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Les élèves scolarisés en éducation prioritaire bénéficient-ils d’un enseignement de moindre qualité ?

Par Patrick Picard publié 24/11/2016 23:55, Dernière modification 21/06/2024 16:36
Roland Goigoux confronte les résultats de l'enquête IFE - Lecture au CP qu'il a dirigée avec les conclusions du récent rapport du CNESCO sur les inégalités sociales.

Dans la synthèse de son rapport « Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ? », le conseil national d’évaluation du système scolaire français (CNESCO)[1]conclut que, loin de constituer une discrimination positive, l’éducation prioritaire « pourrait progressivement avoir créé des inégalités de traitement en défaveur des élèves défavorisés » (p. 33) et être « fortement associée à la dégradation du niveau des élèves » (p. 32). Les auteurs du rapport affirment notamment que « les élèves scolarisés en éducation prioritaire ne bénéficient pas d’une qualité d’enseignement identique à celle des élèves scolarisés en établissements du secteur ordinaire » (p. 14), en particulier pour le temps d’apprentissage considéré comme l’une des deux dimensions centrales dans la réussite scolaire.

Surpris par des affirmations aussi catégoriques, nous avons consulté les données recueillies dans notre enquête collective sur l’enseignement de la lecture et de l’écriture[2]et nous avons comparé les pratiques pédagogiques dans 39 classes en Éducation prioritaire (EP) et 92 en dehors (Hors EP).

Voici nos principaux résultats.

Nous renvoyons les lecteurs à une analyse plus étayée et plus détaillée qui sera publiée chez Peter Lang au printemps prochain dans un ouvrage dirigé par Barbara Fouquet-Chauprade et Anne Soussi (Université de Genève).

Les caractéristiques des deux échantillons EP et hors EP

Les enseignants

Dans notre enquête, les enseignants EP avaient moins d’ancienneté que leurs collègues mais ils étaient cependant des maitres expérimentés : plus de douze ans dans le métier et sept ans au cours préparatoire (3 ans au minimum par construction). Il est utile de garder cette réalité à l’esprit pour la suite du raisonnement.

Afin de contrôler d’éventuels biais dans la composition de l’échantillon, nous avons vérifié que les enseignants EP n’étaient pas plus motivés que leurs collègues. Nous avons pour cela contrôlé leur sentiment d’auto-efficacité professionnelle. Celui-ci est fort en EP (73,9 %) mais inférieur à celui hors EP (79,2 %). Cette différence provenait surtout de la moindre confiance qu’ils s’accordaient dans le domaine de la différenciation pédagogique. Les enseignants EP doutaient, plus que les autres, de savoir suffisamment : « concevoir des évaluations aux différents moments de l'apprentissage ; analyser les erreurs des élèves pour en déterminer les causes ; aider les élèves à prendre conscience de leurs progrès et des efforts à fournir ; concevoir des activités de remédiation et de consolidation des acquis ; adapter leur enseignement à la diversité des élèves ; prendre en compte les différences dans les rythmes d'apprentissage des élèves ».

À noter qu’aucune influence significative du sentiment d’auto-efficacité sur l’efficacité des enseignants n’a été détectée. Les enseignants de l’éducation prioritaire qui doutaient de leur efficacité n’étaient pas moins efficaces que leurs collègues.

Les classes

Dans notre enquête, les effectifs des classes de l’EP n’étaient pas significativement différents de ceux hors EP. Ce constat va dans le sens de celui fait par le CNESCO qui indique qu’en 2015, du CP au CM2, l’effectif moyen dans les classes d’éducation prioritaire était de 22,7 élèves, soit seulement 1,4 élèves de moins que dans les écoles hors éducation prioritaire. Ici, la différence était de 0,7 élèves (23 contre 22,3).

Si les effectifs des classes étaient voisins, les performances initiales des élèves en lecture-écriture mesurées au cours de la première semaine de septembre 2013 étaient en revanche nettement différentes : les scores étaient plus bas en EP (un demi écart-type de différence). Mais l’hétérogénéité était exactement la même dans et hors EP, c’est-à-dire que la dispersion des scores au sein des classes était identique. Les problèmes professionnels auxquels les enseignants étaient confrontés étaient donc similaires sur ce plan, même si évidemment le nombre d’élèves en grande difficulté (scores inférieurs à moins un écart-type, soit environ 15 % de la population globale) était supérieur en EP. 

