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langage oral : à l'école et en dehors de l'école

Par Catherine Hurtig-Delattre publié 24/09/2021 14:40, Dernière modification 15/12/2022 11:21
Catherine Hurtig-Delattre, ex-enseignante en école maternelle, PEMF et chargée d'études au Centre Alain Savary, élargit le champ d'analyse. Elle part de la classe pour s'intéresser à "avant la classe " et "en dehors de la classe ". Elle aborde la question des élèves "petits parleurs" du point de vue des apports complémentaires de la famille, des structures d'accueil de la petite enfance et de l'école maternelle.

Tout commence À la maison...mais pas que

Petits_Parleurs_3

Petits_Parleurs_3
Tout commence à la maison 00:00
Les étapes du développement langagier 01:47
L'importance des structures petite enfance 03:55

 

Tout commence à la maison

Catherine Hurtig-Delattre se réfère à l’introduction des programmes de l'école maternelle 2015 : « L’enfant, quelle que soit sa langue maternelle, dès sa toute petite enfance et au cours d’un long processus, acquiert spontanément le langage grâce à ses interactions avec les adultes de son entourage ». Elle propose de porter une attention précise sur les mots de cette introduction :

« quelle que soit sa langue maternelle » : le processus cité n’est pas l’apanage des enfants francophones ou de milieu favorisé ;
« au cours d’un long processus » : cela désigne les trois premières étapes d’acquisition du langage : pré-linguistique (acquisition des sons de la langue), holophrastique (constitution d'une collection de mots), syntaxique (capacité à construire des phrases) ;
« spontanément » : il ne s’agit pas d’un apprentissage structuré relevant de situations didactiques ;
« grâce aux interactions » : il ne s’agit pas d’un apprentissage solitaire mais d’acquisitions qui requièrent un contexte relationnel propice ;
« les adultes de son entourage » il ne s’agit pas seulement des parents. Les professionnels de la petite enfance, le voisinage ou la famille élargie, qui entourent l’enfant sont concernés aussi. 

Les étapes du développement langagier

S'appuyant sur les travaux  d'Agnès Florin et d'Emilio Cabrejo-Parra, Catherine Hurtig-Delattre précise ici de manière synthétique les grands stades d'acquisition du langage :

  • stade pré-linguistique
  • stade holophrastique
  • stade syntaxique
  • stade avancé

Elle insiste sur l'intensité et la complexité  des activités cognitives et culturelles qui caractérisent les trois premiers stades, et ce quelle que soit la langue dans laquelle ils s'effectuent.

L’importance des structures d'accueil de la petite enfance

Une grande partie des jeunes enfants sont accueillis en structure collective (crèche municipale, associative, parentale, halte-garderie ), ou semi-collective par une assistante maternelle. Les professionnel.les de petite enfance ont reçu une formation relative à l’acquisition du langage chez le jeune enfant : ils et elles sont consciemment dans un processus de coéducation langagière. Ils et elles font donc partie des adultes-ressources en interaction avec l’enfant pour la construction du langage, que ce soit dans la même langue maternelle ou dans une langue nouvelle pour l’enfant. Cet apport est trop souvent sous-estimé par l’école qui envisage « l'avant école » comme limité à la vie familiale.

Document complémentaire: Un bagage langagier hétérogène 

 

Les recherches d'Agnès Florin et d'Emilio Cabrejo-Parra permettent de mieux comprendre les différences de bagage langagier des enfants qui entrent à l’école. Cette hétérogénéité a plusieurs origines :
  • des différences « naturelles » liées aux différences de rythme et de personnalité entre enfants ;
  • des différences socio-culturelles et psycho-affectives, liées aux conditions de vie des enfants et à la qualité des interactions mises en place depuis la naissance ;
  • des différences liées à l’apprentissage de la langue française comme seconde langue, suite à un apprentissage premier dans une autre langue. Dans ce cas, l'enfant peut avoir construit des compétences "cachées" qui demandent à être habilitées pour être transférées dans la langue seconde (voir aussi vidéo Nathalie Blanc)
  • des différences liées à des troubles sensoriels ou cognitifs : vision, audition, troubles de la communication, retards de développement. Ces troubles peuvent être (ou pas) diagnostiqués comme « handicap ».

