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Enseigner plus explicitement : Pour quoi ? Qui ? Quand ? Quoi ? Comment ? Où ?

Par sdametto — publié 13/01/2016 12:10, Dernière modification 28/02/2019 11:20
Que signifie enseigner plus explicitement ? Qui explicite ? Expliciter quoi ? Expliciter quand ? Sylvie Cèbe, Jacques Bernardin et Patrick Rayou ont donné leur point de vue lors d'une session de formation des formateurs REP+ organisée à l'IFÉ par le bureau de l'Education Prioritaire de la DGESCO en collaboration avec le Centre Alain Savary, lors d'une table ronde animée par Fabienne Paulin Moulard (IGEN).

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Télécharger tout le dossier (PDF - 20 pages - 2,1 Mo)

Enseigner de manière plus explicite pour répondre à quels problèmes ?  (Réponse de Patrick Rayou en 28 min 30)

"La personne A se mésentend avec la personne B parce que la personne A est dans une logique parfaitement claire et cohérente pour elle, la personne B est dans une autre logique. Elles parlent d'un objet commun mais appréhendé de manière différente. La difficulté est d'accéder à la logique de l'autre."

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 Vendre la mèche 0:00
 Des processus plus complexes qu'il n'y parait 3:25
 Des sous-entendus aux malentendus  7:45
 Temps didactique, temps des apprentissages  17:00 

Vendre la mèche

Patrick Rayou s’intéresse aux travaux de Bourdieu et Passeron qui montraient comment la connivence culturelle se faisait connivence intellectuelle en matière d’enseignement. Aujourd’hui, il fait le constat que, surtout dans les établissements labellisés REP, le souci de démocratisation est très présent chez les enseignants qui ont le souci d’expliciter auprès de leurs élèves. Encore faut-il savoir pourquoi on explicite et ce qu'on explicite.

Des processus plus complexes qu'il n'y parait (3  min25)

La pédagogie explicite ne va pas de soi et conduit à s’interroger sur ce qui est explicitable, ce qui est explicité dans les pratiques et ce qu’il faudrait expliciter pour une plus grande efficience des apprentissages.
D'une manière générale, les enseignants savent plutôt bien expliciter :

  • l’objet de savoir en fin de séance ; c’est l’institutionnalisation (qui ne rencontre pas toujours les attentes des élèves des milieux populaires)
  • Les supports de l’étude, c’est à dire le sens de la consigne.

Le constat qui est fait, c’est que même lorsque les enseignants tiennent explicitement ces deux bouts, ce qui semble manquer, c’est l’explicitation de la forme scolaire, ce que signifie « apprendre à l’école ».

Des sous-entendus aux malentendus (7 min 45)

Un sous-entendu est une non-explicitation dont l’enseignant est conscient tandis qu’un malentendu est un implicite de la situation que l’enseignant ne parvient pas à expliciter. On parle de malentendus sociocognitifs quand des logiques interindividuelles sont à l’œuvre sur un objet commun et qu’en même temps il existe différentes manières d’apprendre.

« L’École est un objet :

  • social parce qu’elle a la tâche absolument fondamentale de perpétuer les sociétés, de transmettre les héritages culturels, de les faire fructifier, ce qui n’est pas rien. Sans école, d’une manière ou d’une autre, les sociétés auraient un visage tout à fait différent. On peut même se demander si elles continueraient.
  •  cognitif, parce qu’il y a des manières d’apprendre, qui sont des manières particulières à l’école.

