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Ecole et quartiers, des dynamiques éducatives locales

Par skus — publié 13/06/2013 09:05, Dernière modification 14/04/2016 12:05

couverture

livre publié en 1989, sous la direction de Gérard Chauveau et Lucile Duro Courdesses, collection CRESAS (Centre de Recherche de l'Education Spécialisée et de l'Adaptation Scolaire), INRP, éditions de L'Harmattan

 

La conclusion de Gérard Chauveau et Lucile Duro-Courdesses

Depuis quelques années, les notions de projet éducatif, de projet de zone, de liaison école et quartier font leur chemin. C'est principalement dans les zones ou les villes à dominante ouvrière qu'elles sont traduites en actes. Cet ouvrage collectif s'est intéressé à ces nouvelles façons d'aborder l'échec (ou la réussite) scolaire. Jusque-là, chaque institution concernée par l'échec et les difficultés d'apprentissage ne recherchait que des solutions à l'intérieur de ses propres murs. L'École a multiplié les classes spéciales, les structures d'aide psycho-pédagogique, les groupes de niveau, les séquences de soutien... Les services psycho-médicaux ont répondu pendant des décennies par des rééducations et des psychothérapies individuelles. Et puis, au début des années 1980, vint le temps des approches dites localisées ou territoriales. La politique des zones d'éducation prioritaires puis celles du développement social des quartiers ont préconisé le partenariat, la collaboration entre les diverses instances éducatives s'adressant à un même public, la mise en cohérence et l'articulation des actions engagées sur un même territoire. Simultanément, une forte demande de participation est exprimée par de nombreux « partenaires » de l'École : parents, collectivités locales, professionnels de l'éducation, entreprises. De son côté, une partie du milieu enseignant - la mouvance des groupes pédagogiques - a réclamé davantage de décloison-nement, d'autonomie, d'ouverture sur l'extérieur. La convergence de ces trois courants a produit « le phénomène école et quartier » qui représente, pensons-nous, l'un des principaux changements apparus dans le système scolaire et dans les rapports de l'école avec son environnement depuis bien longtemps. On commence à abandonner le chacun chez soi et les schémas autarciques pour rechercher des traitements inter-institutionnels, le travail en partenariat et la construction d'espaces éducatifs concertés. On découvre peu à peu que gérer (rénover) l'école c'est aussi gérer (rénover) ses relations avec l'environnement proche.

Il nous a paru important d'analyser ces changements en cours dans les interventions école/milieu local (en l 'occurrence des quartiers populaires), d'en apprécier la pertinence et les effets. Notre première conclusion c'est qu'il s'agit d'un mouvement à double sens :

1° La réussite scolaire des enfants de milieu populaire dépend de la nature des interactions entre l'école et le quartier.

2° Le développement et l'image d'un quartier populaire dépendent de la qualité de ses établissements scolaires et des actions éducatives qui y sont menées.

Écoles et quartiers populaires peuvent sombrer ensemble, tomber malades en même temps. Mais ils peuvent tout aussi bien se développer de concert, se dynamiser l'un  l'autre. On a souvent évoqué le cercle vicieux de la décadence, la boule de neige des handicaps, la spirale infernale de l'exclusion et de la pauvreté. Mais on ne dit pas assez qu'il peut y avoir, en sens inverse, boule de neige et spirale du succès. C'est effectivement dans les grands ensembles et les banlieues ouvrières qu'on trouve des établissements scolaires particulièrement médiocres ou détraqués, ceux par exemple où un nombre important de postes n'est pas pourvu à la rentrée scolaire, ceux qui connaissent la valse continuelle des remplaçants.

Mais c'est aussi dans ces lieux dits difficiles, qu'on trouve les actions pédagogiques pilotes et les équipes éducatives les plus efficaces.

Généralement, le quartier est un apport considérable à ces écoles de la réussite. Son action peut s'exercer à différents niveaux :

1. On améliore les conditions d'accueil et de travail des élèves et des personnels ;

2. On reconnaît et on soutient les efforts des enseignants, on valorise les productions des élèves ; on stimule la motivation des uns et des autres ;

3. On aide les enseignants à modifier leur rapport au quartier en leur présentant « le bon côté des choses » (les possibilités et les atouts du territoire), en leur faisant découvrir les aspirations et les réalisations locales, on atténue les idées toutes faites, les a priori négatifs sur le milieu ;

4. On enrichit l'environnement éducatif et culturel des enfants et des jeunes : loisirs, sports, animation, activités artistiques, lecture publique...

