Séance 5 : Quel impact du partenariat sur les métiers, quelle évaluation du travail partenarial ?
Cette cinquième séance a abordé la question des métiers de la coordination en explorant leur précarité et les leviers qu’ils représentent pour le travail partenarial à travers une analyse sur les « métiers flous » et la présentation de l’expérience d’une coordinatrice de Dispositif de Réussite Educative.
Puis la présentation des théories de « l’activité » invite à regarder au-delà du travail partenarial « prescrit » pour s’intéresser à la réalité du travail avec d’autres métiers.
Le débat montre ensuite l’importance de se mettre d’accord sur les critères de réussite des actions partenariales.
Les métiers « flous » de la coordination
Exposé de Jean-Marc Berthet reprenant la trame de l’ouvrage « Les métiers flous » de Gilles Jeannot[1] qui peut s’adapter aux métiers de la coordination dans l’éducatif.
Les métiers sont flous car la manière dont on travaille s’est transformée : on est passé de la réponse aux besoins à la réponse aux problèmes. Pendant très longtemps, l’action publique a cherché à répondre à des besoins. Aujourd’hui elle tente de répondre à des problèmes : banlieues, insécurité, décrochage, etc… Elle cherche des solutions dans l’urgence alors même qu’autrefois les solutions étaient pensées dans la durée. Le rapport au temps de l’action se transforme : c’est la tyrannie de l’urgence qui prédomine. L’action publique est donc pragmatique : c’est en situation que la norme d’action se produit et se construit : elle n’est jamais donnée a priori. Elle fait deux choses : elle prend en charge des problèmes, elle travaille sur ce qui résiste et qui ne va pas de soi ; ce qui ne peut que la rendre floue. Ce flou est aussi expliqué par différents éléments. Tout d’abord, les objets de l’action publique sont flous car ils sont composites, à l’articulation de différents domaines, de différentes compétences, de différentes institutions, de différents métiers. Ils restent difficiles à définir. Ils imposent des postures professionnelles particulières qui ne sont pas toujours reconnues par les institutions.
Ensuite, le positionnement même des métiers flous dans les organigrammes reste instable, de même que leur dénomination extrêmement variable (chargé de mission, chef de projet, agent de développement, référent de parcours,…). Par ailleurs, ces postes sont souvent précaires, en contrats à durée déterminée, qui renforcent le flou évoqué : ils rentrent très peu dans les classifications usuelles des professions installées. Enfin, dans ce développement des métiers flous, dans la mesure où les problèmes pris en charge relèvent de différentes institutions, ils obligent aux partenariats et travaillent donc à l’articulation de différentes professionnalités en tentant de les faire communiquer entre elles. Du coup, se construit un nouveau temps de l’action qui est le temps de la lenteur et de la longueur car le partenariat prend du temps. Comme les métiers sont flous, souvent fortement personnalisés, le partenariat tend lui aussi à se personnaliser et à sortir d’une stricte logique institutionnelle, qui dépasserait cette question des personnes. Les métiers flous posent alors la question de leur légitimation.
C’est à ce point que l’on peut parler de la valeur et de l’évaluation. En effet, derrière ces questions de légitimité, peut-être est-ce la valeur du travail réalisé qu’il s’agit de mieux reconnaître…
Partage d’expérience : le métier de coordonnatrice de dispositif de réussite éducative
Intervention de Cécile Picot pour présenter ses missions de coordonnatrice de la réussite éducative sur l’agglomération viennoise, après une expérience similaire de 2 ans à Sens dans l’Yonne.
Elle a commencé par présenter sa fiche de poste.
Missions :
- Piloter et évaluer le dispositif
- Promouvoir et développer les accompagnements individuels des enfants et jeunes
- Garantir le suivi, la mise en œuvre et l’évaluation des parcours individuels en lien avec les familles et les professionnels
- Animer les instances techniques du dispositif (comité technique, équipe pluridisciplinaire de soutien)
- Encadrer et soutenir le travail des référents de parcours
- Assurer le suivi administratif et financier du dispositif en lien avec le service comptabilité.
