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Plus de maîtres que de classes, une expérience d’articulation entre pilotage et formation dans le département de Loire-Atlantique (44)

Par skus — publié 30/08/2016 17:50, Dernière modification 30/05/2017 10:50
Dès la mise en œuvre du dispositif « Plus de maîtres que de classes », en 2013, la Direction Académique de la Loire-Atlantique a conduit une politique volontariste de création de postes d’enseignants supplémentaires, en misant dans le même temps sur une formation départementale soutenue.

NDMTT

Nathalie Donot, CPC, Loire Atlantique (44) (nathalie.donot@ac-nantes.fr)

et Marie Toullec-Théry, enseignante-chercheure (MCF), CREN- Université de Nantes et Espé de l'Académie de Nantes (marie.toullec-thery@univ-nantes.fr)

La Direction Académique de la Loire-Atlantique a, d’une part, initié un partenariat avec le centre Alain-Savary (IFé) et demandé à bénéficier d'un appui de la recherche (CREN). D’autre part, une ingénierie de formation s’est structurée via l’institution de trois groupes, d'abord un comité de pilotage, puis un comité de suivi et un groupe de travail « formation ».

Après une présentation de la mise en œuvre du dispositif de formation départementale, nous porterons une attention plus soutenue à une des modalités de pilotage-accompagnement, celle du comité de suivi, instance où il s’agit de former les formateurs de terrain. L’enjeu de cet article consiste en effet à montrer comment, à l’échelle du département, une articulation entre pilotage et formation engage des conseillers pédagogiques et des coordonnateurs de REP dans un accompagnement de terrain fructueux, tant du point de vue des équipes de circonscription que du côté des enseignants.

Introduction

Un contexte riche en dispositifs

La loi de refondation de l’école requestionne un dispositif qui ajoute un maître supplémentaire dans certaines écoles, essentiellement en Education Prioritaire. En effet, des maîtres surnumérairesVoir « Des maîtres surnuméraires dans des écoles maternelles et élémentaires. Les notes Evaluation - D.E.P.P. » - N°04.04 - avril 2004. ont déjà existé (« CP renforcés » ou « maitres ZEP » par exemple), générant des pratiques et des habitudes de travail qui sont alors à nouveau interrogées. C'est un écueil repéré par la Directrice Académique de la Loire-Atlantique (2013) : « La complexité quand même c’est que nous avons donc hérité d’un certain nombre de dispositifs qui s’apparentaient à " Plus de maîtres que de classes". J’ai invité les inspecteurs du premier degré à revisiter ces dispositifs antérieurs » [pour les ajuster aux nouvelles prescriptions].

Le dispositif « plus de maîtres que de classes » s'ajoute par ailleurs à d’autres dispositifs d’aide, présents depuis plus ou moins longtemps dans le paysage scolaire, comme les aides personnalisées, devenues Activités Pédagogiques Complémentaires, et les RASED, notamment. Ces aides prodiguées par des enseignants de classes ordinaires ou par des enseignants spécialisés sont la plupart du temps positionnées sur le versant de la remédiation et privilégient en général le regroupement d’élèves en difficulté a posteriori de l’apprentissage (Toullec-Théry & Marlot, 2013, 2015). De plus, les interventions des membres du RASED s’effectuent parfois sans lien explicite avec les apprentissages menés sur le temps ordinaire de la classe (Toullec-Théry, 2012). « Plus de maîtres que de classes » se présenterait-il donc, dès son instauration, comme un dispositif juste « en plus », sans territoire identifié ?

Des questions, des tensions, des dilemmes

La circulaire instaurant le dispositif annonce que « l'action sera prioritairement centrée sur l'acquisition des instruments fondamentaux de la connaissance (expression orale et écrite, mathématiques) et de la méthodologie du travail scolaire » (Circulaire n° 2012-201 du 18-12-2012). Mais que signifie « travailler les fondamentaux » avec un maître en plus ? Le maître supplémentaire s’adresse-t-il à toute la classe ou à des élèves en particulier ? « Mieux répondre aux difficultés rencontrées par les élèves » (Ibid.), signifie-t-il apporter une aide ciblée sur les élèves qui présentent le plus de difficultés ? S’agit-il de remédier aux difficultés ou alors de les prévenir ? Est-on dans une perspective de diagnostic / remédiation ? Le maître supplémentaire est-il destiné à remplacer le maître E ?

Dès le début de la mise en œuvre du dispositif dans le département de Loire-Atlantique, les questions sont nombreuses : aucun consensus n’émerge d’emblée, des polémiques existent, parfois vives, où s'expriment des représentations variées et des doxas plus ou moins partagées chez tous les enseignants, mais aussi parmi les personnels d'encadrement. Un travail de formation s'avère alors nécessaire, non pas pour homogénéiser les fonctionnements, mais pour construire des points de vigilance au fur et à mesure de cette mise en place particulière. Tout en laissant aux équipes de circonscription un large pouvoir d’agir, l'interrogation inaugurale consiste donc à se demander en quoi un groupe de pilotage peut anticiper la formation et enrichir la réflexion de tous les acteurs en construisant un cadre d’usage organisé.

Notre article est structuré en trois axes que nous développerons successivement :

  1. Identifier les questions et poser les problèmes
  2. Structurer l’encadrement du dispositif « Plus de maîtres que de classes »
  3. Analyser les effets du dispositif de formation sur les pratiques professionnelles

I. Identifier les questions et poser les problèmes

A la naissance du dispositif « Plus de maîtres que de classes », l'ensemble des acteurs (de la Direction Académique jusqu'aux enseignants) se trouve confronté à un nouveau défi. Catherine Benoit-Mervant, Directrice Académique de la Loire-Atlantique, l’envisage à deux niveaux, du côté de la gestion de personnel mais aussi des pratiques : « Il y a deux écueils à éviter : le premier, c’est de laisser arriver par le mouvement un personnel juste alléché par la notoriété géographique du poste et moyennement concerné par le sujet ; le deuxième, laisser persister le malentendu selon lequel chaque maître de chaque classe encore une fois pourrait s’exonérer de la prise en charge des élèves qui rencontrent des difficultés » (2013) . Du point de vue des pratiques enseignantes, l'affectation d'un maître supplémentaire dans l'école doit permettre « […] de mieux répondre aux difficultés rencontrées par les élèves et de les aider à effectuer leurs apprentissages fondamentaux, indispensables à une scolarité réussie » (Circulaire n° 2012-201 du 18-12-2012). Or les conditions de mise en œuvre ne sont pas définies dans la circulaire : il est simplement question de « situations pédagogiques diverses et adaptées » (Ibid.). La prescription reste très floue, même si les 10 repèresMEN-DGESCO Juin 2013 précisent le cadre quelques mois plus tard.

