De la question des devoirs à l’apprentissage de l'autonomie dans le travail personnel, pistes et ressources pour la formation
Sommaire
- Le travail personnel dans le socle commun et les nouveaux programmes
- Prendre conscience des inégalités générées par les devoirs à la maison et des ruptures didactiques entre les différents espaces/temps du travail personnel
- Travailler autour des dilemmes de métier générés par les devoirs et le travail personnel
- Travailler autour des dilemmes des professionnels qui font de l'aide aux devoirs
- Déplier toutes les dimensions du travail personnel
- Travailler sur les obstacles didactiques pour développer l’autonomie des élèves dans le travail en fonction des niveaux et des disciplines
- Une nouvelle ressource pour la formation, à partir d'un exemple en géographie au collège
- Développer des organisations pédagogiques et didactiques qui prennent en compte l’apprentissage de l’autonomie dans le travail
- Et les parents ?
- Mettre la question de la formation et de l'accompagnement sur une question prioritaire au coeur du pilotage local
Ce texte s'appuie sur la modélisation conçue par le centre Alain-Savary présentée dans le document "Concevoir des formations pour aider les enseignants à faire réussir tous les élèves", et notamment sur les cinq directions proposées pour concevoir la formation continue :
Le travail personnel dans le socle commun et les programmesExtraits du Décret n° 2015-372 du 31 mars 2015 relatif au socle commun de connaissances, de compétences et de culture Socle communObjectifs de connaissances et de compétences pour la maîtrise du socle commun Organisation du travail personnel L'élève se projette dans le temps, anticipe, planifie ses tâches. Il gère les étapes d'une production, écrite ou non, mémorise ce qui doit l'être. Il comprend le sens des consignes ; il sait qu'un même mot peut avoir des sens différents selon les disciplines. Pour acquérir des connaissances et des compétences, il met en œuvre les capacités essentielles que sont l'attention, la mémorisation, la mobilisation de ressources, la concentration, l'aptitude à l'échange et au questionnement, le respect des consignes, la gestion de l'effort. Il sait identifier un problème, s'engager dans une démarche de résolution, mobiliser les connaissances nécessaires, analyser et exploiter les erreurs, mettre à l'essai plusieurs solutions, accorder une importance particulière aux corrections. L'élève sait se constituer des outils personnels grâce à des écrits de travail, y compris numériques : notamment prise de notes, brouillons, fiches, lexiques, nomenclatures, cartes mentales, plans, croquis, dont il peut se servir pour s'entraîner, réviser, mémoriser. ProgrammesExtraits du Bulletin officiel spécial n°11 du 26 novembre 2015 Cycle 2Français Au CE1 et au CE2, les révisions nécessaires à la maitrise du code et les entrainements pour parvenir à une réelle automatisation de l'identification des mots sont mises en place autant que de besoin, toujours en relation avec l'écriture de mots. Progressivement, l'essentiel du temps est accordé à l'apprentissage de la compréhension (travail guidé d'abord, puis guidé ou autonome selon les habiletés des élèves) dans des lectures à visée différente et sur des textes de genres variés. L'entrainement en lecture à voix haute est régulier. Ces activités sont pratiquées en classe où des ateliers peuvent aisément permettre la différenciation, et non pas reportées durant le travail personnel hors la classe.Elles gagnent à être finalisées par des projets qui permettent aux élèves de valoriser les compétences qu'ils ont acquises (expositions à propos des ouvrages lus ; présentation ou mise en voix de textes sous différentes formes ; rencontres avec d'autres classes autour d'ouvrages lus ; etc.). Domaine 2 Les méthodes et outils pour apprendre Tous les enseignements concourent à développer les compétences méthodologiques pour améliorer l’efficacité des apprentissages et favoriser la réussite de tous les élèves. Savoir apprendre une leçon ou une poésie, utiliser des écrits intermédiaires, relire un texte, une consigne, utiliser des outils de référence, fréquenter des bibliothèques et des centres de documentation pour rechercher de l’information, utiliser l’ordinateur… sont autant de pratiques à acquérir pour permettre de mieux organiser son travail. Cycle 3Préambule [les élèves] deviennent également conscients des moyens à mettre en œuvre pour apprendre et résoudre des problèmes. Les stratégies utilisées pour comprendre leur sont enseignées explicitement et ils développent des capacités métacognitives qui leur permettent de choisir les méthodes de travail les plus appropriées. Les élèves se familiarisent avec différentes sources documentaires, apprennent à chercher des informations et à interroger l’origine et la pertinence de ces informations dans l’univers du numérique. Le traitement et l’appropriation de ces informations font l’objet d’un apprentissage spécifique, en lien avec le développement des compétences de lecture et d’écriture. En gagnant en aisance et en assurance dans leur utilisation des langages et en devenant capables de réfléchir aux méthodes pour apprendre et réaliser les tâches qui leur sont demandées, les élèves acquièrent une autonomie qui leur permet de devenir