Sylvie Plane : l'oral un objet multidimensionnel
Cette conférence s’est tenue dans le cadre d’une formation de formateurs « Oral en contexteS » à l’Ifé le 19 mai 2019.
L’oral, objet de passions et de malentendus
À l'heure actuelle, cette performance de prestige qu'est "Le grand oral" au bac cristallise toutes les attentions. À l'opposé, persiste une représentation péjorative qui consiste à dire que l’oral est facile, inférieur à l’écrit. Deux arbres qui cachent la forêt car sur le plan scolaire l'oral, intrinsèquement polymorphe, complexe et éphémère, est difficile à repérer en termes de compétences et par conséquent difficile à évaluer.
Enjeux et statuts de l’oral dans la classe
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Les demandes sociales adressées à l'institution scolaire | 00:00:00 |
Y a-t-il supériorité de l'écrit sur l'oral ? | 00:03:47 |
Les statuts scolaires de l'oral | 00:07:34 |
Les demandes sociales adressées à l’institution scolaire
Les demandes sociales adressées à l’institution scolaire sont contradictoires : privilégier l’écrit mais aussi enseigner l’oral pour ses qualités sociales. Selon l’âge des élèves, il s’agit de :
- compenser les inégalités familiales par rapport aux attendus scolaires
- mettre en partage la langue de scolarisation
- socialiser les adolescents (utiliser le langage pour la vie en société)
- préparer à la compétition scolaire et sociale en préparant aux examens.
Le paradoxe de ces demandes apparaît clairement :recherche d'élitisme et besoin de cohésion sociale.
Y a-t-il supériorité de l'écrit sur l'oral ?
Si la mission première de l’école est centrée sur l’écrit, il n'en reste pas moins que le développement cognitif de l'élève passe par des apprentissages tant à l'oral qu'à l'écrit. Ce sont deux modes de pensée complémentaires nous dit Sylvie Plane. Elle précise que ce sont des "instruments" dont l'école a pour objectif d'apprendre à se servir.
Les statuts scolaires de l’oral
Dans la classe, l’oral a différents statuts :
- instrument d’évaluation : l'oral du bac, la récitation de leçon, etc.
- outil d’enseignement : oral de l'enseignant, le cours dialogué
- outil de socialisation scolaire : la classe est une communauté intellectuelle où les enfants deviennent des élèves
- objet d’apprentissage : oral peu encore ou pas assez défini
- outil d’apprentissage : oral des contenus disciplinaires
L’oral, un objet aux multiples dimensions
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L'oral, un objet multidimensionnel | 00:00:00 |
Les dimensions sociales | 00:01:29 |
Les dimensions cognitivo-langagières | 00:15:50 |
Les dimensions linguistiques | 00:25:03 |
Les dimensions interactionnelles | 00:29:50 |
Pour la chercheuse, l’oral se construit en cinq dimensions : affective, cognitivo-langagière, interactionnelle, linguistique, sociale. Dans la classe, les individus constitués en communauté d'enseignement-apprentissage activent ces dimensions simultanément mais aussi tour à tour. Pour en faciliter l’étude, il s’agit de les isoler, ce qui n’existe pas en réalité car elles sont constamment mêlées. (Seule la dimension affective ne sera pas développée ici)
Les dimensions sociales de l’oral
L’oral est un marqueur social (la perception qu'ont ses interlocuteurs lorsque un locuteur s'exprime) mais aussi un marqueur identitaire (comment lui-même signifie son appartenance à un milieu). Qu’est-ce qui permet de reconnaître l’appartenance sociale d’un locuteur sachant que ces marques et variations s'apprennent en dehors de l'école ?
- des stéréotypes, l'exemple le plus percutant est l'accent
- l’utilisation de la variation de registres liée au cadre psychologique et à la nature de l'objet dont on parle
- le cadrage de l’interaction : comment se comporte une personne dans la situation lambda et sait-elle ajuster ses propos à cette situation ?
