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Centre Alain Savary
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Controverses

Par Henrique Vilasboas publié 27/03/2019 15:45, Dernière modification 30/03/2020 15:02
Ces trois modules d'ouverture de la classe aux parents d'élèves suscitent le débat parmi les professionnels de terrain et les chercheurs. Tout le monde peut donner un avis, pour ou contre... mais la réflexion avance bien davantage lorsqu’elle se nourrit de la réalité de l’expérience. Plusieurs professionnels ont pris le temps d'échanger suite à la présentation des projets. Extraits de cet échange.

Des questions de travail

En décembre 2018, un groupe de travail a réuni à l'IFE des enseignants, un formateur et une coordinatrice impliqués dans les dispositifs avec d'autres enseignants-formateurs et des chercheurs . Trois questions ont émergées suivies d'une discussion résumée ci-dessous.

  • La démarche d’ouverture de la classe aux parents est-elle légitime ? Ou faut-il  respecter le «jardin secret» des élèves et préserver le domaine d’expertise de l’enseignant ? 
  • La notion de «responsabilisation» des parents est-elle porteuse de parité d'estime ? Ou ne risque-t-on pas de culpabiliser et disqualifier les parents, lorsqu'on veut les acculturer au système scolaire ?
  • Le lien est-il avéré entre implication parentale et réussite scolaire de l'élève ? Ou faut-il se centrer sur les effets sur le climat scolaire et l'évolution des pratiques enseignantes ?  

Extraits de la discussion

Remarque: les discutants présents au séminaire sont présentés ici avec leur statut professionnel à la date de la discussion. 

Les avis divergents de deux enseignantes de collège

Dans les établissements concernés, l’entrée des parents dans les classes n'a pas fait l’unanimité, au sein d'équipes enseignantes pourtant convaincues de la nécessité d’une collaboration entre parents et enseignants. Deux points de vue se confrontent.

«En raccourci, cette idée de faire entrer les parents dans la classe, je dirais "mais de quoi je me mêle ? " Ce n’est pas la peur de me sentir jugée. Je trouve formidable le café des parents, pour créer du lien entre eux et avec nous, pour dédramatiser l’école, je trouve important leur participation au conseil de classe. Mais l’espace de la classe doit être préservé pour les élèves qui sont des ados. Les parents n’ont pas à y entrer ni à tout comprendre. Je suis contre les devoirs à la maison, éventuellement les jeunes peuvent relire leurs cours à la maison, mais les devoirs écrits doivent être faits au collège avec un enseignant. (…) Je pense que les parents se mettent eux-mêmes en situation de culpabilité dès que leur enfant est en difficulté, je constate une grande angoisse et je pense que les faire venir en classe risque d’augmenter ce sentiment. L’échec de leur enfant est leur échec.» (Enseignante d’anglais en collège REP+)

«J’ai été sollicitée pour faire entrer des parents dans la classe. J’étais intriguée, je voulais voir comment ça allait se passer et les débats que ça ferait avec les collègues. En même temps je me questionnais, j’avais peur du côté normatif, comme si on donnait un modèle. Finalement j’ai accueilli plusieurs parents, ce qui est intéressant c’est leurs réactions à chaud. Par exemple, un parent remarque "c’est très interactif" car ce n’est pas l’image de l’école qu’il a connue. J’ai senti les parents rassurés. C’est l’occasion de montrer nos champs complémentaires, pas de demander aux parents de faire pareil à la maison. Il y a un message fort : il doit y avoir du partage, mais on n’est pas là pour prendre le métier de l’autre. Ce qui m’interroge, c’est comment ça se poursuit auprès des autres parents. On répond à une demande de certains parents, mais ce n’est pas la majorité… sur 500 élèves on a 17 parents dans le dispositif !» (Enseignante d’histoire-géographie en collège REP+)

L'interrogation d'une chercheure

Pascale Ponte est enseignante-chercheure en sciences de l'éducation à l'Université de Cergy Pontoise et responsable du LEA "écoles-familles " de Grigny. Elle interroge l’hypothèse de départ, selon laquelle il y aurait une corrélation entre l'intérêt manifesté par les parents pour la scolarité et la réussite scolaire des élèves.

«Si cette hypothèse était vérifiée, il suffirait que les parents s’investissent dans la vie de l’école, dans une meilleure compréhension des rouages scolaires, pour que leur enfant puisse progresser à long terme.»

Elle trouve que cette hypothèse, selon laquelle la responsabilisation scolaire parentale serait indispensable, est culpabilisante pour les parents.

«Pourquoi responsabiliser les parents ? L’implicite serait que les parents ne seraient pas responsables ? Qui sommes-nous pour sous-entendre ça ? Et puis rendre les parents responsables de la réussite scolaire de leur enfant, c’est trop de poids sur eux. On ne connaît pas la vie des parents, ce sont des adultes, ils ont eu un parcours personnel par rapport à l’école, c’est leur vie ! Le risque serait de dire que les parents qui feraient cette formation seraient de bons parents responsables et puis les autres, non !».