Les travaux de Guy Vincent ont depuis un moment attiré notre attention sur cette notion de forme scolaire, et sur le fait que ces logiques ne sont pas exactement les mêmes. A l’école on apprend pour le social mais pas comme dans le social. Un des paradoxes de l’école, et surtout de l’école massifiée et allongée, c’est qu’on enferme pendant une bonne vingtaine d’années une génération pour la préparer à la vie. Voilà une chose qui vu de l’extérieur peut paraître tout à fait invraisemblable mais qui néanmoins est parfaitement fondée. La vie est quelque chose d’un peu complexe et donc on estime aujourd’hui qu’il faut une préparation. Donc on va vous protéger. Je dis parfois qu’à l’école les épreuves sont des épreuves « papier-crayon » : vous faites des erreurs dans des calculs de trajectoires de trains, ça ne fait pas des catastrophes. Vous vous trompez dans des calculs de robinet vous n’inondez pas l’appartement, donc tout cela est parfaitement confortable. Sauf que c’est un monde qui est totalement artificiel, avec des savoirs qui ne sont pas les vrais savoirs, qui ont été didactisés, etc... Et tout ce travail de transformation qui nous paraît naturel, est un travail qui n’est pas du tout évident pour les élèves. Et cela est d’autant moins évident qu’ils sont dans des logiques sociales qui ne sont pas ces logiques cognitives et que souvent ces deux logiques vont entrer en conflagration.
Prenons cet exemple que j'emprunte à Bernard Lahire, qui a beaucoup travaillé sur les écrits d’élèves et en particulier les écrits des élèves des milieux populaires. Il dit que quand on demande à des élèves, pour se rapprocher de leur expérience, de décrire une journée de vacances, on va avoir des écrits très déstructurés qui signifient beaucoup pour les élèves, mais qui sont pleins de tout ce que l’écrit scolaire récuse. C’est à dire la connivence, l’implicite, la contextualisation vs la décontextualisation, pas de concordance des temps, un aplatissement des choses les unes sur les autres. Il n’y a pas d’introduction, il n’y a pas de morale tirée à la fin, etc. Les élèves sont convaincus d’avoir validé les consignes, d’avoir répondu « j’ai raconté une journée de mes vacances » et on va leur dire : « non, non mais ça, ça ne va pas du tout ». Parce que ce qu’il s’agissait de raconter, c’était sur le mode de la rédaction qui est un genre qui correspond de très loin au récit spontané que les élèves peuvent avoir entre pairs. Alors vous voyez que ceci est une question très compliquée : faut-il se rapprocher des élèves ou au contraire s’en éloigner ? Si on s’en éloigne, ils ne mordent pas dans l’école et si on leur donne ce qu’ils savent déjà, ce n’est plus l’école non plus. Il y a donc toute cette marge très compliquée qui pose la question de l’explicitation de manière aiguë... »

Aux deux registres d’apprentissages décrits ci-dessus – registre cognitif (les objets du savoir sont didactisés) et registre culturel (les objets culturels étudiés sont secondarisés) – il faut ajouter le registre identitaire. On attend de l’enfant ou du jeune qu’il s’engage en tant qu’élève dans les apprentissages. Cette manière d’être « soi-élève » à l’école est très particulière. Comprendre que le « Je » employé par Descartes dans le Discours de la Méthode n’est pas le même que le « je » de René dans la vie ordinaire, ne va pas de soi et peut apparaître aux yeux des élèves comme une sorte de récusation de leur personne.

Temps didactique, temps des apprentissages (17 min)

«Des élèves exposés à des mêmes savoirs voient ces savoirs se diffracter dans un nombre de prismes presque aussi abondants que le nombre d’élèves, même s’il y a des airs de familles dans les manières de ne pas comprendre. La grande difficulté pour les enseignants, c’est de comprendre et d’expliciter pourquoi les élèves comprennent d’une certaine manière ce qui devrait s’adresser de façon unique à tous ».

Autant dans une préparation soignée, les concepts utiles peuvent s’enchaîner et se mailler de manière très explicite, autant dans la classe les apprentissages sont aux prises avec le réel. L’explicitation de la dialectique entre enseignement et apprentissages se situe à deux niveaux : celui des élèves et celui des enseignants. Supposer que l’explicitation des consignes et des enjeux didactiques pourrait suffire, c’est considérer que l’acte d’enseigner est une action unilatérale : "Un enseignant et 25 enseignés avec un mode de réception unique". 

L'acte d'enseigner repose sur la tension entre implicite et explicite ; tension qu’il est nécessaire d’assumer en cherchant les équilibres invisibles et complexes entre les moments où il s’agit vraiment d’expliciter et les moments où on reste dans l’implicite.

Qui explicite ?  (Réponse de Sylvie Cèbe en 16 min 32)

"On les (les élèves) laisse tâtonner, explorer, découvrir les meilleures manières de faire, sans, parfois, leur expliquer comment on fait pour bien faire"

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Distinguer enseignement explicite d'instruction directe 0:00
 A quoi ressemblerait une consigne explicitée de telle sorte que tous les élèves comprennent ce qu'il y a à faire ? 2:09
Comment des changements minimes des pratiques permettent d'obtenir des progrès importants ?  5:26
 La place de l'explicitation des élèves dans les processus d'apprentissages  10:58

Distinguer enseignement explicite d'instruction directe

"Enseignement explicite" ne se confond pas avec le concept "d’instruction directe", développée au Quebec.  Pour Sylvie Cèbe, « enseigner de manière explicite » se rapporte davantage à une préoccupation professionnelle de l’enseignant qu'à une méthode systématique.

