Evaluations nationales au CP et remédiations: l’analyse de Roland Goigoux.
Les évaluations nationales présentent un double intérêt : le premier est de dépasser l’unique norme de référence qu’est la classe ; le second serait de construire la formation des enseignants au regard des difficultés des élèves identifiées au cours de ces évaluations.
Cet article retranscrit les propos de Roland GoigouxFormation Ifé-Centre Alain Savary « Former au lire, écrire, comprendre », oct 2018. Il présente le cadre théorique de la lecture à partir duquel les évaluations de CP en lecture 2018-2019 ont été construites. Il propose aussi de croiser ce cadre avec les résultats de la recherche Lire-Ecrire pour dégager des pistes de remédiation à destination des élèves.
Quel modèle théorique de l’activité de lecture est sous-jacent aux évaluations nationales de CP ?
Les évaluations nationales de CP sont pilotées par le Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN) présidé par le neuroscientifique Stanislas Dehaene. Elles ont été construites par les psychologues cognitivistes du CSEN qui étudient principalement la lecture. Ces chercheurs ont utilisé les mêmes tests que ceux utilisés dans leurs travaux de recherche en psychologie cognitive, construits à partir de certains prédicteurs d’échec ou de réussite dans l’apprentissage de la lecture. Ces tests, standardisés, se passent de manière individuelle. Ils n’évaluent pas les compétences attendues définies dans les programmes de l’école maternelle. L’écriture n’est pas évaluée.
Le modèle théorique de l’activité de lecture sous-jacent est le modèle international SVR « Simple view of reading Gough et Tumer, (1986) ». Celui-ci même fait l’objet de débats scientifiquesCatts, (2018). Ce modèle est celui que l’Observatoire national de la lecture (ONL) avait déjà diffusé en 1998. L’idée sous-jacente est que Lire (L) est le produit de deux paramètres : compréhension orale (C) et décodage (D). Elle peut s’écrire sous la forme L = C x D.
La composante D (décodage) a été déclinée en deux compétences dans les évaluations nationales : la reconnaissance de lettres et la phonologie. La composante C (compréhension) correspond à la compétence « compréhension orale ». Chacune des trois compétences est évaluée à partir de tests d’habileté indépendants les uns des autres (une habileté = un test), sous contrainte temporelle forte. Ce sont des tests standardisés, au sens psychométrique du terme. Des difficultés sélectives peuvent ainsi être identifiées. Par exemple, certains élèves ne peuvent présenter que des troubles visuo-attentionnels dans les différentes composantes du lire-écrire. Des seuils d’alerte pour les élèves en difficulté sont aussi définis pour chaque test et habileté. Deux seuils ont été créés pour chaque test : un seuil d’alerte pour identifier les élèves « à besoins », un seuil de vigilance pour identifier les élèves fragiles. La méthode de détermination de ces seuils n’a pas été communiquée.
Par ailleurs, la définition de la composante C dans le modèle SVR (L= C x D) réduit l’évaluation à la compréhension de mots ou de phrases écrites (lues par l’adulte). Par conséquent, le CSEN a introduit dans les évaluations de CP plusieurs tests de compréhension de textes entendus, conformément aux résultats de la recherche Lire-Écrire (2016). Mais il s'agit en réalité de compréhension de textes écrits lus aux enfants et non d’histoires racontées.
Compétences évaluées et tests correspondants dans les évaluations nationales CP
Que dit la recherche Lire-Écrire sur la qualité de compréhension d’un élève en lecture autonome à la fin du CP ?
Le tableau ci-dessous est issu de la recherche Lire-Ecrire, dirigée par Roland Goigoux. Dans cette recherche, on retrouve les deux composantes de la lecture selon le modèle SVR, c’est-à-dire le décodage et la compréhension. Les élèves ont été évalués sur six compétences : trois compétences pour la composante décodage (D) et trois compétences pour la composante compréhension (C).
Les compétences de décodage (D) sont les suivantes :
- Décodage en temps limité de mots isolés (D),
- Décodage en temps limité de mots en contexte (Fl),
- Habiletés phonologiques (Ph)
Les compétences de compréhension (C) sont les suivantes :
- Compréhension de textes narratifs entendus (CL),
- Vocabulaire en réception (VOC),
- Raisonnement non verbal (RNV).