Ce contexte initialement fragile met alors au jour un véritable objet de travail commun à l’échelle du département. Il s’agit d’envisager les manières propices pour assurer l’efficacité du dispositif « Plus de maîtres que de classes », au service de la réussite de tous les élèves. Le pilotage départemental, insufflé par la Directrice Académique et l’IEN, affiche donc, dès 2013, une volonté de souplesse. « C'est le choix que nous faisons délibérément dans ce département, une liberté, une possibilité très souple de choix des modalités pédagogiques » (Daniel Duval, IENA, 11/09/2013). […] « On a essayé de cadrer le moins possible pour éviter d'enfermer, de contraindre de façon trop importante au départ » (Ibid., 10/10/13).

L'articulation entre les acteurs est aussi posée, et ce à plusieurs échelles, depuis les décideurs départementaux jusqu’aux acteurs de terrain :

  • une articulation entre la Direction Académique et les IEN ;
  • une articulation entre les IEN, les CPC et les coordonnateurs des REP ;
  • une articulation entre les CPC, les directeurs d’école et les enseignants supplémentaires ;
  • une articulation entre les enseignants supplémentaires, les enseignants des RASED et les enseignants des écoles.

A ce propos, Daniel Duval (IENA) insiste : « Un élément important, qui est inscrit également dans le cahier des charges départemental, c'est la recherche d'une complémentarité avec l'action des RASED qui sera privilégiée, en clarifiant - et ça me paraît important - les notions de public visé : quels sont les publics visés par la prise en charge du maître surnuméraire, quels sont les publics visés spécifiquement par les enseignants spécialisés des RASED. C'est important de clarifier ces notions et également de clarifier les notions de modalités ou de types d'aides, de prises en charge relevant soit de l'étayage ordinaire ou de la remédiation spécialisée » (10/10/2013).

Il est aussi décidé que la priorité sera donnée à la mise en œuvre d'expérimentations de terrain (avec des contraintes réduites), leur analyse et la compréhension de ce qu'elles produisent. Elles ne sont pas destinées à être modélisées dans la mesure où elles sont en prise avec les contextes spécifiques de la circonscription et des écoles ; cependant, leur multiplication, leur analyse, mixées à des enquêtes quantitatives et qualitatives départementales rendront possible une certaine montée en généralité.

I. A. Des questions qui se posent aux équipes enseignantes

Dès la première année, des journées de formation sont co-construites avec Patrick Picard, du Centre Alain-Savary (Institut Français de l’Éducation). Conçues comme des journées de formation départementales, elles sont ouvertes à l'ensemble des acteurs du département : IEN, maîtres supplémentaires, maîtres E, CPC, coordonnateurs REP, formateurs ASH. Ces formations inter-métiers, loin d'édicter des fonctionnements à mettre en place, permettent alors :

  • de faire émerger les préoccupations de chacun liées à ce nouveau dispositif ;
  • de consigner des traces de modifications ou d'évolutions déjà engagées dans le travail des différents professionnels (puisque des dispositifs antérieurs existaient déjà dans le département, en particulier auprès des classes de CP) ;
  • de localiser de premiers « dilemmes de métier », via l'explicitation du vécu professionnel des maîtres supplémentaires (M+) et des équipes d'école ; les vidéos de l'IFé et les vidéos issues de classes du département constituent des supports d'explicitation des pratiques, mais aussi de controverses professionnelles.

Les participants soulèvent très rapidement un certain nombre de questions qui se posent aux équipes enseignantes, se focalisant tout d'abord sur l'objectif du dispositif « répondre aux difficultés rencontrées par les élèves » :

  • Comment identifier les difficultés ou les besoins des élèves ?
  • Quelle différence y a-t-il entre « difficulté » et « grande difficulté » ?
  • Les maîtres supplémentaires ne vont-ils pas prendre la place des maîtres E ?
  • Faut-il observer ou évaluer ?
  • Evaluer quoi ?
  • Comment différencier, comment remédier ?
  • Quel lien est à assurer avec d’autres dispositifs comme l'aide personnalisée ?
  • Comment choisir les classes qui bénéficieront de la présence du maître supplémentaire ?
  • Les interventions du maître supplémentaire s’appuient-elles sur un principe d’égalité ou d’équité ?

Ces questions vives suscitent à nouveau de nombreuses controverses, interrogeant le rôle et la place de chacun dans les équipes enseignantes. A ces premières interrogations s’ajoute immédiatement une inquiétude majeure, liée au temps considérable qu’il faudra trouver pour travailler ensemble : préparer la classe, analyser les difficultés et les réussites, ajuster les actions.

I.B. Des questions qui se posent aux équipes de circonscription

Si des questions se posent aux enseignants, de nouvelles questions interpellent, cette fois, les équipes de circonscription. Pour ces dernières, il est en effet urgent d'envisager les modalités d'accompagnement, à la fois auprès des équipes d’écoles, mais également directement dans les classes.

  • Comment être présent dans les écoles sans s'imposer ?
  • Comment entrer dans les classes des enseignants chevronnés et gagner leur confiance ?
  • Comment guider l’organisation du travail et apporter une aide logistique au directeur ?
  • Comment apporter une aide aux enseignants sur les plans didactique et pédagogique ?
  • Quel rôle le CPC peut-il avoir en conseil des maîtres ?

Dans le système volontairement non contraint choisi comme mode de pilotage départemental, même s’il est nécessaire de tenir compte des spécificités de chaque secteur, l’objet du travail consiste alors à donner une relative homogénéité à l’accompagnement des équipes enseignantes par les équipes de circonscription. En effet, « des programmes positifs peuvent échouer si les conditions de pilotage et de cadrage ne sont pas réunies » (Suchaut, 2013). Le rapport des IGEN (2014) insiste aussi sur la nécessité d’ « un cadrage du protocole rigoureux, [et] une densité de l'accompagnement (animations pédagogiques, stages, suivi régulier) » (...) « la réussite du projet est largement conditionnée par l'investissement des équipes concernées et celui de l'équipe de circonscription qui accompagne l'opération ».

