La compréhension, le parent pauvre de l'enseignement de la lecture
la compréhension : une didactique très récente
La compréhension, comme élément à enseigner, a été définie assez récemment dans les textes officiels. Il faut attendre les instructions de 2002, puis plus récemment celles de 2015, pour qu'elle soit présentée comme un objet à enseigner avec une progression, des démarches et des activités spécifiques, des supports identifiés.
Il s'agit d'un enseignement complexe à mettre en oeuvre, encore peu travaillé en formation, pour lequel les outils didactiques sont récents.
En observant les pratiques dans 131 classes ayant participé à la recherche Lire et Ecrire, le constat suivant a été dressé (il s'agit de moyennes qui ne rendent pas compte des fortes disparités constatées) :
- il y a peu de temps globalement alloué à la compréhension (elle représente16% du temps consacré au Lire-Ecrire)
- 40% de ce temps est consacré à des tâches individuelles, écrites qui n'ont pas d'incidence sur les progrès des élèves.
- les tâches orales portant sur l'élaboration du sens ne dépassent pas 30 minutes par semaine. Certaines sont mêmes absentes dans près de la moitié des classes observées.
comprendre, c'est élaborer une représentation mentale
La diapositive placée ci-contre, proposée par Marie-France Bishop et élaborée à partir des travaux de Ecalle & Magnan en 2010, repris en 2015 par Maryse Bianco représente le consensus actuel des recherches sur les connaissances de la compréhension d’un texte. pour élaborer une représentation mentale, il y a quatre compétences qui interagissent :
- les compétences lexicales et linguistiques
- les compétences stratégiques
- les compétences référentielles et inférentielles
- les compétences d'autorégulation et de métacognition.
dix éléments essentiels pour enseigner la compréhension
D'autres recherches antérieures (Duke-Pearson-Strachan 2011) suggèrent aux enseignants de prendre en compte un certain nombre d'éléments lorsqu'ils enseignent la compréhension :
- Accroître les connaissances des élèves
- Motiver la lecture (l’amont) donner envie
- Apprendre à élaborer une représentation mentale
- Apprendre à contrôler sa lecture
- Enseigner les stratégies -travailler les stratégies dans des ensembles complexes plutôt que par des unités additionnées qui posent le problème du transfert
- Faire discuter et débattre les élèves
- Développer le vocabulaire
- Varier les types de textes
- Intégrer lecture et écriture
- Différencier l'enseignement
La compréhension, c'est quoi le problème et pour qui ?
A partir des résultats de la recherche Lire et Ecrire, et dans un souci de transposition pour la formation, Marie-France Bishop décline les résultats en posant une question essentielle qui permet à la fois de prendre en compte les praticiens et leurs contextes, mais aussi de nourrir la recherche et les questions de recherche :
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La compréhension, c’est quoi le problème et pour qui ? | 00 : 00 |
La recherche en question selon 3 angles : les élèves, les enseignants et les formateurs | 02 : 59 |
Angle | C'est quoi le problème ? | Question de recherche |
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élèves |
Quelles sont leurs difficultés? |
Qu'est-ce que la recherche a observé de leurs difficultés ? |
enseignants |
Quels sont les problèmes de métier quand ils enseignent la compréhension ? |
Qu'est-ce que la recherche a montré de ce qu'ils enseignent de la compréhension et comment l'enseignent-ils ? |
formateurs |
Qu’est-ce que former dans le domaine de la compréhension ? Que pouvons-nous mettre en place pour former ? |
Comment enseigner la compréhension ? Quelle formation mettre en place ? |
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Une répartition inégale de la compréhension dans le lire-écrire | 00 : 00 |
Les 9 tâches de compréhension | 00 : 48 |
Des disparités entre les classes |
01 : 52 |
Quelle efficacité des tâches d’enseignement | 04 : 27 |
Ce qui peut faire progresser les élèves en compréhension | 06 : 51 |
Un constat paradoxal | 08 : 35 |
la compréhension : encore peu enseignée
La recherche Lire et Ecrire montre que peu de temps est alloué à la compréhension sur l'enseignement global du lire-écrire. En effet, 16% en moyenne du temps accordé à l'enseignement de la lecture est accordé à la compréhension. Cet apprentissage n'apparaît donc pas comme une priorité dans l'enseignement de lecture.
Pour décrire les pratiques liées à la compréhension, les chercheurs ont listé neuf types de tâches :
- C1 : définir, expliciter une intention de lecture
- C2 : anticiper, formuler ou vérifier des hypothèses
- C3 : décrire, commenter une illustration
- C4 : expliquer ou reformuler le sens ou évoquer une représentation mentale à propos du phrase ou d'un texte
- C5 : produire un rappel de récit complet ou partiel ou un rappel de texte explicatif ou de consigne
- C6 : rendre explicite une information implicite
- C7 : proposer, débattre ou négocier un interprétation
- C8 : réaliser une tâche écrite impliquant la compréhension explicite et/ou implicite à propos d'un mot, d'une phrase ou d'un texte
- C9 : corriger une tâche écrite portant sur la compréhension à propos d'un mot, d'une phrase ou d'un texte.
En moyenne, la modalité « répondre par écrit à des questions » (C8) est sur-représentée (elle représente près de 40% du temps alloué à la compréhension), mais ces activités sont rarement suivies de correction (C9).
