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La parentalité à travers le partenariat familles populaires et école

Par stefani — publié 04/09/2012 10:05, Dernière modification 14/04/2016 12:05
séance 1 du séminaire (11/05/2010) Problématique : Quel partenariat instaurer pour sensibiliser les familles à la réussite scolaire et éducative des enfants ? Les mêmes logiques de partenariat ne peuvent-elles pas s’appliquer aux relations entre professionnels de l’action éducative ? Intervention de Pierre Périer

L'intervention de Pierre Périer

Le regard  du chercheur, Pierre Périer, sociologue, professeur en sciences de l’éducation, université Rennes 2

 

Les relations entre les familles (populaires) et l’école : histoire, changements et formes actuelles

Relation ancienne mais préoccupation récente : les parents étaient cantonnés jusque dans les années 50 en dehors de l’école. Puis rapprochement nécessaire depuis les années 80 où l’on souhaite associer les parents dans un modèle de coéducation mais qui demeure problématique dans les quartiers populaires. On passe des parents administrés, aux parents représentés depuis les années 50 (associations de parents d’élèves) mais déclin depuis le début des années 80, puis aux parents usagers, stratèges ou… captifs (consumérisme des uns et cantonnement des autres dans les écoles des quartiers populaires)

Le poids déterminant de l’école : un mode de reproduction et de socialisation à dominante scolaire : 

 

    • Capital scolaire dominant -> pouvoir accru de l’école 
    • Socialisation de la jeunesse sous une forme scolaire (« pédagogisation » des pratiques éducatives) : la durée de scolarisation a cru plus rapidement dans les milieux populaires que dans les milieux aisés, mais les valeurs éducatives des enseignants et celles des familles populaires sont divergentes ou du moins déphasé (d’où une tension) 
    • Destin des individus et de la lignée familiale lié à l’école (d’où une pression familiale sur l’ainé pour la réussite scolaire) 
    • Conséquences d’un défaut de scolarisation plus lourde qu’il y a 30 ans : accès à l’emploi, image de soi, identité individuelle et familiale… 
    • Poids d’une idéologie méritocratique des chances (moins de « consolations symboliques ») : comment résister au jugement scolaire quand on est en échec, quelle stratégie des élèves pour reconquérir une dignité malgré la dévalorisation scolaire.

Années 1980 : interdépendance accrue entre l’école et son environnement, entre école et familles

    • Contexte de territorialisation (ZEP), de libéralisation de l’offre scolaire, de ségrégations croissantes (concentration locales des difficultés et inégalités), de disparités accentuées entre établissements : ghettoïsation des établissements renforcée encore par l’assouplissement récent de la carte scolaire 
    • Ecole confrontée à l’hétérogénéité des publics, à l’enjeu de réussite, à l’extension et la diversification de ses missions : coopération des parents jugée de plus en plus nécessaire… 
    • Nouvel enjeu de division du travail éducatif et scolaire entre les familles et l’école (rôles et responsabilités à définir et à partager) Le rapport des familles populaires à l’école (attentes, formes d’investissement,…)

Les familles populaires ont cru que le salut passait par l’école (qui tourne parfois au mirage…) mais cette croyance est en train de tourner au désenchantement. 

    • Espérances nouvelles des familles populaires dans l’école : un niveau d’ambition qui s’élève (durée des études, métiers et statuts visés ; une montée de la préoccupation et de l’investissement scolaires des familles

Mais… 

    • Méconnaissance du système éducatif par les familles populaires (et immigrées) : risque de décalage entre représentation des possibles et scolarité réelle (et accès à l’emploi) 
    • Manque de compétence et difficulté à se positionner

Nouvelle division du travail de scolarisation entre les familles et l’école 

    • Difficile accord sur le partage des rôles et responsabilités : mode de socialisation, normes et valeurs éducatives pas toujours compatibles 
    • Des parents symboliquement disqualifiés : sur le plan scolaire, difficulté ou incapacité à aider l’enfant dans ses devoirs (« décrochage scolaire » parental), à suivre et comprendre sa scolarité, à préparer son avenir ; sur le plan identitaire, des parents qui ne sont plus des figures d’identification positive, rupture intergénérationnelle et processus d’autonomisation scolaire et sociale précoce des adolescents 
    • Des cultures éloignées : difficulté pour l’école de comprendre et d’intégrer les élments d’une culture populaire (étrangère) ; difficulté pour les familles populaires (étrangères) de comprendre les attentes de l’école et de s’y conformer