I.C. Que faire pour avancer ?

De toutes ces questions, issues des préoccupations enseignantes comme des équipes de circonscription, trois focales se dessinent autour des problèmes d'enseignement, des problèmes d'apprentissage et des problèmes de co-enseignement. Répondre à ces problèmes, pendant les formations, requiert alors, outre la restitution des expérimentations de terrain, de nourrir les acteurs pour enrichir la réflexion en germe avec de nouvelles références dont des résultats de la recherche (et une implication de Marie Toullec-Théry, au titre de la recherche) et des objets didactiques. De premiers critères d’attention sont ainsi dégagés, qui permettent de construire des palettes de propositions à expérimenter sur le terrain. La posture adoptée met toujours en tension la notion de gain ou de perte, au regard des choix effectués et demeure donc la moins prescriptive possible.

Au cours des premières journées de formation, une revue de littérature sera ainsi produite, suivie d’une diffusion des textes de référence. Elle est initialement peu développée, mais elle s’enrichira au fil des 3 ans. Cet état de l'art concerne l'étude de dispositifs bénéficiant de maîtres supplémentaires, mais aussi l'étude de dispositifs d’aides, avec une attention particulière à la didactique. D'emblée, sont alors introduites les notions de co-intervention, co-enseignement (Tremblay, 2015, Marlot et Toullec-Théry, 2014), d'articulation des temps didactiques (Toullec-Théry & Marlot, 2013), d’objets migrants (Tambone, 2014), puisque la présence d'objets matériels et/ou symboliques paraissent cruciaux entre les maîtres supplémentaires et les maîtres de classe (Toullec-Théry & Marlot, 2014).

Lors des temps de formation des maîtres supplémentaires, auxquels les maîtres E sont systématiquement invités, des temps d’échanges en ateliers succèdent aux présentations plus formelles. S’y produisent et se poursuivent les controverses, alimentées cette fois par des dimensions de la recherche, levant ainsi le voile sur des « allants de soi », des impensés, des doctrines plus ou moins partagées.

Du côté des mises en œuvre, il s’agit aussi d’aider les maîtres de classe, maîtres + et maîtres E à travailler ensemble. Les formations font le choix de les mettre au travail face à quelques situations d'apprentissage précises (à partir de vidéos, par exemple) pour qu'ils les questionnent à partir de protocoles d’observation définis. Les enseignants, maîtres de classes (MC) comme maîtres supplémentaires (M+) expriment alors les difficultés qu’ils rencontrent à comprendre les obstacles aux apprentissages et à concevoir des situations faisant progresser tous les élèves. Si les obstacles leur sont difficiles à déceler, alors il est compréhensible qu’ils éprouvent aussi des difficultés à, comme le demande la circulaire, proposer des « situations pédagogiques diverses et adaptées » pour « aider [les élèves] à effectuer leurs apprentissages fondamentaux » (Circulaire n° 2012-201 du 18-12-2012). Des apports didactiques sont donc incontournables : il s'agit alors de déceler quels sont les besoins en termes d’apprentissages fondamentaux, dans les domaines de la lecture-écriture et des mathématiques. Les questions des contenus d’enseignement prennent progressivement le pas sur les questions d’organisation. La didactique des disciplines et les mises en œuvre pédagogiques deviennent centrales. Le pilotage et l’organisation de la formation en Loire-Atlantique vont de plus en plus prendre en compte ces nouvelles préoccupations.

En résumé, en cette première année de mise en route du dispositif « plus de maîtres que de classes », on voit se mettre en place :

  • une politique d’accompagnement donnant un cadre de référence tout en laissant de la souplesse ;
  • des éléments de formation constituant une culture départementale commune à tous les acteurs, permettant cependant une prise en compte des spécificités locales.

 

II. Structurer l’encadrement du dispositif « Plus de maîtres que de classes »

II. A. Une modalité de pilotage-accompagnement en trois groupes

Nous venons de voir que l'accompagnement du dispositif a été l'objet d'une structuration pas à pas. A la demande de Bernard Le Gall, IENA depuis la rentrée 2015, un comité de suivi est adjoint au groupe de pilotage (instance de décision) déjà mis en place initialementDans sa version initiale, ce groupe de pilotage était ainsi« Brièvement, quatre objectifs vont présider aux travaux de ce groupe de pilotage [...]. Premier objectif: former et accompagner. Deuxième objectif: aider à l'analyse des besoins. Troisième objectif: observer les pratiques et en mesurer les effets et enfin favoriser les échanges, mutualiser et diffuser les expériences » (Daniel Duval, IENA, 10/10/2013).. Ce comité de suivi est une instance de mise en œuvre qui rassemble les 17 circonscriptions impliquées. Rapidement, à l’articulation de ces deux instances, un groupe de travail spécifique, intitulé « groupe de travail formation » voit le jour ; il commence alors à élaborer l’architecture et la cohérence du dispositif de formation. Nous allons détailler les principes de cette organisation générale, qui fonctionne à l’identique depuis deux ans.

Principe d’encadrement du dispositif Plus de maîtres que de classes en Loire-Atlantique

Nous avons représenté ci-dessous cette ingénierie de manière synthétique. Nous en développerons ensuite certains aspects.

PMQC44-FIG1

Figure 1 : les trois groupes, leur composition et leurs prérogatives

a) Le groupe de pilotage, instance de décision

Le groupe de pilotage se situe à l’interface des prescriptions institutionnelles et de la mise en place du dispositif au plan départemental. Sous la direction de l’IENA, il est composé d’une dizaine d'acteurs des IEN et CPC, une enseignante-chercheure, un coordonnateur REP, une formatrice ASH, un membre de la CARDIE. Ses objectifs ont été définis comme suit (relevé de conclusions de la réunion du groupe de pilotage du 29/09/2014) :

  • « identifier les indicateurs permettant d’apprécier l’impact du dispositif ; »
  • « définir les éléments permettant de pérenniser les pratiques pédagogiques au terme de la mise en œuvre du dispositif ; »
  • « définir les éléments permettant de diffuser les pratiques pédagogiques aux enseignants n’ayant pas pris part au dispositif. »

Le groupe de pilotage s’attache à la conformité de la mise en œuvre. Dans les faits, il valide également les orientations de formation proposées par les deux autres instances, qui ont gagné en importance au fil du temps. Ses deux réunions annuelles se situent, l'une en première période, pour donner le cadre du travail, et l'autre en dernière période pour préparer l’année scolaire suivante. Par le biais de l'IENA, responsable du groupe de pilotage, un certain nombre de résultats sont transmis à l’Inspecteur d’Académie qui, lui, prend des décisions du point de vue de la carte scolaire.