On pourrait synthétiser de la manière suivante : L = (D + Fl + Ph) x (CL + VOC + RNV).
Cette recherche montre l’importance de la relation entre les différentes compétences évaluées et la qualité de la compréhension en lecture autonome à la fin du CP. Les compétences D (décodage) et C (compréhension) ont été évaluées de manière indépendante l’une de l’autre. Plus le coefficient du modèle est élevé, plus la relation entre la compétence évaluée et la qualité de la compréhension en lecture autonome à la fin du CP est étroite.
Plus précisément, on peut voir que le poids du déchiffrage des mots en fin de CP détermine fortement le niveau de compréhension de textes que les élèves doivent lire seuls. La fluence pèse beaucoup moins lourd, de même que les habiletés phonologiques. La compréhension de textes entendus a un coefficient presque aussi fort que le décodage en temps limité de mots isolés. Autrement dit, la capacité des élèves de fin de CP à devenir autonomes dans la compréhension de textes qu'ils lisent seuls dépend presque autant de leur capacité à décoder que de celle à comprendre seuls des textes entendus. Le lexique et le raisonnement non verbal ont aussi leur importance et même davantage que les habiletés phonologiques.
Chez les bons décodeurs, ce qui améliore encore la compréhension autonome, c'est leur capacité à comprendre, à maîtriser le vocabulaire et à raisonner. Ceci est vrai dès la fin du CP. Par conséquent, l'enseignement de la compréhension ne doit pas être décalé de celui du décodage. En revanche, chez les faibles décodeurs, le point saillant dans leur difficulté à comprendre un texte de façon autonome, est le décodage qui les empêche d'accéder à la compréhension. Autrement dit, un bon décodeur peut accéder facilement à la compréhension autonome (pourvu que la compréhension lui ait été enseignée), alors qu'un faible décodeur n'y accèdera pas. Mais même chez les faibles décodeurs, la compréhension de textes entendus pèse fort sur leur compréhension autonome, d'où la nécessité d'enseigner la compréhension, quel que soit le niveau de décodage des élèves.
En conclusion, les évaluations nationales de CP et la recherche Lire-Écrire s’accordent sur le fait que la lecture est le produit du décodage et de la compréhension. Ceci induit de ne pas différer l’enseignement de la compréhension par rapport à celui du décodage. Néanmoins, il y a entre les deux des différences significatives. Celles-ci se situent au niveau des tests qui ont été proposés aux élèves et sur les propositions de remédiation en direction des élèves.
Quelles remédiations pour les élèves identifiés « à besoins » par les évaluations de CP ?
Pour aider les élèves identifiés comme « à besoins », des recommandations sont disponibles sur Eduscol. Elles préconisent une remédiation précoce, de 10 à 15 minutes, adaptées aux besoins des élèves. L’accent est mis sur le code et sur le lien entre lecture et écriture pour fixer la forme orthographique des mots. Une organisation en petit groupe ou individuelle est encouragée. La norme évaluative est la fluence, qui doit être évaluée à chaque fin de période.
Des exercices de remédiation sont également à disposition des enseignants sur le site Eduscol. Ces exercices répondent à une logique linéaire : un test évalue une composante à laquelle correspond un exercice de remédiation qui fait travailler de manière isolée cette seule composante. Il s’agit d’une réponse terme à terme.
Roland Goigoux interroge cette linéarité du point de vue didactique. En effet, donner une réponse phonologique à une difficulté phonologique peut s’avérer contreproductif. Il propose, pour remédier à un déficit phonologique, de travailler aussi l’encodage. Il attire également la vigilance sur le cloisonnement des compétences travaillées dans ce système de remédiation. L’approche linéaire ne permet pas l’interaction entre les différentes compétences requises pour lire et écrire, contrairement à l’approche intégrative.
Enfin, le risque de ce mode de remédiation proposé est de n’enseigner que l’évaluable (D > C). C’est pourquoi Roland Goigoux insiste sur l’importance d’enseigner ces compétences non évaluées, et notamment l’encodage, qui servent aussi les compétences de décodage.
Référence bibliographique
Les facteurs explicatifs des performances en lecture-compréhension à la fin du cours préparatoire. Revue française de pédagogie, (3), 67-84, Goigoux, R., Cèbe, S., & Pironom, J. (2016).