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Le système éducatif calédonien à l'heure du destin commun

Par skus — publié 01/01/2016 13:30, Dernière modification 01/05/2016 17:51
Le centre Alain-Savary était invité à intervenir dans ce colloque organisé par le Laboratoire interdisciplinaire de recherche en éducation, ÉSPÉ de l’Université de Nouvelle-Calédonie, à Nouméa les 5, 6 et 7 novembre 2015.

Présentation du colloque

Extrait du programme :

"Depuis plusieurs années, la Nouvelle-Calédonie est engagée dans la voie de la construction de son système éducatif. Il est l’une des conséquences du processus d’émancipation initié à la fin des années 1980. Depuis l’Accord de Nouméa, l’un des enjeux majeurs de la politique éducative de la Nouvelle-Calédonie est d’atteindre l’objectif partagé du destin commun. Il invite à reléguer définitivement le temps de l’école coloniale dans les livres d’histoire en assurant, pour tous les élèves, un accès à un enseignement de qualité et à l’égalité des chances, condition essentielle à la réussite du rééquilibrage. 

Alors que de nombreux transferts de compétences liés à l’école ont été effectués, le système éducatif calédonien se trouve à la croisée des chemins. L’exercice des compétences transférées à la Nouvelle-Calédonie en matière éducative doit permettre le développement de nouveaux projets et d’actions originales au service de la réussite de tous les élèves. En effet, le destin commun ne pourra prendre forme et prospérer que si le système éducatif dont il est l’expression et l’un des piliers est en mesure de répondre à une demande forte de la part de tous les membres de la société calédonienne.

Privilégiant les approches centrées sur la recherche en éducation, ce colloque est ouvert à toutes les disciplines et domaines de recherche qui s’intéressent, de près ou de loin, aux institutions et aux politiques éducatives, à l’étude des acteurs du monde éducatif et à leurs interactions, à l’enfance et à l’adolescence, à l’analyse sociologique et disciplines associées. Il encourage les approches interdisciplinaires et pluridisciplinaires. Il s’adresse aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs comme aux formateurs et enseignants de terrain et, plus largement, à tous les acteurs et témoins du système éducatif calédonien.

Les travaux du colloque organisé par le Laboratoire interdisciplinaire de recherche en éducation (LIRE- ÉSPÉ de l’UNC) sont répartis en 8 sessions de travail :

  • Origines et affirmation d’une école calédonienne
  • Regards et discours sur l’école calédonienne
  • L’école, creuset d’un vivre ensemble calédonien
  • Quels leviers pour améliorer l’efficacité du système éducatif calédonien ?
  • L’innovation pédagogique au service de la réussite des élèves calédoniens
  • « Educations à... » et enjeux contemporains en Nouvelle-Calédonie
  • Les systèmes éducatifs francophones dans l’environnement proche de la Nouvelle-Calédonie
  • Regards sur les systèmes éducatifs anglophones dans l’environnement proche de la Nouvelle-Calédonie (session en anglais)"

 Contexte

Pour comprendre les enjeux de ce colloque, il faut se rappeler que l'école a été au centre des tensions et des affrontements autour des revendications indépendantistes des années 80, l'école républicaine en Nouvelle-Calédonie étant taxée d'école coloniale par les indépendantistes Kanaks qui iront jusqu'à retirer leurs enfants des écoles et créeront les écoles populaires kanaks. Suite aux "événements" qui déchirent la Nouvelle-Calédonie entre 1984 et 1988, sont signés les accords de Matignon en 1989 qui entament un processus d'autodétermination poursuivi en 1998 par l'accord de Nouméa qui renforce l'autonomie accordée à la collectivité "sui generis" de Nouvelle-Calédonie. 