Le groupe de pilotage s'assure aussi de la diffusion des productions réalisées dans le cadre des formations et de l’accompagnement. Il a ainsi validé l'existence d'une plate-forme sur le site de l'I.A.44 pour consigner les avancées collectives et les expériences locales, d'abord dans un espace non public (espace « Caraïbes », nécessitant une authentification), puis dans un espace numérique accessible à tous, dans la partie « vie pédagogique » du site de l’I.A.44. En particulier, il est maintenant possible d’accéder à des fiches repères concernant les thématiques abordées pendant les stages : enseignement de la compréhension, numération, pilotage par le directeur, etc.

b) Le comité de suivi : instance de mise en œuvre

Le comité de suivi est composé d’une trentaine de membres, d'un CPC au moins par circonscription concernée par le dispositif « Plus de maîtres que de classes », des coordonnateurs REP, d'un formateur ASH, et d'une enseignante-chercheure . Au départ, les objectifs de ce comité ont été définis comme suit (relevé de conclusions de la réunion du groupe de pilotage du 29/09/2014) :

  • « mener une évaluation permettant d’apprécier l’impact du dispositif, en prenant appui sur les indicateurs identifiés par les membres du groupe de pilotage ;
  • constituer la synthèse des missions des maîtres supplémentaires et des maîtres E ;
  • évaluer les performances des élèves selon deux axes complémentaires : l’évaluation positive par l’enseignant et l’autoévaluation ;
  • accompagner les initiatives locales. Les pratiques innovantes pourraient être présentées lors de la Journée de l’innovation (mars 2015) organisée par Expérithèque. »

NantesPDMQCEn fait, l'enjeu est double.

1°) C'est un pôle de formation de formateurs où l'ambition est d'alimenter collectivement les divers membres, mais aussi d'enrôler chacun et de lui confier un rôle spécifique au sein des groupes de travail :

  • préparation des stages « apprendre à lire au CP » ;
  • démarches d’évaluations ;
  • publications en ligne ;
  • analyse de enquêtes quantitatives ;
  • analyse des bilans qualitatifs.

2°) C'est aussi un pôle de construction des formations vers les praticiens de terrain, tout en cherchant à susciter une autonomisation des équipes de circonscription (qui ont la connaissance des contextes d'exercice des maîtres supplémentaires, la responsabilité de mettre sur pied des suivis d'écoles, des journées de stage et des animations pédagogiques).

Le comité de suivi se réunit au complet environ cinq journées par an, auxquelles viennent s’ajouter les réunions des différents groupes de travail. Ses membres représentent, sans exception, toutes les circonscriptions concernées par le dispositif. La particularité de cette dynamique de formation-accompagnement est la connexion constante des membres du comité de suivi aux pratiques de terrain (liens avec les équipes d’écoles).

c) Un groupe de travail « formation »

Émanation très restreinte du comité de suivi, le groupe de travail « formation » est constitué de quatre conseillers pédagogiques (membres aussi des groupe de pilotage et de suivi) et de la même enseignante-chercheure. Dans ce groupe, une CPC, plus particulièrement, attribue une part non négligeable de sa quotité de travail annuelle (environ 20%) à ce dispositif départemental. Un CPC rattaché à la circonscription de Nantes IENA gère la partie technique et organisationnelle des formations (calendrier, convocations, remplacement, …).

Pour ce groupe de travail « formation », qui a pour tâche d'opérationnaliser les principes qui émanent du comité de pilotage, il s’agit essentiellement de concevoir et d’organiser une ingénierie de formation, soutenue par la recherche (d’où la présence de l'enseignante-chercheure).

Les réunions sont nombreuses et régulières : environ 15 par an, soit en moyenne 3 par période. Des liens avec diverses instances alimentent les travaux de ce groupe. Le centre Alain-Savary (IFé) à Lyon, le Comité National de Suivi, l’Université de Genève, mais aussi les commissions départementales (maîtrise de la langue, mathématiques) constituent autant de ressources qui viennent nourrir la réflexion et enrichir les formations de formateurs. Le groupe de travail « formation » a présenté lors des deux dernières années la structuration du dispositif départemental et ses effets lors d’un conseil d’IEN en présence de l’Inspecteur d’Académie.

Ce groupe de travail « formation » constitue donc une force d'anticipation, de planification et de proposition, qui maintient l'ensemble et lui assure une dynamique constante. Il doit sa réussite notamment à la création d’un fonds de culture commune avec l’ensemble des formateurs, et à l’instauration d’un rapport non hiérarchique dans ses relations avec le comité de suivi.

En résumé :

  • un encadrement de plus en plus structuré au fil du temps ;
  • une implication des formateurs de toutes les circonscriptions du département ;
  • un rôle essentiel du groupe de travail « formation », à l’articulation du groupe de pilotage et du comité de suivi.

II. B. Une formation départementale construite en cascade

Le besoin d'accompagnants, connaisseurs du dispositif, de ses avantages et de ses limites, est très tôt repéré. Les conseillers pédagogiques expriment eux-mêmes d'emblée leurs besoins en formation pour être en capacité de nourrir le travail des équipes : ils demandent des apports didactiques, mais aussi des apports concernant leurs pratiques de formateurs.

Si l'enjeu départemental consiste à mettre en place un dispositif souple, c'est-à-dire sans prescription uniforme, alors la formation doit faire œuvre de « nourrissage » via une palette de propositions, à partir de l'action des divers acteurs (pour ne pas tout inventer ou réinventer) : des apports théoriques, des expériences, des espaces de questionnement, une formalisation et une pérennisation des actions. D'où une dimension en cascade de la formation qui répond à une fonction de documentation des diverses questions (apports de synthèses, bibliographie de quelques articles clé, observations) en lien organique avec les pratiques. Les temps de formation constituent également un observatoire pour produire et diffuser des résultats de recherche, et pour analyser les effets de cette formation sur les pratiques des professionnels.

