Nouer des liens avec les parents d'élèves allophones
L’association Faciliter le langage aux enfants (FLE) existe depuis une quinzaine d’années. Si l’intention d’origine était de pallier les manques de l’institution scolaire, ce qu’il en est advenu dépasse ce qui peut être fourni par l’école. Le principe fondateur est le lien avec l’enfant, le lien avec la famille : « C’est un lien dans la difficulté à faire des liens quand on arrive, c’est une possibilité de socialisation. »
Le dispositif associatif
Tous les élèves allophones nouvellement arrivés sur la circonscription de Françoise Estival, quelles que soient leurs origines migratoires, leur raison de migrer ou leur origine sociale, en bénéficient. Concrètement cela se passe après la classe en trois temps, sur la base du volontariat : goûter, reprise des apprentissages en binôme – un adulte/un enfant –, activités collectives pour favoriser la socialisation.
L’accompagnement se fait dans l’école où est scolarisé l’élève avec son parent qui le rejoint, autant que faire se peut, au moment de la prise en charge de son enfant par le bénévole. Pourquoi à l'école ? Quand le bénévole allait dans la famille, il était happé par de multiples problèmes familiaux et il n’avait plus le temps de s’occuper de l’enfant. Une convention a donc été signée entre l'association, la commune et l'éducation nationale.
L’association ne se substitue pas aux parents. Elle lance les pistes pour qu'ils s’emparent à leur mesure de la scolarité de leur enfant à travers tous les outils proposés. L’adulte dédié est un bénévole qui établit une relation avec l’enfant différente de celles de l’enseignant et des parents, c’est « un accueillant du pays ». "Son travail d’étayage est une traduction vers un autre codage culturel. Il a une position d’intermédiaire, de médiateur, de passeur. Il occupe une place de tiers entre école et famille, c’est une personne ressource qui joue un rôle d’interface entre deux mondes".
Comme il ne s’occupe que d’un seul enfant, il lui est possible de faire un lien spécifique avec la famille. En effet, les parents en situation de migration récente ont besoin, comme leurs enfants, de temps pour apprendre à communiquer en français et se familiariser avec les exigences des institutions françaises en l’occurrence, ici, du système scolaire avant de pouvoir assurer de nouveau le suivi de leurs enfants : « ils ont été parents d’élève ailleurs et ils vont continuer à l’être ici ».
La plupart des bénévoles sont des étudiants et de jeunes retraités qui ne viennent pas forcément de l’éducation nationale. Le recrutement s’effectue par bouche à oreille, après une rencontre individuelle avec la présidente de l’association, des temps d’observation, puis un engagement si affinité.
Françoise Estival, outre les aspects organisationnels, forme les bénévoles à la didactique du français langue seconde (FLS) et assure la cohérence pédagogique entre les apprentissages et l’accompagnement scolaire. Elle travaille aussi à l’intérêt pour les écoles de prendre au sérieux le travail des bénévoles. Ainsi, lorsque des équipes éducatives se réunissent, les parents, s’ils le souhaitent, peuvent être accompagnés du bénévole. "C’est au bénéfice tant des professionnels que de l’enfant et de ses parents".
Avant tout nouer des liens par la reconnaissance
Pour reprendre les mots du sociologue Pierre Périer, « les conditions de possibilité pour construire la confiance nécessaire », pour avancer dans le processus, « passe par un acte de reconnaissance ». En effet, parfois, l’école attend que les parents viennent à l’école sous certaines conditions, à travers certains filtres et normes, au risque d'un effet de jugement de conformité - ou non - selon les attitudes des parents.
La démarche de l’association FLE, qui consiste d’aller vers les parents, est un acte de reconnaissance de leur légitimité, condition préalable à la construction d’une relation de confiance. Concrètement, il s’agit d’aller vers le parent là où il en est de ses connaissances sur l’école française : s’il ne sait pas ce que veut dire CE1 on va lui expliquer, un cahier du jour, ce que signifie d’avoir 8/10, et tout ce qui concerne la culture scolaire locale. Le parent a le droit de savoir, explique FE, et on va lui expliquer. Les familles ont besoin de savoir ce à quoi elles doivent s’attendre avec l’école, avoir en main le plus d’éléments possibles de la connaissance de l’école. Des choses toutes simples, déterminantes au moment de l’accueil puis tout au long du chemin car l’école n’est pas facile à comprendre, il y a souvent des contradictions.