Réponse de l’institution : le développement de partenariats pour prévenir, réguler, réparer ; logique de renforcement des liens avec les parents

La « nécessité » du partenariat : nouvelle norme de régulation des scolarités

    • Fonction de prévention, de régulation ou de réparation des scolarités (jugée plus nécessaire en ZEP) 
    • Les parents : alliés, recours ou « auxiliaires » pour les enseignants et acteur de l’école ? (apprentissages, comportement, orientation…) L’école désigne les « familles » mais attend les « parents » 
    • Nouvelles compétences à acquérir pour les enseignants (coopérer avec les parents et partenaires de l’école) mais aussi pour les parents (ils doivent pouvoir transformer les enfants en élèves et passer de parents à parents d’élève)

Sens positif du partenariat : échange, égalité, consensus… Mais paradoxe du partenariat : il se développe là où il est le moins nécessaire et lacunaire là où il serait indispensable

Quel partenariat ? Quels effets ? Comment peut-on être partenaire ?

Implicites, impasses et effets du partenariat

Conditions et implicites du partenariat :

    • Partenariat : définition conjointe par les partenaires des objectifs et des moyens à mettre en œuvre pour les atteindre 
    • Implique des conditions, dispositions, ressources inégalement partagées :
      • Mode d’emploi : quand ? quelle fréquence ? Avec qui ? A propos de quoi ?
      • Modalités pratiques : horaires, RDV
      • Maîtrise de la langue, selon des formes d’échanges attendues
      • Connaissance du fonctionnement de l’école, identification des acteurs
      • Capacité à échanger avec des arguments acceptables
    • Un partenariat qui fonctionne dans un rapport dissymétrique (du point de vue culturel et de celui du pouvoir)

Le partenariat s’adresse-t-il à un parent idéal ?

Le différend avec les familles populaires

Au-delà de malentendus de communication, la non-rencontre dans un rapport d’interdépendance féconde le différend (difficulté ou absence d’accord sur les rôles réciproques et les règles permettant d’échanger ou de résoudre le conflit) : silence ou distance = absence coupable des parents.

Différend (principe d’accord introuvable) amplifié par les attentes réciproques et confrontation problématique face à l’enjeu scolaire : sur le plan scolaire, les principes de jugement de l’école apparaissent légitimes ; sur le plan du comportement, les principes de jugement de l’école risquent d’être injustes en raison d’effets de disqualification des parents alors que sur le comportement les compétences famille-école devrait être à égalité Or : 

    • Défaut de partenariat ne veut pas dire défaut d’investissement de l’école
    • Distinguer intérêt scolaire et ses modalités d’implication
    • Différend révélé et amplifié par l’enjeu du partenariat et de la scolarité
      • Hétérogénéité des références éducatives, culturelles, rapport au savoir (désintéressé pour les professeurs et pragmatique pour les familles populaires)
      • Non accord sur les rôles réciproques, sur les règles permettant de s’expliquer et de trancher un conflit
      • Les principes de jugement ne sont pas les mêmes (monde domestique/scolaire)

Quels effets du partenariat ? 
Des effets scolaires incertains :

    • Enjeu à établir un lien entre l’école et l’espace domestique
    • Produire une image de parent impliqué :
      • Donner sens et cohérence à la scolarité
      • Changer les perceptions, préjugés réciproques
      • Légitimation de l’école par les parents/ des parents par l’école
    • Des effets pervers ?
      • Peu explicité : risque de connivence culturelle avec les parents les plus avertis
      • Le partenariat s’impose comme norme de relations et fabrique la figure du parent absent
      • Inégalités des familles face à l’offre de partenariat
      • Sentiment d’injustice chez les plus dominés et démunis
    • A qui profite le partenariat ?