PMQC44-FIG2

Figure 2 : le principe de la cascade

L'idée d'une formation en cascade à plusieurs niveaux a pour but d'articuler les objets de travail entre eux. Les contenus abordés en formation de formateurs permettent ainsi d’élaborer les stages départementaux, et peuvent continuer à être développés sur les temps d’animation pédagogique. Parmi les thématiques ayant fait l’objet de formation en cascade, citons le travail sur les pratiques effectives et les gestes professionnels (analyse de situations d’enseignement avec deux maîtres dans la classe, les facteurs de réussite du travail partagé, …), mais aussi la prise en compte de contenus didactiques (compréhension en lecture, décomposition du nombre au cycle 2, …).

Cette articulation de la formation à différents niveaux a permis une diffusion et une évolution des pratiques enseignantes. Le glissement sensible de la problématique initiale peut se résumer sous la forme du schéma suivant :

PMQC44-FIG3

 

Figure 3 : Evolution du questionnement depuis le démarrage du dispositif

En résumé :

  • une formation en cascade qui alimente régulièrement les acteurs de terrain, à chaque niveau ;
  • une articulation du « quoi » et du « comment » (des apports didactiques et des gestes professionnels d’enseignement /de co-enseignement) ;
  • une évolution de la problématique initiale : la question des organisations dépend d’abord des contenus d’apprentissage.

 

III. Les effets de ce dispositif de formation sur les pratiques professionnelles

III. A. D'une formation dite « en cascade » à un collectif de pensée et d'actions

Sur le plan départemental, il s'agissait de construire une alliance entre professeurs-enseignants-chercheurs fondée sur « un principe d’explicitation partagée » (Sensevy, 2011) dans un contexte d'actions partagées, donc de construire un collectif avec un arrière-fond commun.

Il n'était pas question non plus de promouvoir une démarche qui consistait à remédier, c'est-à-dire à substituer une ancienne pratique par des gestes nouveaux édictés de l'extérieur, mais de construire une démarche de reconfiguration de l'existant pour en ré-imaginer des formes par les acteurs eux-mêmes. Aucun participant (enseignants, formateurs comme chercheurs) n'a alors endossé le statut de « réparateur », mais chacun a endossé des responsabilités dans la formalisation et la diffusion de ses pratiques (pratiques d'enseignants, pratiques de formateurs, pratiques de chercheurs). Ces pratiques ont pu co-exister et la théorie est venue comme un arrière-plan, donnant une architecture aux connaissances à partager. Le tableau ci dessous tente de montrer cette solidarité entre les diverses parties et de quelle manière chacun a documenté cette ingénierie collaborative.

PMQC44-FIG4

 

Figure 4 : Modélisation de l'ingénierie de formation et rôle des différentes parties

Travailler en priorité sur un matériauVidéos, projets  +DMQDC, enquêtes quantitatives, enquêtes qualitatives. issu des préoccupations des écoles et de leurs pratiques a engagé les divers acteurs ensemble à observer de mêmes objets, tout d’abord avec leur propre regard, selon leur métier (maître de classe, maître supplémentaire, maître spécialisé, formateur, chercheur). Les habitudes de travail en trois ans et cette symétrie dans les responsabilités ont contraint à un langage commun, qui s'est élaboré et densifié, au fil du temps, via des concepts partagés. Chaque pôle, avec ses responsabilité spécifiques, est ainsi devenu un relais obligatoire, caractéristique d'une recherche collaborative « avec » plutôt que « sur » les acteurs (Vinatier et Morissette, 2015).

 

 

III. B. Ce que disent les formateurs du comité de suivi à propos de cette formation « en cascade » (Mars 2016)

NantesPDMQC2Les membres du comité de suivi se sont exprimés, après cette troisième année de travail, sur cette expérience départementale. Il leur a été proposé de compléter trois phrases.

a) Les formations de formateurs m’ont permis de …

b) Sur le terrain, j’ai relevé trois apports en formation dont les maîtres + et les équipes d’écoles se sont emparés : …

c) Dans le cadre du dispositif « Plus de maîtres que de classes », il me semble que les trois éléments suivants demeurent des obstacles à des apprentissages efficaces : …

Nous avons répertorié les réponses les plus fréquentes, selon les trois thématiques. Cette ingénierie a-t-elle œuvré à la résolution des problèmes qui avaient émergé au début de la mise en œuvre du dispositif ?

a) Ce que la formation a permis aux formateurs

Voici les principaux points positifs mentionnés par les conseillers pédagogiques :

  • l'apport de connaissances (recherche)
  • la mutualisation entre pairs (pratiques de terrain et évolutions, outils)
  • l'aide directe (éclairée) auprès des équipes d'école (élaboration des formations)
  • une meilleure connaissance du dispositif

L'apport de connaissances, la mutualisation et l'élaboration des formations fait consensus chez les conseillers pédagogiques du groupe de suivi. Leurs propos font donc écho aux trois dimensions (recherche, formation et pratiques effectives) de notre modélisation ci-dessus. L'accompagnement documenté des équipes de circonscription (via la diffusion de connaissances, mais aussi l'anticipation collective de trames de situations de formation et d'outils co-construits dans le groupe de suivi, puis remodelés avec les équipes selon les contextes) a fonctionné. Les notions de connexion-déconnexion des temps didactiques, d'objets- migrants, de feedback ont retenu toute l'attention des formateurs. L'ingénierie a créé les conditions pour que les conseillers pédagogiques inscrivent dans leurs usages, et s'approprient de nouvelles manières de penser et d'agir dans la formation.

D’autres propos, exprimés par les formateurs lors des réunions du comité de suivi, témoignent de l’avancée de leur réflexion et de leurs pratiques. En particulier, la formation de formateurs ayant fait intervenir Valérie Lussi-Borer et Alain Muller (Université de Genève) a mis l’accent sur l’évolution du questionnement. En effet, ces chercheurs ont montré comment leur problématique initiale : « comment travailler à deux dans la classe ? » avait évolué vers une nouvelle question : « quelle est l’activité des élèves quand on est deux dans la classe ? »

A la suite de ces temps de formation partagés, un CPC souligne, par exemple, que cela lui a permis d’engager, dans les REP un travail sur l’autonomie des élèves ; une autre formatrice explique qu’elle a présenté aux enseignants le concept d’activité réelle ; une autre encore indique qu’elle a amené les équipes d’école à réfléchir sur la structuration nécessaire d’une séance pour conduire les élèves à être autonomes ; enfin, une conseillère pédagogique précise qu’elle commence à transférer ces démarches même dans les écoles où il n’y a pas de maître supplémentaire.

