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Avec les parents d'élèves de lycée professionnel

Par mmairesa — publié 22/09/2017 08:30, Dernière modification 07/01/2022 11:15
Deux équipes pluridisciplinaires en lycée professionnel, avec des contextes contrastés, se sont mis au travail sur la question des relations avec les parents de leurs élèves. Qui sont ces parents ? Pourquoi et pour quoi chercher à entrer en relation avec eux ? Comment s’y prendre ?

Le lycée professionnel L’Odyssée, Pont de Chéruy (38)

LP1Le lycée professionnel (LP) scolarise 360 élèves dont 61% appartiennent à une CSP défavorisée plus, le taux de chômage des parents s’élevant à 20%. La moitié des élèves habitent à plus de 15km et certains à plus de 30. Cependant à proximité il y a un Centre d’accueil pour les demandeurs d’asile (CADA) avec des adolescents scolarisés dans ce LP.

L’offre de formation est majoritairement en filières industrielles avec quelques classes de niveau tertiaire. L’établissement bénéficie d’un dispositif de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS), d’une Unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS) et prend en charge des élèves allophones. 

Une équipe de direction, 44 enseignants, CPE, infirmière et assistance sociale encadrent et accompagnent les élèves. Le taux de réussite aux examens est dans la moyenne académique et nationale. Il n’y a pas d’érosion d’effectif et peu de décrochage. Le taux d’absentéisme s’élève à 12%.

La majorité du public d’élèves est en fragilité sociale et économique ce qui n’empêche pas ce LP de fonctionner plutôt bien. La volonté de créer des liens avec les parents ne se pose pas en réaction à des problèmes. Ici on cherche à entrer en relation dans la perspective de créer des alliances, un partenariat.

Une équipe en projet

LP4

Lors de la pré-rentrée 2016, suite à un travail en atelier sur la thématique des relations avec les parents d’élèves, un groupe de travail pluridisciplinaire s’est constitué autour de la proviseure adjointe : une conseillère pédagogique d’éducation (CPE), l’infirmière, l’assistante sociale, la coordinatrice de la Mission de lutte contre le décrochage (MLDS), de deux professeurs, l’un dans une discipline généraliste et l’autre dans une discipline professionnelle.
Pilotée par l’assistante sociale cette équipe se réunit mensuellement et suit un processus d’ancrage du projet dans l’établissement en rendant visibles et lisibles les rôles de chaque membre et les travaux du groupe.

L’intérêt d’un groupe pluridisciplinaire est non seulement de croiser les regards, de multiplier les compétences, de s’appuyer sur les différents types de liens que peuvent avoir les uns et les autres mais aussi de créer une dynamique systémique.

Des constats de non relation avec les parents

Ces constats parcellaires ont été recensés grâce à la composition hétérogène des fonctions des membres du groupe de travail et ont servi de point de départ à la dynamique de travail. 

  • Au quotidien certains parents d’élèves ne viennent pas si les professionnels manifestent le besoin de les rencontrer ni même pour les réunions d’information. Les familles les plus en difficulté ne répondent pas au téléphone.
  • Le taux de participation aux élections tourne autour de 6/7% alors que la moyenne académique est de 30/35%.
  • Les parents ne sont pas au courant de ce qu’apprennent leurs enfants dans les différentes matières professionnelles de la filière et parfois ignorent en quoi consiste le métier auquel leur jeune se prépare.
  • Pour certains élèves fragiles, inquiets de leur avenir, les enseignants auraient besoin du soutien des familles.
  • À la remise des bulletins « les parents qui viennent, s’ennuient » dit un professeur.
  • Si la distance géographique est un obstacle à leur venue, la distance avec l’institution scolaire liée à leur propre parcours scolaire difficile ne les incite pas à entrer dans le LP.

« C’est une somme d’incompréhensions entre enseignants et parents qui rend difficile la création d’un lien » dit la proviseure adjointe.

