de classe, au travail d’équipe, à la liaison interdegrés, aux éducations à, au partenariat… En filigrane, sans doute une croyance selon laquelle il faudrait préalablement « former à » pour que le travail soit ensuite plus efficace.

Autre constat, la difficulté des équipes à arbitrer devant les priorités, notamment face aux multiples missions requises de l’Ecole  (transmission de la culture et des savoirs, outillage cognitif et langagier des élèves, développement de l’estime de soi)

 

Or, nombre de recherches sur la formation semblent indiquer qu’il ne suffit pas de modifier les savoirs ou les conceptions des personnes pour transformer ipso facto les pratiques au bénéfice des élèves qui ont le plus besoin de l’École. Au contraire, les recherches en didactique, en didactique professionnelle ou en analyse du travail, malgré leurs épistémologies distinctes, invitent à :

 

  • analyser les « problèmes ordinaires » de travail des professionnels, notamment à partir de traces relevées dans leur activité.
  • mettre à jour les dilemmes, les tensions qu’ils rencontrent (désormais bien identifiés par la recherche), entre ce qu’ils « aimeraient faire » et ce qu’ils « peuvent faire ».
  • partager les « manières de faire » différentes des professionnels expérimentés, dans un « conservatoire » des gestes de métier qui ouvre d’autres possibles que les siens.
  • instrumenter l’action des professionnels en testant des outils, en étayant l’action par des confrontations collectives, en « traduisant » les demandes institutionnelles, en outillant les équipes avec des appuis théoriques qui permettent de développer leur capacité à comprendre plus finement la nature des difficultés d’apprentissage des élèves, dans toutes leurs dimensions.
  • suivre avec attention (et dans le temps) les « innovations » ou les « expérimentations » mises en œuvre en examinant dans le détail en quoi elles induisent pour les élèves comme pour les enseignants des modifications dans l’habitus scolaire, les pratiques, les difficultés qui peuvent surgir du fait de la modification du contexte scolaire, les résultats scolaires dans toutes leurs dimensions.
  • en faisant de l’évaluation des élèves un levier pour mesurer l’efficacité des actions entreprises.


Précisons à ce stade du raisonnement que cette approche n’est pas spécifique aux seuls enseignants, mais commune à tous les professionnels, y compris les « métiers intermédiaires » (coordonnateurs, référents, formateurs, tuteurs, chefs d’établissements, inspecteurs…) qui rencontrent tous, dans leur exercice professionnel, des « problèmes de travail » spécifiques qui doivent être mis au travail, au sens propre[1].

Mais quels formateurs pour accompagner les équipes ?

La réponse traditionnelle faite par l’institution de l’Éducation Nationale est de rendre les corps d’inspection responsables de la formation continue, soit par leur action directe, soit par le recrutement de formateurs chargés, sous leur autorité, de mettre en place des « formations » en direction des enseignants. Une limite désormais bien identifiée est que former ne peut être exclusivement transmettre les éléments du « prescrit » (ce qu’il faut faire, tel que défini par les programmes, la déontologie, les recherches…), certes tout à fait nécessaire, mais pas suffisant pour permettre aux formés de savoir « comment il faut faire » ou « quoi faire quand on n’arrive pas à faire ». Il est donc nécessaire de repenser les compétences professionnelles nécessaires aux formateurs d’enseignants. Sans entrer ici dans le détail, on peut à partir des éléments identifiés plus haut dégager cinq grands domaines :

  • faire connaître le prescrit.
  • aider à lire le réel et à problématiser les difficultés professionnelles rencontrées par les former, identifier les dilemmes professionnels.
  • partager les références théoriques, mettre des mots sur les situations et les ressentis, avec l’appui des différents modèles explicatifs issus des savoirs de recherche (différentes branches de la psychologie, didactiques, sociologie, analyse du travail, pédagogie…).
  • proposer des outils, faire connaître ce qui existe dans le métier, partager les ressources.
  • accompagner dans la durée pour développer la confiance, le pouvoir d’agir en prenant le temps d’allers-et-retours entre la classe et le groupe de formation, soit en présentiel soit en utilisant les modalités hybrides désormais possibles, en synchrone ou en asynchrone.

Quel constat sur les ressources disponibles, localement, en académie ou nationalement ?

Durant les dernières décennies, les moyens accordés à la formation continue et à la formation des formateurs ont considérablement été diminués, et les ressources disponibles sont désormais insuffisantes, bien que dans certaines académies, subsistent des équipes de formateurs spécifiquement organisées et formées, en capacité d’accompagner les équipes d’enseignants, notamment en éducation prioritaire. Elles sont, selon les contextes, intégrées à la division de la formation du Rectorat, structurées autour du DASEN, constituées au sein des IUFM-ESPE ou regroupées dans un centre de ressources spécifique.

