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La grande difficulté scolaire, rapport au savoir et accompagnement des jeunes, des élèves

Par skus — publié 28/01/2014 11:10, Dernière modification 14/04/2016 12:05
Séance 5 du séminaire (08/04/2011) Problématisation à partir de l’avancée d’un projet partenarial autour de l’accompagnement à la scolarité. Exposé de Jacques Bernardin, chercheur en sciences de l’éducation, équipe ESCOL-CIRCEFT, Paris 8 et GFEN : Comment traite-t-on la grande difficulté scolaire dans l’école ? Hors de l’école ? Ensemble ?

Problématisation à partir de l’avancée d’un projet partenarial autour de l’accompagnement à la scolarité par un coordonnateur RRS.

Présentation du contexte dans lequel un groupe partenarial de réflexion sur l’accompagnement à la scolarité s’est constitué sur un territoire :

  • Un contexte institutionnel marqué par la multiplicité d’offres d’accompagnement des élèves centrées sur l’aide aux devoirs.
  • Un contexte social marqué par la précarité des populations et la ségrégation de l’habitat.
  • Un contexte scolaire inscrit dans l’éducation prioritaire.

C’est dans ce paysage que nait d’abord de manière « clandestine » une "coordination des coordonnateurs" dans le champ éducatif (DSU, CEL, PRE, RRS…). Des groupes de travail se constituent et l’un d’eux portera sur l’accompagnement à la scolarité ; l’IEN de la circonscription et les Principaux  des 3 collèges du territoire participeront aux réunions. Ce groupe de travail aboutira à la rédaction d’un projet local de l’accompagnement à la scolarité engageant autant l’école que ses partenaires sur 4 axes de travail :

  • Construire et décontextualiser les savoirs dans l’école et hors de l’école.
  • Rendre l’école lisible et visible.
  • Ouvrir les établissements scolaires à la culture et à l’environnement.
  • Réfléchir au travail personnel des élèves. 

Diaporama de l'intervention

 
 

Exposé de Jacques Bernardin, chercheur en sciences de l’éducation, équipe ESCOL-CIRCEFT, Paris 8 et GFEN : Comment traite-t-on la grande difficulté scolaire dans l’école ? Hors de l’école ? Ensemble ?

Synthèse de l'intervention

Jacques Bernardin démontre que le travail du soir et les devoirs à la maison ont tendance à renforcer les inégalités scolaires. Ces devoirs, qui perdurent malgré leur suppression en 1956, constituent des « Objets Pédagogiques Non Identifiés ». Quel en est le sens ? Qu’attend-on des élèves ? On reste dans le flou et l’implicite.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le temps de travail personnel des enfants est long dans les familles populaires. Des tensions vives peuvent se développer entre parents et enfants, des parents qui peuvent très tôt se sentir incompétents. Ils délèguent alors l’accompagnement de leurs enfants à des professionnels.

Si les dispositifs d’aide aux élèves hors de l’école n’entrainent pas de progrès scolaires, ils contribuent à pacifier les rapports à la maison et ont une fonction réparatrice : le comportement de l’enfant à l’école peut s’améliorer et on constate moins d’absentéisme.

Qu’a-t-on tendance à faire à l’école pour aider les élèves en difficulté ?

  • On met en place des dispositifs spécifiques qui ne permettent pas de compenser les difficultés lourdes constatées et provoquent une certaine saturation  en matière d’aide aux élèves.
  • Dans l’espace classe, les dispositifs d’aide aux enfants ont des effets paradoxaux avec une baisse du niveau des exigences scolaires et un guidage renforcé des élèves à travers des micro exercices sans temps de réflexion effectif.

Quel est le rapport au savoir des élèves en difficulté ?

L’école est essentiellement « utile » ; il s’agit d’avoir une bonne note et un bon métier plus tard. Ecouter l’enseignant et faire ce qu’il demande doit permettre de réussir. Ils ne distinguent pas les tâches à effectuer de leurs finalités alors que d’autres élèves développent des processus de « distanciation-régulation » et « d’objectivation » ce qui permet de mettre du sens sur les activités scolaires assignées. 

Alors quelles pistes proposer pour favoriser la réussite scolaire et éducative ?