acteurs de leurs apprentissages et de mieux organiser leur travail personnel. Domaine 2 Les méthodes et outils pour apprendre Tous les enseignements doivent apprendre aux élèves à organiser leur travail pour améliorer l’efficacité des apprentissages. Cycle 4Domaine 2 Les méthodes et outils pour apprendre Être élève s'apprend par l'exemple des adultes mais aussi en s'appropriant des règles et des codes que ce domaine explicite. Son importance est décisive pour la réussite et concerne tous les champs du savoir. Il s'agit du travail en classe et du travail personnel de l'élève qui augmente progressivement dans le cycle. Ils permettront l'autonomie nécessaire à des poursuites d'étude. Il ne s'agit ni d'un enseignement spécifique des méthodes, ni d'un préalable à l'entrée dans les savoirs : c'est dans le mouvement même des apprentissages disciplinaires et des divers moments et lieux de la vie scolaire qu'une attention est portée aux méthodes propres à chaque discipline et à celles qui sont utilisables par toutes. […] L'ensemble des disciplines concourt à apprendre aux élèves comment on apprend à l'école. Elles prennent en charge l'apprentissage de la langue scolaire, de la compréhension des consignes, du lexique, du maniement des usuels, de la prise de notes. Elles aident à acquérir des stratégies d’écoute, de lecture, d’expression. L'organisation et l'entrainement, déterminants pour la réussite, se construisent dans la classe à travers leçons et exercices, mais aussi à l'extérieur, au sein de la vie scolaire et du CDI. Chaque discipline y contribue à sa façon. Les sciences, dont les mathématiques et la technologie par exemple par des exercices d'entrainement et de mémorisation ainsi que par la confrontation à des tâches complexes, l'éducation physique et sportive par l'entrainement, les répétitions, la réduction ou l’augmentation de la complexité des tâches, la concentration, la compréhension de ses erreurs. L’enseignement de l’informatique, dispensé en mathématiques et en technologie, permet d’approfondir l’usage des outils numériques et d’apprendre à progresser par essais et erreurs. Le volume des informations auxquelles sont soumis les élèves exige d'eux des méthodes pour les rechercher et les exploiter judicieusement. L'ensemble des disciplines propose pour cela des outils, et l'éducation aux médias et à l'information apprend aussi la maitrise des environnements numériques de travail. |
Prendre conscience des inégalités générées par les devoirs à la maison et des ruptures didactiques entre les différents espaces/temps du travail personnel
Historiquement, la question des devoirs se pose dans le cadre d’une institution scolaire marquée traditionnellement par une division du travail : le temps du cours où le professeur enseigne et le temps de l’étude où l’élève apprend. Si ces deux temps étaient pris en charge par l’institution dans le cadre de l’enseignement secondaire que ne fréquentaient principalement que les enfants des milieux favorisés, la massification à l’œuvre depuis les années 60 à travers la mise en place progressive du collège unique s’est doublée d’un processus d’externalisation du travail personnel demandé aux élèves sous la forme des “devoirs à la maison”Martine Kherroubi, « Aspect d’une externalisation », in Patrick Rayou (dir.), Faire ses devoirs, enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire, PUR, 2009. L’accompagnement et l’aide de ces devoirs ont donc été majoritairement sous-traités à l’extérieur par les familles, les cours particulier, ou les dispositifs d’aide aux devoirs mis en place par les
communes et les structures associatives. C’est donc à l’inégalité des ressources (économiques et académiques) dont peuvent bénéficier les élèves dans leur milieu familial que renvoie cette question, avec pour effet collatéral de renvoyer aussi sur chaque élève et sa famille la responsabilité de l’efficacité - et pas seulement de la quantité - du travail personnel fourni. Quand on sait le malentendu qui existe fréquemment entre l’école et les familles populaires sur le sens du travail scolaire Séverine Kakpo, Les devoirs à la maison, mobilisation et désorientation des familles populaires, PUF, 2012, on mesure l’impact négatif que peut représenter ce transfert de responsabilité : l’injonction à “travailler” - ou le reproche du “manque de travail” qui revient de manière récurrente dans les bulletins scolaires - entretient avec les élèves et leur famille une croyance dans “l’équivalent travail”Anne Barrère, Travailler à l’école. Que font les élèves et les enseignants du secondaire ?, PUR, 2003(“si tu travailles, tu auras de meilleurs résultats”) qui peut faire l’impasse sur ce qui permettrait un travail scolaire efficace en termes d’apprentissage. Une recherche récente montre que même lorsque les devoirs peuvent se faire dans un dispositif d’étude encadré par des enseignants, ce dispositif se révèle être “une caisse de résonance voire d’amplification des difficultés non résolues au sein de la classe.”Séverine Kakpo, Julien Netter, « L'aide aux devoirs. Dispositif de lutte contre l'échec scolaire ou caisse de résonance des difficultés non résolues au sein de la classe ? », Revue française de pédagogie 1/2013 (n° 182), p. 55-70, URL : www.cairn.info/revue- francaise-de-pedagogie-2013-1-page-55.htm.
