Piloter en éducation prioritaire, quels repères dans le prescrit ?
« Il est illusoire de penser qu’en se contentant de réunir plusieurs métiers, ils vont réellement avoir un objectif commun par la magie d'un prescrit commun. »
Flore Barcellini, Ergonome, CNAM
Des pilotages complexes sur trois échelles
La circulaire de mai 2017 explicite les enjeux des comités de pilotage aux trois échelles, nationale, académique et locale au niveau des réseaux, ainsi que les articulations entre ces comités de pilotage dont voici quelques extraits.
Le prescrit désigne une multitude d’acteurs et d’instances sur trois échelles de pilotage de l’éducation prioritaire. Une infographie a été réalisée à partir des informations stipulées dans la circulaire de juin 2014 et de mai 2017. L’objectif de cette infographie est de traduire graphiquement le prescrit en ce qui concerne les instances et les métiers en lien avec le pilotage de l’éducation prioritaire. Cette infographie ne dit rien des modalités et des missions des acteurs, ni des conditions de mise en œuvre réelle du pilotage. Néanmoins, à la marge, il a été souligné dans le cas du pilotage local quelques différences entre le texte et le réel. Par exemple, les besoins locaux ont montré que la présence des Formateurs Éducation Prioritaire et des Conseillers Pédagogiques de Circonscription était nécessaire dans certains comités de pilotage.
Cette infographie est un outil pour identifier dans le paysage du pilotage, les différents instances et confronter son réel en tant qu’acteur, en partant du point de vue que chaque métier prend en compte des questions de pilotage, de l’enseignant au ministre, en passant par les inspecteurs, principaux, coordonnateurs, formateurs….Des configurations qui ne sont pas de l’ordre du comité de pilotage ont été ajoutées car elles sont reliées et sont jugées importantes dans les textes, c’est le cas des dialogues de gestion entre l’échelle académique et du réseau ou des préparations de formation sur le réseau. Cette infographie a aussi pour visée de mieux comprendre l’usage des outils du centre Alain-Savary présents dans ce dossier, comme la schématisation des territoires ou des instances.
Un rapport IGEN-IGAENRIGEN-IGAENR, Pilotage académique de l’éducation prioritaire, rapport n° 2016-058, juillet 2016 identifie les dilemmes et tensions rencontrés au sein des comités de pilotage
Le tableau suivant décline les dilemmes et tensions rencontrés dans les instances de pilotage qui ont nourrit les points de vigilance et les rappels explicités dans la circulaire de mai 2017, les extraits en italique sont issus du rapport des IGEN-IGAENR de juillet 2016.
Echelle |
Instances ou acteurs |
Dilemmes et tensions entre… |
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Académique |
Les intervenants et instances en charge de l’éducation prioritaire |
…la multiplicité des intervenants et la transparence des missions « La multiplicité des intervenants et instances en charge de l’éducation prioritaire et le manque de transparence sur les responsabilités respectives des échelons académiques et départementaux sont facteurs de complexité et de confusion » |
COAC-EP et DASEN (Correspondant académique de l’éducation prioritaire) |
… le positionnement du DASEN et celui du COAC-EP « Le COAC-EP est rarement associé aux instances décisionnelles académiques et encore moins départementales. Dans le cadre d’un renforcement avéré des structures de pilotage départementales, son positionnement vis-à-vis des DASEN est problématique et sa légitimité de plus en plus sujette à caution » |
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IA-IPR et IA-IPR-référents |
…les collectifs d’IA-IPR et les IA-IPR référents « Les inspecteurs du second degré sont peu associés collectivement au pilotage de l’éducation prioritaire. » |
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…les formations du premier, second et inter-degré « Les dispositifs de formation continue, premier et second degrés, sont peu coordonnés et dessinent dans la grande majorité des cas un paysage complexe et peu lisible […] Le cloisonnement premier/second degré reste très largement la règle, ce qui est la négation même de la refondation et de la notion de réseau ; cloisonnement dont les effets dépassent le sujet de l’éducation prioritaire dans la mesure où il est très préjudiciable à la mise en place du cycle 3 » |
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Formateurs académiques et FEP (formateur éducation prioritaire) |
…les formations attachées à la réforme conduisant aux nouveaux programmes et les formations liées à l’éducation prioritaire « Le positionnement et le rôle des formateurs académiques sont généralement peu formalisés. |