A quoi ressemblerait une consigne explicitée de manière à ce que tous les élèves comprennent ce qu’il y a à faire ?  (2 min 09)

Comment concilier "l'explicitation" avec la mise en activité intellectuelle de l'élève ? Il ne suffit pas d’expliciter une consigne pour que tous les élèves entrent dans le travail. Comment faire pour que tout le monde comprenne ce qu'il y a à faire ? Même lorsque l'élève sait reformuler la consigne, rien ne garantit qu'il ait compris le sens de la tâche. Il faut donc aller au-delà de la reformulation et engager les élèves dans une réflexion autour des critères de réussites avec des questions du type :

  • A quoi ressemblera cet exercice lorsque vous l’aurez réussi ?
  • Quelle est la règle du jeu qu'a en tête l'enseignante quand elle propose cette consigne ?
  • A quoi faut-il faire attention dans la tâche ?
  • Qu’est-ce qui va permettre de dire si c’est réussi ou pas ?

Comment des changements minimes des pratiques permettent d'obtenir des progrès importants ? (5 min 32)

A partir d’un exemple de copie montrée/cachée, Sylvie Cèbe montre comment des changements de pratiques minimes permettent d’une part d’obtenir des progrès importants, contribuent à rendre les élèves autonomes dans la réalisation des tâches d'autre part.

La place de l'explicitation des élèves dans les processus d'apprentissages (10 min 58)

Les nouveaux programmes, notamment de cycle 4, demandent massivement aux élèves d’expliquer à leur enseignant et de s’expliquer à eux-même leur démarche intellectuelle. Pour y parvenir, cela va nécessiter d'enseigner les compétences langagières requises pour expliciter les processus mis en œuvre. Les enseignants sollicitent régulièrement les élèves sur des explicitations en amont et en aval des activités, mais plus rarement pendant l’activité, alors que c’est sans doute là que ce serait le plus utile. Ainsi, dans une activité de tri d’objets en maternelle, c'est l’explicitation en temps réel de procédures efficaces, mais aussi l'usage d'un matériel adapté qui peut permettre réellement à l'élève de réaliser une exploration systématique de tous les objets, sans en oublier, et rendre toute vérification inutile puisque l'élève sait alors qu'il n'a oublié aucun objet, que chacun a bien été traité. C'est cette "explicitation en ligne" qui va permettre à l'élève d'apprendre des méthodes adaptées à toutes les tâches de tri, au-delà de celle-ci.

Quand expliciter ? (Réponse de Jacques Bernardin et Patrick Rayou en 13 min 03)

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Quatre moments propices et importants pour expliciter et faire expliciter 0:00
Des espaces collectifs pour constituer un observatoire des processus intellectuels des élèves au sein de la communauté éducative 7:35

Quatre moments propices et importants pour expliciter et faire expliciter

Jacques Bernardin pointe quatre moments importants dans la séance et/ou dans la séquence :

  • Les cinq premières minutes de cours, pour la présentation des enjeux de l'activité et l'appropriation commune de la consigne (éclaircir le but).
  • Au cours de la tâche, quand cela s'avère nécessaire, suspendre l'activité pour faire expliciter les procédures amorcées et, si besoin réorienter la tâche pour faire évoluer l’activité des élèves. Dévoilement et inventaire critique des moyens mis en œuvre qui peuvent aussi se faire au terme de la réalisation.
  • Le temps d’institutionnalisation. C’est le passage du réussir au comprendre, trop souvent éludé (ou pris en main de manière unilatérale par l’enseignant), pour dégager le noyau dur de l’activité et en faire un objet de savoir générique que les élèves pourront transférer dans une situation de même nature.
  • La transition, le tissage entre une séance et la suivante qui permet parfois de faire saisir à certains ce qui ne l’avait pas été lors de l’institutionnalisation.

Des espaces collectifs pour constituer un observatoire des processus intellectuels des élèves au sein de la communauté éducative (à 7 min 35)

Dans une approche sociologique, Patrick Rayou propose des éléments de compréhension des raisons pour lesquelles l’enseignant ne peut se saisir pleinement du processus intellectuel de l’élève pour comprendre comment celui-ci se situe dans le processus d’apprentissage, comment il travaille et comment il peut l’aider. A cela trois raisons essentielles :

  • Dans la représentation de certains enseignants, le temps consacré en amont de la séance à la préparation et à l’analyse a priori de ce qui va se passer d’un point de vue didactique est un garant de la réussite de la séance.
  • Pendant la séance, au cours de la tâche, l’enseignant va rarement se consacrer à l’analyse diagnostique en temps réel du processus d’apprentissage chez l’élève pour renommer l’activité.
  • La division du travail éducatif, telle qu’elle est organisée actuellement dans le système éducatif français, tend à dessaisir l’enseignant du suivi du processus d’apprentissage dans sa continuité, puisque différents acteurs interviennent, notamment au moment de l’appropriation des notions (travail personnel en dehors de la classe).

