Observer et comprendre une situation d'enseignement-apprentissage des implicites dans les textes fictionnels
Contexte
Au cours d'une formation en constellation sur l'enseignement-apprentissage de la compréhension, les enseignants ont analysé par binôme le texte à partir de l'outil de lecture professionnelle avant de concevoir collectivement des séances de classe dont certaines ont donné lieu à des visites croisées.
Alexis, enseignant depuis 15 ans, travaille dans la même école depuis 8 ans. Il a en charge une classe de CM1-CM2 dans cette école péri-urbaine hors Éducation Prioritaire mais au public qu'il qualifie de très hétérogène.
Lors de la séance filmée au mois de novembre, l'enseignant propose un travail autour des implicites de l'album "Mon jour de chance " de Keiko Kasza. Il s'agit du troisième récit fictionnel exploité avec les élèves depuis le début de l'année sous la forme d'une lecture pas-à-pas. L'enseignant a fait le choix de partager le récit en 6 épisodes dévoilés au cours de la même séance. Tout au long de la lecture, les échanges vont porter sur deux questions dont les hypothèses de réponses sont écrites sur deux affiches différentes : Que veut faire le renard ? Que veut faire le porcelet ?
Afin de mettre au jour les stratégies de compréhension des implicites mobilisables, l'enseignant écrit les propositions de réponses des élèves selon un code couleur qu'il ne rendra explicite qu'en fin de séance. En bleu, il écrit les indices inscrits dans le texte, en rouge les indices déduits à partir du texte, en vert les arguments issus de la culture commune.
Prenant appui sur une modélisation des trois temps didactiques pour une séance de lecture élaborée par le groupe EMA, nous pouvons rendre compte de la préparation autour de l'album :
- Avant la séance filmée, en temps 1, Alexis a amorcé la lecture de "Mon jour de chance" par un travail d'acculturation autour des personnages stéréotypés des contes et de la ruse par des lectures en réseau.
- Lors de la séance filmée, le temps 2 est consacré au dévoilement progressif et à l'émission des hypothèses élaborées d'abord individuellement puis collectivement.
- Le temps 3 est celui du bilan de la compréhension des implicites et des stratégies mobilisables par les élèves.
Extrait vidéo de la situation de classe
De la séance complète d'environ une heure, un montage de 12 minutes a été extrait (Verbatim format PDF). Il tente de montrer les grandes étapes de la mise en oeuvre de la séance.
Pour comprendre l'activité professionnelle d'Alexis, un entretien d'autoconfrontation Zoom sur l'entretien d'autoconfrontation - site du Centre Alain-Savary a permis de l'amener à décrire et commenter son activité lors de cette séance de classe. Les extraits sont mis en perspective avec les trois temps d'une séquence d'enseignement-apprentissage des implicites.

Temps 1 |
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On a besoin de réactiver les choses "On a besoin de réactiver les choses" |
Temps 2 |
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"Il faut temporiser" |
Capter l'attention de façon musclée "Capter l'attention de façon musclée" |
"Moins de choses à écrire" |
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Je prends son argument, on verra à la fin "Je prends son argument, on verra à la fin" |
Je sens qu'il y a quelque chose d'intéressant derrière "Je sens qu'il y a quelque chose d'intéressant derrière" |
"Difficile d'arriver au bout" |
Temps 3 |
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On est sur quelquechose de complexe "On est sur quelquechose de complexe" |
Verbatim récapitulatif de l'ensemble des vécus professionnels
Enjeux de la situation professionnelle
Alexis mène une situation d'enseignement-apprentissage de la compréhension en collectif à partir d'un dispositif mettant en oeuvre une lecture à dévoilement progressif.
Afin de cerner au mieux les enjeux de cette situation de classe, nous vous proposons une analyse en trois temps :
- comprendre les préoccupations d'Alexis lors de cette séance filmée ;
- cerner les questions de métier qu'elle soulève et les dilemmes auxquels peuvent être soumis les enseignants dans ce genre de situation ;
- un regard didactique des chercheures du laboratoire EMA.
Les préoccupations d'Alexis
L'entretien d'autoconfrontation permet de mettre au jour les différentes préoccupations de l'enseignant au fil d'une séance d'enseignement-apprentissage des implicites dans les textes fictionnels.
Alexis est guidé par deux préoccupations majeures :
- Donner des outils à ses élèves pour construire et mettre en oeuvre des stratégies de compréhension des implicites ;
- Accompagner l'activité langagière de tous.