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Partenaires de l’école (Institutions, associations, parents,…) |
…le comité de pilotage académique restreint et comité de pilotage élargi aux partenaires « Les partenaires de l’école, institutionnels et/ou associatifs ne sont pas associés au niveau académique (leur présence au sein des comités de pilotage académique est très rare) mais seulement au niveau départemental, le plus souvent à l’initiative des préfets délégués pour l’égalité des chances […] Les parents d’élèves ne sont pas considérés comme acteurs à part entière des instances représentatives »
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Entre académique et réseau |
Les comités de pilotage |
…les projets formalisés et les dialogues inter-comité de pilotage « L’élaboration de projets de réseau ne fait que rarement l’objet d’un processus normalisé. Leur articulation avec les autres projets n’est pas réfléchie […]. Ils ne sont pas considérés comme des instruments de dialogue. » |
Les trois pilotes IEN, Principal et IA-IPR référent |
… une gestion académique et une gestion de réseau « L’entité [pilotage du réseau] n’a pas de réalité en termes de gestion de moyens (dotations horaire, GRH, etc.). Les initiatives visant à instaurer des dialogues de gestion de réseau sont très rares. […]La faible propension des académies à mettre en place des politiques spécifiques de gestion de personnels intervenant en éducation prioritaire […] Les pilotes de réseaux ont une perception très lointaine et diffuse du pilotage académique » |
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Equipes éducatives, partenaires territoriaux, parents d’élèves |
… pilotage académique et lisibilité des acteurs d’un réseau « Du point de vue des équipes éducatives, des partenaires territoriaux et des parents d’élèves, le pilotage académique reste une notion largement abstraite » |
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Réseau |
… rôle de personne ressource et rôle de pilote. « La présence des IA-IPR référents de réseau sur le terrain est plus marquée mais ceux-ci se positionnent souvent davantage comme personne ressources que comme véritable co-pilotes » |
« Une diversité d’expériences qui s’adaptent aux contextes » Trois questions à Marie-Laure Lepetit, inspectrice générale de l’Education Nationale (IGEN)
Quel impact la refondation de l’éducation prioritaire a-t-elle sur les métiers des pilotes ?
« L’impact se situe à deux niveaux. Aujourd’hui on parle de « pilotes » pour les métiers de chefs d’établissement, d’IEN, d’IA-IPR. Ce n’est pas qu’un effet de mode, cela témoigne d’une évolution de professions qui existaient depuis longtemps. Par ailleurs, on demande à ces gens de travailler ensemble et d’être des co-pilotes. Ils ne savent pas bien ce qu’est « être pilote » et on leur demande d’être « co-pilote ». Les métiers sont pris dans un double mouvement : se connaître soi-même dans une nouvelle fonction et connaître l’autre. Précisons que ces transformations dépassent le pilotage des réseaux. L’inspectrice générale que je suis doit assurer une mission d’accompagnement et de suivi des réseaux qui transforme la fonction. Il me semble que à tous les niveaux, les acteurs du pilotage des réseaux acceptent d’entrer dans ces métamorphoses parce qu’elles ont été initiées à partir des remontées du terrain qui ont eu lieu à l’issue des assises de l’éducation prioritaire. »
Quel regard portez-vous sur la manière dont les réseaux mettent en œuvre la refondation ?
« Au cours des trois dernières années, j’ai observé des équipes qui s’emparent de cette refondation, et qui, pour ce faire, travaillent ensemble autour d’objets communs. La réforme du collège est venue perturber le travail des réseaux mais, dans beaucoup d’endroits, elle s’est intégrée naturellement aux chantiers engagés. J’observe aussi une variété dans la manière dont l’éducation prioritaire se décline sur le territoire, ça rend la chose complexe mais passionnante. Il existe un cadre qui présente les besoins des élèves, les besoins en formation des enseignants, etc. Mais à l’intérieur, il existe une diversité d’expériences qui s’adaptent aux contextes. »
Quel apport voyez-vous à des travaux qui s’intéressent au travail réel des pilotes pour observer et comprendre ce qui se joue ?
« J’y vois une possibilité donnée aux équipes de comprendre ce qu’elles sont et quels sont les individus qui la constituent. Chacun dans ce collectif a le temps de prendre du recul pour s’expliquer son « moi professionnel ». En ce qui concerne les schématisations du territoire et des espaces de travail proposées par le centre Alain-Savary, elles permettent aux personnes de se construire des outils pour se positionner dans un système complexe, opaque et cela me semble essentiel. »