La plupart des enseignants ont parfaitement conscience que les devoirs à la maison posent des problèmes du point de vue de l’égalité des élèves. Les arguments des « pro » et des « anti-devoirs » se réfèrent d’ailleurs tous les deux à la question de l’égalité :
- "Si je donne des devoirs à tous, je renvoie à l’inégalité des ressources (financières et culturelles) dont disposent les familles pour aider leurs enfants à faire leurs devoirs."
- "Si je ne donne pas de devoirs, parce que je travaille en REP par exemple, je ne les prépare pas à réussir au collège ou au lycée ou dans le supérieur, où on attendra des élèves puis des étudiants de plus en plus d’autonomie dans le travail personnel."
Du coup, les enseignants oscillent entre ces deux pôles, cherchent à se sortir du dilemme en donnant plus ou moins de devoirs, en essayant de donner des choses simples dont ils pensent que les élèves pourront s’en acquitter seuls, etc.
Cependant, ils peuvent ne pas avoir conscience que les inégalités par rapport aux devoirs se jouent souvent dans des "re-normalisations des tâches" (ce que les familles ou les accompagnateurs vont réellement faire faire aux enfants, indépendamment de la volonté de l'enseignant). Ce peut être le cas pour des tâches qui ne semblent pas a priori poser de problème, comme la lecture ou l’apprentissage des leçons. C’est ce que révèlent notamment les travaux de recherche effectués - entre autres - par Stéphane Bonnery Stéphane Bonnery, Comprendre l'échec scolaire. Elèves en difficultés et dispositifs pédagogiques, La Dispute, coll. « L'enjeu scolaire », 2007 ou Séverine Kakpo. Du coup, même si les devoirs sont « faits » au sens matériel du terme, ils peuvent être inefficaces – voire contreproductifs – du point de vue de l’apprentissage attendu par l'enseignant.
Pour lire une synthèse plus complète des travaux de recherche sur ces questions, on pourra se reporter utilement au dossier Veille et Analyses n°111 de juin 2016 réalisé par Rémi Thibert : "Représentations et enjeux du travail personnel de l'élève".
Pour travailler la question en formation :
- Des débats professionnels autour de la question des devoirs : Néopass@ction thème 2 activité 13
- Les débutants « Les devoirs, j'en donne de moins en moins »
- Les expérimentés « Limiter ses ambitions ? »
Ces deux vidéos permettent d'engager une discussion avec un groupe d'enseignants sur le dilemme que leur pose la question des devoirs au regard de la norme d'égalité.
- Présentation des travaux de recherche sur les devoirs : intervention de Julien Netter aux journées d’étude sur l’accompagnement à la scolarité en mars 2015 (vidéo, illustrations et compte-rendu) Les devoirs à la maison dans les familles populaires et les dispositifs d’aide aux devoirs : Division du travail et inégalités d’apprentissage. Lors de son exposé, ont été présentés les résultats d’une recherche conduite en 2010-2011, avec Séverine Kakpo, intitulée « Les devoirs à la maison dans les familles populaires et les dispositifs d’aide aux devoirs : Division du travail et inégalités d’apprentissage. » Cette recherche porte sur tous les éléments qui circulent entre l’école, les familles et le périscolaire. Exclusivement qualitative, elle a consisté pour les chercheurs à aller dans des familles et dans une étude municipale d’une ville de la banlieue du nord de Paris pour observer et analyser ce qui se joue sur le plan des apprentissages et des socialisations scolaires. Julien Netter propose dans au début de son intervention, à partir d’une étude de cas dans un centre périscolaire d’aide aux devoirs, d’analyser ce qui est en jeu autour des devoirs. Dans une seconde partie, toujours à partir d’études de cas, il propose d’investiguer la façon dont se déroulent les devoirs au sein de familles populaires. En conclusion, il propose quelques pistes pour lever les malentendus et réduire les inégalités scolaires qui s’opèrent dans le cadre des devoirs.