Le climat des classes et l’engagement des élèves au travail

Notre modèle d’analyse incluait plusieurs variables pédagogiques dont les recherches antérieures avaient montré l’importance et qu’il convenait de contrôler. Nous savions par exemple que le temps offert par les enseignants pour réaliser les tâches n’est pas exactement le même que celui que les élèves passent à travailler. L’écart entre les deux est cependant d’autant plus faible que les enseignants parviennent à enrôler leurs élèves et à capter, puis à maintenir, leur attention. C’est pourquoi nous avons cherché à décrire le degré d’engagement des élèves dans les tâches ainsi que le climat de la classe, autrement dit la sérénité des relations entre l’enseignant et ses élèves et celles des élèves entre eux. Un climat positif, on le sait, est propice aux premiers apprentissages scolaires.

Nous n’avons constaté aucune différence significative sur ces deux plans entre EP et hors EP. Autrement dit, le contexte d’exercice n’affecte pas le climat de classe et l’engagement des élèves dans les classes de cours préparatoire tenues par des enseignants expérimentés. Ce résultat est important : il rompt avec le tableau sombre touchant l’ambiance de travail dans les classes EP, tableau habituellement dressé à partir de recherches menées au collège.

Les budget-temps

L’étude des budgets-temps permet de répondre à la question : au cours préparatoire, le temps dédié à l’enseignement du Français est-il inférieur en éducation prioritaire ? Les résultats recueillis font apparaître qu’en moyenne hebdomadaire 7h 19 minutes sont consacrées au lire-écrire hors EP et 7h 29 minutes en EP. La différence n’est pas significative. On peut donc conclure que la durée de l’offre globale d’enseignement est équivalente.

Ce résultat global aurait pu cacher de profondes disparités dans la nature des tâches proposées aux élèves. La comparaison, type de tâche par type de tâche, nous a permis de vérifier qu’il n’en était rien.

Nous avons, en effet, cumulé le temps passé à chacun des trente-et-un types de tâches au cours des trois semaines tests : le résultat est une égalité quasi parfaite entre les 39 classes de l’EP et les 92 classes hors EP. Seules les durées allouées à 3 types de tâches se distinguent significativement : les élèves de l’EP passent moins de temps que leurs camarades hors EP à lire à haute voix et à réaliser des tâches écrites en lien avec la compréhension des textes, mais ils en passent plus à étudier la syntaxe. Ces écarts sont minimes : sept minutes hebdomadaires tout au plus (en lecture à haute voix).

Une conclusion s’impose : l’offre d’enseignement n’est pas différente en éducation prioritaire si l’on examine les occasions d’apprendre offertes aux élèves. Ce résultat est d’autant plus probant que nous avons indiqué plus haut que l’engagement des élèves dans ces tâches n’était pas non plus différent. Dans notre enquête, nous ne détectons donc aucune diminution du « temps net de travail des élèves ».

Nos résultats ne confortent pas non plus les hypothèses des sociologues de l’éducation touchant les adaptations des dispositifs pédagogiques aux caractéristiques des élèves. Nous ne détectons pas le moindre sur-ajustement au niveau initial de compétences ou de sur-attention aux difficultés des élèves. Nous ne trouvons pas plus en éducation prioritaire qu’ailleurs de tâches simplifiées, morcelées, ne faisant appel qu’à des tâches cognitives de bas niveau.

Cette conclusion est renforcée par l’étude des différentes modalités d’organisation pédagogique. Les deux principales modalités ne présentent aucune différence significative : le travail en groupe-classe complet domine dans les deux contextes (3h 30 hebdomadaires pour l’EP), immédiatement suivi par la réalisation de tâches individuelles (2h 22 en EP avec une différenciation dans l’étayage des tâches mais pas de modification de leur nature). Seul le temps alloué aux tâches réalisées en groupes est légèrement supérieur en EP (39 minutes hebdomadaires en EP contre 27 minutes hors EP) mais la différence n’est que tendancielle. C’est surtout le travail en petits groupes homogènes (une vingtaine de minutes par semaine), présenté par les maitres comme une modalité de différenciation, qui explique cette différence.

La planification de l’étude du code

Les planifications de l’étude du code ne diffèrent pas selon les contextes : les enseignants de l’EP étudient les correspondances phonographiques à la même vitesse que ceux qui exercent hors EP.

Leurs supports d’apprentissage ne présentent pas de différences notables : ils ne sont ni plus, ni moins déchiffrables par les élèves. Là encore, la variété intra-groupe est beaucoup plus forte que la variété inter-groupe.

Le choix de manuels ne fait pas non plus apparaitre de différence significative. Si les enseignants EP sont un peu plus nombreux à travailler sans manuel, cette différence n’est pas significative.