Les logiques des familles à distance de l’école

La logique de la confiance… 

    • Adhésion aux valeurs de l’école républicaine
      • Egalité des individus (droits) et des chances (scolaires)
      • Croyance en une égalité par les institutions
    • Confiance vis-à-vis des enseignants et de l’école
      • Jugés légitimes et compétents
      • Protéger l’école et les enseignants des influences extérieures

… virant à la défiance 

    • Attente d’être informés par l’école
      • Difficulté d’appréciation des enjeux et des situations
      • La norme : ne pas intervenir (sauf cas de problème « majeur »)
      • Attente de contact ou d’information par l’école
    • De la confiance à la méfiance voire à la défiance
      • Si annonce tardive d’un problème, de décision irréversible
      • Si « atteinte » à l’enfant (donc aux parents)
      • Sentiment de « trahison » des parents qui peuvent se sentir méprisés

La logique critique 

    • Elitisme des enseignants
  • A travers les savoirs enseignés
  • A travers la somme des devoirs à la maison
  • A travers des attitudes en classe/ élèves en difficulté (profs « démissionnaires »)
    • Manque d’autorité (affecte ambiance et sur le travail)
      • Style trop proche, trop familier et indulgent avec les élèves
      • Modèle de communication/compréhension différent de l’autorité, la sanction
      • Perturbation = diminution du temps d’apprentissage
    • Traitement « discriminatoire » (social, ethnique)
      • Inégalités de considération, d’encouragement, d’évaluation/sanction selon l’origine des élèves (ségrégation ethnique, « racisme » des enseignants)
      • Surdétermination des jugements et classements scolaires

La logique de défense identitaire 

    • Le retrait : se protéger des jugements de l’école (tactique « défensive »)
      • Défection par crainte de ne pas être écouté, légitimé, considéré
    • Jugement sur l’élève = jugement sur la personne = jugement sur les qualités éducatives parentales
      • Effets personnels : passé scolaire d’échec réactivé à travers l’enfant
      • Effet identitaire : atteintes aux qualités éducatives, prérogatives et responsabilités de parents
      • Effets familiaux : protéger la famille, le lien, la cohésion familiales
  • La solidarité familiale contre les effets de l’individualisation scolaire négative (stratégie de « survie » familiale 
  • Le retrait : forme de résistance pour garder la face, préserver sa dignité face à l’école

Principes pour une coopération équitable

Explicitation : 

  • Comme condition de la « démocratisation » : dire ce que l’école fait et attend des parents (expliciter le « mode d’emploi » du partenariat) préjugés capables (principe éthique d’égale dignité des parents face aux enjeux éducatifs et scolaire des enfants)

Diversification 

  • Des actions et modalités car diversité des familles et des contextes 
  • Développer une offre qui travaille sur les différences qui ne sont pas constitués en handicap (risque du principe de réparation qui stigmatise les populations qui en bénéficient : problème des ZEP !) 
  • Mais principe de différence (J. Rawls)qui ne doit pas aggraver le sort des plus défavorisés

Anticipation 

  • L’initiative revient à l’école qui peut intervenir en amont (faire avec les parents et non plus agir sur ou faire à la place) Médiations et intermédiations 
  • Un tiers pour aider à surmonter la confrontation inégale ou impossible 
  • Insérer les familles dans un réseau : désindividualiser le rapport à l’école pour construire et agir collectivement 
  • Faciliter la mise en réseau des différents acteurs : accompagnement scolaire, associations de quartier… 
  • Externaliser les espaces de rencontre

 

Traces des débats : questionnements et réponses

Question 1

Quelles logiques le partenariat entre les professionnels peut-il prendre en compte pour associer davantage les familles à la réussite de leurs enfants ? 

Eléments de réponse :

La demande de participation et de partenariat avec les familles et entre les professionnels est d’autant plus forte que les difficultés rencontrées sur les différents territoires d’intervention sont importantes. Parallèlement, les intervenants sont nombreux et la communication s’avère difficile : on ne se connait pas forcément, « on se parle, mais comprend-on vraiment ce que l’autre a à dire » ?

Les principes proposés par Pierre Périer pour un partenariat plus équitable avec les parents peuvent être transférés et adaptés au partenariat entre les professionnels de l’action éducative.

1. Expliciter :

      • Apprendre à se connaître, à échanger. Cela prend du temps
      • Il vaut mieux redire que ne pas dire
      • Plutôt que de travailler sur la notion de partenariat, engager des actions et en aviser les partenaires
      • Définir des principes simples, un cadre clair
      • Faire respecter quelques règles de fonctionnement pour faciliter les accords

2.  Diversifier :

      • Accepter qu’un partenariat puisse être plus ou moins abouti
      • S’appuyer sur tous les éléments positifs
      • Assumer la dimension asymétrique des rapports entre l’école et les familles
      • Ne pas inscrire le partenariat dans un cadre trop rigide
      • Utiliser les ressources de chacun des partenaires
      • Reconnaître l’importance des petites actions partenariales ponctuelles

3. Anticiper :

      • Autoriser l’implication des partenaires dans les projets
      • Inscrire chaque partenaire dans les projets dès la définition des objectifs
      • Former à la sociologie les enseignants et les partenaires éducatifs
      • Respecter chacun, faire confiance

4. Multiplier les médiations

      • Reconnaître le PRE comme un espace de médiation, de traduction, d’intermédiation
      • Replacer le rôle de chacun dans sa fonction et reconnaître celui de l’assistante sociale scolaire comme une des interfaces privilégiées entre « le dedans et le dehors » de l’école
      • Provoquer des rencontres entre partenaires dans un centre social ou une structure hors de l’école. 

Question 2

Elle a été problématisée à partir de l’exposé d’une situation proposée par une coordonnatrice de PRE :

A la demande de la mère, un collège adresse une inscription au PRE pour que l’on soutienne scolairement un élève de sixième qui « ne fait plus rien à l’école ». La mère décrit une situation conjugale dégradée et un enfant qui a complètement décroché et qui inquiète toute la famille.

Sont contactés : le principal du collège, la conseillère d’orientation psychologue, l’assistante sociale, le professeur principal, la conseillère d’éducation, l’école élémentaire et le psychologue du centre médico-psychologique (CMP). Chacun détient une part de vérité mais personne n’a de vue globale car la mère organise un clivage dans les informations livrées aux uns et aux autres.

La commission de suivi du PRE préconise, dans un premier temps, une aide éducative plutôt que scolaire : assistance éducative acceptée, prise en charge par le psychologue du CMP acceptée, aide personnalisée au collège, dossier MDPH (Maison du Département des Personnes Handicapées) et demande au service d’éducation spécialisée et de soins à domicile, souhait exprimé par la mère de suivre une thérapie familiale.

Questions posées :
  • Comment intervenir sur l’enfant et faire bouger la famille, source de
  • déséquilibre ? Jusqu’où aller dans l’intrusion dans la sphère privée ?
  • Comment agir sans prendre la place des parents ?
  • Comment travailler en partenariat (refus de l’AS du collège de parler de la situation au nom du secret professionnel) ?

Eléments de réponse:

Dans un premier temps, on peut essayer de mieux comprendre l’attitude de la mère au regard de l’attitude des familles populaires souvent peu aculturées familiarisées avec la culture du monde scolaire. Le rapport de ces familles à l’école est un rapport de dépendance voire de soumission face au poids déterminant de l’école sur les destins individuels des enfants et donc sur la lignée familiale. Comment faire quand on ne « porte » pas le même langage ni parfois les mêmes valeurs ? La distance école-famille se creuse tout particulièrement dans le passage CM2-6°, à un moment où les enfants sont rapidement responsabilisés : un processus d’autonomisation scolaire et sociale se met en marche qui peut disqualifier les parents. Organiser un clivage des informations peut être un moyen, pour la mère, d’exercer sa responsabilité parentale en disant ce qu’elle veut à qui elle veut et ainsi de se requalifier socialement.

Alors comment agir ? Quelques pistes…

  • Expliciter ce que font le collège et le PRE pour se repérer plus facilement dans l’accumulation des dispositifs proposés ; dire clairement à la famille ce que l’on attend d’elle également.
  • Anticiper le projet sur une année en associant la famille dès sa conception et en l’autorisant à intervenir.
  • Multiplier les médiations : les acteurs du PRE ont tous une légitimité pour intervenir dans le rapport aux familles, tout comme l’assistante sociale du collège. Le secret professionnel n’est-il pas « un secret de Polichinelle » ?
  • Peut-être conviendrait-il cependant de s’entendre pour simplifier les prises en charge proposées. 

Pour aller plus loin :