- Extrait de Stéphane Bonnéry, comprendre l’échec scolaire, La carte du relief en 6e. Colorier ou symboliser ? 6 février 2011
- La multiplication, extrait du film documentaire Être et avoir réalisé par Nicolas Philibert (2002)
- Des paroles de parents extraites du travail de Séverine Kakpo qui a enquêté sur la réalité de l'aide aux devoirs dans les familles de milieux populaires
Travailler autour des dilemmes de métier générés par les devoirs et le travail personnel
Du point de vue du travail enseignant, la question des devoirs et du travail personnel génère donc un certain nombre de dilemmes professionnels, face auxquels chacun se positionne en fonction de son expérience, de sa sensibilité, de ses ressources. On peut lister :
- Donner les devoirs en début de journée / en fin de journée, en début de séance / en fin de séance, en avance / la veille pour le lendemain ?
- Donner des exercices d’application / d’entraînement / de découverte / d’approfondissement / de création ?
- Donner du travail écrit / donner du travail « oral » (leçons, lectures) ?
- Faire faire le travail en classe / faire finir le travail à la maison / faire commencer le travail en classe / faire faire à la maison ?
- Corriger les devoirs en classe / ne pas les corriger / Les corriger en dehors de la présence des élèves ?
- Contrôler le travail fait / avancer le cours ?
Prendre le temps en formation de s’interroger sur la manière dont chacun s’y prend et se positionne, comprendre que d’autres que soi font de manière différente, échanger sur les avantages et inconvénients de chaque manière de faire, peut être un moment fructueux pour pouvoir prendre conscience que ces dilemmes font partie du travail ordinaire de chacun.
Pour travailler la question en formation
Cet étage a été conçu et coordonné par Christine Félix, Université d'Aix-Marseille
Extrait de l'analyse de la question sur Néopass@ction :
« Donner des devoirs» soulève un dilemme du métier important entre la nécessité intellectuelle et la pertinence de cette pratique ordinaire dans l’appropriation des connaissances scolaires et le risque d’accroissement des inégalités.
En effet, exiger des élèves qu’ils prolongent, à l’extérieur de l’école, le travail engagé en classe n’est pas sans poser problème à toute une catégorie d’élèves, surtout les plus distants du système scolaire. Du coup, cela relance les interrogations sur les conditions de l’organisation du travail personnel des élèves et ce qui relève de la responsabilité de l’Ecole. Entre une logique du « tout en classe » où la fiction prévaut que l’étude ne peut se construire qu’en présence des enseignants, et une logique accréditant l’idée qu’on ne peut plus apprendre qu’à l’extérieur de l’école (dans les officines privées, par exemple), les enseignants s’interrogent sur le quotidien de leur activité en classe. Comment :
- créer du lien entre les différents savoirs ?
- s’assurer de la circulation des savoirs entre les différents milieux de l’étude ?
- baliser, en classe, le travail à effectuer hors de la classe ?
- entraîner les élèves à travailler seuls ?
- …
La liste n’est évidemment pas exhaustive. Et on comprend à travers les propos des enseignants, qu’ils soient débutants ou expérimentés, que ces questions dépassent le discours récurrent sur le bien fondé des devoirs à la maison, pour venir interroger, plus largement, les manières de faire la classe.
De fait, cinq ans plus tard, avec le recul de ses premières années d’expérience, Guillemette souligne l’attention qu’elle porte désormais à la nécessité d’outiller les élèves pour leur « apprendre comment apprendre », dans et hors la classe, et « ne plus attendre des élèves des choses qu’on ne leur a jamais apprises à faire ».
Sur la plateforme Neopass@ction sont scénarisés les différents points de vue de débutants, de chevronnés ou de chercheurs, qui permettent de "déplier" les différentes questions qu'on peut décider de creuser dans une formation : le lien avec les familles, apprendre à faire en classe, finir la séance dans les temps pour ne pas être débordé en fin de cours, corriger sans prendre trop de temps, questionner la nature des tâches demandées...
