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Mettre en place une formation en éducation prioritaire (chronique d’une collaboration intermétier qui s’invente)

Par Patrick Picard publié 26/11/2016 23:10, Dernière modification 17/01/2017 13:52
Le Centre Alain-Savary explore les conditions réelles de mise en oeuvre du pilotage pédagogique dans les réseaux. Exploration au coeur de la vraie vie d'un réseau, et tentative de dégager avec les acteurs eux-mêmes des variables de l'efficacité.

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Le REP+ Louise Michel [1] a vécu l’an passé son année 1 de la mise en place de la Refondation de l’Education Prioritaire. Le Centre Alain-Savary a accompagné l’équipe pour observer l’impact de la réforme sur l‘organisation du travail des différents acteurs (inspecteur de l’Éducation nationale – IEN –, principal, inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional – IA-IPR – référent, coordonnateur, conseiller pédagogique, directeurs). Un des objets essentiels de l’année scolaire a été la mise en place de formations. Le référentiel de l'éducation prioritaire précise en effet qu'« au moins une action de formation est mise en œuvre chaque année pour le réseau » mais cette prescription ne dit rien de sa nature ni de celles des interactions entre les différents espaces, degrés et acteurs de la formation.

Une division du travail à reconsidérer

Les membres de l’équipe de pilotage du REP+ Louise-Michel se sont d'abord mobilisés autour de formations premier degré organisées dans le cadre du temps dégagé pour le travail collectif et la formation.

Le travail de conception de la formation a été partagé : charge a été donnée au coordonnateur de réseau de définir les besoins de formation avec les équipes, charge au formateur éducation prioritaire de concevoir la formation qui allait avec.

Mais au fil des semaines, le découpage qui s'est mis en place n’a pas satisfait les protagonistes :

  • le coordonnateur se retrouvait à être celui qui remplit des fiches de demande de formation et le tableau des remplaçants,
  • le formateur devait traduire une fiche sans connaître le réel des pratiques dans les classes
  • le conseiller pédagogique qui travaillait au quotidien avec les équipes n’était pas intégré aux formations du réseau.

Au fil du temps, et pour tenter de répondre à leurs insatisfactions professionnelles, ils ont donc inventé un collectif de formation réunissant coordonnateur, formateur EP (éducation prioritaire) et conseiller pédagogique pour ensemble travailler à la conception de la formation. La mise en œuvre est cependant restée à la charge du seul formateur EP. Ce collectif a progressivement gagné en confiance pour mieux faire coller ce qu’on leur demandait de faire avec les attentes du terrain.

 Mieux concevoir pour mieux agir

Autre nouveauté de l’année, une formation interdegrés a été organisée en mars autour de la question de laïcité. Cette thématique émanait du terrain et l’équipe de pilotage l’avait inscrite dans le diagnostic du réseau. La mise en œuvre a été assurée par des formateurs académiques. Or, de l'avis de tous, la formation s'est mal passée. Les enseignants sont repartis mécontents, les formateurs ont été malmenés et l'équipe de pilotage a le sentiment d'être passée à côté du sujet.

L’accompagnement du centre Alain-Savary va nourrir à posteriori une discussion avec les différents membres de l’équipe de pilotage et permettre de pointer des éléments permettant d'expliquer ce ratage.

En premier lieu, la définition des objectifs de formation pose question. Derrière la question de la « laïcité » se cachent des préoccupations différentes selon les acteurs : « comment faire vivre la charte de la laïcité dans mon établissement » pour le principal du collège, « comment faire en sorte que des éléments issus d'une pratique religieuse ne s'invitent pas dans la cour de récréation » pour les enseignants du primaire ou « comment faire en sorte que mon cours ne soit pas inaudible pour certains des élèves du fait de leur croyance religieuse » pour des professeurs de collège... Autant de questions légitimes qui demandent à être traduites en objectifs de formation, ce que l’urgence de la mise en œuvre n’a pas forcément permis.

La question du collectif chargé de la conception et de la mise en œuvre devient essentielle aux yeux des acteurs : on comprend mieux pourquoi confier la formation à des formateurs académiques envisagés comme des prestataires de service s'est avéré une impasse. La réaction première a pu être de mettre en cause leur professionnalisme, mais on convient que l'équipe de pilotage leur a donné une mission impossible : sans co-conception de « ce qu'il y a à faire » à partir d'une analyse partagée de la nature des difficultés rencontrées par les enseignants et les élèves, le risque est toujours grand de prescrire une solution qui ne s'attaque pas au problème réel.

 Organiser l’intermétier

Les discussions avec l’équipe de pilotage ont amené le Centre Alain-Savary à définir quelques passages obligés de la conception de ces formations. Si on part de l'idée que le travail intermétier est un ingrédient de la cohérence et de la qualité, chacun y a une place incontournable. Il va permettre de préciser ensemble « ce qu’il y a à faire » (de l’analyse des problèmes à la mise en œuvre de la formation). En effet, ces exemples montrent que ce ne peut être exclusivement l’affaire d’un seul métier, chacun ayant un « point de vue » spécifique sur la situation.