  • Redonner le goût d’apprendre. Proposer des situations riches de sens, des situations-défis et complexes afin d’accroitre la curiosité des élèves ; passer d’un savoir « enjeu » à un « savoir-pouvoir ».
  • Modifier l’attitude des jeunes face aux apprentissages. Interroger l’entrée dans l’activité, travailler sur les consignes, poser le cadre de l’activité. Mettre les élèves en situation d’échanges, expliciter ce que l’on exige en disant « comment faire pour… ».
  • Restaurer du lien social en favorisant les échanges à l’école et la rencontre avec des adultes. Adopter une posture bienveillante et poser un regard positif sur l’avenir.
  • Renforcer la place des parents. Une intervention symbolique sans doute plus féconde qu’une intervention technique d’aide aux devoirs.

 Texte intégral de l'intervention

Hors les cas d’élèves relevant d’une prise en charge spécialisée, avant d’être grande, la difficulté commence par être « ordinaire », procède d’un « décrochage cognitif » aux effets cumulatifs . Est-il possible de l’éviter ? C’est ce que tentent de faire diverses actions et dispositifs, plus ou moins institutionnalisés, sans que cela soit toujours coordonné. 

Les appuis aux apprentissages existent hors de l’école (à l’occasion du travail du soir, qu’il se fasse avec les parents ou dans des dispositifs d’accompagnement à la scolarité) mais aussi dans l’institution scolaire. Brossons un rapide état des lieux.

I/ La prise en charge hors de l’école

1) Le travail du soir

Censé aider les élèves, il ne répond que très inégalement à cette ambition. On le sait depuis longtemps… mais les pratiques résistent aux textes. Faisons un petit rappel historique.

Dans les années 50, Robert Gloton (ancien Président du GFEN), alors qu’il était Inspecteur de l’Education nationale dans l’Eure, fait une étude montrant l’inefficacité et l’injustice du travail du soir. Sur cette base, il rédige un rapport au Ministère qui sera à l’origine de l’arrêté de 23 novembre 1956 interdisant les devoirs à la maison dans toutes les écoles primaires . Mais on sait que les habitudes vont perdurer… 

En 1994, le Ministère de l’Education nationale tente de clarifier la situation et crée les études dirigées dans le primaire. « Les maîtres aident les élèves à intégrer diverses méthodes et à mieux les utiliser à bon escient. Ils contribuent ainsi à développer leurs capacités d’attention, d’organisation et de réflexion (…) dans ces conditions, les élèves n’ont pas de devoirs écrits en dehors du temps scolaire ». On sait ce qu’il en est advenu depuis.

Fin 2004, Dominique Glasman constate dans son rapport au Haut Conseil à l’Evaluation de l’Ecole que « 80 à 90 % des enseignants prescrivent régulièrement des devoirs à la maison, y compris à l’écrit, surplus à une journée déjà chargée, pratique au bénéfice contestable et aux effets discriminatoires accrus » .  

Quels sont les problèmes posés par le travail du soir ? 

Il est souvent trop long. Une étude de la DEP menée il y a dix ans sur le métier enseignant montrait que beaucoup de professeurs attendaient de leurs élèves un temps de travail hors classe disproportionné avec le travail que les élèves, même consciencieux, pouvaient réellement fournir (surtout au collège).

Par ailleurs, le sens des devoirs ne semble pas toujours clair. Une étude que avons menée en décembre 2008 sur un quartier populaire de la banlieue chartraine, cherchant à croiser les perceptions des divers acteurs (élèves, parents, enseignants, travailleurs sociaux chargés de l’accompagnement), révélait que ce travail était perçu comme une perte de temps voire une punition pour 25 % des élèves interrogés, que cela ne servait qu’à faire son métier d’élève en attendant les parents pour plus de 15 %. Pour les 60 % restants, cela permettait de poursuivre le travail engagé en classe, sous des formes différentes : à mémoriser les notions pour 45,5 % ; à mieux les comprendre pour 13,5 %. Du côté des enseignants, quelle est la fonction de ce travail : renforcement, illustration, réinvestissement ou préparation du cours ? Quels usages en classe ? Est-ce contrôlé ou pas ? Obligatoire ou facultatif ? Il subsiste beaucoup d’implicites sur les attendus du travail du soir : que faut-il réellement savoir ? Comment faire pour apprendre de façon efficace ? Les techniques intellectuelles font trop rarement l’objet d’échanges dans le cadre scolaire… 

Enfin, le travail du soir accroit les tensions école/famille alors qu’il est censé les réduire. 