Des objectifs

« Ce qui va être compliqué c’est de travailler véritablement avec eux et de proposer des choses qui leur correspondent. »

Lors de la réécriture du contrat d’objectif un des axes du projet d’établissement porte sur : « Comment faire pour que les élèves réussissent » et l’un des leviers mentionné est l’amélioration des relations avec les familles. C’est un consensus entre tous les professionnels du LP même si certains s’en préoccupent plus que d’autres.

Le groupe de travail s’est fixé les objectifs suivants :

  • Connaitre les parents des élèves : identifier les freins et les attentes.
  • « Créer un chemin commun entre les familles et nous. »
  • Que les parents comprennent le sens des études de leur jeune, ce à quoi il se prépare.
  • Personnaliser la relation avec les élèves : connaitre la situation de chacun, leurs motivations et celles de leurs parents par rapport au métier auquel ils se destinent.
  • Trouver un soutien auprès des parents avec les élèves qui posent problème.
  • Créer un lien entre les professionnels autour de cet objet de travail.

Des actions

Ce ne sont pas les idées d’actions qui ont manqué. Toutefois l’équipe s’est interrogée : " En quoi ces actions répondent aux attentes des parents ? "  Dans l'incapacité de répondre, la première étape a donc été d’interroger les parents et les professionnels sur leurs attentes réciproques d'une part et d'autre part ce sur quoi ils étaient prêts à consacrer du temps. Les temps d’élaboration des deux questionnaires ont permis de confronter leurs représentations tant sur les parents que sur la nature des relations entre parents et professionnels de l'établissement, soit une inter-connaissance des rôles que chacun peut jouer.

Une enquête par questionnaire

C’est l’assistante sociale qui a remis aux parents le questionnaire à deux moments : lors des réunions de rentrée et lors de la remise des bulletins. Il y a eu 25% de retours. Il en ressort que les parents ont une bonne image du lycée et qu’ils ciblent leur venue au LP. L’intérêt majoritaire pour participer à l’ « Atelier de la réussite » démontre, une fois de plus, que les parents ne sont pas démissionnaires, que leur préoccupation principale est la réussite de leur enfant. Une synthèse des résultats a été publiée dans la salle des professeurs

 

visuel-prof.pngLes professionnels considèrent que les relations avec parents sont indispensables comme soutien à leur travail en classe. Ils sont dans une attente de plus d’investissement des parents dans la scolarité de leur jeune. 

Dans l’ordre de préoccupations, ils souhaitent rencontrer les parents pour des raisons de : comportement, travail scolaire, absence. La rencontre leur donne une meilleure connaissance de l’élève qui leur permet d’être plus à l’écoute du jeune dans un rapport plus individualisé. Cependant ils constatent que l’impact de la rencontre a des effets éphémères sur le comportement du jeune.
Leurs demandes de formation sont nombreuses : meilleure connaissance du public, des dispositifs d’accompagnement des élèves, organisation et animation de réunions et surtout être formés à la technique d’entretien.

Le point de convergence et donc le point d’accroche entre parents et professionnels est ce, qui concrètement, va favoriser la réussite de l’élève.

Le trombinoscope ou le « qui fait quoi ? »

« Pour certains parents, il suffit parfois d’un visage sur un nom pour qu’un professionnel devienne un interlocuteur privilégié auprès duquel ils puissent s’adresser. » Cette remarque a donc engendré la réalisation d’un trombinoscope. Objet qui entre dans la famille et qui peut être support d’échange entre le jeune et ses parents du fait d’une personnalisation visuelle sur les différentes fonctions des personnels du LP.

La journée portes ouvertes s’organise avec la participation des élèves qui accueillent les nouveaux élèves mais aussi leurs propres parents pour présenter la vie de l’établissement.