Notre bilan est donc sans ambiguïté : nous n’avons trouvé aucune différence significative entre les pratiques des enseignants œuvrant dans l’Éducation prioritaire ou en dehors.

Cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune différence. Notre grain d’analyse, moyen, n’était peut-être pas assez fin pour les saisir. Nous ne pourrons le savoir que lorsque nous aurons terminé les analyses des interactions verbales (en cours) que nos enregistrements vidéo rendent possibles.

Cela ne signifie pas non plus que les élèves progressent de la même manière comme nous allons le montrer dans le paragraphe suivant.

Les performances et les progrès des élèves

Au cours préparatoire

À l’entrée au CP, l’écart de performance entre les deux sous-groupes (EP < hors EP) est presque égal à un demi écart-type (0,485). Ce résultat corrobore les données ministérielles. Même si l’étude de la DEPP (2013) montrait que les écarts entre EP et hors EP s’étaient réduits entre 1997 et 2011, ils demeuraient importants à l’entrée au cours préparatoire.

À la fin du CP cependant, l’écart se réduit (seulement 0,322 écart-type contre 0,485 au début) et la différence est significative. On peut conclure que le cours préparatoire joue un (petit) rôle compensatoire même si les performances des élèves EP restent inférieures à la moyenne de l’échantillon et si la différence de performance entre les deux groupes reste significative.

Ce résultat, particulièrement intéressant, laisse entendre que des pratiques pédagogiques identiques appliquées à des publics différents pourraient avoir un effet différent. Cet effet cependant n’a pas la même intensité dans tous les domaines : il est plus fort pour l’étude du code alphabétique qu’en compréhension.

Au cours élémentaire première année

EP_horsEP_lecture_RG

Nous avons étudié si la réduction des écarts, constatée au CP, perdurait au CE1. Nous avons constaté qu’il n’en était rien, les écarts se creusent de nouveau.

Synthèse des performances moyennes des deux groupes d’élèves (EP et hors EP) aux trois étapes (début et fin de CP, fin de CE1) (N = 1994)

Pourquoi ? Difficile de le savoir dans la mesure où nous n’avons pas observé les pratiques des enseignants de cours élémentaire, mais nous pouvons avancer une hypothèse congruente avec les résultats précédents. Lorsqu’au CE1 les compétences linguistiques, socialement très marquées, deviennent plus déterminantes, le rôle compensatoire de la pédagogie faiblit, surtout si celle-ci accorde peu de place à l’enseignement de la compréhension comme nous l’avons exposé ailleurs. Entre la fin du CP et la fin du CE1, les élèves de l’EP s’éloignent à nouveau de la moyenne de l’échantillon et reviennent à une position relative qui n’est plus significativement différente de leur position initiale (début de CP).

L’efficacité des enseignants

La réduction des écarts constatée au CP ne signifie pas que les enseignants exerçant en Éducation prioritaire sont plus efficaces que les autres. Les statistiques descriptives que nous venons de présenter n’ont pas été réalisées « toutes choses étant égales par ailleurs » et elles ne doivent pas être confondues avec les statistiques inférentielles qui permettent d’interroger les relations causales. 

Ces statistiques sont présentées dans notre rapport de recherche. Elles nous ont permis d’établir l’absence d’effet de la scolarisation en éducation prioritaire sur les performances finales des élèves. Elles confirment que les progrès des élèves mesurés par les écarts à la moyenne des effets sont les mêmes, toutes choses étant égales par ailleurs, dans et hors l’éducation prioritaire.

Autrement dit, les enseignants de l’éducation prioritaire ne sont ni plus, ni moins efficaces que leurs collègues. Sur ce point encore, les affirmations du CNESCO doivent donc être nuancées et doivent être accompagnées de l’énoncé de leurs limites de validité selon les niveaux d’enseignement considérés, les disciplines étudiées et les caractéristiques des enseignants. En lecture-écriture, au cours préparatoire, lorsque les enseignants sont suffisamment expérimentés (3 ans au minimum), on ne peut pas dire que « les élèves scolarisés en éducation prioritaire ne bénéficient pas d’une qualité d’enseignement identique à celle des élèves scolarisés en établissements du secteur ordinaire ».


[1] Site CNESCO (2016) Inégalités sociales et migratoires : Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ? Dossier de synthèse, septembre 2016.
En ligne : http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/09/160927Dossier_synthese_inegalites.pdf

[2] GOIGOUX, R. (Dir.) (2016). Étude de l’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des premiers apprentissages. Rapport de recherche IFé remis à Madame la directrice générale de l’enseignement scolaire (DGESCO-MENESR), Ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. En ligne http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire