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Le décrochage scolaire vu par des enseignants de lycée

Par sdametto — publié 10/05/2017 11:28, Dernière modification 10/05/2017 11:28
Ils sont enseignants en lycée général et technologique, professeurs en sciences et technologies du management et de la gestion (STMG). Ils ont échangé sur un blog à propos de leur expérience professionnelle et personnelle du décrochage scolaire et ont demandé au centre Alain-Savary de réagir à partir de leurs témoignages.

Témoignage 1

Je vais prendre ma casquette de parent... Je suis confronté au début du décrochage d'une amie de mon fils et elle n'est qu'au CE2... Elle a un tempérament de rêveuse et l'enseignant n'arrive pas à la mettre au travail... Sa méthode : lui mettre des croix rouges, la punir et lui faire faire chez elle ce qu'elle n'a pas fait en classe pendant qu'elle rêvait. Aujourd'hui la petite pleure tous les matins car elle ne veut plus aller à l'école. Je crois que le décrochage commence là. Mon fils aussi est un rêveur et dès la grande section nous avons frôlé le même scénario avec une collection de points rouges. Quand il a commencé à ne plus vouloir aller à l'école j'ai discuté avec l'enseignant et il s'est rendu compte que le petit ne comprenait pas les règles. Les deux ont fait un effort et tout est rentré dans l'ordre.
Tout ça pour dire que tout le monde doit faire des efforts. Le jeune doit accepter les règles. L'enseignant doit adapter son enseignement et accepter que tous les élèves sont différents... et ça depuis la maternelle.décrochage nuage de mots

Témoignage 2

J'ai été longtemps enseignante en filière STMG où les jeunes arrivent parfois par dépit faute d'orientation dans les filières générales et sans réelle motivation pour la filière tertiaire. Certains ne connaissent pas nos enseignants et n'ont pas défini de projet professionnel. Ainsi pour éviter le décrochage de ces jeunes, la construction du projet professionnel et la projection sont indispensables. C'est pourquoi j'ai testé l'expérience de la mini-entreprise (encadrée par Entreprendre Pour Apprendre) qui est un moyen de découvrir les différents métiers de notre section. J'ai eu de nombreux jeunes qui se sont découverts et qui ont pu construire des projets réalistes pour leur poursuite d'études. 
Je pense donc qu'en dehors des difficultés familiales ou financières, la construction du projet professionnel du jeune dans une section qu'il n'avait pas choisi au départ est vraiment un élément de lutte contre le décrochage scolaire.

Témoignage 3

J'enseigne depuis de nombreuses années en filière STMG et partage l'avis de notre collègue. Les décrocheurs sont souvent des élèves qui sont dans la section par défaut sans avoir travaillé leur orientation. Soyons clairs, dans les conseils de classe de seconde du troisième trimestre, les élèves aux "profils difficiles" que ce soit en termes de niveau et/ou de comportement sont quasi systématiquement orientés en filière STMG. Leurs difficultés d'apprentissage qui datent bien souvent du collège n'ont pas été prises en compte. Ces élèves peu motivés se retrouvent dans des classes surchargées (35 voire 36 élèves en 1ère STMG) et l'enseignant a bien du mal à prendre en compte leurs difficultés et à faire de la pédagogie différenciée.

Témoignage 4

Je trouve que la citation de Sénèque convient vraiment :

"Il n'est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va"

Il est difficile de travailler, de s'astreindre au respect d'horaires quand on ne sait pas pourquoi on le fait. Nous nous sentons souvent démunis face à ces élèves car le cheminement est long pour les aider à se reconstruire un avenir. Ce cheminement est parfois rendu plus rude quand le milieu familial n'apporte pas le soutien que nous souhaiterions ou qu'il est lui même en perdition. Nous avons besoin d'établir une relation de confiance avec ces élèves puis de les guider dans la construction de leur projet. Mais pour cela, il faut du temps et de la disponibilité

Témoignage 5

Concernant les constats en STMG je pense qu'il y a une surreprésentation d'élèves qui sont proches du décrochage : absences perlées, passivité dans les cours qui s'amorcent en amont par l'absence de préparation de son cartable donc qui se traduit par l'absence de livres, de cahiers et de stylos. 
Ce problème est récurrent malgré les remarques orales, sur le carnet de liaison et les punitions.
Ainsi il y a un manque évident de motivation, d'appétence pour les disciplines.

Témoignage 6

Nous sommes sans doute nombreux à avoir vécu des expériences de décrochage parmi nos élèves. Nous avons réussi à en "rattraper" quelques uns grâce au dialogue avec l'élève et entre les membres de l'équipe pédagogique, avec les parents et à la mise en place d'une pédagogie spécifique adaptée aux besoins de l'élève. Pour d'autres nous n'avons malheureusement rien pu (su) faire. Pour alimenter la réflexion, voici deux textes qui m'ont inspiré et permis de prendre un peu de hauteur sur ce sujet tellement complexe :
 ABSENTÉISME, DÉSCOLARISATION, DÉCROCHAGE SCOLAIRE, LES APPORTS DES RECHERCHES RÉCENTES de Maryse Esterle-Hedibel
LE DÉCROCHAGE SCOLAIRE : une question sociale et institutionnelle de Dominique Glasman

Synthèse des échanges

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Soutenir le travail des enseignants 00:00:00
Malentendus entre normes éducatives et normes scolaires 00:01:17
Malentendus sociocognitifs 00:03:53
Différenciations différenciatrices 00:06:38
Évaluations aux effets délétères 00:13:01
Travailler collectivement à l'accrochage des élèves 00:16:17

Vidéo de 23min41

Si on regarde comme un inventaire à la Prévert les mots ou expressions qui sont en gras dans les témoignages, ils révèlent toute la complexité de ces questions de décrochage scolaire, et montrent qu'il concerne l’institution dans son ensemble et ses agents à tous les niveaux, puisque les difficultés s’ancrent dès la maternelle et relèvent à la fois des questions de pilotage, de formation et d’enseignement/apprentissage.

Le décrochage scolaire est l’aboutissement d’un processus multifactoriel, non linéaire, non prédictible, complexe, qui concerne majoritairement les enfants issus de familles de milieux populaires. Si l’École ne porte pas l'entière responsabilité des situations de décrochage des jeunes, elle a néanmoins des marges pour agir, à différents niveaux. Les recherches en éducation et les savoirs de métier des enseignants et autres professionnels de l'éducation chevronnés mettent au jour des processus précoces de construction des inégalités scolaires qui constituent souvent des points aveugles pour les enseignants et proposent des pistes pour agir.
L’école est normative dans ses fonctionnements ordinaires et dans son approche des savoirs. Lorsque les psychologues et les sociologues comparent les normes familiales aux normes scolaires, ils constatent que certains enfants, particulièrement les enfants d’enseignants, reçoivent « la panoplie de bon élève » Philippe Meirieu, Le plaisir d'apprendre, Paris, 2014 au berceau, tandis que pour d’autres familles dont les normes familiales sont plus éloignées de celles de l’école, les réquisits scolaires implicites sont opaques et génèrent une forte dépendance de l’élève à l’action du maitre.
Ainsi, dès la maternelle, se développent, à l’insu des enseignants, souvent par souci de bienveillance, des situations de malentendus sociocognitifs entre les élèves et les enseignants, et des pratiques différenciatrices qui consistent, en voulant protéger les enfants présupposés les plus fragiles, à ne pas les exposer de la même façon que les autres aux situations d’apprentissages. Ces processus de construction des inégalités scolaires engendrent de la difficulté scolaire et des ressentis d’injustice de la part des élèves et de leurs familles.
De leur côté, les enseignants se trouvent confrontés à des difficultés professionnelles majeures : faire classe, coûte que coûte, en régulant en permanence leur activité et celle des élèves. Ils planifient, organisent, adaptent, différencient le travail du groupe classe, avec plus ou moins d'efficacité. Cela les amènent souvent à avoir une grande exigence de conformité des attitudes et une moindre exigence par rapport aux savoirs scolaires, envers les élèves les plus en difficulté et à l'inverse, une exigence forte concernant l'activité cognitive avec un moindre cadrage des attitudes comportementales pour les élèves les plus en réussite. Sur le long terme ces situations donnent lieu à de la perturbation scolaire, du décrochage cognitif, de l’absentéisme, des orientations subies vers des filières perçues comme des filières de relégation, ségréguées.

Anne Armand Inspectrice Générale de lettres, co-auteure du rapport Agir contre le décrochage : Alliance éducative et approche pédagogique repensée, juin 2013 reprend le travail de Valérie Meulin Maitresse de conférence à l'université Lille 3 quand elle explique que le décrochage lorsqu’il est avéré, est la résultante de quatre déliaisons :

  • Déliaison avec l’Institution

Le décrochage peut commencer dès le début de la scolarité primaire voire maternelle. Quand l’enseignant s’adresse à la classe en disant « Aujourd’hui on va faire quelque chose de passionnant ». L’élève qui n’est pas passionné par la séance pense que l’école ne s’adresse pas à lui.

  • Déliaison avec l’adulte

Quand l’élève pense ou dit « le prof, il ne peut pas me voir ».
Le personnel médical reçoit parfois ces paroles. Il peut alors alerter sur la situation ou la figure d’adulte qui va faire fuir l’élève.

  • Déliaison avec le groupe de pairs

L’École a du mal à entendre l’importance de la stabilité du groupe de pair dans la construction du jeune. La déliaison devient effective quand on fait des groupes, ou lors de la constitution des classes, des procédures d’orientation, d’une procédure disciplinaire...

  • Déliaison avec soi-même

L’élève en échec dans l’école se retrouve dans une situation paradoxale où deux parties de lui-même ne parviennent pas à s’accorder. En effet il sait qu’il a des connaissances et des compétences. Il y a des lieux où il est reconnu pour ce qu’il sait et ce qu’il sait faire, et puis il y a l’école où il n’est plus reconnu et où il ne se reconnaît plus.
Ces quatre déliaisons se jouent tous les jours, dans tous les cours, à chaque instant dans l’établissement et se rejouent dans la sphère familiale au moment des devoirs notamment.
Dans le même temps, les évaluations peuvent être d’une grande violence pour certains élèves dont certains témoignent : « Moi je savais que je travaillais et les profs me disaient « travaille  », au bout d’un moment, j’ai eu marre qu’on me tape sur la tête ». Alors que des études montrent que certains des élèves les plus en difficulté travaillent plus que les autres à l’école, la doxa « travaille et tu progresseras » continue de faire vérité dans la société et dans l’école.

Anne Armand explique également que lors du travail préparatoire à la rédaction du rapport, un parent d’élève a déclaré que, pour lui, l’histoire du décrochage scolaire dans la relation entre l’école et les parents c’est l’histoire d’un divorce avec les deux partis qui se renvoient les responsabilités de l’échec de l’enfant/élève. Elle pense que pour les professionnels, regarder les situations qui organisent la collaboration avec les familles à travers ce prisme du divorce, peut apporter des éléments de compréhension qui faciliteront le travail. Aujourd’hui encore, en France, l’École fonctionne sur une logique de tri, qui s’incarne notamment lors de l’orientation, et elle reconnaît et valorise, voire survalorise, dans la diversité de son action, "toujours les mêmes compétences hypothéticodéductives, vouant à l’échec tous les élèves qui ne les développeront pas suffisamment".
Anne Armand énonce quelques conditions nécessaires :

  • Constituer des communautés éducatives, c’est-à-dire un collectif composé de parents, de professionnels de divers horizons, un lieu et du temps pour collaborer et envisager les questions de travail auxquelles nous renvoient les jeunes en situation de décrochage.
  • Écouter ce que l’élève a à dire, et pour cela lui proposer systématiquement de choisir un référent, interlocuteur unique, dans la communauté éducative (de façon à éviter l’effet tribunal lorsqu’il a à s’exprimer)
  • Être vigilants sur les postures et les paroles professionnelles de façon à éviter la rupture entre l'école et l'élève
  • Systématiser le dialogue avec les parents, d’autres parents et d’autres professionnels en n’oubliant pas que l’enfant des uns est l’élève des autres.

Ces conditions nécessaires ne sont pas suffisantes puisqu'elles ne prennent pas en compte les spécificités locales, contextuelles des établissements, ni les parcours individuels des jeunes pourtant importants à considérer pour juguler les processus du décrochage.