Introduction : Questions vives du partenariat et réussite éducative, histoire et enjeux d’un séminaire partenarial en Rhône-Alpes
Le parti-pris du présent rapport de séminaire est de donner à lire une image de ce qu’a été le travail de cha-cun (intervenants et participants) au cours des 6 demi-journées qui nous ont réuni à l’Institut Français de l’Education entre novembre 2012 et avril 2013. Il nous a semblé important de ne pas faire de ce rapport un catalogue des travaux de recherche, ni une recension de « bonnes pratiques » qu’auraient certains territoires et qu’il faudrait généraliser. Nous sommes con-vaincus que ce qui peut se mutualiser sont des question-nements problématisés. C’est pourquoi sont ici retranscrits, dans l’ordre chronologique du séminaire, aussi bien les apports théo-riques et les témoignages d’acteurs que les représenta-tions initiales des participants, leurs paroles sur leurs dif-ficultés et leurs réussites, les échanges et les débats. Nous espérons que ce document pourra servir à la fois les acteurs des territoires prioritaires, afin qu’ils puis-sent instaurer des lieux de problématisation de l’action éducative, mais aussi les décideurs des différents ni-veaux des institutions concernées afin qu’ils puissent prendre en compte la complexité du partenariat sur ces territoires afin d’accompagner au mieux les professionnels et légitimer leur travail.Préambule
A travers l’histoire de ce séminaire atypique, on voit apparaître les invariants de la complexité du partenariat éducatif sur les territoires prioritaires. Une triple complexité pourrait-on dire : complexité des situations sociales vécues par les populations, complexité professionnelle pour tous les acteurs qui tentent d’y exercer au mieux leur métier tout en se sentant souvent démunis, complexité de l’enchevêtrement des interventions des institutions de droit commun et des dispositifs des politiques éducatives spécifiques. En réunissant depuis 2007 une grande variété de professionnels de l’éducation (coordonnateurs Education Prioritaire, principaux de collège, IEN, coordonnateurs de PRE, agents DSU et chefs de projet CUCS, responsables et coordonnateurs de service Education des municipalités, délégués du préfet,…), ce séminaire fait le pari d’ouvrir un espace de réflexion où l’on peut construire une expertise partagée sur la nature des difficultés rencontrées sur le terrain, pour imaginer des réponses collectives qui remettent les dispositifs au service de la réduction des inégalités.
Historique d’un séminaire atypique et multiforme
Le séminaire 2007-2008
En présentant le champ d’action de la réussite éducative George Pau Langevin précisait, le 5 mars 2013, que la réussite éducative ne se résumait pas à la réussite scolaire et qu’elle impliquait une politique partenariale. Elle ajoutait qu’il est « indispensable d’agir en cohérence avec les autres acteurs, les collectivités territoriales, les acteurs du périscolaire, la famille et les associations».
Le partenariat n’est pas une idée nouvelle. On le cherche beaucoup, on le trouve parfois. L’important se situe d’ailleurs dans les traces laissées par ces recherches à condition toutefois d’accepter que ce partenariat puisse donner naissance à des projets évolutifs, suffisamment souples pour s’inscrire dans un cadre non rigide et déboucher sur des actions aux formes plus ou moins abouties. Il en est ainsi du séminaire « Questions vives du partenariat et réussite éducative ».
Dès l’origine, en 2007-2008, ce séminaire s’appuie sur un collectif atypique, hybride et inter métiers : coordonnateurs de PRE, chefs de projets CUCS, chargés de mission divers, responsables d’associations d’éducation populaire, soit une vingtaine de participants qui cherchent à produire une réflexion et une analyse de leurs pratiques professionnelles.
Le séminaire 2010-2011
En 2009, les mêmes acteurs auxquels se sont joints des professionnels de l’Education Nationale (coordonnateurs de réseau et chefs d’établissement notamment) choisissent de poursuivre leur réflexion en se décentrant de leurs propres manières d’agir et en abordant des questions vives et sensibles dans leurs pratiques. Exemples de thématiques traitées : l’accompagnement des jeunes en grande difficulté scolaire, l’ethnicité des rapports sociaux ou les pratiques langagières dans les territoires d’éducation prioritaire.
De quoi s’agit-il alors ? De chercher à créer ensemble un réseau d’acteurs, liés les uns aux autres par un projet qui se définit au fur et à mesure de la constitution de ce réseau. « Ainsi réseau et projet forment un couple dont les termes s’entre-définissent tout au long de la formation-déformation. Ainsi, le projet autour duquel se forme un réseau ne préexiste pas à celui-ci ; c’est au contraire dans la formation progressive du réseau, c’est-à-dire dans l’attachement continu d’entités nouvelles les unes aux autres, que se définit le contenu du dit projet qu’il porte » (Gilles Herreros. Les projets de réussite éducative. Analyses latérales, Lyon INRP 2009).
Définir le partenariat en terme de réseau permet de cerner un collectif constitué d’hommes et de femmes susceptibles de s’épauler et de s’entraider dans la recherche de ressources, rencontres et actions autour d’un même objectif : la réduction des inégalités éducatives et sociales. Cela permet également une organisation particulière basée sur une confiance mutuelle où les enjeux de pouvoir font place au pouvoir d’humaniser les problématiques et les projets menés conjointement.
