Roland Goigoux, enseigner la lecture et l'écriture au cours préparatoire : questions vives
Nous synthétisons ci-dessous le propos de Roland Goigoux dans chacun des neuf chapitres de la conférence.
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1. que signifie recommander une méthode "de type syllabique" ?
Enseigner la lecture de type syllabique signifie :
- étudier de manière explicite les correspondances grapho-phonémiques (entre les lettres et les sons)
- pratiquer la combinatoire
Lors de la recherche lire-écrire, les chercheurs ont observé que les enseignants consacrent 3h10 en moyenne par semaine chaque année dans les CP de France aux activités de déchiffrage. 47 % d’entre eux enseignent en partant des phonèmes et 53% en partant des graphèmes. Mais le choix de l’approche n’y a pas d’effet significatif sur les apprentissage des élèves.
Il y a aujourd’hui un consensus scientifique à propos de l’enseignement de la lecture dans les trois univers de recherche que sont les neurosciences, les sciences du comportement et les sciences de l’intervention : plus les élèves accèdent rapidement au déchiffrage, plus ils ont accès à la lecture autonome des textes.
Si les neurosciences ont permis de visualiser les différentes connexions neuronales mobilisées lorsque l’enfant déchiffre en utilisant la voie directe ou indirecte, elles n’expliquent en rien comment l’enseignant doit agir en classe.
En évoquant la recherche lire-écrire et quelques-uns de ces résultats, Roland Goigoux réaffirme la complexité de l’acte de lire qui ne se cantonne pas à la simple tâche de déchiffrage, comme il va le préciser dans les chapitres suivants.
Pour aller plus loin :
Stanislas Dehaene, sur eduscol ou dans l'émission France culture (09/2017) « les chemins de la philosophie »
Roland Goigoux présente la recherche Lire-Ecrire sur la radio-web de l'IFE
Le rapport IGEN Delahaye-Grard grande pauvreté et réussite scolaire
2. qu'est-ce qu'une méthode syllabique ? Forces et faiblesses
Il faut faire la distinction entre une méthode "de type syllabique" et une méthode syllabique stricte. Cette dernière est définie par leurs auteurs par plusieurs principes, notamment : une approche graphémique, qui part de la lettre et y attribue une valeur sonore conventionnelle ; ne jamais faire déchiffrer aux enfants des mots qui comporteraient des graphèmes non encore étudiés ; ne pas faire mémoriser de mots entiers dont les phonèmes n'ont pas encore été étudiés ; déchiffrer à haute voix de plus en plus vite ; la lecture de mots et de textes entièrement déchiffrables. Les auteurs expliquent que la compréhension va découler de cette automatisation progressive.
R. Goigoux est donc réservé sur cette approche. Les neurosciences montrent que l’enfant apprend d’autant mieux qu’il est actif et attentif, et qu'il peut apprendre par analogie. Toutes les activités qui sollicitent activité et attention de l’enfant seront plus efficaces. Il est donc cohérent de faire du déchiffrage une véritable activité de découverte stucturée, de tâtonnement guidée, d’expérimentation régulée. Ainsi, l’enseignement par analogie a toute sa place dans l’enseignement du déchiffrage. Loin du jeu des devinettes, l’enseignement par analogie est une activité d’analyse et de déduction. On est loin des oppositions binaires entre "globale" et "syllabique".
Pour aller plus loin sur les méthodes phonémiques :
L'ouvrage « Apprendre à lire » de J.-P. Terrail
Le manuel "je lis, j’écris"
3. la méthode syllabique stricte a-t-elle fait la preuve de sa supériorité ?
Quatre études françaises nourrissent ce débat dans les dernières années. Celle de Gentaz (2013), avec un protocole scientifique incontestable (pré-tests et post-tests) conclut à la non-supériorité des résultats d’un groupe de 40 classes entrainées au décodage sur un groupe témoin. L’étude de Dauviau (2015) et celle de Garcia & Oller (2016) vont dans le sens d’une efficacité de l’approche syllabique stricte, mais leur méthodologie de recherche n'est pas valide sur le plan scientifique. L’étude Lire-Ecrire (2015) dans 131 classes ne conclut pas à une supériorité attestée d’une approche sur l’autre. Elle postule que c’est une combinaison complexe de variables qui contribue à l’efficacité de l’enseignement (étude du code/compréhension de l’écrit/écriture/étude de la langue/acculturation/lecture à haute voix, mais aussi climat de classe, engagement dans le travail, feed-backs immédiats, explicitation, utilisation efficace du temps en interaction avec un adulte…). Dans cette recherche, aucun « effet-manuel » n’est suffisant pour expliquer les variations d’effet-classe. C’est sans doute pour partie lié au fait que les enseignants utilisent très différemment les manuels.