5. On élargit les compétences des enseignants en favorisant la collaboration avec d'autres professionnels de l'éducation (bibliothécaires, animateurs, formateurs, techniciens municipaux, travailleurs sociaux...), en facilitant les réflexions ou les formations conjointes.

6. On crée des points d'appui « para-scolaires » : structures qui assurent un suivi méthodologique et un accompagnement pédagogique (entraide scolaire), centres intellectuels et scientifiques (centre de documentation, club informatique, atelier lecture-écriture...)

7. On renforce la qualité des apprentissages scolaires. Des co-formateurs non enseignants apportent dans l'école leurs savoirs, savoir-faire, expériences ; d'autres animent des travaux en petits groupes ; des personnes et des lieux ressources aident à réaliser des enquêtes sur le milieu local ou des recherches en histoire, en sciences naturelles, en économie.

L'expression « quartier populaire » est souvent synonyme de zone défavorisée, site en difficulté, poche de pauvreté. Elle peut aussi parfois désigner un ensemble de ressources et de mobilisations locales : élus, services municipaux, équipes de professionnels, associations, équipements, entreprises.

Mais il ne suffit pas de faire appel à des forces - financières, matérielles, humaines - extérieures à l'Education nationale pour renverser le cours des choses. Toutes les formes de liaison école/quartier populaire n'entraînent pas ipso facto une meilleure réussite scolaire des élèves d'origine modeste. Si l'on n'y prend garde, l'intervention sociale et éducative en milieu « défavorisé » risque d'être limitée à une gestion douce de la misère et de la ségrégation. Elle n'est dans certains cas qu'une version modernisée de l'enseignement spécial ou de l'éducation des pauvres. Ici, la « logique SES », celle de la réparation l'emporte ; les projets éducatifs sont davantage psycho-médicaux ou médico-sociaux que didactiques ; il s'agit de traiter des déficits et des carences ou d'installer des préalables - socialisation, santé - au lieu (avant) d'enseigner pour de bon. Ailleurs, c'est la « logique MJC », celle de l'animation qui domine ; on privilégie les activités artistiques et culturelles, on recherche essentiellement l'expression et la convivialité, on multiplie les moments ludiques ou festifs ; les objectifs scolaires - cognitifs et disciplinaires - se diluent ou s'effacent. Dans les deux cas, la collaboration école/environnement se fait au détriment d'un enseignement de qualité ; la question, pourtant cruciale, de la maîtrise des savoirs scolaires par le plus grand nombre passe plus ou moins explicitement à l'arrière-plan.

Le contenu des liaisons école/quartier mérite donc d'être pensé et défini avec soin. C'est pourquoi nous nous sommes intéressés aux orientations socio-cognitives qui se centrent à la fois sur les apprentissages scolaires et sur la coopération entre les partenaires de l'enseignement, qui stimulent en même temps activités intellectuelles, dynamiques cognitives et dynamique sociale.

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En examinant les relations école/quartier poulaire, nous nous sommes d'abord attachés aux conditions de la réussite scolaire dans les zones d'habitat social. Mais nous avons été aussi amenés à observer l' impact de l'action scolaire et pédagogique sur l'environnement. Nous avons ainsi commencé à étudier le rôle de l'école dans le (re)développement des quartiers fragiles ou défavorisés.

Traditionnellement, l'école n'était guère prise en compte par les spécialistes de la gestion urbaine et du développement local. Jusqu'au début des années 1980, les opérations de réhabilitation des quartiers sensibles étaient fondées sur une conception « physique » des problèmes urbanistiques : on se préoccupait presque uniquement de rénover le bâti et le cadre de vie ; dans le meilleur des cas. on rajoutait un volet animation socio-culturelle. On découvre actuellement que l'école et la formation peuvent être des pièces maîtresses du développement urbain. On s'aperçoit de plus en plus que l'établissement scolaire d'un quartier n'est pas seulement un élément de « l'appareil d 'Etat » (l'Institution) ; c'est aussi bien souvent le premier équipement local.