Les ateliers de la réussite

LP3La moitié des répondants au questionnaire a dit être intéressée par ces ateliers sans qu’il n’y ait la moindre indication de contenu. L'équipe en a été pour le moins fort surprise et a pu mesurer la force des mots lorsqu'il s'agit de communiquer avec les parents.  C’est bien le mot « réussite » qui a tilté ce qui montre (une fois de plus) que les parents ne sont pas démissionnaires mais préoccupés par la scolarité de leur jeune même lorsqu'ils ne se manifestent pas. 
L’intention est de « ramener le réel du lycée professionnel aux parents » par le biais de séquences filmées dans les classes et les ateliers. Cette immersion dans la vie scolaire a permis aux parents de découvrir leurs apprentissages et leurs rapports aux apprentissagesAu détour, il est intéressant de signaler que la conception et l’utilisation de ces séquences est un bel outil pédagogique permettant aux élèves de porter un regard réflexif sur ce qu’ils apprennent et leurs comportements..
Cette entrée en matière serait le moyen de susciter des questionnements, d’engager les échanges, de créer du lien pour une alliance éducative. Proposer de montrer ce qui se passe dans les ateliers et les différentes disciplines amène les équipes à réfléchir sur leurs représentations, à s’interroger sur « Qu’est-ce qui, dans les représentations que l’on a des parents, est de nature à faciliter l’échange avec eux ?
Les travaux du sociologue Aziz Jellab ont montré que l’insertion professionnelle est la préoccupation majeure des parents d'élèves de LP et constitue donc un levier efficace pour entrer en relation avec eux. Il s’agit alors de montrer aux parents quels sont les possibles devenirs professionnels des élèves.

Le lycée professionnel Marc Seguin à Vénissieux (69)

LP2Le LP implanté dans une cité scolaire de la banlieue lyonnaise présente des conditions socioéconomiques très défavorisées : plus de 20% de la population active est au chômage et le taux de pauvreté frôle les 30% (2012).

Le LP, avec une offre de formations en CAP et Bac Pro dans des filières industrielles, accueille environ 250 élèves. Les résultats aux examens sont bien au-dessous de la moyenne nationale avec un taux d’échec massif au Bac-Pro. Nombre d’élèves sont en situation de décrochage et il y a des conseils de discipline qui se succèdent les uns après les autres.

Geneviève Kohl, CPE pendant 15 ans dans l’établissement, témoigne de l’évolution des relations École-Familles dans ce LP : si, actuellement, il y a un consensus pour dire qu’il est incontournable de rencontrer les parents comme un des facteurs de réussite des élèves, cela n’a pas toujours été le cas pour au moins deux raisons. D’une part c’est depuis peu une prescription nationale de l’institution et d’autre part, l’âge des élèves à l’entrée au LP est passé de 16 ans à 14 ans. Une différence d’âge significative au regard de l’accompagnement de la scolarité de la part des parents.

Ici aussi c’est un groupe de travail pluridisciplinaire qui a piloté des actions en direction des parents d’élèves. Constitué du proviseur adjoint, de l’assistante sociale, de l’infirmière, des deux CPE, du chef des travaux et d’enseignants de disciplines professionnelles et générales, l'équipe s'est tout d'abord posée la question « Pourquoi voulons-nous rencontrer les parents ? ». Le premier projet a été d’élaborer un dispositif d’accueil pour les « entrants ».

Un dispositif d’accueil

Comme pour les autres passages d’un type d’établissement à un autre, l’entrée au LP constitue un moment de la scolarité anxiogène pour les élèves comme pour leurs parents, et donc propice à une forme de mobilisation ! Parce que c’est le plus souvent une orientation subie que choisie, les professionnels accueillent des élèves et des parents déconcertés qui ne connaissent pas la filière ni ne savent même parfois à quel(s) métier(s) elle prépare.

Au moment des inscriptions au mois de juin, des professeurs présents repèrent leurs élèves et leurs parents, engagent un échange afin de s’informer de la nature de l’orientation, choisie ou par défaut, et prennent un rendez-vous individuel pour la rentrée en septembre. Le rendez-vous est confirmé par téléphone peu de temps avant par les CPE. En tout début d’année cet échange entre parents, enseignants et l’élève marque significativement l’intérêt commun porté à la scolarité du jeune. Cet entretien tôt dans l’année participe d’une identification et d’une reconnaissance mutuelle. C’est un acte important à condition que ça se fasse avec tous les parents et ceux-là même qui sont les plus éloignés de l’école.