Prendre en charge l’apprentissage de l’élève, dans sa continuité, nécessite de prendre le temps de l’observer en train de travailler et de lui demander d’expliciter ses schémas de pensée pour repérer ce qui fait obstacle afin d'intervenir en temps réel lorsque l’élève rencontre un obstacle dans son travail. Expliciter et réorienter l’activité, comme cela serait souhaitable, nécessite que l’enseignant ait une connaissance en amont de la nature des principaux obstacles que les élèves vont rencontrer. Au delà de l’observation de ses élèves, cela nécessite de créer des espaces de travail collectif, intégrant les différents membres de la communauté éducative intervenant dans le processus d’apprentissage des élèves, pour échanger, mutualiser, expliciter, comprendre, développer une expertise collective.

Expliciter quoi ? (Réponse de Sylvie Cèbe et de Jacques Bernardin en 20 min 52)

"Il y a très souvent des exercices dont on postule qu'à force d'en faire ils (les élèves) vont extraire les procédures (...). Ce dont on s'est aperçu, c'est que c'est vrai pour le littéral, mais dès lors qu'il y a de l'inférentiel, alors tous les élèves n'arrivent pas à extraire la procédure qui permet de le faire."

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Expliciter les procédures qui permettent de répondre aux exigences scolaires 0:00
Des objets d'étude qui nécessitent un enseignement explicite 5:46

Expliciter les procédures qui permettent de répondre aux exigences scolaires (Sylvie Cèbe)

Les évaluations internationales comme PIRLS nous renseignent notamment sur le fait que, pour la plupart, les élèves apprennent, et connaissent leurs leçons, mais ne savent pas comment s’y prendre pour répondre aux questions qu'on leur pose (notamment les procédures inférentielles et les états mentaux). On retrouve la question : « Comment enseigne-t-on explicitement toutes les manières de faire qui permettent de répondre aux exigences scolaires ? ». Souvent on a tendance à penser qu’en pratiquant de manière intensive des questionnaires de lecture, les élèves vont finir par comprendre par eux même les procédures qui permettent de réussir. Or, les études montrent que si cela peut fonctionner pour restituer des connaissances littérales, ce sera insuffisant pour apprendre à inférer, en sachant s'il faut mettre en relation différents éléments du texte, ou raisonner à partir de ses connaissances initiales... (autant de modes de questionnement généralisables dans différentes disciplines ou situations)

Des objets d'étude qui nécessitent un enseignement explicite (Jacques Bernardin, 5 min 46)

Les premiers objets d’études pour lesquels il semble important d’expliciter davantage sont sans doute les fondamentaux - lecture, écriture – qui ont vocation à devenir des outils au service des autres apprentissages. Il s'agit de dévoiler les indices, appuis et modes de traitement adéquats pour comprendre ou se faire comprendre, de faire des mises en relation et d'en valider la pertinence par le biais du collectif classe.

Viennent ensuite les notions et les concepts. L’espace de la classe pourrait être un espace de mise en scène du débat de preuve à partir de questions du type : « pour quelles raisons dis-tu ce que tu dis ? ». C’est le va et vient des idées du collectif autour de l’objet qui va permettre de coélaborer une représentation partagée de la notion ou du concept, de conceptualiser.

En troisième lieu, l’infra-didactique, c’est à dire ce qui est convoqué d’un bout à l’autre de la scolarisation sans jamais être travaillé (la copie, le travail personnel, etc), nécessiterait d’être explicitée à la fois dans sa dimension épistémologique et pour l’importance que représente son appropriation progressive, automatisée et intégrée au service de tous les apprentissages scolaires.

Accompagnement personnalisé, un laboratoire pour l'enseignement explicite ? (Réponse de Patrick Rayou et Sylvie Cèbe en 4 min 37)

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Pour Patrick Rayou, les questions de « expliciter quoi ? » et « expliciter quand ? » sont étroitement liées puisqu’on ne peut pas tout expliciter "avant que les problèmes ne se posent". Sinon, "on aboutit aux monstres des cours de méthodologie hors-sols qui ne sont utiles qu'à ceux qui en ont déjà la maitrise". Se pose aussi la question de la division trop fréquente du travail, entre les enseignants et ceux chargés des dispositifs d'aide, parfois trop loin des enjeux didactiques, et qui peuvent renforcer la nébuleuse de ceux qui "aident" sans réels bénéfices pour les apprentissages.

Pour Sylvie Cèbe, le moment de l’AP pourrait cependant être le bon lieu, le laboratoire de l’explicitation, à condition d’identifier les besoins et de se poser les bonnes questions, de préparer les contrôles en anticipant ce que l'enseignant va demander.

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Sylvie Cèbe