Une des priorités doit donc être de développer ces ressources humaines, en articulant le niveau d’initiative nationale, académique et départemental, en renforçant les compétences individuelles et collectives, en les articulant aux différents niveaux de pilotage pédagogique.

Quelques pistes de propositions proposées à la réflexion collective pour y parvenir :

1. Développer la recherche sur la formation, les ponts entre la recherche et la formation

Actuellement, si la recherche sur la formation connaît des développements importants dans différents univers professionnels, ce champ reste peu exploré pour les métiers de l’enseignement. Le développement d’une commande nationale explicite sur cette question, en s’appuyant sur les universités et les structures nationales existantes (ESEN, IFÉ, CNDP…) pourrait permettre :

  • la diffusion des savoirs de recherche disponibles sur la formation des enseignants, notamment par une plateforme Internet nationale.
  • le renforcement des travaux de recherche sur la formation des enseignants, notamment par l’articulation et le dialogue entre les différentes approches de recherche et de nouveaux appels d’offres de recherches sur les questions vives de l’éducation et de la formation.

2. Mettre en œuvre un plan national de formation de formateurs, en académie et dans des masters spécifiques

La professionnalisation des formateurs, dans le premier et dans le second degré, nécessite une certification validée par l’Université, notamment par un master spécifique « formation de formateurs » ou « ingénierie de la formation ». Il existe actuellement, sur le territoire national, une vingtaine de Masters organisés par les Universités sous des appellations de ce type, sans forcément qu’un lien soit organisé avec les différents niveaux institutionnels de l’Éducation Nationale. Depuis une dizaine d’années, plusieurs centaines d’enseignants ont été certifiés.
Un développement de ce modèle peut être permis par :

  • une contractualisation nationale avec les responsables de ces masters, permettant la mise en place d’un label national pour toutes les maquettes qui s’inscriront dans un cahier des charges défini par une instance partenariale entre le ministère, les représentants des académies et des composantes des universités responsables de ces masters.
  • un engagement des académies et des DASEN à favoriser la participation de leurs formateurs à ces masters, notamment par la formalisation de projets individuels de formation de formateurs, impliquant pour les bénéficiaires la perspective d’intégrer les équipes ressources académiques pour l’ingénierie de formation en échange de conditions facilitantes pour suivre un Master de Formation de Formateurs.

3. Créer des espaces nationaux, académiques, locaux, de travail collectif entre les pilotes et les métiers de la formation des enseignants

Au-delà des structures existantes, souvent directement dépendantes des autorités hiérarchiques et destinées au pilotage opérationnel de la mise en œuvre du plan de formation, il est nécessaire de créer des espaces institutionnels de travail entre les pilotes et les différentes catégories de formateurs pour :

  • permettre des analyses croisées des questions vives de formation, des évolutions des conditions de mise en œuvre de la formation (notamment autour du développement des modalités hybrides). 
  • faire le bilan des modalités de formation engagées, diffuser les initiatives considérées comme efficaces, réfléchir à de nouvelles ingénieries ou priorités de formation en fonction des difficultés professionnelles constatées;
  • développer les espaces de formation continue des formateurs, des apports issus de la recherche, et la diffusion de ressources produites aux différents niveaux.

Selon les contextes locaux, et en fonction de l’état des lieux, une vigilance particulière devra permettre d’implanter ces espaces de travail dans les espaces les plus pertinents (au sein de l’ESPE, dans une division de l’action éducative et de la formation ou dans un centre de ressources spécifique type CAREP)

4. Insérer une obligation de formation continue dans les contractualisations « Éducation Prioritaire » à venir, avec un modus opérandi clair entre les différents niveaux

Chaque contractualisation « Éducation Prioritaire » comprendra une dimension spécifique « formation continue » qui précisera, pour les quatre ans de la contractualisation :

  • les moyens financiers et humains consacrés à la formation continue des différentes catégories de personnels, ainsi que les interlocuteurs référents au sein de l’académie et du réseau, susceptibles d’être ressources pour les équipes et les pilotes du réseau
  • les axes prioritaires de la formation, définis après consultation et travail collectif avec les acteurs concernés

Les acteurs et les réseaux disposeront d’un droit d’évaluation des ressources de formation qui auront été mises à leur disposition dans la construction des ingénieries de formation.

[1] Activité humaine exigeant un effort soutenu, qui vise à la modification des éléments naturels, à la création et/ou à la production de nouvelles choses, de nouvelles idées (CNRTL). « acte par lequel l'homme se produit lui-même » (Hegel - Phénoménologie de l'Esprit)