Pour aller plus loin
• Deauviau, J., Lecture au CP : un effet-manuel considérable. Rapport de recherche
• A propos de Garcia, S. et Oller, A., Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l’action pédagogique
• Une conférence de S. Garcia et A. Oller en 2015
• Rapport LireEcrire et sa synthèse
• typologie des tâches (document à télécharger)
Blog de Luc Cédelle, journaliste
4. comment planifier l'étude du code grapho-phonémique ? selon quel tempo ?
Un tempo suffisamment rapide :
Selon les observations réalisées dans les 131 classes, à la fin des neuf premières semaines de classes, les enseignants ont étudié en moyenne 11,4 correspondances grapho-phonémiques avec de fortes disparités : certaines classes en ont étudiées 6 quand d’autres en ont étudiées 20.
Les résultats de la recherche montrent que toutes les planification du tempo ne se valent pas : y compris quand les élèves sont faibles, le tempo doit être suffisamment soutenu (14 sur neuf semaines) pour qu’ils soient confrontés à des situations de décodage qui soient stimulantes et réussies. Les enseignants qui ont un tempo trop lent pénalisent les élèves en difficulté.
Etudier des correspondances fréquentes
Plus les correspondances étudiées sont fréquentes, plus le support sera facile à déchiffrer. A l’inverse plus les correspondances étudiées sont rares, plus le support sera difficilement déchiffrable. On peut utiliser des tableaux de fréquences dans l’ordinaire de la classe et s’y référer. Conséquence : il est souhaitable de donner aux élèves, dans les activités où on leur demande de décoder, des textes « suffisamment déchiffrables » pour ne pas pénaliser les élèves en difficultés (voir plus loin « quels textes choisir ? »
• Stanislas Dehaene, Apprendre à lire
Planification proposée par Liliane Sprenger-Charolles
Planification proposée par Jérôme Riou avec l'outil Anagraph
5. comment choisir les textes-supports à l'enseignement de la lecture ?
Le logiciel gratuit réalisé par J. Riou et une équipe scientifique de l'IFE et de l'université de Clermont, à partir de la recherche Lire Ecrire, Anagraph, permet un retour réflexif sur les pratiques. Après avoir indiqué les correspondances graphèmes-phonèmes étudiées, ainsi que les mots-outils, le logiciel est capable de renvoyer le coefficient de lisibilité du texte étudié, mais aussi d’extraire des documents utiles pour le travail avec les élèves.
Les programmes 2015 précisent déjà qu’il est utile de distinguer les textes utilisés pour les activités de décodage de textes plus complexes, lus par l’adulte, intéressants pour acculturer les élèves et développer les activités de compréhension. On peut faire certaines activités avec certains textes simples, comme des gammes, et utiliser d’autres supports écrits pour d’autres activités de compréhension, à partir de textes plus résistants.
• Anagraph, sur le site de l'IFE
• un document pour le relevé des correspondances grapho-phonémiques utilisé par l'équipe de recherche lire-Ecrire
6. pourquoi les activités d'encodage sont-elles si importantes ?
Réaliser des encodages écrits, ce peut être des temps de dictée, de recomposition de mots ou phrases à partir d’étiquettes, ou des temps de production d’écrit autonome. Dans les classes observées dans Lire-Ecrire, le temps moyen de ces différentes activités est d’environ 54 mn, avec une très forte diversité (de 20 mn à 90 mn). On peut dire que c’est trop peu, pour une activité qui semble efficace à partir d’une pratique d’au moins une heure par semaine (soit un quart d’heure par jour…). Mixer les différents types d’activité (écrire sous la dictée des mots ou syllabes enseignées ; produire des petits textes écrits à partir de corpus) permet à la fois d’aller chercher en mémoire ce qui a été installé et de mobiliser ce qui est connu pour des nouvelles écritures.
7. comment articuler l'enseignement de la copie, de la calligraphie et de l'encodage ?
Les compétences en calligraphie et en copie sont elles aussi très différemment enseignées selon les classes. La copie « avec modèle » peut cacher des habiletés très différentes : en début de CP, certains élèves lèvent 8 fois la tête pour copier trois petites phrases, quand d’autres lèvent la tête 28 fois !
Si la calligraphie semble être assez bien acquise par la plupart des élèves, la liaison entre les lettres ou la ponctuation oubliée montrent la nécessité d’y consacrer du temps spécifique en classe, pour que les différentes petites difficultés ne se cumulent pas.