Suite à l'accord de Nouméa, l'école est directement impactée : 

  • La Nouvelle-Calédonie retrouve la compétence de la formation initiale et continue des maîtres, de la définition des programmes d’enseignement et du contrôle pédagogique pour s’assurer de la qualité de l’enseignement délivré aux élèves scolarisés dans le 1er degré. 
  • Une Direction de l'Enseignement (DENC) est créée au sein du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en décembre 1999 pour regrouper les personnels pédagogiques (inspecteurs, conseillers pédagogiques) et administratifs transférés du vice-rectorat. 
  • Les provinces conservent la prise en charge des maîtres et l'adaptation des programmes aux réalités culturelles et linguistiques locales.
  • Depuis 2012, ont également été transférés l'enseignement du second degré public et privé et du premier degré privé, l'enseignement agricole et la santé scolaire.

L'accord de Nouméa prévoit également que 4 des 28 langues kanaks soit reconnues comme "langues d'enseignement et de culture" et l'enseignement (proposé de manière obligatoire, mais restant au choix des familles) de ces langues et cultures kanaks deviennent l'élément central d'un consensus autour de l'école pour rééquilibrer la société néo-calédonnienne. Mais l'école calédonnienne reste marquée par de profondes inégalités ethniques de réussite scolaire :

Bac 2009 NC - UGPE

« La situation de la Nouvelle-Calédonie se distingue de celle de la France et de la plupart des pays occidentaux en ce que les ethnies discriminées ne sont pas celles issues de l’immigration. C’est bien du contraire qu’il s’agit : la Nouvelle-Calédonie a été une terre d’immigration (colonisation de peuplement) mais les inégalités observées existent à l’avantage des immigrants et au détriment du peuple autochtone. C’est en cela qu’elle se rapproche de ses voisins anglo-saxons de la région (Australie et Nouvelle-Zélande). Cependant, le groupe discriminé ici n’est pas un "groupe minoritaire"; les Kanaks représentent 40 % de la population calédonienne en 2009. » (Catherine RIS, Gaël LAGADEC, Gérard LAVIGNE, Laure HADJ, Vingt ans de politiques de rééquilibrage en Nouvelle-Calédonie : Démocratisation de l’école mais persistance des inégalités ethniques, revue Formation emploi, 2012/4 (n° 120), Parcours de formation : la recomposition des ségrégations, CEREQ)

Selon Marie Salaün (Décoloniser l'école ? Hawai’i, Nouvelle-Calédonie. Expériences contemporaines, PUR, 2013), il y a un effet positif de l'enseignement des langues et cultures kanaks sur la maîtrise de ces langues par les enfants kanaks et à minima pas d’effet négatif sur la progression en français. Mais travailler à l’école sur les langues et cultures autochtones peut-il suffire à réduire les inégalités scolaires entre les Européens et les Kanaks ? « Jamais ne semble vraiment envisagé le fait que l’école présente en tant qu’institution, des caractéristiques propres qui balisent, fortement, le chemin de la "décolonisation" la concernant. » (Marie Salaün, ibid)

Interventions

Les vidéos de toutes les interventions sont disponibles sur le site de l'Université de Nouvelle-Calédonie. Stéphane Kus, du centre Alain-Savary, a conclu chaque journée par une conférence :

  • La « réussite éducative », nouveau paradigme pour repenser l’école ? Problèmes et enjeux pour une école inclusive.

Alors que le mot d'ordre de la "réussite éducative" se décline dans les politiques éducatives dans et autour de l'école, il semble nécessaire de prendre le temps de comprendre les différents niveaux de problèmes auquel cela confronte l'école : problèmes d'apprentissage des élèves, problèmes de métier des enseignants pour faire réussir tous les élèves, pour rencontrer les familles, pour travailler avec les autres métiers, problèmes de pilotage du système pour passer de l'injonction et du contrôle à l'accompagnement des transformations.