2) Les parents face au travail du soir

Selon une enquête réalisée par l’INSEE en 2004, l’aide apportée par les parents est, en moyenne, de 19 H par mois (30 minutes de plus qu’au début des années 90). Elle est plus importante au primaire et début de collège qu’après (14H par mois au CP ; 4 H en Première-Terminale). La mère consacre en moyenne plus du double du temps que le père, tous milieux sociaux confondus, avec des différences selon les niveaux d’études. 

Au-delà de ces éléments d’ensemble, on note un fréquent sentiment d’incompétence chez certains parents. Dès le primaire, un sur cinq a l’impression de ne pas avoir les connaissances nécessaires. Plus de la moitié des mères sans aucun diplôme se sentent dépassées dès l’école élémentaire, avec une difficulté à « suivre » les contenus scolaires (au-delà des fondamentaux), avec le sentiment fréquent d’un décalage par rapport aux méthodes utilisées. On sait que prévaut souvent un modèle « 3è République » dans les familles populaires, plus tourné vers la mémorisation que vers la compréhension, avec des modalités d’accompagnement pouvant être contre-productives, oscillant entre confiance exagérée et travail en plus voire harcèlement . 

L’aide des parents de milieux favorisés n’est pas de même nature, est moins crispée sur la réalisation du travail que sur son sens. Ces parents interviennent plutôt du côté de la médiation culturelle (sorties, lectures, visites, consultations documentaires, recherche en bibliothèque, etc.), la contextualisation de ce qui a été appris à l’école (pratiques sociales de référence, lien avec le quotidien ou le passé…) et les mises en relation. Au lieu d’être dans une incitation à « liquider les devoirs » au jour le jour pour se mettre en règle avec l’école (pouvant aller jusqu’à les faire à la place de l’enfant), ils aident à anticiper, planifier le travail et fournissent si besoin un appui méthodologique (usage du manuel, relecture de la leçon, recherche dans les dictionnaires, encyclopédies ou atlas, etc.).

Qui est aidé ? Selon une étude réalisée en 2009 à l’initiative des étudiants de l’AFEV auprès de 400 élèves accompagnés dans leur scolarité , 61 % des élèves déclarent que leurs parents leur demandent « tous les jours » s’ils ont des leçons ou devoirs à faire ; 28 % quelquefois et 12 %  jamais (soit près de 40 %). « Pour autant, ces parents (…) ne se sentent pas armés pour aider leurs enfants à les faire » : 24 % affirment être souvent aidés, 35 % parfois et 41 % sont rarement voire jamais aidés par leurs parents (49 % au collège). 

Il faut le redire – et toutes les recherches en témoignent - ce n’est pas par désintérêt des parents à l’égard de l’école, toujours perçue comme « moyen de s’en sortir ». Plusieurs facteurs pourraient l’expliquer : le blocage vis-à-vis d’une institution scolaire perçue comme « territoire étranger et défendu » ; le fait que ces parents, eux-mêmes disqualifiés par l’école, ont des difficultés à se penser comme un élément important de la réussite scolaire de leur enfant et préfèrent rester à l’écart. Une constante : l’auto-dévalorisation de leurs capacités et de leurs potentialités éducatives, qui les amènent à déléguer le suivi à l’école ou aux dispositifs d’accompagnement à la scolarité. 

3) L’accompagnement à la scolarité : quels effets ?

Servant la pacification des relations dans la famille, l’accompagnement à la scolarité a une fonction réparatrice pour certains élèves, qui apprécient la bienveillance et la disponibilité d’un adulte compétent. Cet espace tiers, soulagé des impératifs scolaires comme de l’impatience parentale, permet de reprendre confiance en soi et de se réconcilier avec l’univers scolaire. On note moins de refus ou de rejet de l’école, un recul de l’absentéisme chez ceux qui en bénéficient, ce qui n’est pas rien. 