Travailler autour des dilemmes des professionnels qui font de l'aide au devoirs
Une autre série de dilemmes caractérise les situations où des professionnels (enseignants, assistants pédagogiques, etc.) encadrent le travail personnel des élèves sur des devoirs qu'ils n'ont pas (toujours) donnés eux-mêmes et dans des disciplines dont ils ne sont pas forcément spécialiste :
- faire de la méthodologie / leur faire faire leurs devoirs
- leur « montrer » / « les faire trouver par eux-mêmes »
- accorder le même temps à tous / prioriser l'aide aux plus en difficulté
- ...
Pour lire une synthèse plus complète des travaux de recherche sur l'accompagnement du travail des élèves, on pourra se reporter utilement au dossier Veille et Analyses n°119 de juin 2017 réalisé par Catherine Reverdy : "L'accompagnement à l'école : dispositifs et réussite des élèves".
Pour travailler la question en formation
Extrait de l'analyse de la question sur Néopass@ction :
« Faire des cours de méthodologie ? » est une question qui n’est ni simple ni banale. L’importance et la qualité des débats, tant au niveau des enseignants expérimentés que des enseignants novices, en est une preuve certaine. Sans reprendre ici toutes les dimensions professionnelles qu’elle touche, on notera qu’elle rend compte d’un dilemme de métier important : entre « apprentissages méthodologiques » et « soutien disciplinaire ». Quels contenus privilégier et sous quelle forme les organiser ?
L’intervention du professeur doit-elle plutôt privilégier les apports méthodologiques et formels de l’étude, leur faire faire leurs devoirs, ou plutôt s’attacher à du soutien scolaire et donc aux contenus notionnels traités dans une discipline en particulier ?
Mais, en même temps, tous soulignent l’obligation d’aller plus loin que le seul enseignement méthodologique qui, bien que nécessaire « car il permet de savoir apprendre, et c’est vrai en 6ème comme en terminale » (Azzedine), est insuffisant. « Il faut le décliner dans le disciplinaire » (Monia), et même au-delà, « réinvestir dans tous les disciplines, y compris en dehors du cadre scolaire » (Sylvain).
Les enseignants chevronnés partagent avec les enseignants débutants la conviction d’avoir tout autant à faire travailler les élèves sur des questions spécifiques que génériques et ce, en vue des les aider à opérer un travail de décontextualisation / recontextualisation des notions en jeu. Cette dimension de l’étude pose évidemment en termes de « transversalité, transférabilité d’une méthode applicable à une discipline à une autre » (Magali), des « principes généralisables… » (Damien).
Mais elle se pose également en termes d’accompagnement des élèves, et notamment des plus faibles, dans ce type d’exercice. Si les bons élèves savent que par-delà la variété des objets d’étude proposés, ce sont toujours les mêmes fondamentaux qui sont travaillés, il n’en n’est pas de même pour les élèves en difficulté qui se croient obligés d’avoir à réinventer des gestes de l’étude pour chacun des exercices à réaliser. Comment alors les aider à repérer, distinguer l’essentiel de l’accessoire ? Comment les aider à reconnaître ce qui relève du spécifique lié à une discipline, du générique plutôt lié à des techniques, des méthodes, des manières de faire et d’étudier ?
Sur la plateforme Neopass@ction sont scénarisés les différents points de vue de débutants, de chevronnés ou de chercheurs, qui permettent de "déplier" les différentes questions qu'on peut décider de creuser dans une formation :
- Faut-il faire de la méthodologie ?
- Comment aider les élèves de manière efficace ?
- Comment travailler en équipe ?
- Le besoin de s'entraîner pour apprendre
- Comment leur apprendre à être autonome dans leur travail ?
Déplier toutes les dimensions du travail personnel
"Le travail personnel renvoie à l’ensemble des processus mobilisés de façon autonome et personnelle par l’élève pour s’approprier les objets d’enseignement (connaissances et compétences)."
Marc Prouchet, ancien formateur du centre Michel-Delay
Sont proposées ci-dessous quelques catégories et variables qui permettent, en formation, d'analyser "ce qu'on fait", "pourquoi on le fait", "avec quelles limites", "ce qu'on pourrait développer pour soutenir le développement de l'autonomie des élèves dans le travail personnel". Ces catégories et variables ne sont évidemment pas exhaustives, et chaque groupe en formation pourrait y rajouter les siennes.