Par ailleurs, le travail engagé avec Patrick Picard (IFé) en formation de formateurs a permis d’insister sur l’importance de l’observation du travail des élèves, de dégager des observables communs pour permettre aux enseignants de prendre du recul sur leur pratique professionnelle. En effet, « il est certes nécessaire de chercher à mesurer les progrès des élèves, mais surtout de comprendre la cause de ces progrès » (Picard, 2016). Des CPC évoquent leur rôle dans la co-observation en classe, ou dans la prise en charge de la classe pour permettre au maître de classe et/ou au maître supplémentaire d’observer leurs propres élèves au travail.

Ces pratiques tendent à se développer nettement du côté des formateurs.

Enfin, des CPC constatent que le regard des enseignants sur le métier de conseiller pédagogique a changé, car CPC et enseignants travaillent côte à côte, sont dans une même réflexion. La dynamique de formation engagée de manière non-surplombante permet au conseiller pédagogique d’être considéré comme partie prenante de l’équipe enseignante.

b) Les apports en formation dont les M+ se sont emparés (d'après les formateurs)

Les conseillers pédagogiques relèvent les évolutions suivantes chez les M+ :

  • un développement professionnel (analyse de situations, cohésion d'équipe, le « parlé professionnel », postures, activités réelles des élèves, …) ;
  • une prise en compte plus importante du versant didactique (préparations communes, multi-agenda, ressources) ;
  • un versant pédagogique toujours présent (modalités d'organisation).

Les formateurs attestent d'un net effet de l'ingénierie sur leur propre développement professionnel. Ils ont, au fil des trois ans, modulé leurs attentes, qui concernaient au départ les modalités d'organisation du dispositif, pour donner ensuite priorité aux questions didactiques, c'est-à-dire à l'étude des situations d'enseignement-apprentissage, et aux obstacles inhérents à ces situations. Ce mouvement accompli vers les apprentissages se manifeste également chez les maîtres + et les équipes.

Lors des temps d’observation ou de co-observation dans les classes, les CPC constatent la forte implication des enseignants de classe et des enseignants supplémentaires : les séances sont de plus en plus « écrites », les obstacles didactiques de mieux en mieux identifiés, les points d’attention de mieux en mieux pris en compte (exemple des interactions entre élèves), les organisations pédagogiques de plus en plus réfléchies au regard de la nature des difficultés rencontrées par les élèves.

En complément, des formateurs constatent des effets à plus long terme chez les enseignants supplémentaires : certains M+ se dirigent maintenant vers de la formation professionnelle pour évoluer dans leur carrière et devenir à leur tour formateurs.

Enfin, un coordonnateur de REP évoque comment il articule les contenus d’enseignement et les organisations pédagogiques, avec comme priorité la pérennité des organisations, même en l’absence de maître supplémentaire dans un futur plus ou moins proche : quand les objectifs d’apprentissage sont définis, les organisations retenues (ex : ateliers de mathématiques ou de français) doivent selon lui pouvoir se poursuivre dans un contexte de classe « ordinaire ». Cette préoccupation est d’autant plus pertinente qu’elle commence à se diffuser en 6ème, dans le cadre de la liaison école-collège.

c) Ce qui résiste... les obstacles à des apprentissages efficaces (d'après les formateurs)

Les conseillers pédagogiques signalent, pour les équipes d'école, les obstacles qui persistent :

  • un déficit de temps (commun) ;
  • la difficulté de travailler ensemble (co-élaborer, co-analyser) ;
  • le manque de lien avec le RASED ;
  • les changements de personnes ;
  • la posture du directeur, sa difficulté à trouver sa place.

L'absence de temps est un facteur rappelé par tous les CPC, mais aussi les M+ et les équipes. Nous y reviendrons lors de l'analyse des enquêtes. D'autres obstacles majeurs apparaissent, que l'on voit déjà en filigrane dans les deux tableaux précédents : les CPC font état de la difficulté à engager les directeurs et les RASED, à les affilier au dispositif et à stabiliser ce dernier. Si les équipes sont solidaires, les directeurs n'officieraient pas un relais avec les équipes de circonscription. Les RASED resteraient périphériques. Peut être, comme nous l'avons constaté lors d'un stage de bassin avec des maîtres E, la question des identités professionnelles et la crainte d'une remise en cause des RASED restent-t-elles fortement ancrées. Sans doute aussi la place de ces métiers est-elle encore un impensé dans certaines conceptions, et devra-t-elle faire l’objet d’un travail plus explicite dans les temps de formation.

 

III. C. Ce que disent les M+ dans les différentes enquêtes de terrain

Si les conseillers pédagogiques attestent d'une professionnalité renforcée, peut-on affirmer que cette ingénierie a permis des transformations effectives du point de vue des pratiques chez les M+ ?

Pour répondre à cette question, notre posture à été la suivante : plutôt que de chercher à enseigner ce que l’on veut évaluer - avec le risque de mettre en œuvre des tâches parcellaires -, il a paru plus opérant de chercher à évaluer ce qui a été enseigné avec l’aide du maître supplémentaire (M+). Deux enquêtes quantitatives et qualitatives (en annexes) ont été proposées aux M+ du département. Elles avaient l'ambition de mettre au jour plus précisément ce qui se fait et d’en diffuser les résultats à tous, de l’Inspecteur d’Académie aux enseignants (MC, M+, ME), et ainsi de partager un même niveau d'informations. Nous octroyons aussi à ces enquêtes une dimension régulatrice. Ces résultats sont en effet là pour aider à la décision, aux réorientations des actions de formations et des pratiques. Ces enquêtes sont donc des moyens pour penser, à plusieurs niveaux, celui du groupe de pilotage, du groupe de suivi et du groupe de formation, et des moyens de positionnement des équipes.