Il est donc efficace d’enseigner progressivement la copie différée (sans modèle) dans laquelle on ne redonne le modèle que quand l’élève le demande, pour apprendre à copier vite et sans se tromper. La présence du maître dans ces temps de copie, pour nourrir des feed-back précis, semble déterminante lors de ces apprentissages, notamment pour ceux qui sont les plus en difficultés en début de CP, pour développer des performances orthographiques.
Ces pistes sont développées dans des outils comme Scriptum.
8. comment concevoir l'enseignement de la production écrite ?
En fin de CP, l’évaluation des compétences en production écrite, dans l’enquête Lire-Ecrire, à partir d’une histoire en quatre images, montre que les élèves arrivent à produire un texte segmenté, lisible, comportant au moins trois des quatre informations essentielles. Mais nombre de classes y passent un temps limité, reportant ces tâches au CE1. Il est nécessaire de faire écrire souvent, même très peu, en les aidant à « se préparer » à tracer. Il est utile pour les élèves de savoir ce sur quoi ils peuvent s’appuyer dans les outils de la classe, savoir ce qui peut aider, faire la phrase "dans leur tête" pour mettre en mots à l’oral ce qu’on va écrire. Ils peuvent alors mieux commencer à « transcrire », mais aussi apprendre à relire ce qu'ils ont effectivement écrit, en bénéficiant là encore de feed-back immédiats de l'enseignant qui explicite, attire l’attention sur les accords, le fonctionnement de la langue… Les enseignants peuvent également se préoccuper de la question du destinataire de l’écrit, de la valorisation de la production par une mise en page, une édition sur traitement de texte par exemple.
Mais il ne faut pas que cette complexité amène à renoncer à mener ces activités qui nécessitent de prévoir, planifier, énoncer, transcrire, éditer, observer... Souvent les enseignants craignent que le « projet d’écriture » soit coûteux en temps, et finalement ne puisse être mis en pratique que trop rarement. R. Goigoux invite à oser faire simple, à prendre à la charge de l’enseignant certaines de ces tâches pour faciliter un travail de production « faisable », alternant chantiers de grande ampleur, d’aventures collectives, et d’autres moments plus ordinaires, répétés, ritualisés, permettant de gagner en automatisation et en confiance des élèves dans leur capacité à réussir, sans charger trop la barque...
Pour aller plus loin
La plateforme des linguistes de Grenoble sur les textes produits par les élèves dans la recherche Lire Ecrire (inscription requise, gratuite, sur validation de l'équipe de recherche)
La conférence sur le site Lire Ecrire sur ce que veut dire écrire en CP : types de tâches, profils de classe et progrès des élèves - Catherine Brissaud (Université Grenoble Alpes) et Martine Dreyfus (Université de Montpellier)
Une typologie d'écrits en début de CP qui peut aider à évaluer l'état de maitrise de compétence d'un élève.
Des pratiques de l’encodage aux Mureaux, du cycle 1 au cycle 3
9. comment enseigner la compréhension ?
L’enquête Lire-Ecrire s’est attachée à construire une épreuve de compréhension de textes lus, mais aussi de textes entendus. Si le score de compréhension des textes s’explique par moitié par la compétence en décodage (décodage, fluente, habilités phonologiques), les scores à l’épreuve de textes entendus (donc en enlevant la tâche de lecture par l’élève) montrent que leurs capacités viennent aussi du vocabulaire maitrisé, des habiletés linguistiques, de la capacité à lire les inférences et à comprendre les intentions des personnages, à mettre en mémoire les informations importantes d'un récit, à traduire par leurs mots les phrases de l'auteur du texte, très marquées socialement, et très prédictives des capacités en production écrit. Nombre de maitres de CP remettent à plus tard ces activités, ou consacrent à ces tâches moins de trente minutes par semaine, bien que le programme de 2015 demande de passer du temps à faire travailler cette dimension à partir de textes plus complexes qu’on leur lit, pour entrer dans l'oral scriptural.
A la maternelle, ce texte est déjà développé à partir de l’outil Narramus, dont les concepteurs (Cebe & Goigoux) ont mesuré l’impact dans une recherche construite depuis deux ans, en entrainant la compétence à raconter. Ces outils sont sans doute à développer au cycle 2.
Pour aller plus loin
• La conférence de Marie-France Bishop (Université de Cergy-Pontoise) et Sylvie Cèbe (Université Blaise Pascal - Clermont Ferrand)
• Narramus (droits d'auteurs versés à une ONG)