- Identifier les besoins et attentes sur le territoire et proposer des offres adaptées
- Poursuivre le développement du réseau des référents de parcours en lien avec les partenaires du territoire
Profil/expérience :
- Formation supérieure (BAC + 4)
- Expérience professionnelle dans le domaine de la politique de la ville et/ou de l’action éducative
- Connaissance des acteurs sociaux et éducatifs
- Maîtrise de la méthodologie de conduite de projet
- Capacité à négocier et animer les relations avec différents partenaires
- Capacité à travailler avec des élus, des techniciens et des habitants
- Dynamisme, créativité et bonnes qualités relationnelles
- Capacité à organiser son travail par objectif et évaluer l’efficience, la performance, les résultats et leurs effets
- Esprit de synthèse et d’analyse
- Capacités d’adaptation
- Disponibilité
Pour être coordinateur, il n’était pas demandé de formation particulière mais un niveau d’études et des capacités. Cela souligne que ce qui est demandé avant tout ce sont des capacités relationnelles, de mise en place de partenariat et de positionnement par rapport aux familles accompagnées. Cela est très représentatif de tous les nouveaux métiers. En même temps, cela met de fait les coordonnateurs dans une position différente par rapport aux principaux partenaires. En effet, les enseignants, assistants sociaux, éducateurs, animateurs… occupent ces fonctions car ils ont suivi des études pour cela. On pourrait presque aller jusqu’à dire que le poste de coordinateur se définit souvent par la négative : il n’est pas enseignant, il n’est pas assistant social…Même au niveau des financements de l’Etat, le coordinateur ne doit pas être fonctionnaire. Ce positionnement particulier pose la question de la légitimité à intervenir dans la sphère éducative mais en même temps constitue un atout indispensable dans le travail effectué.
Cette légitimité d’intervention puise sa source à différents niveaux :
- Par rapport aux familles, la question ne se pose pas vraiment. Les familles trouvent simple de travailler avec les professionnels de la réussite éducative, elles ne se posent pas la question du fonctionnement administratif ou institutionnel du PRE.
- Par rapport aux partenaires, 2 situations différentes entre Sens et Vienne
- A Sens, la première question que posaient les partenaires : quelles études avez-vous faites ?
- A Vienne, la question de la légitimité s’est plus tournée vers la légitimité d’intervention du PRE que par la fonction exercée. La question des études n’a pas été posée dans la mesure où l’expérience préalable à Sens avec un dispositif de plus de 200 enfants suivis en individuel à l’année et avec un partenariat fort légitimait l’action et le positionnement vis-à-vis des partenaires.
Ce positionnement singulier a aussi des atouts importants :
- Vis-à-vis des partenaires : le coordinateur est équidistant avec chacun ;
- Vis-à-vis des familles, le coordinateur peut faciliter le lien entre les différentes institutions et les familles. Il peut dire : « Je serai en lien avec l’enseignant de votre enfant, mais je ne suis pas enseignant ; je serai en lien avec l’assistante sociale mais je ne suis pas assistante sociale. Je vais donc pouvoir faire le lien puisqu’à la fois je suis comme la famille en dehors des institutions mais en même temps nos habitudes de travail font que nous travaillons en confiance ensemble. » Cela permet un discours crédible pour les familles.
- Ne pas maîtriser l’ensemble des connaissances techniques n’est pas un frein. Cela permet d’aller vers les autres, de construire avec eux.
Débat
Ces deux présentations ont permis un premier débat où les participants se sont reconnus dans les descriptions faites. Sur la réussite éducative, certains ont estimé qu’il était important malgré les contraintes évoquées de ne pas institutionnaliser ce dispositif, dans la mesure où son positionnement spécifique en constituait toute la richesse. Certains ont évoqué la « dangerosité » de ces métiers ou le travail « empêché » qu’ils pouvaient entraîner du fait même des difficultés partenariales dans la mesure où ces métiers ont pour caractéristique principale de dépendre des autres partenaires. C’est la notion de complexité qui alors été évoquée : complexité des relations entre les différentes institutions concernées, complexité de la mise en lien de métiers différents, complexité des situations sociales à traiter, complexité du positionnement même : « des précaires qui travaillent avec des précaires ». Le turn-over de ces métiers a aussi été pointé de même que leur reconnaissance. Pour l’Education Prioritaire, le terme même de coordonnateur n’est plus dans les textes officiels alors même que de facto, c’est la fonction qu’ils devraient assumer.
Prescriptions, métiers, travail réel, évaluation, quel impact sur le partenariat ?