C’est dans cet esprit qu’un comité de suivi est né autour de ce séminaire nouvelle formule. Ce comité reflète dans sa composition ce souci de construire du partenariat : Centre Alain-Savary (INRP puis IFé), l’Inspection Académique de l’Isère, le CR-DSU (Centre de Ressources pour le Développement Social Urbain de la région Rhône-Alpes), le CREFE 69-01 (Centre de Ressources Enfance-Famille-Ecole), le CREFE 38, le CCRA (Collège Coopératif Rhône-Alpes), le Réseau de Réussite Scolaire Colette de Saint-Priest et la DRJSCS. L’idée est alors d’ouvrir un espace commun de réflexion, d’offrir aussi un temps où les professionnels de l’action scolaire et éducative peuvent se poser, se reposer aussi, tout en portant un regard distancié sur leurs propres domaines d’activités. Alimenté par une problématique émanant du terrain et des apports scientifiques issus des travaux de recherche les plus récents, ce séminaire partenarial a élaboré sa propre formation tout en se forgeant un regard dialectique sur les tensions, dilemmes et spécificités du travail de chacun.
Les journées d’étude 2011-2012
Et puisque le travail abordé dans le cadre du séminaire a fait émerger, en filigrane, la problématique des discriminations dans le champ éducatif, le comité de pilotage a choisi en 2011 de faire évoluer, une nouvelle fois, son organisation et ses objectifs en resserrant ces études autour des questionnements suivants :
- Comment identifier et interroger les processus susceptibles de participer aux discriminations ?
- En quoi renforcent-ils les difficultés rencontrées par les jeunes et leurs familles ?
Nouvelles thématiques, nouvelle formule à travers des journées d’études rassemblant une centaine de participants issus de l’Education Nationale, des collectivités territoriales et des associations d’éducation populaire. Mais une même constante : assurer le passage, l’échange entre l’activité professionnelle et la recherche.
Le séminaire 2012-2013
Le comité de suivi du séminaire s’est réuni en février 2012 pour envisager les suites à donner à ce travail. Tous les partenaires ont choisi de mettre en place un espace plus restreint de réflexion où les praticiens de l’éducation puissent problématiser leur action sur les territoires prioritaires :
Comment faire pour que les dispositifs spécifiques (Education Prioritaire, volet éducatif des CUCS, PRE,…) puissent réinterroger les pratiques ordinaires et mobiliser le droit commun au service de la réussite de tous.
Six séances de travail ont été programmées en 2012-2013 dans un nouveau séminaire intitulé « Vers un projet éducatif partagé : Entre Réussite Scolaire et Réussite Educative, quelles coopérations sur un territoire en politique de la ville ? », avec le pari de ne plus réunir des professionnels à titre individuel mais de prendre des inscriptions par territoire. C’est ainsi que douze territoires prioritaires de la région Rhône-Alpes participent à ce travail avec a minima un représentant de la collectivité locale et un représentant de l’Education Nationale. Les questionnements portent sur l’évolution des politiques éducatives, des publics, les apports de la recherche en éducation dans les milieux populaires (rapport de la famille à l’école, problématiques éducatives, rapport au savoir et à l’apprentissage, difficulté scolaire), sur les métiers aussi, avec leurs spécificités, leurs évolutions et l’impact du partenariat sur leur activité. Les participants apprennent ainsi à mieux se connaître et à problématiser collectivement les difficultés auxquelles ils sont confrontés sur les territoires.
Une piste pour l’avancée du travail partenarial sur les territoires ?
A travers ce séminaire, émerge une piste pour faire avancer le travail partenarial : il ne suffit pas de mettre en œuvre des dispositifs pour que l’action éducative devienne plus cohérente. Leur multiplicité, leur empilement - quand ce n’est leur enchevêtrement - les rendent difficilement lisibles à la fois pour les publics et pour les professionnels. Et surtout quel peut être le sens de ces dispositifs, quand ils n’interrogent pas le « droit commun » des institutions et des collectivités locales ? Comment pourraient-ils faire sortir les enfants des territoires prioritaires de l’exclusion éducative, s’ils n’impactent pas les pratiques ordinaires et ne font souvent que rajouter de la stigmatisation ?
Ce séminaire est peut-être le reflet de ce dont manquent les professionnels sur le terrain : un espace de réflexion et de problématisation dégagé des contraintes des dispositifs, qui puisse à la fois permettre de mieux se connaître entre institutions, de comprendre les problématiques de travail des uns et des autres, de mieux cerner les difficultés scolaires et éducatives des enfants des milieux populaires en relation avec les pratiques des institutions. Et du coup remettre les dispositifs à leur place : des actions provisoires qui permettent d’expérimenter de nouvelles manières d’agir pour irriguer les pratiques professionnelles ordinaires.
Au-delà de l’injonction à « faire du partenariat », il s’agit bien de construire localement le sens de ce partenariat : partager un projet éducatif au service de la réduction des inégalités éducatives sur un territoire prioritaire, qui mobilise tant le droit commun que les actions liées aux différents dispositifs.
Penser en même temps étayage et désétayage, diraient certains pédagogues…
Traces du séminaire…
Ces 5 années de réflexion partagée ont donné lieu à plusieurs publications :
• Les Projets de Réussite Educative, analyses latérales, rapport de séminaire (novembre 2007- septembre 2008), Gilles Herreros, INRP 2008
• Benhayoun, A.-M., Coutinho, M., Questions vives du partenariat et Réussite Educative, carnets du séminaire, INRP, 2010
• Cédiey E., De l’(in)égalité de traitement dans les pratiques éducatives, synthèse et bilan de la journée d’étude du 3 octobre 2011 à l’IFé, VEI-Diversité n°168, Des différences (im)pertinentes, retour sur la question ethnique, SCEREN-CNDP, 2012