Au-delà de ce rapport à l’école plus serein, qu’en est-il sur le plan des apprentissages ? Selon la synthèse de Dominique Glasman  en 2004, « pour une part non négligeable des enfants et des adolescents, l’accompagnement scolaire est loin de faire la preuve de son efficacité en termes d’appui au travail ». Selon lui, « si on centre sur les résultats scolaires, c’est-à-dire l’amélioration des acquisitions, globalement, la fréquentation de l’accompagnement à la scolarité ne se traduit pas par des progrès notables ». Bruno Suchaut, sur la base des études menées par l’IREDU de 2001 à 2003, fait le même constat. « A caractéristiques scolaires et sociales comparables, l’effet global de l’accompagnement à la scolarité est assez ténu : en moyenne, les élèves ayant fréquenté un dispositif, quelle que soit sa configuration, ne progressent pas différemment des autres élèves comparables (non pris en charge dans les dispositifs). »… Et parfois même, on note des effets négatifs !   

Pourquoi ? Il apparaît qu’en tendance, l’aide au travail du soir s’inscrit dans une logique de réussite plus que dans une logique de compréhension. Il s’agit pour les élèves – et souvent pour ceux qui les aident - de faire les devoirs, de les « liquider » selon la formule consacrée, et non d’en profiter pour saisir l’enjeu des tâches et mieux comprendre les notions en jeu. Ce qui conduit à une reconfiguration et à un balisage des tâches qui rétrécit le travail intellectuel : on explique ou on montre au lieu d’inciter à chercher, à mettre les paramètres en relation, type d’aide qui laisse peu de traces et ne modifie en rien la posture face à l’étude.  

4) Que peut-on changer au travail du soir ?

D’abord sa quantité : on peut veiller à mieux apprécier et anticiper sa durée (ce qui exige de la coordination au collège). Ensuite avoir souci de clarifier davantage l’enjeu du travail (est-ce une amorce, une poursuite ou un prolongement du travail en classe ?) et l’attendu : « apprendre la leçon » fait partie de ces fausses évidences où se fracassent bien des élèves, sur un malentendu quant à la figure de l’apprendre sous-entendue par les professeurs !

Enfin et surtout, les difficultés rencontrées face au travail du soir interrogent la part dévolue à chacun dans les apprentissages, notamment ce qui devrait être initié par l’école : les techniques de travail intellectuelles et d’abord… la compréhension des notions ! 

Rappelons quelques données à ce sujet. 64 % des élèves suivis par l’AFEV disent ne pas comprendre certaines fois à l’école (20 % souvent) ; 41 % des élèves ont peur de se tromper et 36 % ont parfois ou souvent mal au ventre avant d’y aller . Qui est davantage touché ? Selon l’OZP, 31,5 % de l’ensemble des élèves de ZEP fournissaient le groupe des 15 % d’élèves en difficulté en 2007 . Depuis, les choses ne se sont guère améliorées : l’évaluation internationale PISA montre un creusement des écarts avec un accroissement du taux d’élèves en difficulté passé, au niveau de la compréhension de l’écrit, de 15,2 % en 2000 à 19,7 % en 2009.  

II/ Les réponses aux difficultés scolaires dans l’école

Elles peuvent s’organiser à travers des dispositifs spécifiques ou bien être intégrées au quotidien de la classe. Commençons par un rapide inventaire de ces dispositifs d’aide et de quelques éléments d’appréciation de leurs effets. 

1) A travers des dispositifs spécifiques.

Afin de ne pas être accusé de partialité, je m’appuierai largement sur les constats faits par l’Inspection Générale de l’Education nationale. 

  • L’aide personnalisée : on constate des progrès sur le plan des comportements mais « ces progrès (…) s’atténuent en classe ». Cela est positif pour les élèves ayant besoin d’une consolidation, mais au-delà, « les effets sur les apprentissages et les acquis sont plus difficiles à mesurer » et on ne note « pas de conséquence sur le parcours des élèves », que ce soit au niveau des redoublements ou des orientations en SEGPA. Cela « ne permet pas (…) de compenser les difficultés lourdes » .
  • L’accompagnement éducatif dans les écoles des Réseaux d’Education Prioritaire : « Le constat est fait d’une certaine saturation des élèves en matière de « soutien scolaire » entre l’aide personnalisée et l’accompagnement éducatif » (p.12) .
  • Le PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Educative) propose un appui limité dans le temps. La mise en place d’autres formes d’aide a « brouillé le message », au risque de l’incohérence d’ensemble de la prise en charge (p.17).
  • Les stages de remise à niveau : « aucune évaluation qualitative du dispositif n’est conduite ou même envisagée », au-delà d’enquêtes de satisfaction. « La liaison entre le activités pratiquées dans les stages et les difficultés constatées en classe est loin d’être systématique » (p.11).
  • Les dispositifs relais : il faut saluer le travail souvent remarquable des équipes pour remobiliser les élèves. On y met fréquemment en œuvre la pédagogie du projet, avec un suivi personnalisé. Les élèves sont sensibles à l’attention des adultes, à leur volonté de les faire progresser et apprécient les activités qui ont du sens. Toutefois, la « pédagogie de détour » a des effets divers : une étude récente montre que si les élèves s’impliquent en général, trouvent là l’occasion de s’investir et d’échanger, de reprendre goût à l’apprentissage, ils peuvent aussi s’ennuyer, trouver cela fastidieux, dévaloriser leurs travaux en se dévalorisant, mais surtout que leur mobilisation est peu durable, avec des effets sur les apprentissages peu probants, des réinvestissements incertains .  Quelque efficacité qu’aient ces dispositifs, le problème se pose un peu partout du retour dans l’établissement d’origine, où l’on constate une chute conséquente des bénéfices réalisés. 