Pour travailler avec les enseignants à partir du réel, il peut être utile de recueillir en amont de la formation un corpus de ce que font les enseignants. À titre d'illustration, nous proposons un corpus de 65 "devoirs" recueilli lors d'un stage REP auprès d'enseignants de la maternelle à la 3e. Ce corpus (issu du travail d'enseignants en formation, donc toujours "discutable"), précise :
- Niveau/discipline
- Intitulé du type de travail pour l'enseignant
- Formulation pour l'élève
- Selon vous, que doit faire l'élève pour réussir la tâche ?
- Quel est selon vous l'intérêt de demander ce travail ?
- Quels sont selon vous les limites et les freins pour que ce type de travail puisse profiter à l'élève ?
Se préoccuper du travail personnel des élèves, qu'est-ce que ça me demande ?
Se préoccuper du travail personnel nécessite :
- de s’inquiéter, au moment même de la conception de l’enseignement, des conditions pour les élèves :
- de l’acquisition / appropriation des connaissances
- de la conscience de ce qu'ils ont déjà acquis
- de l’utilisation de ces acquis dans des situations toujours nouvelles
- de s’inquiéter, au moment même de la conception de l’enseignement, de la variation des différents types d’activité demandées à l’élève :
- activité de réception (l’élève réalise la tâche créée pour lui)
- activité de formalisation (l’élève met des mots sur la tâche créée pour lui)
- activité de re-création (l’élève construit une tâche différente de la tâche de référence)
- activité de transfert (l’élève fait réaliser sa tâche à d’autres)
Quelques variables qui agissent sur la situation et le milieu...
- L’âge / le développement des élèves
- Le milieu / la sphère, privé(e) et familial(e)
- L’environnement socioculturel
- Des gestes / dispositifs / dispositions didactiques et pédagogiques
- Des modalités particulières de conception (psycho-sociologie) de l’École, de l’enseignement, de l’apprentissage, de la tâche…
Les processus d'appropriation
- Pour prendre la métaphore d'un organisme vivant, l'appropriation de nouvelles notions, de nouvelles compétences, réunit deux phénomènes :
- l'assimilation : le sujet ingère quelque chose du milieu extérieur à lui-même.
- l'accomodation : correspond à une modification de l'organisme pour s'adapter aux conditions extérieures ; le processus d'accommodation sert à enrichir ou élargir un schème d'action en le rendant plus flexible.
- L'appropriation nécessite pour l'élève :
- De recevoir et assimiler les objets d'enseignement/apprentissage
- D'extraire "l'essentiel" à retenir de "l'accessoire" lié au contexte particulier de la situation d'enseignement
- De mettre en lien avec "ce que je sais déjà"
- De savoir mobiliser "ce que je sais" pour réaliser une tâche
- D'avoir conscience de ma capacité à réaliser une tâche avec "ce que je sais" (estime de soi)
Les types de travaux demandés
- Apprendre une poésie
- Faire des exercices d’application
- Apprendre une leçon
- Faire des exercices de réinvestissement
- Anticiper sur le prochain cours
- Faire des recherches
- Automatiser des procédures
- Faire le bilan (en fin de séance, de séquence, de journée ou de semaine).
- ...
Pour quoi faire ?
Sont proposés ici les sept catégories d'aide de Roland Goigoux. Elles peuvent être lues à la fois comme les différents étayages dont peuvent avoir besoin les élèves ou ce qu'on va progressivement apprendre aux élèves à faire seuls...
- EXERCER : systématiser, automatiser, catégoriser, …
- RÉVISER : synthétiser, préparer une évaluation commune
- SOUTENIR : accompagner l’élève au travail
- ANTICIPER : préparer la future séance collective
- REVENIR EN ARRIÈRE : reprendre les bases
- COMPENSER : enseigner ce qui est requis par les tâches scolaires mais pas enseigné
- FAIRE AUTREMENT : enseigner la même chose mais d’une autre manière
Un exemple sur le site de l'IEN de la circonscription de Béziers-Nord.
À quel moment ?