Peu de temps après, avant la fin de la première période, les parents sont invités collectivement, sans les élèves, à visiter l’établissement et en particulier les ateliers, à s’informer des temps forts de l’année (remise des bulletins, etc.), à s’initier à l’usage de « pronote » et à un temps de convivialité.

Ce dispositif perdurant au fil des années permet à Geneviève Kohl de formuler quelques appréciations évaluatives :

  • somme toute, nombre de parents entre en relation avec l'établissement jusqu'à 2/3 la première année de scolarisation ;
  • l’évolution et les transformations des relations entre les familles et le LP s’inscrivent dans un processus lent ;
  • il n’y a pas d’effet sur les résultats aux examens, par contre une pacification entre adultes et élèves est notable : des changements de regards, un respect mutuel s’est instauré ;
  • du côté des professionnels, au fil des années et des mobilités des personnes, même si le dispositif perdure, le sens de cet accueil se délite. Ceci est significatif du manque d’évaluation du dispositif qui permettrait de réajuster les modalités d’action, de revenir au sens premier de la démarche et de remobiliser la communauté éducative autour de ce dispositif.

Zoom sur les entretiens individuels parent(s), professionnel(s)… et le jeune ?

La difficulté à conduire un entretien est récurrente pour les enseignants dans les deux LP. Il y a de leur part une grande empathie vis-à-vis des parents mais, selon les équipes, un manque d’efficacité dû à :

  • un manque de savoir faire pour poser les enjeux ;
  • un embarras à aborder les difficultés rencontrées par le jeune ;
  • un manque de préparation et de ciblage d’un objectif ;
  • une double impasse du côté des parents et du côté des enseignants à l’issue de l’entretien : les problèmes sont exposés sans construire de solutions, aucune mesure n’est prise.

Au bout du compte, c’est une carence en formation qui laisse les professionnels démunis. Une première étape envisagée serait de penser aux autres acteurs de l’école pour être dans une médiation et une intermédiation afin de ne pas s'enfermer dans un espace duel où chacun des acteurs tombe dans une forme d’impuissance pour agir.

Et la place du jeune ?

Professionnels et parents sont confrontés à un dilemme : lorsque le jeune n’est pas convié à la rencontre, cela peut être ressenti comme une alliance qui se crée entre son parent et l’enseignant contre lui. Lorsqu’il est présent ne s'agit-il pas d’une scène, dont il est le sujet, qui se joue entre deux acteurs tandis qu'il est cantonné au rôle de spectateur ?

Alors le jeune doit-il être présent ou non à l’entretien ?

Aziz Jellab répond : les deux ! Il y aurait une réflexion à conduire sur des temps d’échanges sans le jeune et avec le jeune. D’abord conforter le parent dans son rôle éducatfi ne peut se faire en présence du jeune. Ensuite s’interroger sur la légitimité du jeune dans l’entretien et même en amont. En effet, certains jeunes n’apprécient pas que leurs parents soient convoqués avant même d’avoir échangé avec eux-mêmes ; cela peut signifier que toutes les pistes n’ont pas été explorées avec lui, qu’il n’a pas été responsabilisé.

La responsabilisation des acteurs délimite des territoires et les rôles des uns et des autres ; mais elle pose des questions très complexes : qui est légitime pour intervenir ? Quand ? Et comment ?

Pour aller plus loin sur les entretiens individuels

Une recherche action : « Collaborer avec les parents : les entretiens individuels »

 

Aziz Jellab

Aziz Jellab : « Les relations École-Familles au prisme de l’expérience scolaire des élèves de lycée professionnel »

Suite à la présentation de ces dispositifs et de récits d'expériences dans ces deux lycées professionnels, Aziz Jellab, sociologue et inspecteur général de l'Éducation nationale analyse les enjeux des relations avec les familles et donne des pistes de travail pour les équipes.