Tous ces éléments questionnent  - ou devraient questionner - ce qui se passe en classe…

2) Dans l’espace de la classe 

a. Les effets paradoxaux des dispositifs d’aide

La mise en place de l’aide personnalisée s’est accompagnée d’une diminution horaire pouvant amener à réduire la part accordée à d’autres domaines jugés « moins fondamentaux » (tels les sciences, l’histoire-géographie, la pratique des arts), privant les élèves – notamment ceux qui en auraient tant besoin - d’autant d’occasions d’ouvrir les yeux sur le monde, d’accroître leur curiosité et leur imagination, de soutenir l’envie de savoir. 

Un temps plus contraint amène par ailleurs à ne plus en « perdre » lors des leçons. Sachant que les élèves en difficulté seront pris en charge ultérieurement, on accorde moins de temps à la recherche, aux échanges et à l’élaboration collective mais aussi à leurs questions : autant de facteurs défavorables à leur compréhension des notions travaillées. 

Enfin, la profusion des aides peut exonérer d’interroger l’ordinaire scolaire et, pour peu que ces dispositifs n’aient pas l’effet escompté, contribuer à renforcer une vision déficiente des potentialités des élèves concernés (« On a pourtant tout essayé avec eux !... »).

Quelles incidences du côté des élèves ?  Ce mode de regroupement renvoie à la logique de groupe de niveau, avec les risques de sollicitations moins ambitieuses et d’une moindre stimulation réciproque. Cela peut enfin renforcer des postures improductives en matière d’apprentissage, l’attente passive et la dépendance à l’égard de l’adulte perçu comme expert : plusieurs enseignants de zones prioritaires le confirment pour des élèves en grande difficulté….

b. Les aménagements pédagogiques usuels

Trois tendances majeures en réponse aux difficultés des élèves : chercher à les motiver, s’adapter à leur niveau, les aider davantage.

Motiver. Pour éviter l’ennui, renouveler l’attention, certains varient les activités. D’autres font appel à des intervenants extérieurs afin d’enrichir le quotidien avec des apports culturels, artistiques, sportifs ou scientifiques. La pédagogie de projet est une autre manière de mobiliser les élèves, de donner sens aux apprentissages en les finalisant. Cela permet d’inscrire le travail dans une cohérence d’ensemble, est propice à impliquer les élèves dans la durée, est porteur d’exigence lorsque la production est soumise à la sanction d’un public. Autant d’occasions de se dépasser, de vivre des situations de réussite propices à créer ou restaurer l’estime de soi. Tous éléments positifs mais aux effets parfois décevants à moyen terme. Sans en faire une généralité, dans bien des cas, cette pédagogie de détour alimente l’évitement plus que le retour sur les apprentissages : « perte de temps scolaire au profit d’activités plus ou moins périphériques, sans lien réel avec les apprentissages en cours ; une relation maladroite, inefficace ou difficile avec les partenaires » .  

