Organiser une formation hybride : à quelles conditions ?
Cette formation de formateurs est partie d'un postulat fort des participants : la réussite de l'intégration de modalités hybrides dans l'activité des formateurs dépend de leur appropriabilité, c'est-à-dire du degré de compatibilité qu'elles offrent avec l'activité normale, quotidienne de formation. En effet, ce qu'on appelle trop souvent "résistance au changement" relève bien souvent de l'impossibilité pour les professionnels de faire fonctionner les nouveaux outils proposés de manière pérenne, dans les contraintes réelles de leur travail "ordinaire".
Conférences et ateliers ont ainsi permis à la cinquantaine de formateurs présents de déterminer, en lien avec leurs contextes d'intervention, les conditions d'efficience de plusieurs modalités de formation hybride : c'est-à-dire les moyens de gagner en efficacité (effets produits sur les formés) et/ou en économie (coût financier mais surtout temps de travail nécessité).
Pour ce faire, une "grammaire" commune a été proposée (et enrichie) pour mettre en forme de façon intelligible scénarios et parcours de formation à partir de "composants élémentaires" souvent mise en oeuvre (voir le modèle téléchargeable).
Ce fut notamment l'occasion de souligner que "l'hybridation" peut être de plusieurs natures :
- "technologique", certes, notamment en alternant des moments de travail "à distance" sur des outils numériques (première colonne ci-dessus) avec des moments de présentiels
- mais aussi "en action", c'est à dire faisant naviguer la formation entre la mise à distance et le "terrain professionnel", notamment par des relevés, observations, accompagnements in-situ (seconde colonne).
Les participants ont confronté leurs expériences sur la façon de répondre à des besoins/problèmes/attentes professionnels par des modalités hybrides de formation, et ont mis à l'épreuve le modèle proposé. Ci-dessous l'exemple de "l'évolution hybride" d'un parcours de formation à destination de professeurs documentalistes dans l'académie de Nancy-Metz (voir aussi le modèle téléchargeable avec fiche explicative) :
Suite à l'intervention de Guillaume Serres et Frédéric Boissonnet (ESPE Clermont Auvergne) sur les apports, les limites et les pièges de la formation hybride à travers l'exemple du master MEEF de l’ESPE de Clermont-Ferrand, ce travail a également permis d'identifier quelques critères de conception "robustes" à remplir systématiquement pour se prémunir d'un certain nombre d'écueils dans la mise en oeuvre d'une formation hybride, dans trois phases-clés de la conception :
- Prévoir : Élaborer un cahier des charges précis, notamment pour le choix de la “plateforme-support”, du package général : Multi-supports ? Multi-environnements ? Nature interactive ? Nature collaborative ? Gestion des formats écrits, audio, vidéo ? Réinvestissement possible à plus long terme ? Transmission possible à des pairs ? Etc.
- Concevoir et médiatiser : Interroger les 4 critères ergonomiques de base de la conception d'un dispositif : 1) l'utilité (à quel besoin répond-il ?) 2) l'utilisabilité (est-il assez simple et familier pour que l'utilisateur ne soit pas en difficulté ?) ; 3) l'acceptabilité (pose-t-il un problème d'intégrité déontologique, éthique..?) ; 4) l'appropriabilité (peut-il s'insérer durablement dans les pratiques de l'utilisateur ?)
- Accompagner : Quel type et quelle charge d'accompagnement le dispositif appelle-t-il ? Le formateur a-t-il les ressources nécessaires, par exemple pour administrer, modérer, animer, synthétiser et restituer un travail en forum ? (cf. par exemple l'expérience de Guillaume Serres et Frédéric Boissonnet.)
L’exposé de Gilles Aldon (IFÉ - ENS de Lyon) a notamment insisté sur la nécessité de ne pas confondre "ressources", "parcours" et "scénarios" de formations : il a défini sept grandes étapes dans la construction d'un parcours, en insistant sur le fait que l'utilisation de nouveaux outils ne dispense absolument pas les formateur d'interroger les modèles de formation auxquels il se réfère (béhaviouriste, constructiviste, didactique...), nécessitant d'articuler le praxis et le logos. "En tout état de cause, le formateur est un "broker" à la frontière de plusieurs communautés (recherche, métier...) pour créer des liens entre elles" a-t-il conclu.
Éric Sonzogni (conseiller pédagogique, Haute-Savoie) a précisé les problèmes que soulève la formation hybride : d’abord celle de l’inégale maîtrise des TUIC et des moyens techniques disponibles disparates, notamment en terme de débit de connexion internet.
Mais au-delà, il a pointé la pression sur l’institution, à la fois en matière de formation des formateurs ou de différenciation des parcours des formés (jusqu’à l’individualisation ?). Selon son expérience, les modalités de validation de la formation, la nature des échanges entre formés ou les productions collectives contribuent à définir des buts communs aux acteurs. Il a souligné les potentiels de la formation hybride, si elle arrive à mobiliser et responsabiliser davantage les formés, à ouvrir des espaces d’échanges et à favoriser la production de ressources et leur diffusion.
Serge Leblanc (Université de Montpellier) a dressé une typologie des formations hybrides :
- présentiel enrichi par des supports multimédias
- présentiel amélioré par du travail en amont ou en intersession
- présentiel alterné
- présentiel allégé ou réduit
Il est revenu sur l’exemple de Néopass@ction comme outil de formation hybride qui peut être un levier de la transformation de l’activité des enseignants et de leurs formateurs.
Pour Patrick Picard, reprenant quelques tensions professionnelles du travail du formateur, la question des nouveaux outils et modalités de formation ravive des questions de métier que les formateurs doivent collectivement travailler pour développer l'efficacité de leur travail, pour eux comme pour ceux qu'ils forment, dans cinq dimensions :
- apprendre à lire le réel de la classe pour mieux identifier les questions vives posées par les formés
- faire connaitre le prescrit pour ne pas en rester aux idées préconçues, et permettre la "traduction" de ce qu'on demande de faire
- partager progressivement les différents modèles de référence, les théories qui permettent de lire le réel sous différents angles
- oser les outils, les essais de déplacements minuscules, les essais-erreurs, les retours en arrière, les compromis opératoires
- et surtout pouvoir accompagner dans la durée, permettre les allers-et-retours dans différents contextes, pour gagner en confiance et pouvoir faire des retours d'expérience.
Du travail en perspective, donc, pour les sessions à venir...