- les traits vocaux : le ton, le rythme, l'accent (la prosodie) qui marquent l'individu et entraînent souvent des jugements ("accent banlieue")
Il est possible d’apprendre aux élèves à identifier ces marqueurs en leur faisant observer des situations orales très différentes. L’étude de la transmission de ces marqueurs sociaux est utile aux élèves tant que l’école fait attention à ne pas les disqualifier. Pour l’enseignant, il s’agit d’offrir des répertoires variés, d’étudier des corpus, de proposer des modèles acceptables dans la classe.
Les dimensions cognitivo-langagières de l’oral
Toute production orale met en œuvre des dimensions cognitivo-langagières. Historiquement, la conception de Nicolas Boileau (la pensée précède le langage), et celle de Mikhaïl Bakhtine (le langage aide à construire la pensée), sont très différentes. À l'heure actuelle, c'est la seconde sur la base de laquelle se construisent les démarches didactiques et pédagogiques. Les processus cognitifs de l’oral sont complexes ; et pour n’en citer qu’un, la mémoire est toujours sollicitée. Ce schéma met à plat « l’usine à gaz » des processus cognitifs de l’oral :
- les intentions au départ (conception du message)
- la convocation de modules formulateurs (formules, lexique, etc.)
- l’encodage simultané (phonologique)
- le rétro-contrôle permanent (écoute et correction)
- la mémorisation du message produit (résumé).
Sur le plan didactique, l’enseignant peut habituer ses élèves à se servir du langage écrit et oral pour penser et conscientiser l’usage de l’oral. Le passage utile et nécessaire de la « mise en bouche » permet aux élèves de tâtonner.
Les dimensions linguistiques de l’oral
Les travaux de recherche en sciences du langage montrent que les difficultés cognitives spécifiques de l’oral influent sur l’aspect linguistique d’un énoncé. L’outillage de formules apprises et mises à disposition facilitent l’expression. Les hésitations, les reformulations, dans une proportion raisonnable, facilitent la compréhension du côté de la réception. Du point de vue didactique cela signifie qu'il est important que l'enseignant comprenne la nature des difficultés et les tâtonnements de ses élèves parce qu’il sait qu’il est ardu d’assurer à la fois la qualité de sa formulation et la qualité du contenu de son énoncé oral.
Les dimensions interactionnelles de l’oral
Interagir est complexe; il s'agit de :
- coopérer avec l'interlocuteur pour le convaincre, pour garder le contact ou pour qu'il comprenne.
- tenir compte de la situation : de la présence d'un tiers par exemple.
- exploiter les propriétés pragmatiques du langage : utiliser toutes les possibilités qu'offre le discours.
- comprendre « les places » dans le discours. Cela renvoie à la notion de "face" définie par E. Goffman dans Les rites d'interaction, Minuit, Paris, 1974. L'enseignant et l'élève, dans la relation institutionnelle, cherchent chacun à préserver la face. Ils occupent des positions, haute et basse, et interagissent autour de ses "places".
- tisser les échanges : garder le fil de son discours et le tresser avec celui de l'autre.
Les interactions sont évaluées dans des entretiens lors du DNB ou du Baccalauréat par exemple : les critères sont identifiés de la sorte : "sait adopter une posture adaptée à l'oral". L’apprentissage de ces interactions est peu formalisé dans le parcours scolaire des élèves. Certes, la pratique du théâtre est connue pour aider l'élève à identifier puis acquérir des compétences telles que "aptitude au dialogue", "réactivité". Pour Sylvie Plane, l’enseignant peut aider ses élèves, dans toutes les disciplines, à s’approprier les codes et les fonctionnements des interactions afin de comprendre, de pratiquer et de s'améliorer.
Quelques pistes de travail
Les enseignements explicites disciplinaires de l’oral sont connus en langues vivantes et en français (récitation, exposé). Il existe des dispositifs dédiés en Suisse et des modules au Canada qui peuvent fournir des pistes de travail intéressantes pour l'enseignant. Pour favoriser le travail de l’oral dans toutes les disciplines, l’enseignant amène progressivement ses élèves à passer du registre quotidien au registre scolaire. Par un processus d'étage, il fournit le lexique et les connaissances de l’écrit et de l’oral. Il peut aussi rendre visibles les compétences langagières par divers exercices et projets. La progressivité est un élément essentiel de son travail didactique.