De son point de vue de chercheure, elle suggère, dans l'évaluation de ces dispositifs, de renforcer le regard sur l’amélioration du climat scolaire, qui est sans doute un effet réel plus que l'amélioration des résultats scolaires.

La réponse d'uN formateur 

Thierry Jolly  est formateur et responsable associatif  du dispositif "REPERE" à Villiers-le-Bel. Il  répond sur la question de la culpabilisation des parents.

«L’école est responsable de sa propre fermeture, depuis la non-lisibilité de ses outils de communication jusqu’aux mesures Vigipirate. C’est cette fermeture qui crée de l’angoisse et renforce la culpabilité des parents. L’ouverture répond à une demande parentale à laquelle Il faut donc répondre. Il est vrai que cette demande n’est pas celle de tous les parents, mais ce n’est pas le rôle des directeurs de désigner les parents qui seraient les "bénéficiaires" justifiés d’un tel dispositif. Lorsqu’on fait une invitation, on ne dit pas à certains parents ciblés de venir, on dit à l’ensemble de venir. Mais ce que l'on peut remarquer, c'est que certaines ruptures "établies" -par exemple entre enseignants et parents d'enfants en difficultés à l'école- se réduisent considérablement et autorisent parents/enfants/enseignants à croire de nouveau que la réussite scolaire est possible. Chaque année montre qu'il y a un appel créé par les parents ayant participé aux modules, puisque ceux-ci en parlent positivement à la grille de l'école ou dans le quartier. La plupart des parents de ces quartiers populaires  restent invisibles dans la relation pédagogique qui les lie à l'École. Ils subissent  les réunions d'équipe éducatives, sont convoqués aux remises des livrets scolaires... Ce n’est pas sous le trait de la culpabilité que les parents entrent dans ce dispositif. Ils viennent parce qu’ils ont l’impression que l’école n’est pas lisible et vivent dans l'incertitude de faire les bons choix pour leurs enfants. "Qu’est-ce que je vais rater ? Qu’est-ce que je n’aurais pas fait et que j’aurais dû faire si mon enfant échoue ?" Une mère m'a donné cette réponse effarante "je paie [des cours particuliers] pour ne pas culpabiliser".   

Les réserves d'un chercheur

Pierre Périer est sociologue, professeur en Sciences de l'éducation à l'université de Haute-Bretagne,  membre du Centre de Recherche sur l'Education les Apprentissages et la Didactique (CREAD). Il émet plusieurs réserves. Pour lui, le postulat de la corrélation entre implication parentale et réussite scolaire est à relativiser, car il y a des contre-exemples : des cas où les parents s’impliquent et l’enfant ne réussit pas, et l’inverse. Ce postulat ne peut être mis en avant comme une certitude, puisque le dispositif est difficilement évaluable. Il explique que cela rejoint le constat des chercheurs qui ont tenté d’évaluer les dispositifs d’accompagnement à la scolarité : la multiplicité des paramètres et des variations individuelles rend quasi impossible des conclusions qui généralisent. Or l’évaluation est nécessaire pour se garder du risque de se diluer dans les bonnes intentions de l’action. Mais il faut se rappeler que le sous-groupe de parents concernés est très réduit, souvent limité aux parents déjà mobilisés. Le dispositif ne touche pas ces parents «invisibles», ceux-là même qu’il faudrait étayer davantage.

«Le modèle même de parent-aidant, modelé selon les attentes de l’institution, est à interroger car il est très prescriptif. C'est comme si on demandait aux parents d’acquérir des compétences d’enseignants. Au contraire, la notion d’implication parentale doit prendre une définition très ouverte. Elle peut prendre des formes très variables, et ne peut être réduite à l’inclusion pédagogique. L’implication des parents, ça n’implique pas nécessairement d’être dans l’école, mais de valoriser l’école et les savoirs. Ça peut être de parler de l’école à la maison, d’aider l’enfant à avoir un projet qui passe par l’école, une ambition. Ça peut passer par des activités, des jeux, l’accès à certains équipements dont l’enfant va bénéficier à travers ses parents. Les intérêts des parents ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des enseignants et la demande d’explicitation pédagogique n’est pas une réalité pour un bon nombre de parents. Cette forme d’injonction peut même produire l’effet contraire à celui escompté.(...)
Si la démarche de rendre l’école plus lisible semble légitime, à travers les centaines d’entretiens dont nous disposons, nous n’entendons pas que les parents (éloignés de l’école) attendent d’en savoir beaucoup plus sur comment on enseigne pour pouvoir mieux aider leur enfant à la maison. Ils attendent surtout que ça soit l’école qui prenne en charge sur le temps scolaire ce qui relève des devoirs et des apprentissages, parce que ce n’est ni de leur compétence et ni leur rôle. Donc cette attribution de responsabilité des parents qui doivent faire à la maison ce que l’école attend, est un facteur d’inégalité et d’injustice entre les parents.»