Intervention de Simon Flandin, chargé d’études au Centre Alain-Savary et doctorant
Simon Flandin a discuté les idées développées précédemment dans le cadre théorique de l’analyse du travail, de façon à articuler les différentes contraintes et ressources qui organisent l’activité partenariale. De manière générale, les organisations de travail sont passées d’un pilotage par l’ingénierie (qui invente des réponses à des besoins, en créant notamment des outils) à un pilotage par la gestion (qui vise à solutionner des problèmes en gérant des portefeuilles, des indicateurs). Cela implique de regarder au plus près le travail réel et non pas seulement le travail tel qu’il est prescrit. C’est dans cette tension que se jouent les liens entre légitimité (conférée par l’institution) et crédibilité (conférée par la reconnaissance sociale du travail). Le métier est un entre-deux entre le travail (activité déployée au quotidien) et la profession (ensemble des éléments professionnels statutaires et institutionnels). Or, si le travail partenarial réel est effectué chaque jour, la profession reste définie en creux, notamment en ce qui concerne le coordonnateur : à la lecture des énoncés officiels, on sait ce qu’il n’est pas, mais pas tellement ce qu’il est.
Les questions de déontologie, déclinées en termes d’éthique mais aussi et surtout de critères du travail bien fait, importent pour fortifier la notion de métier, qui semble être le principal niveau de développement possible de la fonction partenariale. Sur le travail collectif et ses difficultés il faut distinguer le collectif de la collection. Une réunion de personnes n’est pas un collectif mais bien une collection de personnes. La notion de collectif ne peut émerger que lorsqu’on com-mence à discuter avec ses collègues de la définition que les uns et les autres donnent au travail bien fait, y compris en prenant le risque de la controverse professionnelle.
Une entrée « activité » héritée de l’ergonomie[2]
Les questions de déontologie, déclinées en termes d’éthique mais aussi et surtout de critères du travail bien fait, importent pour fortifier la notion de métier, qui semble être le principal niveau de développement possible de la fonction partenariale. Sur le travail collectif et ses difficultés il faut distinguer le collectif de la collection. Une réunion de personnes n’est pas un collectif mais bien une collection de personnes. La notion de collectif ne peut émerger que lorsqu’on commence à discuter avec ses collègues de la définition que les uns et les autres donnent au travail bien fait, y compris en prenant le risque de la controverse professionnelle.
Rapport à la formation : la formation servirait à réduire l’écart entre le prescrit et le réalisé. Une inversion méthodologique consiste à partir de l'activité déployée dans le travail auquel on forme, et non de savoirs académiques et a-prioriques, pour élaborer des ressources de formation.
Travail en groupes et échanges
Puis les participants ont travaillé en trois groupes sur les critères de réussite de la réussite éducative. Une synthèse de ces échanges sous forme de carte heuristique a alors été produite, catégorisant et synthétisant les propositions des différents acteurs du partenariat. Cette formalisation a permis de nouveaux débats entre participants.
Débat
Les questions sémantiques sont toujours un problème dans la relation entre les partenaires, chacun ne mettant pas le même sens suivant les mêmes mots. D’où la nécessité de prendre le temps d’expliciter ce que chacun met derrière un mot pour aller au-delà d’un apparent consensus qui peut masquer des tensions qui ne manqueront pas de ressurgir.
Puis c’est surtout la notion de critère de réussite qui a été discutée dans la mesure où elle reste floue. Ainsi un jeune, qui était en dépression et qui se met à commettre des incivilités, peut être vu dans une forme de réussite, dans la mesure où il exprime quelque chose à travers ses actes.
Enfin la notion de diagnostic partagé a été évoquée. Celui-ci est bien souvent différent sui-vant les partenaires et il amène donc des solutions différentes. Toute la difficulté est de sortir de la pure évaluation administrative pour partager nos critères « du travail bien fait »[3].
[1] Jeannot Gilles, Les métiers flous. Travail et action publique, Toulouse, Octarès, 2005, 166 p.
[2] Hubault, F., Noulin, M., Rabit, M. (1996). L’analyse du travail en ergonomie. In P. Cazamian, F. Hubault, & M. Noulin (Éds.), Traité d’ergonomie (pp. 289-308). Toulouse : Octarès. On peut également trouver ce modèle présenté dans un article plus succinct disponible en ligne: Fabrice Bourgeois, et François Hubault, Prévenir les TMS De la biomécanique à la revalorisation du travail, l’analyse du geste dans toutes ses dimensions, IN @ctivités, volume 2 numéro 1
[3] Yves Clot, Le travail à coeur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2010