Des variables à considérer pour renforcer la qualité du travail ?

Créer un collectif de formateur

Nous avons tenté de schématiser l'agencement des métiers (schéma ci-dessous) dans un réseau et notamment ceux, en rouge, qui s'occupent de formation.

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Principal, IEN, IA-IPR référent, coordonnateur, conseiller pédagogique, formateurs REP+, formateurs 2d degré, IA-IPR... la liste des acteurs susceptibles d'intervenir en formation à quelques niveaux que ce soit est longue. Mais encore faut-il le décider pour créer un collectif en capacité de concevoir, mettre en œuvre et accompagner les équipes sur le terrain.

Définir qui fait quoi 

Il est nécessaire de réfléchir au sein des équipes de pilotage au « qui fait quoi ? » dans le cadre de la formation. « Qui » étant entendu comme un collectif intermétier :

  • Qui fait la remontée des besoins au plus près des pratiques réelles ?
  • Qui définit les objectifs de formation ?
  • Qui conçoit la formation ?
  • Qui organise la formation ?
  • Quel espace de travail pour les formateurs ?

 Penser l’articulation des formations

Les formations mises en place dans le cadre de la réforme de l’éducation prioritaire s’insère dans un réseau de formation.

  • Quel type de formation concerne les équipes de réseau ? Est-ce la formation REP+ interdegrés et/ou des formations 1er et 2d degrés ?
  • Sur quels temps se met-elle en place et avec quels moyens de remplacement ?
  • Quels contenus lui donne-t-on ? Qu'est-ce qui relève d'une formation interdegrés et/ou d'une formation 1er et 2d degrés ?
  • Qui définit les contenus de formation ? Quelle articulation trouve-t-on entre les demandes prescriptives et les besoins remontés des écoles et des collèges ?
  • Quelle cohérence construit-on entre les différentes formations ? Quel est le lien entre la formation du réseau et les plans de formation de circonscription, départemental et académique ?

Il reste à inventer les espaces et les collectifs susceptibles d'aborder ces questions et à développer des relations horizontales « intermétiers » qui permettent à chaucn, quelle que soit sa place dans la hiérarchie, de s’approprier (traduire, co-construire, faire sien…) l’objet commun de travail.

Préciser les contours des « fonctions floues »

Pour le centre Alain-Savary, il est aussi nécessaire d’accompagner les fonctions ou missions particulières qui sont en jeu dans la formation. Pour un coordonnateur de réseau, un formateur EP ou un formateur académique, construire l’ingénierie de formation peut apparaître à la périphérie de son métier d'origine, celui pour lequel il a été formé. Elle peut aussi être vécue comme une compétence hors de portée, d'autant que cette mission ne correspond souvent qu'à une part limitée de son activité. Le positionnement de ces professionnels reste donc instable dans les organigrammes, selon les contextes et les histoires locales. Ils doivent pourtant collaborer avec les pilotes suivant des cadres de travail établis et aussi se construire une légitimité dans les deux degrés et donc au-delà de leur degré d'origine.

Cependant, ces personnels « intermédiaires » disposent encore rarement d’espaces de travail et de formation communs [2] pour construire, dans leurs fonctions, des compétences qui débordent de celles de leur métier d'origine (professeurs des écoles, conseiller principal d’éducation, professeurs des lycées et collèges). Il faut aussi inventer des espaces au sein desquels coordonnateurs, formateurs REP+, formateurs académiques peuvent comprendre et confronter les dilemmes propres à leurs fonctions, les problèmes de travail qui y sont liés et peuvent aussi construire de nouvelles normes [3] et des règles de métiers.

Conclusion

Au-delà de l’exemple de la formation, les écoles et établissements des réseaux de l’éducation prioritaire voient se créer et évoluer des métiers et des missions qui réinterrogent les formes de travail. Le référentiel de l'éducation prioritaire donne une place importante au travail collectif de l'équipe éducative. La mise en œuvre du dispositif « Plus de maîtres que de classes » (PMQC), du conseil école collège, des nouveaux programmes par cycle et les formations sur site donnent à cette prescription une réalité concrète mais se heurtent à des difficultés de travail multiples. Ces difficultés sont souvent interprétées à l'aune des personnalités et du contexte. Or, souvent elles sont d'abord des effets de structures en mouvement qui redéfinissent les places et les missions de chacun sans entrer dans le réel du travail à faire. Une collaboration intermétier bien construite entre ces différents professionnels doit au contraire permettre à chacun de s’appuyer sur son métier ou sa fonction, de le questionner pour faire ce qu’il n’était pas possible de faire jusque-là et de favoriser la réussite scolaire des élèves.

Cet article a été publié dans la revue Diversité (nov. 2016)

Pour aller plus loin...



[1] Le nom a été modifié.

[2] A noter que dans notre expérience, de plus en plus de départements et d’académie mettent en place de nouveaux espaces pour y travailler.

[3] En ergonomie une « norme » professionnelle peut être considérée comme ce qu’on considère bon dans son travail, ce qu’on a à faire pour faire du bon travail.