Le travail personnel de l'élève (seul ou accompagné par plusieurs adultes) renvoie à une pluralité temporelle autour de la séance en classe :
- Avant le cours (ce qu'on fait avant en lien avec ce qui va se passer en cours) : à la maison, en aide aux devoirs, voire... dans le cours précédent
- Pendant le cours, en fonction des différentes phases de celui-ci
- Après le cours (ce qu'on fait après en lien avec ce qui s'est passé en cours) : à la maison, en aide aux devoirs, voire... dans le cours suivant
- À côté du cours (ce qu'on fait qui n'est pas directement en lien avec un cours mais qui va permettre à celui-ci d'être plus efficace)
À noter que ce qu'on fait dans ces différentes phases peut être prescrit par un adulte (enseignant, parent, accompagnant), mais peut aussi être à l'initiative de l'élève... Un élève complètement autonome - qui n'existe que rarement en réalité...- dans son travail serait d'ailleurs un élève qui s'auto-prescrirait toutes les phases nécessaires à l'appropriation des contenus de chaque cours.
NB : Le schéma ci-dessus s'appuie sur la modélisation d'une séance de classe de M. Prouchet qui est un outil d'analyse des différents "possibles" d'une séance de classe, et non un modèle de ce que serait une "bonne séance".
Travailler sur les obstacles didactiques pour développer l’autonomie des élèves dans le travail en fonction des niveaux et des disciplines
Dès qu'on approfondit les difficultés que rencontrent les élèves pour réaliser seul leur travail, on arrive très vite à la question des ruptures de ce que Séverine Kakpo, Julien Netter et Patrick Rayou nomment les boucles didactiques Rayou Patrick, Sensevy Gérard, « Contrat didactique et contextes sociaux. La structure d’arrière-plans des apprentissages », Revue française de pédagogie 3/2014 (n° 188) , p. 23-38, URL : www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2014-3-page-23.htm et Kakpo Séverine, Netter Julien, « L'aide aux devoirs. Dispositif de lutte contre l'échec scolaire ou caisse de résonance des difficultés non résolues au sein de la classe ? », Revue française de pédagogie 1/2013 (n° 182) , p. 55-70, URL : www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2013-1-page-55.htm.. Pour réaliser le travail demandé et en tirer bénéfice, les élèves doivent pouvoir faire le lien entre l'activité demandée et les savoirs qui y sont en jeu. Or, parfois, les élèves ne peuvent pas faire ce lien, soit parce qu'ils ne maitrisent pas les savoirs en question, qu'ils ne les ont pas construits pendant le cours, soit parce qu'ils n'ont pas conscience de quels savoirs ils ont besoin dans la situation, soit enfin parce que l'adulte (ou le pair) qui les accompagne dans leur travail transforme la situation d'exercice en s'éloignant des intentions de l'enseignant ("renormalisation didactique").
Dans le cadre d'une formation sur le travail personnel, il nous semble donc nécessaire d'amener progressivement la réflexion des enseignants sur des objets d'enseignement précis, qui permettent de discuter des obstacles rencontrés par les élèves dans l'apprentissage de ces objets et dans leur remobilisation dans d'autres tâches scolaires. En fonction du niveau et de l'âge des élèves, on pourra creuser des obstacles "génériques" liés à la construction de la culture écrite scolaire ("parler sur" et non pas seulement "parler de", lister, trier, organiser, mettre en tableau, en schéma, synthétiser, exemplifier, etc.) à des obstacles de plus en plus spécifiques à chaque discipline scolaire, à ses objets, ses concepts et ses méthodes. C'est amener les enseignants à affuter ensemble leur analyse de la nature des difficultés rencontrées dans les situations d'apprentissage.
Pour travailler la question en formation...
- Instaurer des discussions professionnelles sur les objets de savoirs : il peut être très fructueux de mettre en place des débats, notamment en formation inter-degrés, sur la représentation que l'on a de certaines notions à enseigner, sur la manière de les formuler pour les élèves en fonction des niveaux. On peut pour cela demander aux enseignants de venir avec des leçons dans différentes disciplines et faire discuter sur la façon dont on formule les choses, de traquer ce qui peut parfois permettre aux élèves de réussir sans comprendre. Par exemple une leçon sur les homophones "a / à" donne-t-elle juste un "truc" aux élèves ? à quelles conditions leur permet-elle de construire la différence grammaticale entre le verbe/auxiliaire "avoir" et la préposition "à" ? Ou encore "qu'est-ce qu'une phrase ?" pour un professeur de français, un professeur de musique, un enseignant de CP, etc.