Le chercheur met en garde contre les effets normatifs de cette démarche qui pourrait glisser du pédagogique vers l’éducatif. À travers les explications sur l’école se profilerait une question: «Qu’est-ce qu’être un bon parent ?» et celui-ci serait celui qui est en conformité avec les attentes normatives de l’école. Finalement, Pierre Périer propose d’interroger les effets du «fonctionnement ordinaire» de l’institution école, qui produit contre son gré des discriminations en disqualifiant certains parents.

«Ces parents qui ne peuvent ni aider, ni faire aider, (…) subissent une violence symbolique et vont avoir des mécanismes défensifs pour se protéger vis-à-vis d’une institution qui apparaît comme une menace. Je crois que l’institution doit être plus réflexive sur elle-même, plutôt que d’attendre des parents qu’ils le soient vis-à-vis d’elle. (…) Alors l’école serait moins injuste vis-à-vis de certains parents et en particulier ceux dont on parle ici.»

Le témoignage d'un formateur CASNAV

Jean-Luc Vidalenc est enseignant FLE et formateur au CASNAV du Rhône (Centre Académique pour la Scolarisation des enfants allophones Nouvellement Arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs). Il voit au contraire les vertus de ce type de dispositif par le partage et l’ouverture qu’il propose aux parents et aux enseignants.

«Chaque parent est à sa façon "acteur" dans le lien à l’école. Certains parents s’intéressent beaucoup, ils refont les cours, ou ils paient des gens pour le faire alors qu’ils n’ont que très peu de ressources. D'autres encore ne font apparemment rien, peuvent même dénigrer l’école ou en ont peur à cause de leur propre analphabétisme ou illettrisme. Mais quelle que soit la posture du parent, son niveau scolaire, son rapport à l’école, il a une action avec ses enfants du côté de la scolarité. Les parents sont donc toujours acteurs, même quand on croit qu’ils ne le sont pas ou qu’ils ne peuvent pas l’être. Ce que j’entends dans ces dispositifs c’est « on va les aider à être acteurs différemment », peut-être un peu mieux, mais avec quelque chose d’essentiel c’est un partage. (...) Pour moi on n’est pas du côté du déficit, on fait passer le message qu’ils sont capables de quelque chose. Si on les jugeait  irresponsables on dirait par principe que les parents ne peuvent pas agir. ».

Il insiste sur le «point aveugle» propre aux enseignants qui élèvent leurs propres enfants avec la connaissance de tous les implicites de l’école.

«Les enseignants doivent donc apprendre ce qu’est un "parent non-prof" et plus encore un parent "non-lecteur"».

Le formateur raconte une situation vécue dans un dispositif comparable d’aide aux devoirs, en présence du parent. 

«Une élève de début de CP doit apprendre une poésie assez longue, qui a été travaillée à l’oral en classe, puisque les enfants ne savent pas encore lire. La maman demande à sa fille "Vas-y, lit !". Cette mère n’imaginait pas que sa fille en début de CP ne pouvait pas lire un texte de 20 lignes, et l’enseignante n’imaginait pas que les parents pouvaient donner cette injonction à leur enfant. Donc c’est un moment de partage : la maman comprend où en est son enfant, l’enseignante apprend qu’elle n’a pas donné assez de repères aux parents. Les parents apprennent la réalité de l’école, l’enseignante apprend la réalité des parents. On est vraiment dans une réciprocité.»

Le point de vue d'une chargée de mission CAREP

Isabelle Bordet est formatrice au CAREP de Normandie (Centre Académique de Ressources pour l'Education Prioritaire). Elle voit l’intérêt de ces dispositifs, dans la possibilité pour les parents de s’approprier les codes de l’école. Elle fait référence aux recherches de Patrick Rayou qui a montré le rôle de la méconnaissance des codes dans le creusement des écarts. Elle pose cependant la question de «l’école à la maison» comme un dilemme de métier pour les enseignants.

«Qu’attend-on des parents à la maison, puisque ce n’est pas de nous remplacer dans notre rôle pédagogique et didactique ? Comment va se construire la coéducation autour du travail scolaire ? Pour moi, un autre intérêt de ces dispositifs est la transformation des pratiques enseignantes qu’ils peuvent induire, comme on l'a vu. Je postule que par cette ouverture les enseignants iront vers plus d’explicitation pour les élèves et les parents, et réduiront le "point aveugle" lié à notre trop bonne connaissance de l’implicite scolaire.»

La conclusion de la chargée d'études du  Centre Alain Savary

Marie-Odile Maire-Sandoz est chargée de mission et  à l'initiative de ce séminaire. Elle conclut en insistant sur la nécessité de proposer aux parents «plusieurs portes à ouvrir».

«Tout dispositif unique n’est ni suffisant ni satisfaisant. Faire entrer les parents dans les classes est une option de l’ordre du possible, comme l’ont démontré ces dispositifs. Cette option doit être complétée par d'autres pour répondre aux besoins de tous les parents. Mais pourquoi priver certains parents qui le souhaitent de faire ces découvertes, alors que nous-mêmes, dans un statut privilégié, on sait comment ça fonctionne ?»

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