Outiller pour construire et mettre en oeuvre des stratégies de compréhension
Afin de permettre aux élèves de construire et mettre en oeuvre des stratégies de compréhension, l'enseignant les amène à mobiliser les références culturelles élaborées collectivement lors des séances précédentes. Il interroge les élèves sur les stéréotypes des personnages rencontrés, les ruses déployées afin qu'ils fassent des liens avec ceux rencontrés dans "Mon jour de chance". D'ailleurs, il l'oublie dans un premier temps mais y revient car il estime qu'il est nécessaire d'accompagner les élèves dans cette réactivation de la mémoire (vécu 1).
Ensuite, il les pousse à argumenter afin d'étayer leurs hypothèses (vécu 6). Au fil de la séance, les élèves sont amenés à justifier leurs hypothèses soit en référence au texte soit selon d'autres références.
Ces différentes stratégies sont finalement institutionnalisées une fois le texte entièrement dévoilé. Au regard de la complexité de la tâche, Alexis a conscience que l'appropriation de ces stratégies va prendre du temps aux élèves (vécu 8).
Accompagner l'activité langagière des élèves
Pour enrôler chacun de ses élèves et leur permettre d'avoir tous quelque chose à dire sur les deux questions posées, l'enseignant alterne deux modalités de travail : un temps individuel d'écrit des hypothèses puis une confrontation collective orale (vécu 2). Pour accompagner la réflexion collective, il garde trace de ces différentes propositions sur deux affiches au tableau tout en étant soucieux de ne pas passer trop de temps à écrire car cela pourrait démobiliser les élèves (vécu 4).
Accompagner les élèves dans leur réflexion demande à l'enseignant de ne pas valider ou invalider lui-même les hypothèses avancées, et même s'il a conscience qu'un des enjeux de la séance est de permettre de faire évoluer la compréhension des implicites, il fait le choix d'accueillir les hypothèses erronées (vécu 5).
Alexis sait que la séance prévue va être longue et va demander une grande concentration aux élèves d'autant que la principale activité de débat a lieu à l'oral avec l'ensemble du groupe classe. Il tient donc à enrôler le plus d'élèves et à garder leur attention tout le long (vécus 3 et 7). Il indique qu'il va "les chercher" mais il accepte aussi qu'au bout d'un moment certains soient lassés.
questions de métier et dilemmes
Cette situation de classe et l'entretien d'Alexis permettent de mettre au jour un certain nombre de dilemmes auxquels sont confrontés les enseignants lors d'une séance d'enseignement-apprentissage des implicites. Ces dilemmes font l'objet de compromis en situation de la part des professionnels afin de répondre aux questions posées par le métier.
Quels outils langagiers pour faire apprendre ?
Au sein de la classe, la question des outils langagiers mobilisés se pose sans cesse du côté des élèves mais également de l'enseignant. Accompagner les élèves dans la construction des stratégies de compréhension demande aux enseignants de mettre en place un milieu d'apprentissage basé sur des échanges oraux nécessaires à une réflexion collective féconde mais également sur des écrits préalables des élèves. En effet, élaborer collectivement le sens du texte au sein de la classe est complexe et exigeant car il s'agit d'accompagner une construction collective tout en tenant compte du cheminement individuel de chacun des élèves.
- Du côté des élèves :
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mobiliser l'écrit |
![]() |
mobiliser l'oral |
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Demander d'écrire des hypothèses individuellement :
Au risque de prendre trop de temps ou de bloquer certains élèves. |
S'appuyer sur l'oral des élèves :
Au risque de lasser, de perdre leur attention, de pénaliser les petits parleurs. |
- Du côté de l'enseignant :
| mobiliser l'écrit | ![]() |
mobiliser l'oral |
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Construire une trace écrite :
Au risque de prendre trop de temps, de perdre l'attention du groupe. |
Mener les débats :
Au risque d'interférer dans le processus de compréhension. |
Comment réguler les échanges et traiter les hypothèses des élèves ?
Amener les élèves à construire et mettre en oeuvre des stratégies de compréhension des implicites demande aux enseignants de les inciter à prendre appui sur le texte mais également leurs connaissances (culturelles et littéraires) pour émettre des hypothèses.
| Laisser les élèves s'exprimer | ![]() |
Réguler cette expression |
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Accueillir toutes les hypothèses :
Au risque de perdre du temps, de perdre le fil des discussions avec des hypothèses hors sujet. |
Guider, accompagner les élèves :
Au risque de trop intervenir et prendre à sa charge l'essentiel de la réflexion. |
points de vue des chercheures sur cette situation de classe
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MARIE-FRANCE BISHOP |
ANISSA BELHADJIN |