On trouvera une vidéo d'un tel échange professionnel sur le site du centre Alain-Savary. Sur la vidéo de co-enseignement en géométrie réalisée en formation par une équipe de circonscription, les deux enseignantes passent d’une discussion sur la routinisation de l’utilisation de connecteurs logiques nécessaires pour exprimer l’intersection de deux droites, à la nécessité de proposer des activités qui permettent d’appréhender conceptuellement la notion d’intersection de deux droites. Cette vidéo permet notamment de mettre en débat :
- la tension entre "enseigner précocement des procédures" ou "faire reconstruire systématiquement le raisonnement pour accéder au sens" ;
- la tension entre "proposer des situations d’apprentissage complexes nécessitant la mobilisation de plusieurs procédures" ou bien "automatiser des exercices simples nécessitant l’utilisation d’une seule stratégie".
Dans tous les cas, « ça se discute », l’enjeu étant d’enseigner à reconnaitre les déterminants de la situation et de pouvoir mobiliser les connaissances.
Pour aller plus loin on pourra consulter la synthèse réalisée par le centre "Enseigner plus explicitement : l'essentiel en quatre pages"
Développer des organisations pédagogiques et didactiques qui prennent en compte l’apprentissage de l’autonomie dans le travail
Même si nous pensons qu'il convient d'être mesuré à l'idée d'identifier des "bonnes pratiques" en soi, il est fécond de se donner les moyens d'observer les pratiques pédagogiques, de conserver celles qui semblent aider les élèves à devenir progressivement autonomes dans leur maitrise des savoirs, et éventuellement de concevoir de nouvelles manières de faire qui pourraient être plus efficaces.
Pour travailler la question en formation...
À titre d'exemple nous proposons des documents réalisés par des enseignants en formation qui ont tenté de formaliser des pratiques existantes ou nouvelles au regard de cet enjeu de l'apprentissage de l'autonomie.
Le premier document regroupe dix fiches réalisées par des enseignants du premier degré qui explicitent chacune une pratique pédagogiques au regard des sept catégories de Roland Goigoux (les bilans, les exposés, les leçons, les lectures, les plans de travail).
Le deuxième présente une pratique expérimentale en collège ("les sept dernières minutes de cours") où l'enseignant arrête le cours sept minutes avant la sonnerie afin de permettre aux élèves de prendre le temps d'écrire les devoirs, de les commencer et de poser d'éventuelles questions s'ils ne comprennent pas quelque chose.
Aucune de ces pratiques ne constituent en soit des modèles à suivre, mais elles illustrent le travail qui peut être fait en formation pour travailler avec les enseignants présents sur ce qu'ils font déjà et sur ce qu'ils imaginent pouvoir faire pour améliorer l'apprentissage de l'autonomie dans leur classe.
Nous proposons également deux documents de travail, réalisés par les pilotes des REP de Saint-Priest, qui ont servi de base au travail des équipes, de la maternelle au collège, pour penser la progressivité du travail demandé en fonction des niveaux et qui ont servi à formaliser les étayages qu'on peut mettre en place pour que les élèves apprennent d'abord à faire accompagnés en classe, pour pouvoir progressivement faire seul.
Et les parents ?
Nous ne développerons plus ici la question de la place des parents dans cette question des devoirs et du travail personnel des élèves, mais il nous semble que, même si l'on réfléchit en formation à l'apprentissage en classe de l'autonomie dans le travail, la question du lien avec les parents, et de la place qu'on leur fait dans l'accompagnement scolaire de leurs enfants est centrale. Comment rendre l'école visible et lisibles pour eux sans que cela passe forcément par les devoirs à la maison ? Pour traiter cette question, nous vous renvoyons aux ressources produites par le centre Alain-Savary dans la rubrique "Ecole-Familles".
Mettre la question de la formation et de l'accompagnement sur une question prioritaire au coeur du pilotage localLes différents outils et documents proposés dans ce texte sont issus du travail réel de la circonscription, des Réseaux d'Éducation Prioritaire, des trois collèges de la commune de Saint-Priest en banlieue lyonnaise, pendant quatre ans, initié dans le cadre d'un groupe partenarial de réflexion sur l'accompagnement à la scolarité. Ce travail sur la durée a été permis par un travail intermétier au niveau des pilotes, en lien étroit avec un formateur Éducation prioritaire et les conseillers pédagogiques, qui a permis de prioriser collectivement des moyens et de l'énergie sur cette question centrale pour la réussite des élèves. On peut regarder une présentation de ce travail par l'IEN et le coordonnateur REP sur le site du centre Alain-Savary : "Saint-Priest, 4 année de réflexions autour de l'accompagnement à la scolarité et du travail personnel" Chronologie
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