Les activités orales portant spécifiquement sur l'élucidation du sens des textes sont également sous-représentées en moyenne dans les classes.
- Les rappels de récit (C5) représentent en moyenne 12% du temps alloué à la compréhension.
- les explicitations, les reformulations ou les élaborations de représentation mentale (tâches codées C4) constituent 16% de cette durée.
- De même, les tâches consistant à rendre explicite une information implicite (codées C6) et les activités de débats ou de négociation de sens (tâches codées C7) n'occupent chacune pas plus de 3,5% du temps global.
Ces deux dernières n'apparaissent jamais dans près de la moitié des 131 classes de l'étude.
Focus sur quelques diapositives issues de l'intervention de Marie-France Bishop
Sur la répartition inégale de l'enseignement de la compréhension |
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Sur la typologie des tâches et des exemples de situation |
l'enseignement de la compréhension est un levier pour lutter contre les inégalités.
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Les évaluations | 00 : 00 |
Distinction entre 2 compétences: compréhension et décodage | 01 : 46 |
Les résultats des évaluations différence entre compréhension de phrases et de textes |
02 : 39 |
Un constat paradoxal | 04 : 34 |
Les difficultés - texte Anatole | 06 : 12 |
Des résultats très hétérogènes | 07 : 36 |
Des constats contradictoires | 09 : 18 |
Dans la recherche Lire et Ecrire, l'évaluation de compréhension portait sur cinq items : le vocabulaire en réception, la compréhension de phrases entendues, la compréhension de phrases lues seul, la compréhension de textes entendus, la compréhension de textes lus en autonomie.
Les résultats des évaluations entre "comprendre des phrases entendues" (81% de réussite) et "comprendre des textes entendus" (49% de réussite) sont très significatifs. La difficulté réside dans la compréhension de textes puisqu'elle met en place des compétences variées et complexes qui sont absentes dans la compréhension de phrases. La pratique des enseignants et l'utilisation de certains fichiers insistent davantage sur la compréhension de phrases que sur les textes.
Les scores très proches sur la compréhension des textes "lus" ou "entendus" à la fin du CP valide le fait que ce n'est donc pas la capacité à décoder qui empêche la compréhension d'un texte entendu mais bien la compréhension elle-même des textes lus ou entendus.
l'évaluation de textes entendus
Le texte "Anatole", choisi par les chercheurs pour l'évaluation, s'appuie sur la "théorie de l'esprit" : il faut comprendre ce que l'autre a compris, il faut comprendre que l'autre n'a pas compris. Cette évaluation fait la preuve que les difficultés ne se situent pas au niveau du décodage, mais bien au niveau de la compréhension inférentielle. Cette compréhension est justement peu enseignée.
L'analyse des résultats entre le début et la fin du CP montre peu de progrès pour les faibles compreneurs.
Focus sur quelques diapositives issues de l'intervention de Marie-France Bishop
Sur l'évaluation des compétences en compréhension | ||
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Sur les résultats des évaluations | ||
Pour aller plus loin...
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Revue française de pédagogie • R. Goigoux : Apprendre à lire et à écrire au cours préparatoire : enseignements d’une recherche collective (2p., présentation du numéro de la RFP) • Les facteurs explicatifs des performances en lecture-compréhension à la fin du cours préparatoire (R. Goigoux, S. Cèbe et J. Pironom) (article payant pour les lecteurs hors université) • conférence donnée par Sylvie Cèbe à l'IFE : un outil pour apprendre à comprendre |
• Apprendre et enseigner la compréhension en lecture : que sait-on des pratiques efficaces ? Paroles d'experts • Que sait-on aujourd'hui des capacités des élèves à lire et à comprendre des textes divers ? Thierry ROCHER, DEPP |
En résumé
A travers différentes questions de recherche, Marie-France Bishop s'exprime sur les constats de l'enseignement de la compréhension :
- la recherche Lire et Ecrire a observé que les difficultés se situent davantage en compréhension de textes que sur la compréhension de phrases et en l'occurrence davantage sur les compétences inférentielles (cf texte Anatole).
- elle a montré que l'enseignement de la compréhension, tel qu'il a été observé dans 131 classes, ne favorisait pas pour tous les élèves les mêmes les progrès
- il ne suffit pas que les maitres allouent plus de temps à l’enseignement de la compréhension pour provoquer des changements significatifs en compréhension. Certaines configurations temporelles s’avèrent plus efficaces que d’autres : on observe ainsi que les enseignant·e·s qui recourent aux tâches orales C1 à C7 de manière constante tout au long de l’année provoquent des effets positifs sur l’épreuve de compréhension des textes entendus à la fin du CP.
- on constate que le fait d’accroître la durée des tâches de compréhension au cours de l’année scolaire engendre des progrès significatifs à l’épreuve de lecture autonome chez les élèves initialement faibles en compréhension.
Fort de ce constat, le Centre Alain-Savary a proposé à un groupe de chercheurs et de formateurs de contribuer à la conception de ressources et de parcours de formation qui aident les formateurs à trouver des pistes d'action concrètes avec les équipes d'enseignants. En effet, nous savons qu'il ne suffit pas de "prescriptions" de recherche pour construire des outils utiles et utilisables par les enseignants.
Nous vous proposerons bientôt ces ressources à tester. A suivre, donc...