S’adapter à leur niveau. Cela peut s’opérer sur le plan des contenus (en réduisant ou en simplifiant le programme), soit sur le plan des modalités de travail, notamment en segmentant la tâche afin d’engager les élèves dans une activité accessible, voire en combinant les deux. Dans cette logique, on constate de fait une réduction progressive des exigences et des ambitions qui contribue à creuser les différences. Par ailleurs, l’émiettement risque de rompre l’unité de l’activité, d’aveugler quant à son sens, d’en diluer l’enjeu. Cela ne fait que retarder la confrontation à la complexité au lieu d’y préparer et renforce une conception  fragmentée du travail scolaire : « tendance à baisser le niveau d’exigences (…)  parcellisation des tâches aux dépens de véritables apprentissages, individualisation extrême des activités qui évitent la confrontation avec la difficulté et nuit à l’autonomie et à la formation intellectuelle » .     

Aider davantage. Cela va souvent de pair avec un guidage renforcé. Que ce soit à travers des dispositifs institutionnalisés ou dans la souplesse de l’espace classe, chacun en a expérimenté les limites. En effet, la plupart des élèves ainsi aidés sollicitent notre étayage de façon croissante, à l’exact inverse de notre projet initial. En fait, cette forme d’aide contribue à renforcer ce qui les dessert déjà : leur posture attentiste et réceptive en matière d’apprentissage et leur excessive dépendance à notre égard. 

Quatre ans après son rapport de 2006, Anne Armand, Inspectrice Générale chargée de l’Accompagnement des Réseaux Ambition Réussite constate que « pour que leurs élèves se sentent bien, aient la satisfaction de réussir, fassent aussi moins de bruit… nombre d’enseignants remplacent de façon plus ou moins consciente les temps d’apprentissage par des séances d’activités. (…) On distribue une fiche de micro exercices, à réaliser individuellement, avec l’aide constante de l’enseignant sans temps de réflexion collective, sans moment de négociation dans le groupe, sans mise en commun… ça ne fait pas de bruit, les élèves sont contents… (…) mais on peut recommencer (…) parce que rien n’est acquis réellement » .

Bien que le tableau brossé des diverses aides dans comme hors l’école puisse apparaître quelque peu désespérant, nous ne sommes condamnés ni à l’impuissance, ni à la répétition. Encore faut-il éclaircir ce qui peut faire obstacle : leur rapport au savoir et à la scolarité.

III/ Rapports à l’école et au savoir : quelles logiques des élèves ?

De nombreuses enquêtes menées de la maternelle au lycée montrent certes des singularités selon l’âge des élèves et les filières, mais aussi de très larges convergences quant à certains processus différenciateurs, qui amènent à penser à des élaborations précoces… probablement confortées par l’expérience scolaire. Quels en sont les aspects saillants ? 

Pour les élèves en difficulté, l’école est essentiellement faite pour « avoir un bon métier ». Il s’agit d’« aller le plus loin  possible » et, pour cela, de réussir à passer de classe en classe. L’école étant instrumentalisée dans la perspective du futur professionnel, les élèves n’investissent que ce qui leur apparaît directement « utile », que ce soit pour avoir une bonne note, remonter sa moyenne, passer dans la classe supérieure ou pour le métier « plus tard ». 

Le savoir étant conçu comme un produit fini qu’on peut recevoir, stocker et restituer tel quel, apprendre consiste à « écouter le maître ou la maîtresse » qui savent, à mémoriser « par cœur, surtout si on a un contrôle le lendemain ». Savoir n’a pas forcément de lien avec le fait d’apprendre, dans une conception bipolaire de l’apprentissage oscillant entre toute-puissance  et impuissance. Ces élèves croient qu’il suffit de « faire ce que l’enseignant demande », liquider son travail et ses devoirs pour être en règle avec les exigences scolaires. Ils vivent les activités comme se succédant sans lien entre elles ni avec ce qui a précédé ou suivra, et pas plus en rapport avec un contenu ou un domaine d’activité spécifique, ce qui les condamne à une dépendance excessive à l’enseignant, duquel ils attendent tout. 

Si les élèves en réussite n’oublient pas que l’école permet d’obtenir des certifications permettant de choisir son métier, ils y trouvent d’autres bénéfices, culturels ou symboliques. Au CP, l’école permet de « pouvoir lire des livres intéressants », « d’apprendre seuls » et ainsi de « devenir grand ». Comme l’exprime un collégien de 3ème, c’est important d’apprendre à l’école « pour pouvoir acquérir un métier », mais aussi « pour savoir comment se sont créés les conflits, pour savoir la vie que menaient nos ancêtres, et pour savoir plus de choses sur le monde qui nous entoure ». Le projet professionnel s’élabore progressivement au gré de l’expérience scolaire et des centres d’intérêts qui s’y développent. Même apparemment « inutile », un savoir est néanmoins important de leur point de vue, car il permet de réfléchir, d’exercer son intelligence, de comprendre le monde dans lequel on vit, dans un échange réglé avec les autres. 