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    • Une école multiculturelle pour forger un « destin commun » ? De l’égalité de principe à l’égalité réelle à l’école, quels dilemmes pour le système éducatif ?
    L'ouverture de l'école calédonienne aux langues et cultures des élèves peut-elle suffire à rééquilibrer la réussite scolaire des différents groupes sociaux ? Comment regarder les difficultés des élèves kanaks à l'école sans renvoyer à des explications culturalistes, comment regarder la production des inégalités scolaires dans l'ordinaire des classes ? Comment peut-on soutenir les enseignants pour que l'enseignement soit moins différenciateur ?
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    Conclusion du colloque

    Au cours de sa conclusion, il a souligne que ce colloque lui semble avoir mis en avant plusieurs points importants :

    • La République Française Une, Indivisible et laïque est capable de bien des "accommodements raisonnables" dans les territoires Ultra-Marins qu’elle n'accepte pas forcément de faire sur son territoire métropolitain, même si, on le sent encore aujourd’hui, cela ne s’est pas fait sans combats dont les blessures ne sont pas complètement cicatrisées sous d’apparents consensus.
    • Le chantier de la reconnaissance et de l’enseignement des langues et en langues kanaks est ouvert, et semble de plus en plus outillé, à la fois du point de vue didactique et du point des supports disponibles, même si cet enseignement reste au choix des familles et ne fait pas partie du curriculum obligatoire de l’école calédonienne (ce qui est peut-être problématique du point de vue d’un « destin commun »).
    • Le chantier de l’adaptation curriculaire au territoire néo-calédonien des contenus disciplinaires, comme en histoire ou en géographie, pourrait bénéficier de supports spécifiques. Mais sont-ils réellement valorisés, diffusés et utilisés dans les classes ?
    • Comme partout, on trouve des équipes d’enseignants qui cherchent à enseigner différemment, pour reconnaître les cultures et les langues des élèves, mais au-delà des équipes expérimentales soutenues et accompagnés par l’ESPE et le Vice-Rectorat, on aurait aimé en apprendre plus sur l’accompagnement et le soutien des équipes par les corps d’inspection, les conseillers pédagogiques, les formateurs, pour les outiller théoriquement à réfléchir sur leurs pratiques professionnelles. Ce vaste chantier est aussi en train de s’ouvrir en métropole, pour passer de la posture du contrôle administratif à celle de l’accompagnement de la réflexion sur les pratiques professionnelles.

    Cependant,  un certain nombre de questions semblent rester en suspens :

    • En dehors du constat statistique des inégalités ethniques et socio-économiques scolaires, les interventions de ces trois jours n’ont présenté aucune recherche sur des mécanismes de production spécifiques de ces inégalités scolaires en Nouvelle-Calédonie. Corrélation statistique ne valant pas explication, cela peut engendrer facilement des explications par les "publics" (Ils ne réussissent pas à l'école parce qu'ils seraient pauvres, parce qu'ils seraient d'une culture différente, parce qu'ils seraient mal éduqués par leurs parents,...), sans regarder comment l'école elle-même est productrice de ces inégalités. Des cadres théoriques pour regarder la construction des inégalités scolaires dans l'ordinaire des classes et des pratiques d'enseignement ont été développé et sont disponibles dans la recherche en éducation qui ne demandent qu’à être éprouvés en Nouvelle-Calédonie. La question de la valorisation de l’enseignement des langues et cultures autochtones est une condition sans doute nécessaire mais certainement non-suffisante de la réussite d’un rééquilibrage de la société par l’école.
    • L’école, si elle se retrouve au centre d’enjeux politiques concernant la société calédonienne, ne résoudra pas à elle seule tous les maux de la société. Peut-être a-t-elle besoin qu’on l’aide d’abord à faire ce qu’elle a à spécifiquement faire : transmettre à tous les élèves une culture proprement scolaire qui permette aux futurs citoyens Calédoniens de se comprendre soi, de comprendre les autres et de comprendre le monde. Pour cela, consolider une formation initiale et continue qui s’ancre dans les difficultés réelles du travail enseignant, et qui les outille à mieux comprendre ce que les élèves ne comprennent pas, me semble être la piste la plus prometteuse que pourrait soutenir la coopération entre l’Université, les instituts de formation initiale, l’institution scolaire et les collectivités.

    Stéphane Kus, samedi 7 novembre 2015 

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