Questions vives du partenariat et réussite éducative : conclusion du rapport 2012-2013
Ce séminaire a été bâti sur le pari d’inviter des territoires et non pas seulement des personnes pour échanger sur les questions partenariales autour de l’éducatif local dans les quartiers prioritaires. Nous pensions par là même pouvoir construire des temps d’échanges entre territoires pour mutualiser des pratiques, des constats, des difficultés ou des réussites afin de donner à voir la diversité des constructions partenariales locales, et cela tout en outillant les participants avec les problématiques issus des travaux des différents champs de recherche en éducation.
De ce point de vue, le pari est réussi dans la mesure où les participants, dans le bilan qu’ils font, disent avoir trouvé essentiel d’être venu avec leurs partenaires de territoire. Cette forme leur a surtout permis d’apprécier la manière dont chacun pouvait faire avec ses contraintes spécifiques et ses marges de manœuvre possibles tout en construisant une représentation partagée des problèmes grâce notamment aux apports théoriques.
En effet, le terme partenariat en lui-même n’a que peu de sens s’il ne vient pas s’étayer sur la difficulté de sa construction qui ne va pas de soi et qui prend chaque fois des formes différentes selon le contexte, les acteurs, l’histoire, les organisations institutionnelles toujours différenciés et qui doit pour ne pas se déliter construire progressivement l’objet partagé de la coopération. Et cet objet construit et partagé est à la fois théorique et pratique : c’est parce que la compréhension des difficultés (éducatives, scolaires, relationnelles, sociales,…) par les partenaires dépassent peu à peu les a priori de chacun et qu’émergent les processus qui construisent ces difficultés, que l’action partenariale peut élaborer un projet commun.
Néanmoins, ce séminaire a aussi été heurté par l’actualité et les différentes réformes engagées qui concernent à des niveaux divers les participants (réforme de la géographie prioritaire de l’Education Nationale, de la Politique de la Ville, loi sur la refondation de l’école, acte III de la décentralisation, …). Par ailleurs, la circulaire relative aux projets Educatifs de Territoire, si elle ouvre un nouvel espace des possibles locaux laisse aussi chacun un peu perplexe devant la complexité de la tâche pour s’engager dans un tel projet, tant il reste semé d’embûches.
Derrière ces réformes, certains participants se demandent quel peut encore être aujourd’hui le sens de l’expression «droit commun» que beaucoup peinent à définir. Historiquement le partenariat dans les quartiers prioritaires s’est construit autour de dispositifs qui venaient financer des actions "en plus" pour ceux qui auraient "moins". Le problème de ce "plus", c’est qu’il n’interroge que rarement le fonctionnement ordinaire des institutions de "droit commun", que ce soit l’école ou les services éducatifs mis en place par les collectivités. On passe du coup beaucoup de temps "partenarial" à construire des actions qui tentent de panser les inégalités produites par les institutions, en se préoccupant rarement de penser la manière dont on pourrait réduire ces inégalités produites en faisant évoluer leurs fonctionnements ordinaires. Par exemple, que d’énergie dépensée depuis plus de trente ans autour de l’accompagnement à la scolarité et de "l’aide aux devoirs", sans que les devoirs, comme pratique produisant de l’inégalité de réussite scolaire, soient interrogés.
Si de nombreux participants ont apprécié la séance consacrée aux métiers, c’est aussi que derrière les constructions partenariales se redéfinissent au quotidien, des pratiques, des méthodes et des projets qui ne sont pas sans effets sur les professionnalités engagées. De ce point de vue, les échanges montrent bien la nécessité de chercher un surplus de légitimité par l’assise plus importante que pourraient donner les différents responsables hiérarchiques aux niveaux concernés (élus, DASDEN, services municipaux, etc, …). Ce sera l’objet du prochain séminaire !
Il n’est pas anodin de constater en effet que le partenariat dans les questions éducatives a beaucoup concerné les acteurs de terrain qui s’évertuent depuis près de trente ans à construire des expérimentations, des innovations éducatives qui permettraient de prendre en charge diffé-remment des enfants en difficultés scolaires pour les amener vers la voie d’une plus grande réussite considérée en son sens large. Force est pourtant de constater que ces partenariats ont beau-coup de mal à s’accorder sur ce que pourrait être l’éducatif aujourd’hui mais surtout, que cette profusion de constructions locales bute sans doute sur des formes de répétition : les questionnements sont souvent redondants depuis de nombreuses années. A ce titre, relire la conclusion des travaux du CRESAS, réalisés en 1989, montre bien la relative inertie des institutions concernées à s’approprier pleinement les effets des expériences locales :
«Un peu partout, nous avons vu - et nous ne sommes pas les seuls des acteurs locaux surchargés de travail, essoufflés, démobilisés, se plaignant du manque de moyens et de reconnais-sance institutionnelle. C'est toute la question immense du management - comment gérer ces transformations institutionnelles, comment organiser le travail, comment faire fonctionner le système autour de nouvelles priorités - que nous aborderons ailleurs. Contentons-nous ici de quelques brèves remarques.
• "Travailler autrement" se réduit vite à "travailler plus" si l'on ne dispose pas de moments et de lieux de rencontres, d'échanges, de concertation, d'évaluation et de formation con-jointes.
• "Travailler autrement" ne concerne pas les seuls praticiens du terrain. Cette formule vaut également pour les services administratifs et les personnels d'encadrement. Le fait que les circulaires ministérielles incitent à établir des projets d'établissement, des programmes de zone, des contrats de ville implique que l'administration se transforme en administration de projets. Elle ne peut plus se contenter de gérer les postes et les moyens comme il y a plus d'un demi-siècle ; elle devrait être de plus en plus le garant, la force d'appui et la régulatrice des projets locaux et des actions école/quartier. Cela suppose en particulier que les no-tions de projet et de contrat ne soient pas réservées aux acteurs de terrain mais devien-nent les règles du fonctionnement administratif.
• "Initiatives locales", "approches localisées" des processus scolaires, "autonomie" des établissements font partie du vocabulaire des décideurs de l'Education Nationale depuis quelques années. Mais dans les sites difficiles, lorsque les relais institutionnels font défaut, les dérives sont fréquentes : isolement des innovateurs, activisme tous azimuts, écoles à petite vitesse déconnectées des objectifs nationaux. Une gestion molle de ces politiques nouvelles conduirait dans les faits à abandonner ces terrains à leur sort et à se reposer sur la seule bonne volonté des acteurs locaux. La mobilisation de l'ensemble de "la machine" Éducation nationale - notamment au niveau des échelons et structures intermé-diaires - nous semble l'une des clés du succès. » [1]
Peut-être qu’une des raisons tient au fait que la gouvernance locale n’a jamais fait l’objet d’un approfondissement fort et que le temps est venu, avec l’inscription du PEDT dans la loi, et même s’il reste encore facultatif, de revisiter cette gouvernance locale afin de la fortifier.
Jean-Marc Berthet et Stéphane Kus, juin 2013
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[1] Chauveau, G., Duro-Courdesses, L. (Dir.), écoles et quartiers, des dynamiques éducatives locales, L’Harmattan/INRP, collection CRESAS, 1989