Le savoir est considéré comme le résultat d’une activité faite de recherche, de tâtonnements, d’erreurs rectifiées. L’apprentissage est conçu comme processus nécessitant l’engagement de l’apprenant, dans la durée (GS : « essayer de faire, même si c’est difficile… jusqu’à ce qu’on y arrive » ; CP : « faut lire souvent, des choses de plus en plus difficiles »). Apprendre consiste surtout à comprendre (au collège : « j’écoute en classe, puis (…)  je retiens l’essentiel », « je fais un résumé du cours » ; « j’essaye d’approfondir le sujet »…). S’il faut mémoriser, on y parvient d’autant mieux qu’on a préalablement compris, et il importe aussi de « pouvoir expliquer avec ses mots » et « pouvoir l’appliquer ». 

Si le processus d’imbrication caractérise les élèves en difficulté « captifs de l’ici-et-maintenant de la situation et des tâches sans pouvoir les distinguer de leurs finalités propres », on voit opérer chez d’autres élèves un processus de distanciation-régulation où apprendre est l’occasion de « réfléchir sur la vie, le monde, les gens » sans qu’il y ait confusion entre situation et apprentissage, quand d’autres encore mettent en œuvre le processus d’objectivation, qui permet « la construction des objets de savoir au travers des tâches et exercices scolaires, au travers de leur activité cognitive » . Ce dernier processus est plus fréquent chez les élèves en réussite qui, au-delà de la consigne, s’interrogent sur le sens des disciplines et le but des exercices et activités scolaires, cherchent à comprendre et maîtriser les principes généraux qui les sous-tendent, et sont plus en mesure de se décentrer, de prendre distance pour commenter ou évaluer leur propre activité, et ainsi de la réguler. 

IV/ Quelles pistes pour la réussite éducative ?

Que notre champ d’action se situe dans ou hors l’école, plusieurs axes peuvent être investis conjointement : redonner envie d’apprendre, modifier l’attitude face aux apprentissages, instaurer ou restaurer du lien social.

1) (Re)Donner le goût d’apprendre.

Ces jeunes se caractérisent par une faible implication, soit parce que les activités ne les intéressent pas, soit parce qu’ils ont une image dégradée de leurs capacités : ne pas s’investir ou camper dans une attitude de défiance, ce peut être une façon de « sauver la face ». Contre la tendance à l’appauvrissement des supports, à la simplification ou au morcellement des activités, contre la répétition mortifère, il nous faut imaginer des situations riches de sens :

  • dans l’espace scolaire : des supports en résonance avec leurs préoccupations (on pense ici au travail de Serge Boimare, qui s’appuie sur des thèmes culturels forts pour métaphoriser les craintes des élèves qu’il accueille en rééducation)  ; des contenus qui perturbent, questionnent l’évidence, stimulent la curiosité. Mais l’intérêt peut aussi naître du caractère de la situation : l’énigme, le défi incitent à la recherche … 
  • Hors l’école, toute nouvelle activité (qu’elle soit sportive, culturelle, scientifique, technologique), tout projet un tant soit peu ambitieux donne l’occasion de se réaliser en réalisant, est source de fierté, peut contribuer à réhabiliter la confiance en soi. 

Quel que soit l’espace, il importe d’accroître sa curiosité, d’élargir sa vision du monde, de multiplier les situations gratifiantes ouvrant d’autres horizons. Il s’agit d’éprouver le savoir dans sa dimension émancipatrice, comme pouvoir de compréhension et d’action, comme moyen d’échapper à la fatalité des choses et d’inventer sa propre histoire.  

2) Modifier leur attitude face aux apprentissages

Attente passive ou fulgurance, dépendance excessive à « celui qui sait », résistance à la réflexion : face à ces conduites improductives en matière d’apprentissages intellectuels, quels principes pourraient guider notre action ?