III. C. 1 Une comparaison des enquêtes quantitatives, menées en 2014 et 2015

Deux enquêtes quantitatives ont été menées dans le département de Loire atlantique, d'abord en Juin 2014 (38 M+ sondés) puis en Juin 2015 (49 M+ sondés)Enquête proposée dans le cadre du comité de suivi « Plus de maîtres que de classes », avec l’aide de l’IFé. Nous en produisons ici une courte comparaison pour ainsi, au regard de quelques items, mettre en évidence ceux qui, dans l'espace d'une année, demeurent stables et ceux qui bougent.

Des items qui demeurent stables

Les modalités d'organisation restent choisies dans les mêmes proportions : les dyades maîtres de classe (MC) et M+ continuent avant tout à travailler en parallèle dans des espaces séparés, même si cette modalité connaît un léger fléchissement (de 49 % en 2014 à 45% en 2015) ; l'enseignement en tandem reste parfaitement stable à 10 % comme quasiment le travail par atelier (de 8 à 9%) ; l'observation de l'un pendant que l'autre mène la séance, continue à être très minoritaire et baisse même encore (de 5 % à 4%).

Modalités 20142015
EE : Les deux maîtres enseignent en tandem avec toute la classe 0,1 0,1
E-O : L'un enseigne, l'autre observe 0,02 0,01
E-A : L'un enseigne, l'autre aide quelques élèves (dans le même local) 0,05 0,04
E:E : Les deux enseignent en parallèle à deux sous-groupes disjoints (dans le même local) 0,14 0,07
PPG : Plusieurs petits groupes (au moins trois) sont pris en charge par les deux enseignants dans le même local (soit successivement soit simultanément 0,08 0,09
AP : Aide ponctuelle ; les élèves travaillent individuellement de manière autonome, le M+ ou les deux enseignants viennent ponctuellement les aider (dans le même local) 0 0,07
E#E : Les deux maîtres enseignent en parallèle dans deux locaux séparés 0,49 0,45

Les champs disciplinaires enseignés restent stables, très majoritairement centrés sur la maîtrise de la langue et cette tendance s'affirme encore (de 78 % à 83%). Les mathématiques restent le « parent pauvre », même si l'on constate une augmentation (de 13 % 17 %), due à une accentuation des situations de résolution de problèmes (de 3 à 10%). Les équipes d'école orientent nettement leurs choix vers les apprentissages fondamentaux (la catégorie « autres » - autres que les maths, le français et HGSC - fléchit d'ailleurs de 7 à 3%).

Champs disciplinaires 20142015
Oral 0,08 0,08
Lecture 0,22 0,25
Compréhension 0,18 0,19
Langage 0,09 0,04
Ecriture 0,21 0,26
Résolution problème 0,03 0,1
Numération 0,02 0,06
Mathématiques (autres) 0,08 0,01
HGSC 0,01 0,02
Autres 0,07 0,03

Des items qui bougent

Une densification de l'action des M+ : le M+ travaille en moyenne avec moins de groupes différents (de 19,7 à 13,2) et réduit le nombre de ses collaborateurs (de 8,1 à 7,6).

20142015
Nombre de groupes 19,7 13,26
Nombre de séances 19,51 19,63
Nombre d'élèves 216 234
Nombre de collaborateurs 8,1 7,2

    Les groupes auxquels le M+ s'adresse sont plus majoritairement constitués sur un principe d'hétérogénéité (de 56 % à 73%). Le dispositif répondrait donc à des principes de prévention beaucoup plus que des principes de remédiation. Les propos de cette M +, en REP+, le disent « Je n'ai jamais pensé ce dispositif par rapport à la difficulté. Je ne suis pas enseignante spécialisée. Cela a été dès le départ une impulsion d'école » (L, 2016).

    Alors que les équipes mettent toujours en avant les difficultés et le manque de temps pour se concerter, le travail de préparation reste éminemment conjoint et se consolide même légèrement. 61 % des dyades engagent un temps de préparation conjoint « fort » et « très fort » (contre 56 % en 2014) ; les dyades qui disent ne pas préparer du tout en commun baissent de 16 à 12 %.

    La différenciation au sein des groupes est également plus affirmée. Ainsi, en 2014, les M+ affirmaient, pour 25 % du temps, ne pas proposer de différenciation, ce chiffre est quasi divisé en deux et ne représenterait plus que 14 % en 2015. Ce qui est privilégié reste la tâche identique avec aide (41 % contre 36 % en 2014).

    Les modifications de pratiques ne touchent donc ni les modalités ni les champs d'étude. Ces deux enquêtes attestent en revanche, sur une période d'un an, d'une densification du travail : le M+ a diminué son nombre de collaborateurs, s'adresse à un nombre moins important de groupes d'élèves, considérés dans leur hétérogénéité, mais avec une attention particulière à certains via la différenciation.

    III. C. 2. Analyse qualitative

    En complément de l’enquête quantitative pour laquelle les maîtres supplémentaires étaient questionnés par des formateurs, nous avons proposé cette fois aux équipes d'école de renseigner un tableau (annexe y) pour décrire et évaluer les actions qu’elles ont conduites avec le M+. Il ne s'agissait pas de lister l'ensemble des actions menées, mais d'en sélectionner certaines et d'indiquer :

    1. les situations d'apprentissage qui apportent une plus-value, en localisant les progrès et en indiquant des traces de ces réussites ;
    2. les facteurs de l'efficacité qui ont été repérés, du côté des organisations mais aussi d'autres critères ;
    3. les points de vigilance à prendre en compte.

    31 équipes d'école nous ont communiqué ces tableaux. Nous disposons ainsi de moyens pour affiner les tendances issues de l'enquête quantitative.

    Dans le domaine de la langue, sur 182 situations jugées efficaces par les 31 équipes, les ¾ des actions relèvent des domaines de la lecture-compréhension (Lect-Comp : 83 situations répertoriées sur 182 cités, c'est-à dire environ 30 % de l'ensemble des situations) et de la production d'écrits (Prod : 53 situations répertoriées sur 182 cités, c'est-à dire environ 45 % de l'ensemble des situations).

    Si l'on croise les situations d'apprentissage de ces deux domaines (Lect-Comp et Prod) avec les modalités d'organisation, nous obtenons des configurations différentes :

    • en lecture-compréhension, le M+ intervient 3 fois plus souvent en co-intervention (des objets différents dans des espaces séparés) qu'en co-enseignement (de mêmes objets d'apprentissage dans le même espace) ;
    • en production d'écrits, le M+ intervient autant en co-intervention qu'en co-enseignement.