Sans pôle de développement intellectuel et culturel, disent certains, un territoire devient une sorte de far-west ou de jungle. C'est particulièrement vrai pour les zones urbaines « à risques ». Pour briser la fameuse spirale de la dégradation et de la marginalisation, pour sortir certains quartiers du mal-développement, l'implantation de services scolaires et para-scolaires de qualité, la constitution d'écoles de bon niveau apparaissent comme des priorités d'une politique locale de développement. En qualifiant les individus, l'école qualifie du même coup le quartier et le dynamise.

Plusieurs niveaux d'intervention sont possibles :

1. La population scolaire, bien sûr : on lui propose des prestations et des équipements pédagogiques « performants ».

2. La population non scolaire : des locaux, du matériel, voire du personnel scolaires sont mis à la disposition de jeunes ou d'adultes en formation, en dehors du temps scolaire (salle informatique, bibliothèque-centre documentaire, centre de documentation et d'information, ateliers du lycée professionnel).

3. Les parents : des actions d'information ou de formation sont organisées en direction des familles (conférences-débats, stages « apprendre l'école », cours du soir...).

4. Les professionnels du champ éducatif : les stages Éducation nationale s'ouvrent aux autres intervenants du quartier.

5. Les entreprises : elles utilisent mieux les capacités des jeunes et les ressources des établissements scolaires, y compris pour la formation continue de leurs personnels.

Notre recherche aboutit à l'idée que l'école est l'une des premières (ou des rares) cartes à jouer pour revitaliser et revaloriser nombre de lieux actuellement mal en point. Les établissements scolaires, associés à d'autres équipements para-scolaires, peuvent représenter le principal centre de ressources cognitives du quartier, son pôle d'activités intellectuelles.

Que signifie notre analyse des « opérations école/quartier » pour les enseignants ? Certainement pas verser dans un « bricolage local » hésitant entre la fonction de rééducateur pour handicapés sociaux et celle d'animateur pour minorités marginalisées.

Pour nous, « travailler autrement » c'est deux choses : s'engager sur la voie de la pédagogie socio-cognitive et participer au processus de développement du quartier. Les enseignants sont alors des socio-pédagogues, c'est-à-dire des professionnels travaillant en équipe, collaborant avec des intervenants extérieurs, dialoguant avec les usagers, agissant en complémentarité avec les instances éducatives et culturelles sur un espace bien plus vaste que celui de la salle de classe. Ce sont également des agents du développement local : d'une part parce qu'ils fournissent un enseignement de valeur pour tous, qu'ils participent à la formation et à la promotion des populations ; d'autre part parce qu'ils essaient de coordonner l'action scolaire avec celles d'autres secteurs - économie, vie sociale, habitat, culture... dans le cadre d'une politique territoriale globale, au niveau du quartier ou de la ville. Cette façon de concevoir le métier d'enseignant est à la fois ancienne... et nouvelle ! Ancienne car c'était déjà celle des mouvements d'éducation populaire. Nouvelle car elle n'est plus seulement partagée par une « avant-garde » de militants organisés qui agissait le plus souvent en dehors des institutions, mais par des milliers de professionnels qui « injectent ces nouvelles compétences » dans leur travail de tous les jours.

On voit même naître de nouveaux postes reçonnus (plus ou moins selon les endroits) par les autorités de l'Education nationale : animateurs ou coordinateurs de ZEP, correspondants Éducation nationale au sein du dispositif local de développement social urbain, chargés des relations avec les parents... Réciproquement, de « nouveaux métiers » de l'éducation apparaissent à l'initiative de municipalités, d'équipes du développement des quartiers, d'organismes sociaux ou d'associations : chargés de la liaison école/quartier, techniciens des projets éducatifs, éducateurs formés à la lutte contre l'illettrisme, animateurs engagés dans l'entraide scolaire... Le développement et la mise en réseau de ces nouvelles qualifications, dans et hors l'Education nationale, nous semblent des facteurs capitaux de l'efficacité pédagogique dans les zones populaires.