 

Rôle de l'école maternelle et coéducation langagière

Petits_Parleurs_4

Petits_Parleurs_4
Rôle primordial de l'école maternelle 00:00
Activer la coéducation langagière 01:40
Et les petits parleurs? 03:54
Conclusion: stimuler le langage en toutes occasions 06:15

 

Rôle primordial de l’école maternelle

Le rôle de l’école maternelle pour l’apprentissage du langage est fondamental, il est affirmé dans le programme de 2015 et développé dans les ressources Eduscol (voir "connaitre le prescrit"). Dans ces ressources, il est rappelé que le langage oral se structure sur trois fonctions (sociale, psycho-affective et cognitive) et deux registres : le langage « de situation » et le langage « décontextualisé ». Le rôle de l’école se construit en fonction de ces deux registres, tout en développant les trois fonctions . 

Document complémentaire: Langage de situation et langage décontextualisé 

 

Le langage « de situation »  Le langage décontextualisé
En prise directe avec les événements vécus, il est universellement pratiqué. Il est utilisé par l’enfant au cours du stade dit « syntaxique » et caractérise ce jeune enfant qui entre à l’école maternelle. Dans la plupart des cas, sa construction a été accompagnée dans la famille et dans les structures d'accueil de la petite enfance. Il est donc poursuivi et renforcé à l’école, notamment en lien avec l’objectif 1 des programmes « oser entrer en communication ».
Pour cet apprentissage, l'enfant mobilise ses fonctions cognitives : il catégorise, compare , essaye, recommence… Il le fait hors de toute « leçon structurée », de manière implicite et selon des chemins propres à chacun, pour peu qu’il dispose d’un feedback suffisamment étayant.
Il caractérise le stade dit « avancé » qui succède au stade syntaxique. On le retrouve dans les trois objectifs suivants du programme : « comprendre et apprendre », « échanger et réfléchir avec les autres » et « observer la langue ». Ce langage-là relève d’un apprentissage explicite, il demande de la précision, de la structuration. L’enseignant va passer progressivement de la posture d’étayage propre à l’apprentissage spontané à une posture apportant l’explicite, puis le recul « méta ».

Un « langage de l’école » comportant des codes et des normes comportementales va également se construire, sa maîtrise est une clé d’entrée dans les apprentissages scolaires.

Document complémentaire: Continuité et ruptures (voir aussi "références théoriques")

Pour la chercheuse Véronique Boiron, l’enfant doit pouvoir s’appuyer à l’école sur ce qu’il a appris et ce qu’il continue à apprendre hors de l’école, en intégrant une rupture épistémologique que constitue l’entrée dans « la langue scolaire ».  Il comprendra peu à peu le fonctionnement spécifique de l’école, dans ses codes de comportement, d’utilisation des objets, de rapport au monde. Ce rapport de « mise à distance » caractérise les situations scolaires et institue une utilisation du langage comme « intellectualisation du monde ». C’est par la rupture que l’élève pourra repérer les demandes spécifiques de l’école, y répondre de façon adaptée, et construire peu à peu les codes propres à chaque discipline scolaire. Mais c’est par la continuité que l’enfant/devenu élève pourra s’autoriser à réussir ces apprentissages. 
J.Y. Rochex parle d'une démarche  "triple autorisation" que doit effectuer l'élève : autoriser l’école à m’ouvrir des horizons / m’autoriser à apprendre différemment de mes parents/ autoriser mes parents à être ce qu’ils sont. C’est seulement au prix de cette triple démarche qu’il pourra, si sa culture familiale est « loin » de celle de l’école, institutionnaliser les apprentissages scolaires et les réutiliser dans d’autres contextes. (source vidéo Centre Alain Savary "avec Walon et Vigotsky" chap. 5)

 

Activer la coéducation langagière

À partir de son entrée à l’école maternelle, l'enfant-élève poursuit l'apprentissage du langage oral à l’école et hors l’école, dans une complémentarité qui est à construire et encourager. Le « hors l’école » désigne principalement le milieu familial, mais aussi les temps péri et extra-scolaires.

