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Jacques Bernardin : Une ré-institutionnalisation de l'École

Par mmairesa — publié 17/01/2017 11:20, Dernière modification 12/04/2017 09:01
Suite à la présentation de la démarche de transformation des relations École-Familles au niveau d'une circonscription et d'une école primaire de Vienne (38), Jacques Bernardin, docteur en sciences de l'éducation et président du GFEN, analyse les éléments saillants du processus.

Jacques BernardinLa situation initiale témoignait d’une perte de légitimité de l’École, en tant qu’institution. Au changement incessant du personnel sur certaines écoles – déjà signe de malaise – on répondait par la nomination de nouveaux enseignants peu volontaires et guère outillés, cumulant parfois les maladresses faute d’expérience et de formation, démunis face aux élèves en difficulté et pour se positionner de façon pertinente vis-à-vis des parents.

Le sentiment de négligence voire d’abandon était facteur de tensions à l’égard d’une Ecole ne tenant ni son rôle ni ses promesses éducatives. Les dégradations témoignaient du ressentiment des collégiens à l’égard d’une école les ayant mal formés. La multiplication des conflits scandait l’exaspération des parents. Comment reconnaitre une école qui ne nous reconnait pas, qui fait si peu pour nos enfants et ne cesse de porter des jugements négatifs à notre égard ?

Il me semble que si l’expérience est intéressante au-delà d’elle-même, c’est qu’elle montre le maillage du dehors comme du dedans ayant contribué au changement. Quand l’école est fragilisée dans ses assises, c’est par la mobilisation de l’ensemble des niveaux de responsabilité et par une action résolue, à la fois institutionnelle, relationnelle et pédagogique qu’il est possible de « refaire école ».

Une institution qui accompagne les enseignants dans leur mission

Le rôle de l’institution scolaire – ici, l’équipe de circonscription - a été déterminant en matière d’analyse de situation, de formation et d’appui aux équipes, par le biais d’attribution de postes, de facilités de service ou d’accompagnement au quotidien.

La récurrence des problèmes touchant aux relations des écoles avec leur environnement a permis de dégager une priorité, qui sera déclinée en projet de formation et d’accompagnement pour toute la circonscription, associant l’ensemble des acteurs éducatifs du territoire. Sans doute attend-on cela d’une institution de tutelle : qu’elle soit à l’écoute des problèmes rencontrés sur le terrain et qu’elle élabore les moyens de les comprendre, de les affronter et de les dépasser. La dynamique de circonscription a été élaborée au fil d’une formation de formateurs à l’IFÉ, avec un double souci d’étayage théorique et d’engagement mutuel à l’action. Il est indispensable pour les professionnels de se décentrer et de mieux comprendre la logique des parents pour pouvoir amorcer d’autres rapports. Personne n’est à l’abri de l’ethnocentrisme, consistant à juger a priori, depuis ses propres catégories de perception érigées en catégories universelles, plutôt qu’à chercher à comprendre la logique de l’autre. Si se décentrer est nécessaire, pouvoir échanger les idées et les points de vue avec des pairs l’est tout autant. Sortir de l’isolement, constituer des collectifs autour de questions professionnelles : la permanence des échanges, par le biais des réunions de directeurs, a sans doute eu un effet régulateur et stimulant entre les différentes écoles.

L’idée de Charte école-familles a permis de faire réfléchir les équipes à un objet commun et d’entrevoir un moyen concret de faire évoluer les choses. Dès lors qu’il est convenu qu’elle devrait être co-construite dans une démarche partenariale associant tous les acteurs locaux, c’est le processus d’élaboration conjointe, plus encore que le résultat, qui va être intéressant. Nous y reviendrons.

L’appui aux équipes est allé au-delà de la mise en réflexion sur un problème professionnel commun. Sur l’école jusqu’alors « malmenée », dans tous les sens du terme, l’attribution de moyens spécifiques a facilité le changement.

  • La création de postes à profil (sollicitant l’engagement volontaire sur une certaine durée) a contribué à pérenniser l’équipe enseignante là où jusqu’alors, la rotation permanente du personnel avait des effets délétères. Visibilité, cohérence et cohésion sont mises à mal dans de tels contextes. Tant à l’égard des élèves que des parents, on ne s’investit pas de la même manière dans le métier lorsqu’on sait n’être que de passage ou installé pour un certain temps. Le contrat initial sur lequel chacun est invité à se positionner donne un cadre clair et une orientation commune pour l’exercice professionnel, y compris si cela ne dit encore rien des moyens pour le mettre en œuvre et réellement « faire équipe ».
  • La décharge de service a facilité le travail de direction, dans un contexte qui demande davantage de disponibilité, que ce soit pour accueillir les parents, réagir rapidement à l’inattendu ou coordonner le travail d’équipe. -
  • Enfin, l’accompagnement opérationnel de la conseillère pédagogique de circonscription a constitué un indispensable soutien : aide à l’analyse de la situation et à l’élaboration de moyens d’action, appui face aux problèmes brûlants faisant urgence.