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Comment les stratégies école/quartier, comment les nouvelles professionnalités que nous venons de présenter peuvent-elles se consolider et se généraliser ? On ne saurait parler de stratégie (quelle approche, quelles orientations, quelles façons de faire et de penser) en omettant la logistique (quelles mesures pour soutenir les initiatives, quel accompagnement du changement). Un peu partout, nous avons vu et nous ne sommes pas les seuls des acteurs locaux surchargés de travail, essoufflés, démobilisés, se plaignant du manque de moyens et de reconnaissance institutionnelle. C'est toute la question immense du management - comment gérer ces transformations institutionnelles, comment organiser le travail, comment faire fonctionner le système autour de nouvelles priorités - que nous aborderons ailleurs. Contentons-nous ici de quelques brèves remarques.

  • «Travailler autrement » se réduit vite à « travailler plus » si l'on ne dispose pas de moments et de lieux de rencontres, d'échanges, de concertation, d'évaluation et de formation conjointes.
  • « Travailler autrement » ne concerne pas les seuls praticiens du terrain. Cette formule vaut également pour les services adminis-tratifs et les personnels d'encadrement. Le fait que les circulaires ministérielles incitent à établir des projets d'établissement, des programmes de zone, des contrats de ville implique que l'admi-nistration se transforme en administration de projets. Elle ne peut plus se contenter de gérer les postes et les moyens comme il y a plus d'un demi-siècle ; elle devrait être de plus en plus le garant, la force d'appui et la régulatrice des projets locaux et des actions école/quartier. Cela suppose en particulier que les notions de projet et de contrat ne soient pas réservées aux acteurs de terrain mais deviennent les règles du fonctionnement administratif.
  • « Initiatives locales », « approches localisées » des processus scolaires, « autonomie » des établissements font partie du voca-bulaire des décideurs de l'Education Nationale depuis quelques années. Mais dans les sites difficiles, lorsque les relais institutionnels font défaut, les dérives sont fréquentes : isolement des innovateurs, activisme tous azimuts, écoles à petite vitesse déconnectées des objectifs nationaux. Une gestion molle de ces politiques nouvelles conduirait dans les faits à abandonner ces terrains à leur sort et à se reposer sur la seule bonne volonté des acteurs locaux. La mobilisation de l'ensemble de « la machine » Éducation nationale - notamment au niveau des échelons et structures intermédiaires - nous semble l'une des clés du succès.

Mais ce n'est pas la seule. Pour « renverser la vapeur » dans les quartiers défavorisés, il ne suffit pas d'innover, de transformer les usages organisationnels et administratifs, de généraliser les procédures contractuelles entre « gens du terrain » et « pouvoirs institutionnels », d'engager les différentes structures de l'Éducation nationale dans le « soutien » aux opérations école/milieu local. Les « zones difficiles », souvent rejetées et dénigrées, ont besoin de plus. Pour changer leur image de marque, pour leur redonner de la vitalité, des changements structurels « spectaculaires » paraissent indispensables.

On sait que la valeur et le dynamisme d'une ville se mesurent de plus en plus à la présence de « pôles de savoirs » : grandes écoles, laboratoires de recherche, facultés, cité scientifique... Les politiques scolaires dans les zones populaires pourraient (devraient) s'inspirer de cette démarche. Jusqu'à présent, on y a surtout multiplié les filières et les activités « bas de gamme ». A l'avenir, il s'agit de passer à une étape supérieure : implanter aussi dans les sites défavorisés des lycées d'enseignement général, des options latin-grec ou russe dans les collèges, l'initiation à l'anglais ou l'allemand dès l'école élémentaire, des classes préparatoires aux grandes écoles, des sections de techniciens supérieurs, des unités de l'enseignement supérieur, des écoles d'application et des centres de formation pour enseignants...

Ne serait-ce pas un excellent moyen de reconnaître que les populations des zones les plus populaires ont droit, elles aussi, à des services « d'excellence » et à « ce qui se fait de mieux » ? Ne serait-ce pas, par ailleurs, la meilleure contribution du système scolaire à la (re)valorisation des territoires en difficulté ?

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