Catherine Hurtig-Delattre se réfère au texte de cadrage Eduscol (partie « associer les parents »)

"La coéducation langagière est activée par l’enseignant, dans le but de construire une estime réciproque entre les adultes coéducateurs, dont l’enfant est le premier bénéficiaire."

Document complémentaire: Pistes pédagogiques pour activer à l'école la coéducation langagière (Source: Eduscol

 

Leviers de l'enseignant Situations coéducatives, selon les  fonctions du langage
  • S’intéresser à ce qui se vit à la maison, connaître le cadre familial et péri/extra-scolaire. Celui-ci est trop souvent considéré comme « potentiellement déficitaire ». En le connaissant mieux (quelles sont les langues parlées à la maison, quels sont les temps et lieux pendant lesquels les adultes parlent avec les enfants), on peut s’appuyer sur ce qui existe et encourager le langage par des dispositifs d’interface.
  • Expliquer aux parents ce qui se vit en classe : l’école n’est pas facilement « lisible » par tous les parents. En explicitant les activités et les apprentissages scolaires, on donne à l’enfant des supports pour parler avec ses parents.
  • Stimuler les interactions langagières hors de l’école : l’ensemble des dispositifs d’accueil, d’information et de dialogue avec les parents favorisent un développement de la poursuite de l’apprentissage langagier de l’enfant dans son milieu extra scolaire.
  • Langage de situation : en insistant sur les situations usuelles (dire ce qu’on fait quand on joue, quand on s’habille, quand on prépare le repas, quand on range, etc. / dire ce qu’on voit quand on se déplace, à pied, en voiture ou dans les transports en commun.) La stimulation pourra être activée lors de l’accompagnement des sorties, de temps partagés à l’école etc.
  • Langage d’évocation : en incitant à raconter ce que l’on a fait, à parler de ce que l’on va faire. Cela pourra se vivre à travers les supports scolaires de communication adressés aux parents, pour lequel l’enfant est placé en statut de transmetteur : cahiers de vie, affichages, etc.
  • Langage de communication : en prêtant attention à l’écoute de l’enfant qui parle et aux réponses de l’adulte, au temps nécessaire pour dire ce qu’il veut dire, à l’intérêt de lui poser des questions. Cela pourra se vivre au cours des temps d’accueil ou lors d’entretiens individuels auquel l’enfant est associé.

Et les ELEVES "petits parleurs" ?

Catherine Hurtig-Delattre propose ici d'interroger, pour chaque catégorie d'enfant-élève "petit parleur", quel est le contexte qui lui est propre et quelles sont ses compétences en dehors de l'école.

Cette observation fine permet d'adapter l'action de l'enseignant.e en classe et de l'inscrire dans une complémentarité entre école et hors école.

" L'élève allophone: parle-t-il dans sa langue maternelle?  Quel est son niveau d'acquisition de lexique, de syntaxe? Quel est son comportement langagier dans la fratrie?
L'
élève inhibé : parle-t-il dans son environnement familier, parlait-il à la crèche? Quel est son comportement en relation duelle ou en groupe, en dehors de l'école? 
L'élève en difficulté cognitive : accède-t-il à des situations complexes dans le quotidien hors scolaire? Montre-t-il ce qu'il comprend?  
Pour tous: quelles sont les compétences des enfants en communication non-verbales? Quel est le point de vue des professionnel.les des temps péri-scolaires?

Conclusion: stimuler le langage en toute occasion 

Catherine Hurtig-Delattre conclut que:

"Stimuler le langage hors école, c'est servir la construction du langage à l'école".

 En complément,  l'enseignante-formatrice tire une double conclusion en forme de dilemme, à partir de son expérience en Éducation Prioritaire :

" D'un côté, il est fondamental de faire confiance à l'enfant et à sa famille puisque, quelles que soient ses conditions de vie et son univers culturel, il a bénéficié d'interactions spontanées plus ou moins conscientes, qui lui ont permis d’entrer dans les premières acquisitions de l’oral. Et d'un autre côté, il est indispensable d'apporter un soutien visant à compenser les inégalités puisque les conditions de vie, notamment socio-économiques (nombre d’enfants dans la fratrie, cadre matériel, préoccupations et sécurité psychique des parents),  limitent la quantité et la qualité de ces interactions."

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