Cette attention institutionnelle est assez exemplaire pour être saluée. Sans moyens et sans pilotage, l’action enseignante s’épuise et peut aller à la dérive.

Pour restaurer l’école : clôture symbolique et ouverture sociale

Quels éléments ont permis à l’équipe enseignante de renverser la situation ?

Tout d’abord, le fait de rompre avec l’envahissement de certaines familles et l’excessive porosité avec l’environnement. Associé à la présence conjointe des enseignants au portail, en empêchant le franchissement intempestif, l’idée des billets de rendez-vous a permis à la fois d’accueillir et de différer les demandes : moyen concret de refroidir les problèmes, de restaurer la séparation entre école et quartier, de ne plus être dans l’urgence mais de permettre le temps de la réflexion. Cela a constitué un moyen opératoire de ne pas se laisser happer par la tension de l’instant et le jeu délicat des affects, de « faire seuil » et de réinstaller l’espace scolaire comme espace protégé, ayant ses propres règles : univers régi par l’écrit, qui met à distance, garde trace et rationalise le rapport au réel et aux personnes.

L’école a été conçue comme institution en dehors des urgences du quotidien moins pour s’abstraire du monde que pour le réfléchir, elle permet d’échapper à l’univers singulier mais restreint de la famille en confrontant à l’altérité, au commun, à de l’universel. Pour que les élèves soient intellectuellement disponibles, ils doivent se sentir en sécurité. D’où la nécessité d’une certaine clôture symbolique de l’école, ici signifiée mais tout en laissant la porte ouverte aux parents, et pour d’autres relations. En effet, simultanément, l’ouverture reste non seulement possible mais réellement « prise au mot ».

Outre l’organisation de rendez-vous, la teneur des échanges est consignée et cosignée dans le cahier de rencontres qui en garde mémoire et permet d’en réguler la fréquence, faisant continuité sur l’école.

De façon plus générale, adopter une position commune est important. S’entendre sur le règlement des situations, coordonner l’action, c’est véritablement « faire équipe », aux yeux des parents comme auprès des élèves. Ainsi, les actes et décisions ne relèvent plus du bon vouloir de chacun ou de son état émotionnel mais apparaissent comme des choix impersonnels, faisant institution, propre à restaurer la légitimité de l’école.

Le discours commun, élargi au-delà de l’équipe d’école aux partenaires sociaux, assoit la crédibilité de ce qui peut désormais être identifié comme équipe éducative, chacun participant – depuis l’espace singulier qui est le sien – à la dynamique d’ensemble.En plus de l’action de l’équipe de prévention, le centre social est un espace interface entre école et quartier, propre à faciliter les contacts avec les familles et à créer des occasions d’échange sur les problèmes de scolarité.

Ces cadres réinstallés, l’équipe a œuvré à d’autres rapports par diverses initiatives. Les actions à caractère convivial (petit déjeuner de rentrée, café des parents), ont permis des rencontres informelles contribuant à une connaissance mutuelle propre à rompre avec les images passées.

La dynamique d’élaboration de la Charte école-famille a élargi ces premiers contacts, obligeant chacun à faire un pas vers l’autre, en visant à éclaircir les rôles, attentes et engagements respectifs, contribuant ainsi à une reconnaissance des parents comme véritables partenaires.

Au-delà du processus d’élaboration, la Charte constitue un cadre négocié et lisible instaurant une continuité institutionnelle au-delà des personnes qui l’incarnent, valant pour les nouveaux venus, qu’ils soient parents ou enseignants.

Enfin, entrant au cœur des choses, l’équipe a développé l’information pédagogique, à travers réunions et visites de classe présentant les projets, les contenus, les modalités de travail scolaire et contribuant à l’éclaircissement des attendus qui s’y rattachent. À ces moyens de mieux comprendre les orientations du travail scolaire, se sont ajoutés les moyens de pouvoir situer leur enfant (l’harmonisation des livrets d’évaluation ; les rencontres individuelles), donc de mieux soutenir et accompagner sa scolarité.

Conclusion

Toutes ces actions ont changé la donne, amorçant une dynamique dont les effets se font sentir de façon notable : stabilisation des effectifs, implication croissante des parents, apaisement du climat scolaire, changement de comportement des élèves en classe comme en dehors, hausse significative des résultats qui appelle à poursuivre…

À travers cette belle dynamique, si les parents ont fait du chemin dans leur relation avec l’école, « ont retrouvé du cadre et de la confiance » (selon les acteurs du Centre social), les enseignants ont aussi modifié leur approche des parents : « Maintenant, on ose prendre contact avec les parents, il y a moins d’appréhension et d’a priori » ; « On a appris à mieux se mettre à leur place aussi » ; « Cette notion de parents comme partenaires, on ne l’avait pas du tout »…

Pourquoi faudrait-il attendre les situations de crise pour repenser les relations avec les parents ?