  • A l’école, pour amorcer l’engagement, éclaircir l’enjeu et le but de l’activité (notamment en travaillant la consigne) donne sens à ce qu’on va faire. Annoncer les modalités de travail et la durée des diverses phases, c’est finir de poser un cadre qui aide à se situer et s’y risquer. Les pauses réflexives, en cours ou au terme du travail, permettent l’échange des idées et des façons de faire, aident à faire le tri, à ressaisir et à synthétiser l’essentiel. La mise à jour des procédures mutualise les ressources en exerçant la métacognition, gage de réinvestissements.
  • Hors de l’école comme dedans, comment accompagner sans installer la dépendance ? Différer le « faire », c’est inciter à l’analyse préalable de la tâche. Ne pas faire à la place, c’est favoriser la recherche, les essais et reprises. Neutraliser notre expertise permet qu’ils développent la leur : renvois en miroir, sollicitation du groupe pour valider… La discussion autour de l’obstacle et le retour sur expérience sont autant de moyens de développer la réflexion collective.

Eprouver le plaisir de penser et d’« y arriver » aiguise l’envie de renouveler l’expérience. Il s’agit conjointement de développer leur autonomie, de viser l’émancipation intellectuelle.

3) Instaurer / restaurer du lien social.

La comparaison, la compétition, l’individualisme ambiant renvoient chacun à lui-même. Ne pas accéder au savoir, c’est se sentir hors jeu, disqualifié, mis au ban. Les jeunes ayant des difficultés scolaires souffrent d’une solitude psychique qu’ils intériorisent (inhibitions, repli sur soi), extériorisent (refus, provocation) ou compensent par des conduites « en marge ».   . 

Que ce soit dans l’espace scolaire ou en dehors, la médiation du groupe de pairs sert autant la compréhension que la conscience et la construction de soi. Le groupe, nous dit H. Wallon, est conjointement « initiateur de pratiques sociales », confronte à des règles impersonnelles, pousse chacun à prendre une place singulière et à y être reconnu.  

La rencontre avec des adultes à la fois bienveillants et exigeants, qui ont un rapport optimiste à l’avenir pousse au dépassement de soi, aide à grandir et à se projeter autrement. Autant de référents identificatoires qui élargissent les points d’appui à l’élaboration identitaire.

Enfin, en matière éducative, on ne saurait oublier le lien avec les parents. Premiers partenaires naturels, beaucoup ont souvent un passif avec l’institution éducative. Il y a beaucoup à faire pour lever l’opacité de l’univers scolaire, que ce soit au niveau des contenus travaillés, des méthodes employées, des attendus du travail du soir ou des visées éducatives. S’il appartient à l’école de faire le premier pas (des contacts informels aux réunions collectives ou aux rencontres interpersonnelles plus souples), les dispositifs d’accompagnement à la scolarité sont des espaces intermédiaires moins « brûlants » qui peuvent temporiser les relations et permettre de renouer les fils. On sait que certains parents, vu leur passé, doutent de leur place et de l’importance de leur implication dans l’éducation, préférant déléguer le suivi à ceux qu’ils estiment plus compétents. Ils mésestiment la valeur incitative des échanges informels avec l’enfant sur le vécu de sa journée ou l’enjeu de la scolarité. Or, la place symbolique faite à l’école dans l’espace familial a des effets notables sur la mobilisation, au-delà de toute aide culturelle ou technique. Ils s’interdisent parfois d’intervenir, persuadés de ne pas savoir ou par peur de contrarier ce qui s’initie à l’école. L’auto-dévalorisation de leurs capacités et potentialités éducatives est l’arrière-fond qui régit bien des conduites. Or, ils disposent de bien plus de ressources qu’ils n’en imaginent, que ce soit en tant qu’incontournables appuis affectifs, en tant que professionnels ou passionnés de telle activité, mais aussi en tant qu’éducateurs ayant conduit nombre d’apprentissages avec succès dans l’espace domestique (marcher, parler, manger et s’habiller seul, faire du vélo, jouer, etc.). Faire fond sur ces expériences et en formaliser les invariants opératoires provoque toujours un retournement dans les façons de concevoir leur place dans l’accompagnement…

Relancer la dynamique d’apprentissage, c’est re-lier avec les objets étudiés mais aussi relier aux autres. C’est recomposer pour chacun le rapport au monde (il devient intelligible), à soi-même (ce qui prouve mes capacités) et aux autres (indispensables dans cette reconquête).