    Les domaines d'apprentissages influent donc sur les modalités d'organisation choisies.

    En lecture compréhension : le fait d'intervenir 3 fois plus souvent « à part » laisse supposer que les M+ sont plutôt dans une posture de remédiation.

    En production d'écrit : les M+ effectuent plutôt un travail dans la classe, en partageant avec le MC les mêmes objets d'apprentissage, plutôt qu’un enseignement séparé sur d'autres objets. On peut penser que le M+ agit en prévention (et dans le temps didactique de la classe) comme en remédiation.

    PMQC44-FIG5PMQC44-FIG6

    Figure 5 : croisement champ d'enseignement dans le domaine de la langue et modalités d'organisation.

    Les enseignements en groupes différenciés en lecture compréhension sont nettement plus fréquents (33%) qu'en production d'écrits (9%). Deux tendances se dessinent donc assez nettement.

    En lecture compréhension, les équipes sont plus tentées par une remédiation (une dissociation d'objets d'apprentissage pour des élèves ciblés). Alors qu'en production d'écrit, les équipes sont plus tentées par un temps didactique commun où les deux (MC et M+) aident (28%) l'ensemble des élèves.

    Si nous délaissons maintenant les aspects quantitatifs de cette enquête qualitative pour explorer ce que disent précisément les équipes des situations affichés, plusieurs résultats nous intéressent.

    Tout d'abord, les équipes donnent priorité à des critères spécifiques des domaines d'apprentissages qui sont deux fois plus nombreux que les critères transversaux (comportements et attitudes). Ce fait est particulièrement à relever, dans la mesure où, lors du démarrage de la mise en œuvre du dispositif, ce sont les critères de confiance en soi, d'entrées dans le travail qui étaient apparents dans les discours des enseignants.

    En lecture-compréhension :

    Les enjeux d'apprentissage mis au jour sont explicites et diversifiés. Ils attestent chez les enseignants de connaissances sur les obstacles potentiels que peuvent rencontrer les élèves. Différents types de tâches sont ainsi esquissée : formuler, reformuler, résumer ; travail sur les informations explicites et implicites, les inférences ; répondre à des questions, créer des images pour la narration, faire des hypothèses. Les tableaux montrent aussi un alliage entre traces écrites (de plusieurs natures), traces orales nombreuses (répondre, raconter, argumenter, reformuler, justifier) et évaluations (de nombreux outils sont convoqués, élaborés par les équipes d'école ou par les circonscriptions, ou ce sont encore des outils que l'on trouve dans le commerce).

    En production d'écrits :

    Deux types de tâches sont évoqués : d'une part, l'automatisation de l'écriture de mots et l’écriture de phrases et, d'autre part, dans une proportion quasi égale, la création de textes cohérents. Peu de traces écrites spécifiques sont mises au jour (seul le cahier d'écrivain est plusieurs fois cité), peu de traces orales et peu d'outils d'évaluation.

    En lecture-compréhension, les enseignants seraient didactiquement plus outillés, les obstacles repérés plus fins. Ils mettent alors en place plus spontanément des groupes d'aide différenciés.

    En production d'écrits, l'approche est globale et concerne soit des tâches d'exercice, d'entraînement, soit des tâches de composition de textes. Les enseignants manifestement moins outillés demanderaient alors plus une aide en classe et un travail à deux dans la classe.

    Dans le domaine des mathématiques

    Rappelons d'emblée que le choix des équipes ne se porte que très minoritairement vers les mathématiques (17 % en 2015), essentiellement en résolution de problèmes (60%) puis dans des activités de numération et calcul (30%). Nous manipulons donc ces chiffres avec précaution dans la mesure où ils ne représentent que peu de situations de travail. 27 situations sont évoquées en résolution de problèmes et 10 en numération.

    PMQC44-FIG7PMQC44-FIG8

    Figure 6 : croisement champs d'enseignement en mathématiques et modalités d'organisation.

    Numération et calcul (connaissance du nombre)

    Les critères spécifiques sont peu nombreux, ils concernent la manipulation, le travail sur les stratégies. Les équipes restent au niveau de contenus très généraux : apprentissage des nombres, acquisition des nombres de 0 à 100, meilleure connaissance des nombres et du calcul . Des critères transversaux sont évoqués comme la prise de conscience, l'entraide, des élèves qui progressent à leur rythme.

    Résolution de problèmes

    27 situations apparaissent dans les tableaux, les critères spécifiques (sur les apprentissage mathématiques) sont à peine plus élevés que les aspects transversaux (faire des essais, investissement de l'élève, mise au travail, motivation, autonomie).

    En résumé :

    • une ingénierie de formation qui responsabilise chaque acteur selon ses compétences ;
    • une question de contenus d'apprentissage qui prime sur les organisations retenues ;
    • des besoins didactiques qui s'expriment, leviers d'actualisation de connaissances ;
    • une très nette prédominance du français sur les mathématiques.

    Conclusion

    Ces trois années de travail collaboratif ont permis à une équipe départementale solidaire de se dessiner et de se stabiliser. La véritable force de ce collectif a consisté à ne pas seulement dresser des constats, mais à construire des problèmes pour ensuite tenter de les résoudre. Tous les acteurs s'accordent à dire que le temps long de réflexion et d'action a fédéré le groupe autour de références partagées, faisant accéder chacun à un parler professionnel commun, à partir des vidéos comme support et des concepts comme appuis : connexion / déconnexion des temps didactiques, « objets migrants » sont des notions et concepts dont se sont saisis les divers protagonistes. La mise au travail de tous a opéré un net glissement des formes d'organisation vers les contenus, mais aussi des besoins des élèves vers les obstacles inhérents aux apprentissages. Les réponses en termes d'aide ne seraient en effet pas à trouver du côté de l’individualisation, mais plutôt de la prise en compte des obstacles didactiques, inhérents à toute situation d’enseignement.

    Cette combinaison « pratiques de classes/formation/recherche », dans la logique de cascade que nous avons produite, nous semble tout fait transférable à d'autres préoccupations vives de l'école. Pour autant, si l'on veut qu'il y ait évolution des pratiques, il est indispensable de penser ces manières de faire dans la durée.

    Bibliographie