Symboliquement, c’est une approche de la rencontre qui prend en compte le parent réel, sans jugement et l’accompagne et le rend légitime dans son rôle de parent d’élève. L’étayage sécurisant dans une relation duelle, ajustée aux besoins de l’enfant et de ses parents, libère du poids de jugements stigmatisant, insécurisant, et favorise les questionnements et les explications de toute sorte dans un dialogue bienveillant.
Les stratégies d’étayage ne se conçoivent que dans la perspective d’un désétayage, au moment où l’élève et ses parents sont en capacité de poursuivre le processus de "métissage culturel scolaire" de manière autonome.
Atelier de lectures
Les activités collectives s’organisent selon différentes modalités : certaines très ponctuelles et de courtes durées, d’autres prennent la forme de véritables projets.
C'est le cas de l'atelier de lectures partagées entre enfants et parents : « je fais avec l’association tout ce que je ne peux pas faire dans le cadre scolaire, en particulier tout ce qui concerne la langue avec les parents » explique FE. « c’est un atelier de lectures plurilingues avec des albums sur le principe du sac d’histoire. On a monté notre bibliothèque plurilingue avec des livres, des albums bilingues ou trilingues. Un livre va dans chaque famille, on essaie que ce soit des histoires traditionnelles connues, y reste deux semaines avec la consigne aux parents de le lire à leurs enfants. Après il revient et là on invite les parents, les enfants et les bénévoles. On fait des petits groupes qui reparlent de l’histoire et puis qui ensuite la présente au grand groupe. Il y a un temps de lecture et puis un temps pour regarder la calligraphie de la langue.
Ce qui m’impressionne beaucoup c’est quand un adulte lit dans sa langue, la qualité d’écoute des autres qui souvent ne comprennent rien. Waouh ! Quel respect ! Il y a quelque chose qui se passe. C’est toujours très touchant, cette grande qualité d’écoute de la langue différente, même si elle n’est pas comprise, assez surprenant même. »
C’est également, dans son esprit, un dispositif de valorisation des langues familiales. Grâce aux prêts aux enseignants de livres de cette bibliothèque, la même démarche est reprise dans certaines classes avec tous les élèves.
Travailler sur des aspects bilingue, plurilingue, sur des rencontres interculturelles, faire de la place aux langues de l’enfant, à son passé scolaire, culturel, permet de (ré)concilier le continuum biographique des enfants et des familles. Sur le plan symbolique, deux intérêts majeurs :
- d’une part l’enfant réel et ses parents vont être reconnus dans ce qu’ils sont, dans la société et par l’école. Cela lui permet de concilier ce qu’il était avant avec ce qu’il est et fait maintenant et comment il se projette sur sa vie d’après ;
- d’autre part, cela permet à l’enfant de (ré)concilier tous les espaces qu’il vit : le moment de l’école, les copains, la famille, d’autres groupes. Ce travail mobilisant les langues de différents univers permet de donner à l’enfant une cohérence sur l’ensemble de son histoire et à l’instant T de son histoire.
Toutes ces démarches à l’initiative de Françoise Estival sont reliées en un réseau d’actions. Elles fournissent à l’élève et ses parents une palette de points d’appui dans ce passage délicat vers un cheminement autonome d’un parcours de scolarisation dans le système français. Pas de hiatus, pas de trahison, pas de blessure entre ce qu’il vit à l’école, à la maison, pas d’endroit qu’il est obligé de cacher. S’il veut taire, c’est son droit mais il n’est pas obligé de cacher ce qu’il vit dans sa famille. Ce qui est permis à l’enfant et sa famille c’est d’exister sans honte, sans trahison, sans déloyauté parce que c’est proposé et ça se fait.
Il reste à donner à d’autres des raisons d’envisager cela parce que c’est efficace !
Cécile Goï - L'altérité en éducation : les élèves allophones nouvellement arrivés
Suite à la présentation de ce dispositif, Cécile Goï, professeure d'université en socio-linguistique et didactique des langues à Orléans-Tours, analyse les enjeux des relations avec les parents d'élèves allophones.